"HOOOooo de la Moinette, oui je pense que ça me ferait le plus grand bien. 'Savez avec soleil qui tape avant la saison...
Apportez-en ce qu'il en faut... Pas que je sois un buveur hein..."
"Oui c'est très compliqué à faire fonctionner. Vous dépendez sans cesse du temps que not' Seigneur veut bien donner... "
... Ceux que je connais étaient obligé de chômer quand les eaux étaient basses. Lorsqu'elles étaient trop hautes et lorsqu'elles s'écoulaient en torren, elles endomageaient la roue. La misère n'était jamais loin. La femme du meunier devait demander l'aumône pour habiller ses enfants, et il ne restait plus que trois vaches à l'étable, dont deux malades. De coûteux travaux étaient nécessaires pour réparer les dégâts causés par un orage à la roue à aubes, mais la bourse plate du meunier ne lui en donnait pas les moyens.
Aussi ce dernier apprit-il avec de grands espoirs que, venant de mourir, un lointain oncle, réputé économe et riche, avait fait de lui son héritier. Prenant sa besace, il fit en hâte le long chemin pour assister aux funérailles de son parent. Hélas! lorsqu'il alla trouver le notaire, celui-ci lui apprit que, devenu sur le tard galant et dépensier, feu l'oncle avait dilapidé la plupart de ses biens. Après payement des funérailles et des droits dus au seigneur local, il ne restait au pauvre meunier qu'une poignée d'écus.
Il revenait donc chez lui, bien marri, et admirant avec mélancolie les beaux moulins à vents dont les ailes tournaient en ce temps-là sur le plateau de la Hesbaye là où l'oncle avait vécu.
- Ah, murmura-t-il, je n'aurais à craindre ni les basses ni les trop hautes eaux si je pouvais, en mon pays de Quarreux, en construire un sur la hauteur. Je gagnerais enfin ma vie. Mais qui diable me donnera de quoi le construire ?
Prononcé sans y penser, ce mot «diable» avait été entendu. Le pauvre meunier n'avait pas remarqué, dans l'ombre épaisse d'un noyer, un homme aux yeux brillants, enveloppé dans une longue houppelande noire.
- Veux-tu vraiment posséder semblable merveille? lui demanda l'inconnu.
- Bien sûr, mais avec quoi payerais-je les travaux? Soupira le pauvre homme. Voici toute ma fortune.
Et il montra les quelques écus de l'héritage.
- Tu n'as pas besoin d'or ni d'argent. Si tu te mets sous mon pouvoir, je puis t'en bâtir un, plus grand et beau que celui-ci, en une nuit. On y viendra de loin pour faire moudre seigle et blé.
Lui tendant un parchemin, il poursuivit:
- Signe ceci avec ton sang. C'est un pacte. Rentre chez toi, tu y seras ce soir. Au premier rayon de l'aube, les travaux seront achevés, je te le promets, et les ailes tourneront. Dès lors, tu seras riche, et moi, je posséderai ton âme. Je viendrai la prendre dans dix ans.
Le pauvre homme signa. Pour son retour à Quarreux, la fortune entrevue lui fit hâter le pas. L'épouse du meunier fut tout étonnée de le voir revenu si tôt de chez feu l'oncle.
- Tu semblés joyeux, lui dit-elle. Un héritage va donc nous sauver de la misère? Montre-moi les beaux écus de l'oncle défunt.
- Il y en a peu, mais nous serons pourtant, demain matin, riches du plus beau moulin de toute la région. Il aura des ailes comme en Hesbaye et le bon vent les fera tourner.
Devinant quelque ténébreuse machination, l'épouse, qui était pieuse et sage, fit raconter à son homme quel marché il avait conclu. Elle en fut grandement alarmée:
- Tu dois reprendre ta parole, dit-elle.
-Je ne puis. J'ai signé avec mon sang. Mais ne crains rien. Demain, quand tu le verras en avion au premier rayon du soleil, comme cet homme me l'a promis, tu sauras que nos malheurs sont terminés. Et dix ans, c'est long.
Toute la nuit, la vallée retentit d'un vacarme pire que maint orage. Cent diables extrayaient pierres et roches, les transportaient au sommet, abattaient des chênes et les équarrissaient. Ils bâtissaient à grand ahan, charpentaient, s'affairaient aux rouages, fixaient des ailes, les entoilaient, taillaient d'énormes meules à grands coups de ciseaux dont les étincelles allumaient des éclairs.
Le meunier et sa femme ne purent fermer l'il dans tout ce vacarme qui ne s'apaisa que peu avant le point du jour. Quelques minutes avant l'aube, moment fatidique, Satan vint chercher le meunier pour lui montrer son uvre. Dressé dans le ciel, le moulin tout neuf luisait de tout l'éclat de ses pierres de quartz, aussi haut et majestueux que le château de Mont jardin. Immobiles, ses bras immenses semblaient attendre le premier rayon du soleil pour tourner au gré du vent vif du plateau. On eut dit qu'elles l'attendaient pour commencer à tourner, accomplissant, à la minute convenue, la promesse de Satan. Or celui-ci cachait mal une inquiétude subite.
Le jour se leva, éblouissant à l'horizon, et le moulin resta figé. Le Prince des Ténèbres comprit qu'il avait perdu: sa promesse n'était pas tenue. Mais qui avait bien pu se mettre en travers de ses desseins ?
Il le vit une minute trop tard. Pour sauver l'âme de son époux, la femme du meunier, priant Aristote, s'accrochait de toutes ses forces à une aile, la paralysant au risque d'être brisée par elle.
Écumant de rage, Satan foudroya le moulin qui s'écroula, broyant dans ses débris la femme qui avait tenu le Malin en échec. Les pierres géantes des murs furent projetées dans l'eau jusqu'à grande distance. On les y voit encore de nos jours encombrer étrangement le cour d'eau.