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[Bas-Fonds d'Angers]
Une silhouette longiligne encapuchonnée avance dans la foule. L'effervescence semble avoir établi un siège en Anjou et il est difficile d'avancer en toute sérénité. A vrai dire, le jeune homme ne faisait pas trois pas, sans qu'un crieur ne l'arrête pour lui annoncer tout le bonheur qui saisissait le nouvel archiduché d'Anjou. Archiduché. Le mot semblait sur toutes les lèvres. On ne parlait que de ça, les rues semblaient pavées de ce mot là tant il ressortait souvent. L'Anjou était devenu terre où l'on célébrait la folie du Duc et la bienveillance de la future Archiduchesse. Théophraste en revanche n'était pas aussi à l'aise avec cette notion que semblaient l'être les Angevins. C'était beaucoup de changement pour lui, peut-être. Sans compter que le futur pacha en charge de la Casbah Anjou risquait de n'être autre que sa Mère. Il savait qu'elle méritait sa place sur un tel trône, mais cette idée-là n'avait pas le pouvoir d'interférer avec ses propres décisions. Ou plutôt, elle n'aidait en rien son retour en Anjou. Il aurait préféré à dire vrai revenir comme n'étant personne d'autre que le sale rejeton ingrat d'une double Vicomtesse.
"Rien n'est jamais facile". *
Il se souvenait encore de l'étrange vieillard rencontré au cours de ses voyages qui lui avait lâché cette sibylline et pourtant si simple phrase à la figure. Et chaque pas qui le menait vers l'aboutissement de son existence dotait cette mystique phrase de plus en plus de sens.
Il avançait ainsi dans la foule, sourd aux exclamations de joies de certains, aux critiques d'autres, bousculant quand il le devait, s'effaçant quand il sentait qu'il lui était impossible de continuer son chemin face à un colosse qui l'aurait envoyé valser dans le décor d'un coup d'épaule. Toutefois, malgré ses zigzags nombreux, sa destination était bien claire : avant de rejoindre sa Mère et lui faire la surprise de son retour qu'il maudissait de se produire en même temps que ce nouveau statut qu'elle obtenait, il devait affronter les bas-fonds d'Angers et se rendre chez cet étrange apothicaire qu'on lui avait conseillé sur la route. Il paraîtrait que celui-ci disposait d'étranges plantes, cherchées dans les recoin les plus reculés de la Mer Méditerranée, et même au-delà lui avait-on dit. Peut-être avait-il ainsi dans son échoppe quelques propriétés qu'il serait intéressant d'acquérir pour Théophraste.
C'est ainsi sur ces hypothèses bien farfelues que notre jeune ami sillonnait la foule qui au fur et à mesure de ses avancées commençait à devenir de plus en plus éparse jusqu'à quasiment ne plus exister. Une pute qui racolait au coin de deux rues pas plus accueillantes l'une que l'autre. Un mendiant plus occupé à boire qu'à mendier. Quelques joueurs de cartes dégageant une forte odeur de saleté, de sueur et d'alcool mêlées. Voilà l'unique compagnie qui dorénavant accompagnait ses pas rapides. Enfin, il vit l'enseigne recherchée "GRIMMWALD - Apothicaire de Père en Fils depuis 1385".
Poussant la porte d'entrée, il fut instantanément écrasé par le silence qui suivit le tintement de la sonnette indiquant l'arrivée d'un nouveau client. Le mendiant occupé à meugler, la pute à racoler et les joueurs à crier "Tricherie!" n'avaient pas liberté d'émettre un seul des vulgaires bruits qui habitaient leur vies en cette boutique. Drapé dans ce silence, le décor de la boutique semblait plus qu'iirréel. Des étagères couvraient chaque coin de la pièce, laissant à peine quelques rangées pour permettre à l'éventuel client de se frayer un chemin entre les rayons posés de manière irrégulière. Sous les pots transparents ou non proposés au client, une écriture illisible semblait indiqué la nature de leur contenu. L'absence de bruit totale poussait Théophraste à croire la boutique abandonnée, et ce malgré le nombre exceptionnel de plantes et de poudres qui reposaient ça et là. Après quelques minutes à contempler de son regard bleu perçant l'ensemble des produits proposés par l'ésotérique boutique, il osa enfin prendre la parole pour crier bien timidement un banal "Y a-t-il quelqu'un ?". Enfin, un bruit semble se faire entendre en réponse à sa question. Une sorte de grognement venu d'une porte qu'il n'avait pas vu du premier coup d'oeil. Cette porte donnait apparemment sur une arrière sale d'où venait d'émerger la stricte et bien haute figure du tenancier de la boutique. Les cheveux blancs soigneusement lissés en arrière, l'homme scruta longuement Théo avant de faire claquer légèrement sa langue contre son palais.
