Fanchon...
[Dans l'arrière-salle, avec Quatre-Pognes]
Pour sûr, v'là une affaire rondement menée. La Fanchon s'en trouva aussi bien : au diable les tergiverseurs !
- C'est entendu, Fanchon. Tu peux lui mettre la turne de côté, il sera là avant la fin du mois pour y pioncer et payer le loyer. Aux curieux, tu diras que ton locataire s'appelle Gartemans, et qu'il est un apprenti débardeur à Bercy... et tu ne t'étonneras pas de ce qu'il débarde.
On est d'accord ?
La crinière flamboyante fit un signe d'assentiment. Pour les curieux, elle savait les recevoir - et quant à s'étonner, bah... Ca lui était plus arrivé depuis longtemps. S'il réussissait ça, le Gartemans, elle n'aurait certes pas perdu son temps. Mais baste : il y a d'autres plaisirs dans la vie que les surprises, et de moins risqués.
- Et pour sceller tout ça comme il faut, mon mignon, tu dirais quoi d'un...
... verre ? Evidemment. Elle perdait pas le nord, la jolie rombière ! Mais un drôle de spectacle lui attira l'oeil, et la coupa dans son élan : de l'autre côté de la porte, en effet, le garçon Tulasne s'était mis à gesticuler comme un perdu. En lieu et place de la cordiale "invitation", un grondement s'échappa donc de la bouche purpurine :
- Carne... Quoi encore ?
[Dans la salle, un brin plus tôt]
Le Tulasne, mine penaude, lappait tristement sa vinasse. Des caresses espérées pour son exploit, il n'avait pas reçu le quart. Il ne doutait pas, ça non, des largesses de la Fanchon (non, pas de celles-ci... c'est des autres largesses qu'on vous cause, les moins tape-à-l'oeil).
Ahem.
Donc. Non, de la reconnaissance de la taulière, il ne doutait pas. Mais être laissé devant la porte, pendant que la belle causait affaires avec les Pognes ? Et avec le Long pour compagnon d'infortune ? Misère. Voilà notre gringalet jaloux, et souhaitant de toute sa chétive âmelette qu'il se passât quelque chose qui réclamât son intervention.
Et sans doute qu'il y a dans ce monde une justice pour les gringalets au nez mouillé, car quelque chose il se se passa. Ou plutôt quelqu'un : le Mauresque lui-même. Bigre. Le gringalet n'en avait pas vu souvent, des Maures ; et il aurait confondu celui-ci avec n'importe quel autre exotique, du moment qu'il fut un peu basané et arrangé à l'orientale. Mais la chance était de son côté, semble-t-il, et la statistique tout autant, car il est vrai que les rabouins n'était pas denrée courante dans les rues de Paris.
Tandis que le Maure s'installait dos au mur, l'oreille aux aguets, récupérant tout ce qu'il pouvait vouloir récupérer, Tulasne remplit son devoir : il tenta d'abord quelques signes discrets, qui ne furent pas aperçus. Puis des gestes plus larges. A la fin, il dansait une gigue étrange, qui lui attira enfin le regard de la taulière. Et bien d'autres avec.
[Dans l'arrière salle, puis dans la grand salle]
La rousse laissa échapper un juron à mi-voix : le genre de joyaux bien corsés, mais qui ne déparent pas ce genre de lèvres. Sitôt commencée, que l'affaire lui causait souci. Ou bien était-ce juste un curieux ? Le locataire mystère commençait déjà à l'escagasser. M'enfin. Fanchon, heureusement pour elle, avait plus de ressources que son maigrichon de larbin. Sans mot ajouter, elle fit un signe en direction du mur, et tapota son oreille. Puis de sa main tendue, elle imposa au gaillard de se tenir en place.
Lorsqu'elle jaillit de sa turne, la curiosité s'était planquée sous un masque rigolard.
- Eh ben, minot, tu tiens pus la boisson ? T'as l'air fin, va !
Quelques soûlards s'esclaffèrent aux dépends du pauvre gazier qui se décomposa : il baissa le nez, et ses bras retombèrent piteusement sur ses flans, comme une marionnette soudain abandonnée. Les mains sur les hanches, Fanchon regarda à la cantonade... jusqu'à ce que ses yeux se posent sur celui qu'elle cherchait. Et qu'elle n'attendait pas.
- Tiens ! Un rev'nant ! Alors elle t'a plu, mon eau-de-vie, le Maure ? Chez Fanchon, on r'vient toujours.