Cristòl
[La veille - Château de Montpellier]
Tout n'était pas calme au château, à la veille de la traversée de la frontière du cortège royal ; non, tout n'était pas calme, loin de là.
-« Non, non et non ! Nous ne pouvons pas nous permettre de taxer les Languedociens pour ces festivités, je l'ai déjà dit mille fois ! »
-« Mas, Vostra Grandesa, es lo Rei... »
-« Crois-tu que je l'ignore ? C'est Sa Magestat, et nous lui servirons un banquet comme le conseil n'en a pas fait depuis de longs jours ! »
-« Mas, Vostra Grandesa... »
-« Oc, Jòrgi ? »
-« Ce menu... C'est à peine ce que j'osais servir en festin aux conseils de Zacharia de Noùmerchat ou au début du conseil de Phelipe de Saunhac... »
-« Ne vois-tu une grande différence entre ces conseils et le mien ? Ou voudrais-tu me demander de faire de plus grands festins quotidiens pour mes conseillers, Jòrgi ? »
-« Tanpauc, Vostre Grandeur, òc-ben, mas... Ce n'est pas bien difficile de faire plus que les repas du conseil actuel, mais pour accueillir Sa Magestat... Peut-être puis-je me permettre de conseiller à Vostra Grandesa de garder par devers elle son humilité, et par devant sa fierté d'une province si riche en gastronomie, en vignobles et en belles sources ! »
Le Coms de Lengadòc soupira. Ce maître-queux comtal était décidément bien porté sur la bonne chère.
-« Sais-tu que la suffisance et les banquets de Rome ont causé sa décadence ? »
-« Mas Vostra Grandesa... »
-« Sais-tu seulement que ce sont les délices de Capoues qui ont causé la perte des armées d'Hannibal ? »
-« Mas Vostra Grandesa... »
-« Hannibal, Hannibal... Mais oui, j'y suis ! Ils ne seront pas à Montpellier avant demain au soir, peut-être même après demain. Tu as le temps de faire venir de Vergèzas de cette eau magique, où Hannibal a bu ! Je ne crois pas que Dòna Zagelle en fasse un commerce trop onéreux, et c'est qu'elle souffre d'un trop long transport... Mais quel étonnement que ces bulles ! »
-« Oc, mas Vostra Grandesa... »
Nouveau soupir comtal. Encore une objection, alors que cette fois, le Coms tentait de se montrer constructif ? Il hocha du bonnet, pour inviter le Maître-queux à parler.
-« La Dòna de Vergezas, Vostra Grandesa... »
-« Oc ? »
-« On dit qu'elle est morte, ou tout comme, Vostra Grandesa... »
-« Non ? »
-« Si, Vostra Grandesa. »
-« Mas... Mas... es... triste ! »
-« Oc-ben, Vostra Grandesa, plus de Vieux Hibou fermenté à Carcassonne, et la recette qui se perd peut-être... Es triste ! »
-« Allons Jòrgi ! Une grande dame est morte, et tu te lamentes sur le devenir d'un alcool, ça manque bien de charité. Ah... C'est un château de fous, ici ! »
Le Coms s'en alla comme pour quitter les cuisines, quand le Maître-queux, penaud, le rattrapa :
-« Et... Pour le banquet ? »
-« Prépare des plats simples, mais des plats du pays. Fais-leur goûter l'Occitanie, eux qui arrivent tout droit de Champagne... Fais-leur goûter la Mer, certains ne l'ont même jamais vue. Fais-leur goûter aux olives, aux châtaignes, enfin, tu trouveras ! »
-« Et avec, que sert-on à boire ? Du l'Anglade, des Costières, du Frontignan ? »
-« Et pourquoi pas un vin du Fenouillèdes ? Ils ne verront pas les Monts Pyrénées, nous pouvons le leur faire au moins goûter... »
-« Il n'y en a pas dans les caves, Vostra Grandesa. Il n'y a bien que vous pour penser à un petit vin des Pyrénées... »
-« Il n'y a rien de plus beau que les Monts Pyrénées, et les gorges de Galamus, et la vallée de l'Agly, Jòrgi. »
-« Benlèu, mas... Qu'est-ce qu'on boit ? »
-« Comme tu veux. »
-« Plan, Vostra Grandesa. Ce sera alors un l'Anglade. »
-« Ah, non ! C'est un vin royal ! »
-« Vostra Grandesa est perspicace... Et puis c'est le vin du Vicomte de Cauvisson, le frère de feue la Reyne... »
-« Paix à son âme. Mais justement : le vignoble est trop petit, le vin trop bon, et Louis d'Appérault trop occupé à enrichir son domaine pour nous le faire au rabais ; nous ne pouvons pas nous le permettre. »
-« Mais c'est votre vassal, il pourrait... »
-« Non, il a la terre pour sa subsistance, je ne peux disposer ainsi de ses richesses. »
-« Alors, faites lever des impôts sur les fiefs viticoles, Vostra Grandesa ! »
Groumph, comme aurait dit Persan. Si chaque serviteur ayant un rôle à jouer dans cette réception lui tenait aussi longtemps la jambe, le Coms n'en aurait jamais fini.
Il tourna les talons, sans mot dire, et c'est arrivé près de l'étroit escalier qui faisait remonter des cuisines, qu'il entendit :
-« Alors je servirai du Costières de Nîmes et du Frontignan, et puis l'hypocras et du clairet ! »
Frontignan ? Ah, oui ! Il restait un détail. De l'escalier, sans arrêter sa marche, le jeune Sìarr lança :
-« N'oublie pas la liqueur de carottes ! Ca aussi, c'est devenu typiquement languedocien... »
Presque aussi languedocien que la Prune était limousine.