L'Apothicaire avait mis l'emphase sur le mot "Jeune" notant bien une certaine désapprobation que Théophraste ressentit jusque dans les tréfonds de son âme. Il ne se démonta pourtant pas. Il était jeune certes, mais avait surement vécu bien plus de choses que cet étrange marchand resté cloitré dans sa boutique à attendre livraisons et hypothétiques clients.
L'Apothicaire leva alors un sourcil intéressé par son client, ne le jugeant plus sur son âge mais sur la façon dont il avait passé sa commande. Il souffla à voix basse comme pour lui même "Je dois bien avoir ce qu'il vous faut cher ami." avant de se retourner de manière énigmatique, ses yeux volant d'un pot à l'autre, sa main droite tentant un mouvement vers un pot entreposé là avant d'aller vers un autre, le saisissant pour mieux le reposer aussitôt. Théophraste suivait avec attention les mouvements de l'homme, attendant sagement que celui-ci daigne lui proposer un produit intéressant. Les deux hommes étaient si concentrés, l'un sur l'offre qu'il pourrait faire, l'autre sur un jugement de l'homme qui allait le servir, qu'ils n'entendirent pas le petit tintement caractéristique de la sonnette qui venait de retentir.
[* emprunté à Goodkind]
Une silhouette longiligne encapuchonnée avance dans la foule. L'effervescence semble avoir établi un siège en Anjou et il est difficile d'avancer en toute sérénité. A vrai dire, le jeune homme ne faisait pas trois pas, sans qu'un crieur ne l'arrête pour lui annoncer tout le bonheur qui saisissait le nouvel archiduché d'Anjou. Archiduché. Le mot semblait sur toutes les lèvres. On ne parlait que de ça, les rues semblaient pavées de ce mot là tant il ressortait souvent. L'Anjou était devenu terre où l'on célébrait la folie du Duc et la bienveillance de la future Archiduchesse. Théophraste en revanche n'était pas aussi à l'aise avec cette notion que semblaient l'être les Angevins. C'était beaucoup de changement pour lui, peut-être. Sans compter que le futur pacha en charge de la Casbah Anjou risquait de n'être autre que sa Mère. Il savait qu'elle méritait sa place sur un tel trône, mais cette idée-là n'avait pas le pouvoir d'interférer avec ses propres décisions. Ou plutôt, elle n'aidait en rien son retour en Anjou. Il aurait préféré à dire vrai revenir comme n'étant personne d'autre que le sale rejeton ingrat d'une double Vicomtesse.
"Rien n'est jamais facile". *
Il se souvenait encore de l'étrange vieillard rencontré au cours de ses voyages qui lui avait lâché cette sibylline et pourtant si simple phrase à la figure. Et chaque pas qui le menait vers l'aboutissement de son existence dotait cette mystique phrase de plus en plus de sens.
Il avançait ainsi dans la foule, sourd aux exclamations de joies de certains, aux critiques d'autres, bousculant quand il le devait, s'effaçant quand il sentait qu'il lui était impossible de continuer son chemin face à un colosse qui l'aurait envoyé valser dans le décor d'un coup d'épaule. Toutefois, malgré ses zigzags nombreux, sa destination était bien claire : avant de rejoindre sa Mère et lui faire la surprise de son retour qu'il maudissait de se produire en même temps que ce nouveau statut qu'elle obtenait, il devait affronter les bas-fonds d'Angers et se rendre chez cet étrange apothicaire qu'on lui avait conseillé sur la route. Il paraîtrait que celui-ci disposait d'étranges plantes, cherchées dans les recoin les plus reculés de la Mer Méditerranée, et même au-delà lui avait-on dit. Peut-être avait-il ainsi dans son échoppe quelques propriétés qu'il serait intéressant d'acquérir pour Théophraste.
