Si les couloirs de Decize connaissaient lagitation, dans les appartements de la Morvilliers, cétait loisiveté qui régnait. Allongée sur le grand lit, Isaure, encore en chemise alors que la matinée était bien avancée, jouait avec une boucle venue lui chatouiller la joue. Occupée à résoudre une question plus quexistentielle, à savoir quelle robe porterait-elle aujourdhui, elle fut interrompue par une servante qui vint lui remettre une missive reçue à linstant.
Se relevant pour sen saisir, elle congédia sèchement la domestique sans un remerciement et décacheta sans attendre le pli. Les yeux parcoururent le papier aussi vite quils en étaient capable et à mesure quelle avançait dans sa lecture, la fine bouche se crispait toujours plus. Dire alors que la Wagner était fâchée serait un euphémisme. Elle froissa de rage le vélin et sinstalla à sa table pour prendre la plume et répondre à cet arrogant qui osait penser quelle était aussi laide quYgerne ! Nétait-ce pas là ce qui était sous-entendu ?
De lExquise Isaure Wagner, Damoiselle de Morvilliers et de Miramont
A Théophraste Aurélien de Reikrigen, leffronté danjou bien plus que prince
Si jai dit que je vous connaissais, jignorais cependant que vous étiez si déplaisant, et si votre personne est aussi peu agréable que votre plume, je gage que vous devez être bien seul. Réjouissez-vous donc de lamour que vous porte Ygerne.
Ensuite, vous semblez croire que je suis une vilaine personne et que cest pour cette raison que je ne vous ai pas porté cette missive moi-même. Sachez donc que si je ne me suis moi-même déplacée, cest que dune part, vous vous trouvez bien loin et que durgentes affaires me retiennent, et que dautre part, en me voyant, vous auriez vous aussi, comme beaucoup dautres, succombé à ma beauté et en bonne amie que je suis, je ne voudrais pas être la cause du chagrin dYgerne.
Contentez-vous donc de me lire et de faire ce que je veux que vous fassiez. Cessez de jouer lhomme pudique, incapable davouer ses sentiments. Ils vous rongent, vous brûlez damour pour cette jeune, belle et Ô combien rousse damoiselle. Faites delle votre amante, votre femme. Rendez la heureuse, comblez la, et tout ira bien dans le plus parfait des mondes.
Enfin, parce quil faut bien finir, sachez que votre géographie laisse à désirer. Je ne suis aucunement bourguignonne. Apprenez donc que Morvilliers se situe en Champagne, ma chère Champagne et que Miramont me permet de voyager jusquen Béarn.
Bref, je vous recontacterai sous peu pour vous donnez mes directives pour que votre fuite amoureuse se passe sans encombre. Ne me remerciez pas. Que ne ferait-on pas par amitié !
Que le Très-Haut veille sur vous, bien que vous ne le méritiez pas tout à fait
Isaure Wagner
Elle plia le parchemin et sempressa de le sceller. Après quoi elle entreprit décrire une nouvelle lettre. Tirant une nouvelle feuille, elle plongea sa plume dans lencre et la posa sur le papier sans savoir encore ce quelle pourrait bien écrire, ni comment. Que dirait Cassian ? Comment formulerait-il ses phrases ? Ce nétait pas la première fois quIsaure sadonnait à lusurpation didentité. En effet, quelques mois auparavant, bien avant que la nouvelle du mariage dYgerne et Cassian ne soit rendue publique, elle avait envoyé à celle-ci une lettre prétendument écrite par la main de Cassian, ce que ce dernier ignorait encore à ce jour. Pour vous donner une petite idée, voici ce quYgerne avait pu lire quelques lunes plus tôt :
A Ygerne Corleone,
A la vulgaire petite chambrière qui se prend pour une dame,
Le mal bonjour !
Cessez donc despérer que je mintéresse à vous. Quimporte le vélin rosâtre, lodeur écurante qui sen dégage ou vos petits curs biscornus! Restez sur vos terres barbares. Moins je vous vois, mieux je me porte. Je nai pas besoin de mencombrer de votre petite personne, vous me dégoûtez. Alors oubliez-moi ! Je ne veux rien avoir à faire avec vous !
