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[RP fermé] Pardonne-moi ma soeur, car j'ai péché

Mhayri
Le visage penché sur le morceau de papier, la blonde observait le bout de sa plume d'un air songeur et hésitant. Voilà maintenant des jours qu'elle tergiversait, repoussait à demain ce qu'elle s'était pourtant promis de réaliser la veille, de réaliser ce tour de force dont jamais elle ne se serait cru capable, il n'y avait que quelques mois plus tôt.

Elle allait écrire.
Et pour cette occasion, elle n'allait pas écrire à n'importe qui. L'angoisse lui faisait battre le cœur comme s'il voulait quitter sa poitrine et se mettre à écrire lui-même.

Elle allait écrire à sa sœur.
Le souvenir vivace du doux visage de sa cadette lui traversa l'esprit et lui amena un sourire nostalgique et doux aux lèvres. Sa sœur, sa si chère sœur... Sa sœur qui devait à ce jour la haïr. Elle ferma les yeux pour retenir les larmes de culpabilité qui montaient, inexorablement, immanquablement, à chaque fois qu'elle songeait à celle qu'elle avait trahie et abandonnée. Comprendrait-elle ? Pardonnerait-elle ? Lirait-elle même cette lettre, cette toute première lettre que Mhayri l'illettrée était enfin en mesure d'écrire ?

La blonde rouvrit les yeux pour fixer la page blanche, nerveuse, ne sachant par où commencer. Qu'allait-elle donc pouvoir raconter à cette sœur qu'elle chérissait tant et qu'elle avait pourtant donnée en pâture à sa place ?
Au bout d'un long moment, la plume se leva pour aller s'humecter dans l'encre, puis venir caresser le papier immaculé pour y laisser la sombre trace de son passage.


Citation:
A la meuna Blanca*,


Ma chère sœur, je peux enfin t'écrire. J'ai longtemps attendu ce jour et maintenant que le voilà venu, j'ignore quoi te dire.

Vas-tu bien ? Je vais assez bien, pour ma part.


La jeune femme s'interrompit, mal à l'aise. N'était-ce pas indécent de parler ainsi ? Elle avait fui le foyer familial sans un mot, sans donner de nouvelles. Et voilà qu'elle écrivait comme si de rien n'était. Bien sûr que Blanche n'allait pas bien !
La blonde pinça les lèvres et poursuivit sa rédaction en tirant la langue dans sa concentration.


Citation:
J'ai trouvé un travail honnête et bien payé. D'ailleurs, tu trouveras avec cette lettre cent écus. Je te promets de payer la dette de Papa avant qu'il ne soit trop tard.


Avant qu'il ne te marie de force à ma place. Avant que tu ne paies le prix de sa bêtise à ma place. Avant que tu ne sacrifies ta vie à ma place. La vague de culpabilité revint, puissante, étouffante, manquant de lui faire tâcher son œuvre d'une larme sacrilège.

Elle inspira longuement pour recouvrer son calme et poursuivit.


Citation:
Je travaille au Castel**Comtal de Lengadòc***.
Maintenant que je sais écrire, je te donnerai des nouvelles plus souvent. Promets-moi simplement de ne pas en parler à Papa.
Est-ce que Mama va bien ? Et nos frères, comment vont-ils ?

Je t'embrasse très tendrement.

Perdon, meuna sòrre.****

Mhayri.


Elle observa sa signature, dans laquelle la coquetterie lui avait fait ajouter un "h", parce qu'elle trouvait cela plus joli. Ses parents n'étaient pas lettrés, et elle ne comptait pas les revoir encore, aussi personne ne pourrait-il s'offusquer de cette petite liberté, songea-t-elle.
Elle ferma la lettre sans la relire et la remit immédiatement à l'un des messagers du château comtal, où elle officiait comme intendante depuis que son employeur en était devenu le maître. Plus vite ce courrier partirait, et moins elle serait tentée de le rappeler pour le détruire.

Ceci fait, elle se lança à corps perdu dans ses tâches quotidiennes pour tenter d'oublier qu'elle ne recevrait surement aucune réponse. Chaque jour qu'elle voyait se lever était pour elle une chance supplémentaire de se faire pardonner et de sauver, peut-être, celle qu'elle avait si négligemment condamnée...

Carrant les épaules avec détermination, elle s'enfonça dans les corridors animés du Château, bientôt happée par leur activité bourdonnante.


*A ma Blanche
**Chateau
*** du Languedoc
**** Pardon, ma soeur

_________________
Blanche_eulalie
    Le regard éteint de l’enfant fixait l’étroite ouverture dans le mur d’où s’échappaient quelques minces rayons de soleil. Assise sur le sol de terre battue, Blanche s’abreuvait de la douce lumière qui envahissait l’espace clos qu’elle ne pouvait fuir. Du coin de l’œil, la mère surveillait sa cadette qui dépérissait de jour en jour.

    A peine revenue du couvent, Blanche s’était terrée dans un silence oppressant.
    Qu’elle avait été heureuse de savoir qu’elle allait rentrer chez elle ! Qu'elle avait été heureuse de pouvoir à nouveau serrer sa Mama dans ses bras encore frêles ! Mais quelle fut sa déception d’apprendre que sa sœur Mhayri avait fui le logis. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’on lui annonça que le père était endetté.

