Julian... C'est ainsy que Jo avait baptisé le soudard un biau jour alors que les deux jeunes femmes discutaillaient en taverne à son propos. L'homme qu'elle avait rencontré la première fois au bureau du cadastre ne s'était point présenté, elle avait subodoré qu'il s'agissait là d'un oubli d'autant plus qu'il ne s'était attardé, prétextant de sa garde sur les murailles de la ville, mais alors que leurs chemins se croisaient de nouveau, il s'ensauvait avant de ne pouvoir éluder toute question. La brunette avait supputé qu'il ne pouvait ou ne souhaitait décliner son identité. Moui mais pour quelles raisons ? Était il amnésique ou voulait-il tout simplement cacher un passé peu recommandable ? Mystère et boule de gomme ! Avait elle laissé échapper d'entre ses lèvres en poussant un profond soupir. Étrangement, le loctenent Querini n'avait avancé ces questions qui lui bruslaient les lèvres. Les manifestations de son intuition pouvaient estre multiples. Toujours est il que son système nerveux ne s'était point affolé et n'avait réagi en envoyant un signal d'alarme.
Julian... Nenni point Julian...
Elle ne comprenait point... A la nommer toujours par son grade. A ne voir que son costé damoiseau manqué... La damoiselle de doute et de grasce s'en était trouvée vexée et parée de ses plus biaux atours, casque de jais testonné avait défilé sous les yeux du chevelé en toute innocence. Elle pouvait estre couillue certes par sa témérité et son courage mais n'en demeurait pas moins femme. Une femme dont la perfection de ses défauts était sans doute mieux supportée que l'imperfection de ses qualités. Sourire dérisoire effacé vitement lorsque la haute silhouette du bourgmestre se découpa enfin dans son champ de vision. Il se tenait roide, visage impassible. Et si son esprit lui jouait des tours et si... Fol dingo devenait-elle ? Elle fixait un point invisible par dessus son épaule tout en s'approchant, la démarche légèrement hésitante. Ses mots... Ses yeux... Ce poème qu'elle avait un jour composé pour un amant défuncté lui revint en mémoire. Le mal des mots.
Ma gorge si serrée ne peut libérer aucun écho
Alors de ma plume je couche à main levée
Pendant que les larmes coulent à flot
Ces quelques mots, mélange d'encre et d'eau salée.
Ces quelques lettres qui forment des mots, mots terribles,
N'ont de sens que par leur émotion, des garde mots
Telles de petites flèches empoisonnées, imperceptibles
Elles distillent un mal, le mal des mots
Disparaistrons les mots biaisés, mots d'amour, jeu de mots
Subsisteront seuls mon tendre aimé ces mots de couleur bleu,
Ceux qui rendent inutiles toute parole tout mot
Car ces mots là tu lauras compris se disent avec les yeux
Arrivée à la hauteur du jeune homme, Sebelia qui avait conservé jusque là grand silence, lui répondit d'une voix où l'émotion quoi que retenue, transperçait.
Ce contentement est partagé monsieur le maire. Qui d'autre que vous connait mieux ce chemin de ronde ?
Puis ajouta par la pensée.
L'arc long... oui je crains que votre flèche n'ait atteint sa cible... mon cur Julian ! Par Aristote !
Une ronde... Une clause du code de la prévosté stipulait qu'un agent devait mener des rondes sur les murailles de la ville jusqu'alors effectuées par les soldats de la COCT. Elle s'était inclinée devant la demande du Prévost sans discutailler mesme si l'idée ne lui plaisait guère mais Julian appelé à exercer d'autres fonctions souhaitait sans doute estre déchargé de toute contrainte militaire. Comment réagira doncques Garrus quand il apprendra qu'elle ne peut plus s'éloigner des portes de la ville ? A l'évocation du nom son amant, la jeune femme eut un pincement au cur. Ce cur déchiré entre deux hommes.
Pensez vous que nous devrions équiper nos remparts en couleuvrines ?
Bien sur l'investissement aurait un coust qu'une mairie pourrait certainement difficilement supporter. J'ai ouïe dire que certaines municipalités avaient d'ailleurs leur propre armée. Les plus riches assurément._________________
Lieutenant de prévosté au barri de Castres, conseiller militaire (IG), archiviste judiciaire aux Archives Royales