Alors rassurez-vous, je ne guette pas votre hideuse chevelure couleur des Enfers, jai bien mieux à faire et bien dautres chevelures plus divines et agréables à admirer !
Si je vous ai un jour dit des choses ou fait des choses, sachez que vous nétiez pour moi quun pantin, et que tout cela ne signifiait rien, puisque jai dû dire ou faire les mêmes choses à toutes les chambrières croisées ! Vous ne signifiez rien, puisque vous nêtes rien ! Dailleurs, jai oublié, tout oublié de ce que jai pu faire ou dire. Vous nétiez quun divertissement, une passade. Et si je ne me rappelle de rien vous concernant quils sagissent de mots doux ou de gestes tendres, je me remémore cependant sans difficulté aucune votre extrême laideur repoussante !
Pour ce qui est du fer, je me débrouillerai seul, sans avoir besoin de faire appel à vous. Je mentretiendrai donc directement avec votre CAC.
Et pour que vous voyez bien à quel point je vous méprise, je ne ferai ici quun vulgaire comme vous gribouillis en guise de signature et je ne gâcherai aucune goutte de cire pour y apposer mon sceau ! Vous ne le méritez pas. Jai déjà bien trop gâché dencre pour vous. Je la facturerai donc au Maine, ainsi que le vélin et la plume.
Pour moi, vous resterez toujours une petite chambrière sans éclat, quand bien même vous voilà porte-parole. Prions pour que le Maine ne coule pas avec vous à son bord ! Noyez-vous seule !
Allez, je laisse là mes derniers mots, vous me fatiguez et penser à vous me donne la nausée.
Et dans un dernier élan aristotélicien, je prierai pour que le Très-Haut veille sur vous.
Cassian de Blanc Combaz
Intrépide Petit Paon Burgonde
Mais aujourdhui, ce nétait pas à Ygerne que la faussaire écrivait, mais au valet de cette dernière : Augustin.
Au plus parfait des valets, Augustin le loyal.
Mon bon Augustin,
Cessez de vous tourmenter. Vous avez fait là du bon travail et mavez prouvé que je pouvais vous faire confiance. Cest pourquoi je vous nomme dores et déjà valet officiel du plus intrépide petit paon burgonde.
Rassurez-vous, je connais cet individu dont vous me parlez, et jai toute confiance en lui. Il lui prodiguera les meilleurs conseils, laissez les donc travailler en empêchant quiconque de les distraire. Il faut quYgerne apprenne la dure tâche qui lui incombe désormais. Elle nest plus une chambrière à présent, mais une dame qui se doit de représenter sa famille du mieux quelle le peut. Louez donc la bonté de ce Théo. Quel parfait ami fait-il pour ma noble dame !
Cependant, contez-moi, chaque jour que le Très-Haut fait, tout ce que vous pourrez sur les activités et les paroles dYgerne. Dites-moi qui elle voit, de quoi elle parle. Dites-moi tout ! Non pas que je nai pas confiance en elle, bien au contraire. Je la suivrai les yeux fermés. Mais comprenez-vous. Pour la combler une fois que nous serons mariés, il me faut la connaître totalement. Je veux que sa vie à mes côtés soit un conte de fée, mais comment le serait-ce si je ne peux la satisfaire pleinement ?
Oui Auguste, vous me serez dune précieuse aide ! Je compte sur vous pour me faire parvenir chaque jour un pli sur ce qua été sa journée. Pour que la surprise demeure intacte, faites la porter à lauberge de Decize et confier la à un dénommé François.
Ne vous étonnez pas que je nappose ici mes sceaux, je ne voudrais pas que votre si parfaite maîtresse découvre que nous correspondons et que je lui prépare la plus magnifique des surprises. Dailleurs, dès à présent, vous mappellerez François dans les missives que vous me ferez parvenir. Cela est-il bien compris ? Nutilisez plus mon nom, mais simplement François.
Que le Très Haut veille sur vous Augustin,
François
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