    Lorsque tout va mal, le pire n'est jamais loin.
    Le lendemain de son arrivée, Mama lui avait expliquée la réelle raison de ce retour précipité à la campagne. Elle allait se marier. Elle, Blanche Eulalie. Se marier au créancier de son père. Se marier pour sauver sa famille.

    Blanche Eulalie, nue sur l'autel du sacrifice.

    La mère veille sur sa pauvre brebis apeurée. La mère veille afin que la jeune brebis ne quitte pas le troupeau. Car Blanche est la seule qui puisse être sacrifiée pour le bien de tous.


    « Mama. »

    De nouveaux sanglots, mais pas de nouvelle peine.

    On frappa à la porte. Deux coups francs, insistants. La Mama abandonna sa progéniture non sans regret et ouvrit au messager.
    La lettre en main, la Mama rejoignit Blanche et et le ton se fit insistant.


    « Lis moi la lettre, meuna filha*. »

    Car Blanche connaissait la danse folle des mots, les sœurs lui avaient enseignée.
    A la lecture de la lettre, les yeux s'embuèrent et la petite se faufilla dans les bras de Mama.


    « C’est Mhayri. »

    La mère ne supporta guère la vague de sentiments qui s'engouffra en elle. A deux, elles pleurèrent.
    Lorsque les esprits furent calmés, lorsque l'argent fut confié à la mère protectrice, Blanche s'appliqua à répondre.


    Citation:
    A la meuna Mhayri**,

    Je suis ravie que tu puisses enfin t'exprimer sur le papier. Mama est folle d'inquiétude, tes nouvelles la rassurent un peu.

    Personne ne va bien ici. Je ne vois que rarement nos frères, j'ignore ce qu'ils font de leur journée. Papa travaille dur pour gagner quelques écus adoucissant sa dette.

    J'espère que ton travail n'est pas trop fatiguant et que tu es bien traitée. Je n'ai pas dis à Mama où tu travaillais, j'ai peur qu'elle le dise à Papa.

    Je crois que Papa veut me faire rencontrer son créancier rapidement. J'ai peur tu sais.

    J'ai donné l'argent à Mama.

    Je t'embrasse,
    Blanche.


    Et la lettre repartit avec le coursier vers le Château comtal.
    Le silence revient, la morosité aussi.




    * ma fille
    ** A ma Mhayri

    _________________










Mhayri
Le messager arriva au pas de course : l'activité intense du Castel ne lui laissait presque aucun répit, et par compassion, Mhayri avait pris l'habitude de lui offrir un peu de bière et un fruit lorsqu'il s'arrêtait chez elle pour prendre ou rendre une missive à l'adresse de sa maîtresse, la Porte-Parole Ayena d'Alquines et de Crussol.*

"Bonjorn, cossi va ?
- Va plan, mestra Mhayri ! Ai un messatge.
- Oc ben.
- Es un messatge ta vos.**"


La blonde lui jeta un regard surpris. Voilà qui était assez inhabituel ! Elle tendit la main pour prendre le pli, tout en lui indiquant sur le coin de la table la collation usuelle qu'elle tenait à sa disposition.

"Mercè.***"

Le messager lui sourit chaleureusement, but sa bière et s'en alla en mordant dans son fruit, au pas de course. La blonde passa la tête par l’entrebâillement de la porte, inquiète.

"Gara !****"

Trop tard, il avait disparu. L'intendante souffla sa contrariété : s'il se blessait ou avalait de travers, elle en serait quitte pour sa part de remontrances ! Et bien soit, si le cas se présentait, il n'y aurait plus de collations, voilà tout.
Son regard se posa à nouveau sur la missive qu'elle tenait en mains. La curiosité eu tôt fait de chasser sa contrariété passagère. La missive était simple et n'avait pas de scel : ce n'était donc pas un pli officiel, ce qui la soulagea un peu. Elle défit le courrier et en entama la lecture avec avidité.

Une larme se mit à dévaler ses joues, s'échappant de ses yeux émeraudes écarquillés, dont les paupières battaient de détresse, submergés d'émotions.

Blanche.
Mhayri porta une main à sa bouche pour étouffer les sanglots qui lui échappaient. La lettre lui glissa des mains, tandis qu'elle s'affalait soudain au sol comme une poupée privée de ses ficelles.

Blanche !
La douleur lui vrilla le cœur et l'estomac, tandis que les hoquets de ses pleurs lui hachaient le souffle. Il n'y avait plus de refuge possible, plus de répit pour échapper à l'intense culpabilité qui lui rongeait le cœur en silence depuis des mois. Coupable. Chaque mot, chaque volute d'encre inscrite sur ce parchemin la déclarait coupable, et elle ne le nierait pas.

Oh, Blanche...
Ses sanglots étaient plus bruyants qu'elle ne l'aurait souhaité, et elle vit bientôt passer par la porte la tête d'une ou deux domestiques un peu trop curieuses. D'un geste du revers de la main, elle essuya vaguement ses joues et les fusilla du regard, la douleur et la culpabilité s'exprimant au travers d'une soudaine colère.


