Else
Les sourcils se froncent. Quelque chose a bougé dans lombre, quElisabeth na pas eu le temps dapercevoir : le temps que ses prunelles shabituent à la luminosité, la porte a été claquée.
Un des gamins ? Un visiteur nocturne ? La blonde nest pas du genre à tergiverser : elle abandonne là ses fils colorés, et marche sur la porte. Au passage, elle agrippe le tison qui dort accoudé au manteau de cheminée. On nest jamais trop prudent ; et Lise nest pas du genre balèze. Ni même du genre fine lame insoupçonnée. Et si vous trouvez quelle a lair robuste comme un lapin rachitique, bonne nouvelle, chers et clairvoyants lecteurs : vous avez raison ! Sa seule force au combat, cest la témérité ; pour ce que ça lui sert
Lentement, elle fait glisser la porte sur ses gonds, un peu, encore un peu
jusquà pouvoir se glisser dans lembrasure.
Lintrus a disparu. Elsa baisse alors sa garde, et desserre un peu son emprise sur le tison. Le vestibule ne présente aucun recoin où dissimuler un adulte ; et la lourde porte dentrée, benoitement endormie dans la pénombre, ne semble pas avoir été dérangée. La blonde sen assure du bout des doigts : les verrous sont en place, le battant immobile. Bon. Lun des gosses, alors. Peut-être les deux. Pitié, pas les deux. Un, cest déjà bien trop. Elisabeth lève les yeux au ciel. Supporter lengeance quand leur mère y est, cest une chose ; mais les chaperonner seule, elle sen passerait bien, bon sang
Pas question de réveiller la maisonnée. Elisabeth retourne allumer un bougeoir dans la grand salle, et munie de ce chétif éclairage, se dirige vers la prochaine pièce : la cuisine.
Regard de droite, de gauche. La bougie atterrit sur une crédence, le tison contre un mur, et Elisabeth agacée sapproche de la table :
- Allons, sors de là, petit monstre, murmure-t-elle.
Ses pas l'arrêtent à bonne distance, cependant, et elle observe le meuble avec un frisson. La dernière fois qu'une gosse a jailli de sous une table, ça s'est mal terminé. Sottises, lui serine la voix piaillante de la raison ; mais le fait est qu'Elisabeth répugne à y regarder.
- Ne m'oblige pas à venir te chercher.
Ça sonne comme une innocente menace qu'on fait aux gamins. Ça veut l'être. Et pourtant... vous n'imaginez pas à quel point c'est sincère.
Else
La blonde sest penchée, fébrile
pour découvrir que sous la table, il ny a personne. Pas un rat. A forte raison, pas un gosse. Tantine ne sait pas si elle doit sen réjouir ou sirriter. Où donc ce sale mioche peut-il bien se
-« Parteeeezzzz! »
planquer.
Voilà voilà voilà.
Le coup du fantôme aurait pu marcher. Allez savoir ce qui a vendu la mèche
La voix de mioche à peine sorti du berceau, peut-être. Faut dire que le fantôme en couches-culottes, tout de suite, cest beaucoup moins flippant. Elisabeth ferme les yeux, et lâche le onzième soupir de la soirée. Nom de nom de nom, la nuit sera longue.
Elle se releva.
- Cest ça, farfadet. Maintenant sort de là avant de ty endormir. On risquerait dte confondre avec un jambon.
Cruelle ? Noooon. La mioche cause un français misérable. Elle pige pas. Si ? En tout cas, les menaces nont pas leffet escompté, car rien ne bouge dans le garde-becquetance.
- Gast.
La politesse, cest comme la gémellité : cest de famille. Elisabeth va saccroupir devant le meuble, pour en extraire le gosse
mais la porte résiste sous ses doigts. Un essai
Un autre
La ferraille grince, le bois gémit. Cest coincé.
- Gast.
Faut pas croire. Le breton a beau ne pas être la langue de son enfance, Elisabeth a un tantinet plus de vocabulaire, dhabitude. Démonstration :
- Nebaon* ! Nebaon
Tinquiètes pas, demi-portion, on va te sortir de là.
Les enfants, on simagine que cest lhorreur
eh bien non. Cest pire.
* ne tinquiètes pas.
Else
- Oui... Oui Alix. Tout va bien, ma c'halonig*.
Ne vous avisez pas de répéter ça à quiconque, ou Elisabeth vous arrachera les yeux après avoir nié en bloc. Elle ne porte pas les rase-mottes dans son cur, c'est entendu ; de là à les enfermer dans le placard
Langoisse dans la voix fluette de sa nièce car bien sûr, elle la reconnue résonne dans sa poitrine, jusquà faire trembler sa voix.