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Tout n'était pas calme au château, à la veille de la traversée de la frontière du cortège royal ; non, tout n'était pas calme, loin de là.
-« Non, non et non ! Nous ne pouvons pas nous permettre de taxer les Languedociens pour ces festivités, je l'ai déjà dit mille fois ! »
-« Mas, Vostra Grandesa, es lo Rei... »
-« Crois-tu que je l'ignore ? C'est Sa Magestat, et nous lui servirons un banquet comme le conseil n'en a pas fait depuis de longs jours ! »
-« Mas, Vostra Grandesa... »
-« Oc, Jòrgi ? »
-« Ce menu... C'est à peine ce que j'osais servir en festin aux conseils de Zacharia de Noùmerchat ou au début du conseil de Phelipe de Saunhac... »
-« Ne vois-tu une grande différence entre ces conseils et le mien ? Ou voudrais-tu me demander de faire de plus grands festins quotidiens pour mes conseillers, Jòrgi ? »
-« Tanpauc, Vostre Grandeur, òc-ben, mas... Ce n'est pas bien difficile de faire plus que les repas du conseil actuel, mais pour accueillir Sa Magestat... Peut-être puis-je me permettre de conseiller à Vostra Grandesa de garder par devers elle son humilité, et par devant sa fierté d'une province si riche en gastronomie, en vignobles et en belles sources ! »
Le Coms de Lengadòc soupira. Ce maître-queux comtal était décidément bien porté sur la bonne chère.
-« Sais-tu que la suffisance et les banquets de Rome ont causé sa décadence ? »
-« Mas Vostra Grandesa... »
-« Sais-tu seulement que ce sont les délices de Capoues qui ont causé la perte des armées d'Hannibal ? »
-« Mas Vostra Grandesa... »
-« Hannibal, Hannibal... Mais oui, j'y suis ! Ils ne seront pas à Montpellier avant demain au soir, peut-être même après demain. Tu as le temps de faire venir de Vergèzas de cette eau magique, où Hannibal a bu ! Je ne crois pas que Dòna Zagelle en fasse un commerce trop onéreux, et c'est qu'elle souffre d'un trop long transport... Mais quel étonnement que ces bulles ! »
-« Oc, mas Vostra Grandesa... »
Nouveau soupir comtal. Encore une objection, alors que cette fois, le Coms tentait de se montrer constructif ? Il hocha du bonnet, pour inviter le Maître-queux à parler.
-« La Dòna de Vergezas, Vostra Grandesa... »
-« Oc ? »
-« On dit qu'elle est morte, ou tout comme, Vostra Grandesa... »
-« Non ? »
-« Si, Vostra Grandesa. »
-« Mas... Mas... es... triste ! »
-« Oc-ben, Vostra Grandesa, plus de Vieux Hibou fermenté à Carcassonne, et la recette qui se perd peut-être... Es triste ! »
-« Allons Jòrgi ! Une grande dame est morte, et tu te lamentes sur le devenir d'un alcool, ça manque bien de charité. Ah... C'est un château de fous, ici ! »
Le Coms s'en alla comme pour quitter les cuisines, quand le Maître-queux, penaud, le rattrapa :
-« Et... Pour le banquet ? »
-« Prépare des plats simples, mais des plats du pays. Fais-leur goûter l'Occitanie, eux qui arrivent tout droit de Champagne... Fais-leur goûter la Mer, certains ne l'ont même jamais vue. Fais-leur goûter aux olives, aux châtaignes, enfin, tu trouveras ! »
-« Et avec, que sert-on à boire ? Du l'Anglade, des Costières, du Frontignan ? »
-« Et pourquoi pas un vin du Fenouillèdes ? Ils ne verront pas les Monts Pyrénées, nous pouvons le leur faire au moins goûter... »
-« Il n'y en a pas dans les caves, Vostra Grandesa. Il n'y a bien que vous pour penser à un petit vin des Pyrénées... »
-« Il n'y a rien de plus beau que les Monts Pyrénées, et les gorges de Galamus, et la vallée de l'Agly, Jòrgi. »
-« Benlèu, mas... Qu'est-ce qu'on boit ? »
-« Comme tu veux. »
-« Plan, Vostra Grandesa. Ce sera alors un l'Anglade. »
-« Ah, non ! C'est un vin royal ! »
-« Vostra Grandesa est perspicace... Et puis c'est le vin du Vicomte de Cauvisson, le frère de feue la Reyne... »
-« Paix à son âme. Mais justement : le vignoble est trop petit, le vin trop bon, et Louis d'Appérault trop occupé à enrichir son domaine pour nous le faire au rabais ; nous ne pouvons pas nous le permettre. »
-« Mais c'est votre vassal, il pourrait... »
-« Non, il a la terre pour sa subsistance, je ne peux disposer ainsi de ses richesses. »
-« Alors, faites lever des impôts sur les fiefs viticoles, Vostra Grandesa ! »
Groumph, comme aurait dit Persan. Si chaque serviteur ayant un rôle à jouer dans cette réception lui tenait aussi longtemps la jambe, le Coms n'en aurait jamais fini.
Il tourna les talons, sans mot dire, et c'est arrivé près de l'étroit escalier qui faisait remonter des cuisines, qu'il entendit :
-« Alors je servirai du Costières de Nîmes et du Frontignan, et puis l'hypocras et du clairet ! »
Frontignan ? Ah, oui ! Il restait un détail. De l'escalier, sans arrêter sa marche, le jeune Sìarr lança :
-« N'oublie pas la liqueur de carottes ! Ca aussi, c'est devenu typiquement languedocien... »
Presque aussi languedocien que la Prune était limousine.
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