Le Maure avait repéré un indice. Arrêtant sa monture, assez maladroitement, mais plutôt efficacement, il fit fi des deux autres, pour se concentrer un instant. Un mince instant. Son regard à laffût dun détail qui indiquerait la direction prise par
Un cri. Il navait pas remarqué la disparition de la donzelle. Grognement mécontent. Pourquoi fallait-il toujours quelles nen fassent quà leur tête, quà leur guise ? Ne possédaient-elles que le pouvoir dagacer et dénerver le Maure ? Un regard très rapide vers son maître, et le Maure de regarder à nouveau le sol. Trouver les indices de la direction du vraisemblablement mort était sans doute trouver la crieuse. Il cherchait au sol, se fiant plus à sa vue quà son ouïe, la sachant plutôt vague dans lenvironnement du bois. Echos, éloignement et ricochet. Car oui, pour lui les sons pouvaient ricocher. Comme les coups. Ils laissaient des traces un peu partout. Un peu trop dailleurs.
Grognement du Maure à nouveau à cette pensée. Il voit son maître filer en vitesse dans une direction. Haussement dépaule, et le basané remonte sur son cheval, lentement, à cause de sa corpulence. Agilité, certes, mais pas avec ces bêtes là. Le temps quil reprenne sa place et commence lentement, très lentement au pas ?! à rejoindre son maître et sa compagne, il les voit revenir, assez rapidement, les visages blêmes, pour ne pas dire blafard. Moche. Il pense beaucoup, mais dit peu de chose le Maure. Mieux valait pour lui. Un brin dhumour traversa son esprit, quil garda pour lui. Cynique. Faites pas cette tête, on dirait que vous avez vu un Maure
Cynique, mais qui le faisait sourire, lui. Il fallait dire quil navait pas encore aperçu le cadavre mutilé. Un regard vers son maître, qui pointe son doigt dans une direction. La direction doù ils arrivent tous deux.
Nouveau grognement du Maure. Sa façon habituelle, et coutumière de parler. Il comprend sans en douter une seule seconde au vue de leurs visages, de leur comportement, de leur empressement à quitter les lieux que le divertissement de la journée avait déjà prit fin. Il aimait rester à laffût, à la découverte dindice, le Maure. Même sil ne semblait pas si doué que cela. Disons que ça le changeait de laccoutumé. Son regard est toujours fixé sur le bras du maître. Il finit par le longer, passer le doigt pour cibler véritablement la direction. Grognement. Comprendre quil ira seul. Que cétait à lui, comme toujours, quincombait la plus succulente des tâches. Il retient un soupir qui serait mal perçu par le maître, si tant est quil puisse, dans son état, percevoir encore quelques bruits légers. Cétait sans parler de létat de peur de la donzelle. Légère grimace tout de même, en songeant au cadavre. Sil les avait tout deux mis dans pareil état. Nouveau grognement en guise daccord, et le Maure de se diriger dans la direction indiquée, et de découvrir la scène.
Pas horrifiante pour le Maure. Repoussante certainement. Laid. Il était laid. Un travail de bouchers. Ou de bûcherons. Plus blanc quun linge. Plus rouge aussi. Un mélange répugnant de blancheur et de sang. Blanc comme la mort, et non comme la pureté. Il navait jamais aimé le blanc, Ayoub. Les yeux de ce dernier parcourt la dépouille, sans une once dhorreur. Il en avait déjà vu. Pas ainsi. Mais, un mort reste un mort. Quimporte lapparence quil avait alors. Selon lui. Il parcourt donc la dépouille des yeux, notant quelques détails mortifères, quelques traces, quelques
Ses yeux se posent tout autour du corps, cherchant, songeant, réfléchissant. Il navait donc rien chassé. Ou on lui avait volé ses gibiers
Mais
Cela lintrigua. Haussement dépaule et raclement de gorge. Ça navait sans doute, aucune véritable espèce dimportance. Et puis, qui cela intéressait ?
Il se mit à louvrage, effectuant ce que son maître lui avait demandé de faire. Douce habitude qui évite de se poser trop de questions. Il ordonne, on obéit, et on agit. Et la vie sen trouve bien plus simple. Elle perd de surprise, de liberté, de réflexion. Mais nétait-ce pas ce que lon voulait des esclaves ? Le cadavre plié en deux sur son épaule, car il ne fallait pas lui demander de faire un travail trop propre, ou dans la finesse, il revient prêt de son maître et de la belle épouvantée. Arriver lentement, car il ne voit pas la raison de se presser, et percevoir un chuchotement au loin, puis une réplique plus sèche du maître. Sans en comprendre véritablement le sens. Haussement dépaule qui fait se balancer la tête et les bras inertes de la dépouille sur lui, avant de le déposer, sans douceur, le ventre sur le cheval, et de grimper en selle. Délicatesse quand tu nous tiens. Il était simple à comprendre que pour le Maure, la mort ne représentait plus grand-chose. Il nen avait plus peur. Depuis longtemps maintenant. Et quand la vie perd de son sens, peut-être espère-t-on trouver un sens dans la mort. A moins que ce ne soit que de lindifférence pure. Ou une froideur absolue. Qui savait ce quétait et ce que pensait réellement Ayoub
?