"Partez !"

La virulence acide de son ordre, tout autant que le feu inhabituel de son regard effrayèrent les curieuses, qui s'égayèrent avec de petits cris outrés. Cette scène eut au moins pour effet de faire reprendre un peu de son sang froid à Mhayri. Jamais encore elle ne s'était comportée ainsi, et elle allait surement le regretter amèrement : quoi de plus propice à alimenter les prochaines rumeurs ? Allait-on lui prêter un amant volage ? Surement.

Il lui fallut encore de longues minutes pour se reprendre correctement. Elle posa la lettre sur sa table et sortit, bien décidée à prendre l'air avant que d'y répondre.

Quelques heures plus tard, sa plume rencontra enfin le parchemin qui devait repartir en réponse au si bouleversant courrier.


Citation:
A la meuna Blanca*****,

Il n'en sera pas ainsi, je te le jure ! Je ne laisserai pas notre Père te vendre à ma place.
Je t'en conjure, fais tout ce que tu peux pour retarder l'échéance de cette rencontre. Prétend être malade, trouve un prétexte quelconque, mais ne cède pas.
Voici encore cent écus que je t'envoie pour avancer le remboursement de la dette. Je sais qu'il en reste encore beaucoup, mais j'y parviendrai.

Je te supplie de me croire : je ne vous ai pas abandonnés. Mais je ne pouvais pas me laisser emprisonner et vendre. Je ne le pouvais pas, et je ne peux pas plus te voir subir ce sort que j'ai refusé pour moi-même.

N'ai pas peur. Ne suis-je pas ta grande sœur ? Je n'ai pas changé, et je t'aime toujours. Je vous aime toujours, toi, Mama, nos frères...

Je vais venir te rendre visite lorsque l'on n'aura plus besoin de moi au Castel, ce qui ne saurait tarder car de nouvelles élections s'annoncent et je sens mes maîtres bien las.

Transmets mes pensées affectueuses à Mama, et à nos frères si tu les vois d'ici là.

Tendrement,
Mhayri.


*A ce moment-là, Ayena d'Alquines était encore Porte-Parole du conseil comtal dirigé par l'ancien Comte Adrien Desage de Crussol, son époux.

**Bonjour, comment ça va ?
- Ça va bien, mademoiselle Mhayri ! J'ai un message.
- Très bien.
- C'est un message pour vous.

***Merci.

****Attention !

***** A ma Blanche

_________________
Blanche_eulalie
    L'air frais des matinées s'engouffrait dans les longs cheveux bruns de l'enfant. La Mama avait accordé un brin de liberté à la sacrifiée dans l'espoir qu'elle retrouve son innocence perdue.
    Lorsque le père n'était pas là, la souris dansait.

    Blanche, tourbillon muet dans la rosée. Envolés, les éclats de rire. Envolée, la joie. Ancrée, la peine.
    Blanche, mutilée à jamais.

    La Mama cousait un petit napperon qu'elle vendrait au marché, assurant ainsi les repas de la semaine à venir. Elle ne s'inquiétait plus du silence de son enfant, elle cousait pour manger. Et Blanche perdrait son innocence pour les sauver de la famine et des dettes. Ainsi la Mama espérait revoir son aînée lorsque la dette serait épongée. Un simple échange en somme, de benjamine à aînée.
    Mais à cette heure, il fallait coudre.

    Blanche, petit oiseau sans aile.
    Envolée, la vie.

    Seul le messager vole, de soeur en soeur, du sacrifice à la liberté. Le messager vole et emporte avec lui l'amour des deux soeurs.

    Sans un bruit, la Mama pose son napperon et s'approche du message tant attendu. Sans un regard pour sa Mama, Blanche lit et s'applique, à haute voix. Les mots de Mhayri dansent dans la gorge de la sacrifiée. Les mots de Mhayri s'échappent tant qu'ils le peuvent.

    La lettre est brûlée afin que le père ne se doute de rien, une réponse est rédigée.


    Citation:
    A la meuna Mhayri*,

    Je ne peux que prétexter une maladie pour éloigner Papa de moi. Mais il ne me croirait pas, il vérifierait chaque partie de mon corps, il examinerait l'étendue de la maladie. Je dois être malade. Je dois attraper une vraie maladie, je crois que je n'ai pas le choix.

    Je comprends que tu sois partie de cet enfer, et moi même je regrette d'avoir quitté le couvent. Profite de ta liberté, et pense que j'ai perdu la mienne.

    J'aimerais tellement te voir avant de partir, Mhayri. J'aimerais que tout redevienne comme avant. J'aimerais que nos frères ne partent pas pendant des semaines entières sans me dire ce qu'ils font. J'ai peur pour eux, autant que pour moi. Je pense qu'ils fuient Papa autant qu'ils le peuvent. Et ils ont raison.

    J'espère profiter de ta présence bientôt, mais méfie toi de Papa. C'est dangereux ici.

    Je t'embrasse affectueusement,
    Blanche.




    * A ma Mhayri,

    _________________






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