Allons, allons, on ne se disperse pas comme une mégère sentimentale. On se concentre, on fait le point, on analyse la situation, on agit en conséquence. Merci.
Sur le meuble, point de serrure. Les doigts dElisabeth tracent soigneusement le pourtour de la porte, cherchant lendroit où le bois a joué
Là ! A tous les coups, lenfant a tiré trop fort sur la porte
Ctidée, aussi, de se planquer ! Elle fait si peur que ça, tantine ?
On ne vous a pas demandé de répondre.
- Je suis là
attends.
Comme rien ny fait, tantine court chercher le tison resté à lentrée. Les tisons, cest comme les pistolets : dès quon en introduit un dans une histoire, il faut quil serve. Le voici donc, fier et rutilant, qui se coince entre le meuble et la porte, prêt à la faire sortir de ses gonds. Elisabeth appuie de toutes ses forces sur le levier improviser : le métal gémit, le bois craque
Lentement
Mais l'animal est taillé dans un bois solide, et n'a pas l'intention de lâcher sa proie si facilement.
Mais il faut la sortir de là. La sortir avant que... avant que quoi ? Lise n'en sait rien, c'est une idée fixe. Au visage de sa nièce s'en superpose un autre, toujours le même : elle ne peut pas échouer à chaque fois.
Note du narrateur : si nous filons la métaphore, une certaine sorcière Flamande se trouve ici comparée à un meuble plein de bouffe. Elle va pas mieux, Blondine. Mais passons.
Peu à peu, et contrairement à ladite sorcière Flamande, la porte cède : un cri, encore un cri... et crac ! Le bois vole, Else s'effondre, et la mioche, devant qui la paroi a disparu tout d'un coup, lui tombe dessus.
Tout en discrétion. Et n'oubliez pas : motus et bouche-cousue.
*mon petit coeur.
Else
- Ouch !
Ca lui apprendra à vouloir voler au secours dun marmouset en détresse
La petiote a beau nêtre pas bien lourde : lancée à pleine vitesse contre votre estomac, elle fait son petit effet. Elisabeth, sonnée, distingue à peine les excuses de sa nièce qui lui enfonce un coude dans labdomen en se redressant.
Sale gosse.
- « Excusez-moi. »
- Que... Hein ? Ah
Un grognement. Cest vrai : la demi-portion cause un français misérable. Rien détonnant à ce quAttila nait guère créé de lien avec ses bretonnants neveux : la barrière de la langue, vous comprenez. Ajoutez à cela une réticence naturelle à légard des modèles réduits et leffet répulsif « Montfort », pour obtenir le savant mélange qui tint la blonde à lécart.
La chute a déclenché de nouveaux maux de tête. Encore. Toujours. Etendue sur le sol, Elisabeth ferme les yeux. Mais cest sans compter le zèle de Mini Buse, qui se met en devoir de remettre le tison en place : la ferraille raclant le parquet semble lui déchirer directement le crâne, lui arrachant un gémissement.
- Alix
Bon sang dbonsoir de nom de Dieu dgamine
Alix, arrête ça.
Mais la mioche, si elle entend le murmure pressant de sa tante, ny comprend goutte. Elsa se relève, féroce, pour lui barrer le passage. Accroupie dans le vestibule, le regard furibard, elle lui ôte le tison dun geste sec, et lui brandit son index sous le nez.
- Toi
Toi
Oui, toi ? Ben quoi ? Comment ça se punit, un gosse, au fait ? Mode demploi siouplaît ! Mais Lise a beau regarder alentour, la crédence ni le sac à légumes entreposé là ne lui soufflent de suggestion pertinente. Ils se contentent dobserver dans lombre, benoîts et moqueurs, le spectacle dune migraineuse sermonnant sa nièce allophone. Les fourbes. Les félons.
- La prochaine fois que tu veux te fondre parmi les victuailles, habille-toi avec ça, râle-t-elle en saisissant un coin du sac de lin. Et parle pas. Les légumes, ça a cet avantage sur les gamins que cest silencieux. Aller, file. Da gousket !*
De ses doigts libres, Elisabeth pousse la gamine vers les chambres, avant de se hâter vers la sienne, tisonnier encore en main. La migraine lui embrouille lesprit. Sans doute pense-t-elle que son petit discours compte pour des prunes ; comment peut-elle deviner que la mioche na pas tout à fait rien compris ?
* Au lit.