C'est ainsi sur ces hypothèses bien farfelues que notre jeune ami sillonnait la foule qui au fur et à mesure de ses avancées commençait à devenir de plus en plus éparse jusqu'à quasiment ne plus exister. Une pute qui racolait au coin de deux rues pas plus accueillantes l'une que l'autre. Un mendiant plus occupé à boire qu'à mendier. Quelques joueurs de cartes dégageant une forte odeur de saleté, de sueur et d'alcool mêlées. Voilà l'unique compagnie qui dorénavant accompagnait ses pas rapides. Enfin, il vit l'enseigne recherchée "GRIMMWALD - Apothicaire de Père en Fils depuis 1385".
Poussant la porte d'entrée, il fut instantanément écrasé par le silence qui suivit le tintement de la sonnette indiquant l'arrivée d'un nouveau client. Le mendiant occupé à meugler, la pute à racoler et les joueurs à crier "Tricherie!" n'avaient pas liberté d'émettre un seul des vulgaires bruits qui habitaient leur vies en cette boutique. Drapé dans ce silence, le décor de la boutique semblait plus qu'iirréel. Des étagères couvraient chaque coin de la pièce, laissant à peine quelques rangées pour permettre à l'éventuel client de se frayer un chemin entre les rayons posés de manière irrégulière. Sous les pots transparents ou non proposés au client, une écriture illisible semblait indiqué la nature de leur contenu. L'absence de bruit totale poussait Théophraste à croire la boutique abandonnée, et ce malgré le nombre exceptionnel de plantes et de poudres qui reposaient ça et là. Après quelques minutes à contempler de son regard bleu perçant l'ensemble des produits proposés par l'ésotérique boutique, il osa enfin prendre la parole pour crier bien timidement un banal "Y a-t-il quelqu'un ?". Enfin, un bruit semble se faire entendre en réponse à sa question. Une sorte de grognement venu d'une porte qu'il n'avait pas vu du premier coup d'oeil. Cette porte donnait apparemment sur une arrière sale d'où venait d'émerger la stricte et bien haute figure du tenancier de la boutique. Les cheveux blancs soigneusement lissés en arrière, l'homme scruta longuement Théo avant de faire claquer légèrement sa langue contre son palais.
- Je suis Wilhem Grimmwald, Apothicaire de mon état. Que puis-je faire pour vous, Jeune Homme ?
L'Apothicaire avait mis l'emphase sur le mot "Jeune" notant bien une certaine désapprobation que Théophraste ressentit jusque dans les tréfonds de son âme. Il ne se démonta pourtant pas. Il était jeune certes, mais avait surement vécu bien plus de choses que cet étrange marchand resté cloitré dans sa boutique à attendre livraisons et hypothétiques clients.
- Je suis à la recherche de plantes rares, ou de poudres de votre confection pouvant être ingérées de diverses façons, ayant un effet reposant sur l'âme et sur le corps. De la famille des Solanaceae, par exemple.
L'Apothicaire leva alors un sourcil intéressé par son client, ne le jugeant plus sur son âge mais sur la façon dont il avait passé sa commande. Il souffla à voix basse comme pour lui même "Je dois bien avoir ce qu'il vous faut cher ami." avant de se retourner de manière énigmatique, ses yeux volant d'un pot à l'autre, sa main droite tentant un mouvement vers un pot entreposé là avant d'aller vers un autre, le saisissant pour mieux le reposer aussitôt. Théophraste suivait avec attention les mouvements de l'homme, attendant sagement que celui-ci daigne lui proposer un produit intéressant. Les deux hommes étaient si concentrés, l'un sur l'offre qu'il pourrait faire, l'autre sur un jugement de l'homme qui allait le servir, qu'ils n'entendirent pas le petit tintement caractéristique de la sonnette qui venait de retentir.
[* emprunté à Goodkind]