A peine monté, tenant la bride du cheval dune main, et de lautre la dépouille, il les voit partir à vitesse folle dans la direction du château. Devançant les chiens. Grognement. Il allait de nouveau, rester en arrière plan, avec la sale besogne, lordre cinglant, sans être plus prit en considération que cela. Regard noir et cynique vers le couple. Qui ne le voit pas, forcément, trop absorbé par leur course et lenvie intense de partir loin de ce lieu inquiétant. Ils avaient tous deux peur. Peur
Mais peur de quoi ? Si la donzelle pouvait simplement être choquée par cette vision, subir une peur de la mort, de la souffrance, une peur des cauchemars, une peur des lieux, une peur de son imagination, lesclave connaissait son maître. Et ce comportement était étrange. Il avait peur aussi. Sa façon dêtre en témoignait. Et il ne pouvait le cacher au Maure, qui le connaissait depuis le temps quil le servait. Ils avaient peur donc, et ils fuyaient, rentrant au plus vite au château. Sans se soucier un seul instant de la distance quils mettaient au Maure. Lui, pouvait bien se retrouver éloigné du couple et des chiens, sortir le dernier, presque seul, du bois, et « risquer » on ne sait quoi. La peur rend égoïste. La richesse et la noblesse plus encore. Les deux mêlés, nen parlons pas. Grognement. De colère, de fatalité, de résignation. Dabnégation. Après tout, son maître pouvait disposer ou non de sa vie en toute circonstance. Il partit au galop, tentant de laisser le moins décart possible entre le groupe et lui.
Se presser et le ramener à lAzraël. Lordre avait fouetté lair. Plus vivant que lhomme qui lavait lancé. Plus sûr de lui aussi. Comme un homme pouvait se définir par sa façon de parler, de se tenir aussi. Son maître dirigeait, commandait, ordonnait. Cétait cela qui le définissait. Parfois il brisait, il achetait, il faisait du mal. Parfois il semblait presque protecteur, avec une certaine femme notamment. Mais ce qui lui conférait véritablement son identité, du moins tel que le percevait le Maure et sans doute les autres esclaves et domestiques, cétait son autoritarisme. Plus que de lautorité. Un ordre. Une exécution. Il navait dautre choix. Même si lidée ne lui plaisait guère. Il naimait pas cette Croque-pelle. Intuition et reste de croyances de son pays. Il la craignait. Car le Maure craignait plus les vivants que la mort. Car les vivants peuvent faire plus de mal, et plus longuement que la mort. Ou du moins, de manière irrévocable, qui condamne le reste dune vie. Quand la mort y met, pleine de bonté, un terme. Grognement en arrivant près de la demeure échopétique de lAzraël. Froncement de sourcils, le Maure se compose une face glaciale, qui nadmet aucune question, aucune émotion. Qui ne permet aucune approche.
Il descend de cheval, et attrape le vulgaire garde-chasse quil reprend de la même manière sur son épaule, poussant la porte avec le pied. Un coup. La pousser fortement, et lenvoyer claquer contre le mur, et entrer. Après un hochement de tête, très mince, en guise de salut, il déposa la dépouille au pied de la fossoyeuse, sans la regarder une seule seconde avant. Se relever lentement, et poser un regard sur elle, lâchant de sa voix grave et sans appel :
Ordre du maître. Vous devez faire le nécessaire
Se retourner, sans rien ajouter, trouvant quil a déjà trop parlé aujourdhui, avec cette simple phrase. Se retourner pour fermer la porte, et la regarder à nouveau. Voir son visage, non blême, car elle est habituée la fossoyeuse. Mais tout de même, un peu plus blanc quà lordinaire sans doute. Dans sa vision de Maure. Voir son visage qui marque plus lincompréhension. Linterrogation. Lire dans son regard tout un tas de questions silencieuses en fixant de ses yeux aux prunelles froides du Maure. Attendant peut-être des réponses. Ne répondre que par un haussement dépaule, en montrant du menton le corps sans vie, comme pour lui faire comprendre que les seules réponses quelle pourrait sans doute avoir se serait la dépouille qui les lui apporterait. Grogner aussi insatisfait quelle. Lhomme nest quun être emplit de curiosité malsaine. Il ne vit que par curiosité, ne parle que par curiosité. Il nest que curiosité. Il referma la porte derrière lui, sans ajouter de sons. Ni autre grognement, ni autre phrase qui lui échappe, ni soupire. Rien. Un être de silence. Il remonte sur son cheval, et rentre à la demeure. Sans bruit. Seffaçant presque. Voulant retrouver sa tranquillité. Il savait quil pourrait en profiter ce soir. Le maître, sous le coup, sous le doute, le maître qui semblait en savoir bien plus que tous sur les raisons, et les causes de cette mort, serait occupé sans doute à répondre, ou du moins essayer, aux questions de sa donzelle, et tenter de la réconforter, de la veiller pendant la nuit qui sannonçait cauchemardesque.
En silence, le Maure seffaça un peu. Repensant aux bruissements étranges de la forêt. Ressentant à nouveau malgré lui, et malgré sa non-peur de la mort quil affectait, ses regards, cette présence étrange et angoissante quil avait ressenti dans le bois, en ramenant la dépouille, sur le sentier du retour. Malaise. Trouble. Inquiétude qui monte. Quil disperse dans une coupe dalcool, en attendant les prochains ordres. Pause, silence, inquiétude. En attendant la réaction populaire et les questions de la foule. Silence, noirceur, nuit et cauchemar. Bienvenue au Petit Bolchen