Ingeburge
Parler autant ne lui ressemblait guère, elle n'était pas de ceux à se montrer volubiles ou même de ceux à parler, ne serait-ce qu'un minimum, et elle se contentait toujours de n'ouvrir la bouche que pour communiquer l'utile, se borner à l'essentiel et si l'on entendait la froide Prinzessin aligner plus de deux phrases d'affilée, c'était uniquement dans le cadre de ses charges, ecclésiastiques notamment. Et, en ce qui concernait ses dernières, il lui était aisé de prononcer des sermons, de servir des homélies puisqu'invariablement, elle les couchait toujours et en premier lieu sur parchemin; d'ailleurs, quand il lui revenait de devoir discourir plus que de coutume, comme à l'écrit elle usait de longues phrases, allant au but à sa manière et sans jamais se départir de sa franchise. Là, franche, elle l'avait été et plus que de mesure, et elle ne s'était pas perdue en interminables circonvolutions, son exaspération ne supportant pas de louvoyer et de traîner; c'est ainsi qu'elle avait lâché tout ce qu'elle avait sur le cur, ne retenant rien, envoyant tout, parlant d'abondance sans jamais noyer son propos sous des figures rhétoriques. Elle en était d'autant plus exténuée et sa fatigue, elle le pressentait, n'irait qu'en s'accroissant car elle devrait supporter le retour d'Actarius, recevoir sa réponse et elle attendait là, tendue, prête à encaisser un choc qu'elle ne pouvait que pressentir violent même si elle ne pouvait en deviner l'étendue. Action, réaction.
Elle ne se trompa pas, le vicomte finissant par s'emporter, elle avait su anticiper, non, elle ne se trompa pas, enfin, pas tout à fait. Elle endura donc la fermeté, la véhémence, elle supporta le regard rendu obscur, le visage tendu, elle soutint les mots envoyés, les phrases assénées, sachant bien en quelque part il ne pouvait en aller autrement. Elle tint bon, ne rompant pas et même, osant relever ces pupilles qu'elle avait abaissées après avoir posé cette question qu'elle craignait de voir demeurer orpheline. Elle ne s'était pas trompée, mais seulement en partie car elle ne comprit d'abord pas pourquoi il la reprenait sur l'un de ses principes, sur celui qui stipulait que nul n'était irremplaçable. En disant cela, elle avait uniquement visé les charges, les responsabilités, elle n'avait pas abordé autre chose que le travail, comment aurait-elle d'ailleurs pu quand leurs rapports se bornaient à l'ordinaire de l'Office des Cérémonies de France? Ils n'étaient pas amis, même pas de simples connaissances même si entre eux existaient une concordance de vue et une similitude de goûts dans le cadre de leur collaboration. Alors, faire référence à la sphère privée, à l'intimité? Jamais elle ne s'y serait risquée, tant par pudeur naturelle que par prise en compte de l'état de leur relation; pourtant lui, avait osé. Les sourcils de la duchesse d'Auxerre se froncèrent alors que ses yeux se paraient d'incompréhension et si elle avait tout encaissé, cette évocation lointaine d'une réalité qui lui était inconnue commença d'entamer sa vaillance, la lassitude reprenait le dessus maintenant qu'elle se sentait encore plus étrangère à lui.
Et c'est dans cet état d'esprit et cet état de corps puisqu'elle percevait les premières manifestations physiques de la tension qui avait envahi son être que l'ultimatum du Languedocien la trouva. Etrange en vérité de prendre ainsi l'alternative qui lui était soumise là où elle avait clairement annoncé sa démission. Ne l'avait-il donc pas entendue? Avait-il ignoré ses propos? Ou décidait-il volontairement d'en faire fi? Sa colère en fut nourrie alors que son dépit lui aussi s'en retrouvait revigoré, elle n'appréciait pas de voir sa position aussi peu considérée car c'était bien ainsi qu'elle prenait le choix qui lui était offert. Ce qu'il put comporter de généreux et d'aimable fut perdu pour elle tant elle restait focalisée sur ce qui lui apparaissait comme du mépris, tant elle était aveuglée par son ire. A cela s'ajoutait l'attitude et le ton pleins de raideur du Grand Chambellan qui montrait par là l'étendue de sa combattivité et aussi cette peu commune indifférence dont il faisait maintenant étalage. Rien ne vint en retour, rien ne s'échappa des lèvres serrées d'une Ingeburge qui estimait avoir tout dit et elle n'opposa à son vis-à-vis que la fureur de ses yeux revenus à la vie et la dureté adamantine de son visage.
Le duel dura encore quelques secondes et fut rompu à nouveau par la voix chantante du Languedocien. Ingeburge craignit une nouvelle salve de son opposant, désireuse plus que jamais qu'il se tût enfin et si elle en eut peur, ce ne fut pas pour l'hostilité qui eût pu en émaner mais bien parce que cela l'obligeait à rester là. Et à nouveau, elle fut surprise et elle ne sut pas, perdue, si elle l'était agréablement ou non car Actarius lui fit un aveu inattendu, troublant, qu'elle ne sut comment interpréter. Et puis, elle n'avait pu que rêver, franchement rêver puisqu'il revenait à l'ultimatum, la sommant de faire un choix, se permettant en le faisant de lui donner du temps là où elle se sentait pressée de se décider. Mal à l'aise que signifiait ces mots qui semblaient s'être égarés? , elle ne sut que riposter elle qui avait eu jusque lors la réplique facile, aisé,e et elle baissa les yeux au moment où il lui tourna le dos. Elle savoura ce répit, pensant qu'une pause lui était ainsi accordée mais, alors qu'elle se risquait à le regarder à nouveau, elle s'aperçut qu'il s'éloignait. Elle demeura donc là, irradiant de colère, vexée par cette soudaine volte-face qu'elle n'avait su prévoir et par ce départ qui malgré son assurance lui apparaissait comme précipité et ce, à dessein. C'était elle qui partait de la Maison Royale, c'était elle qui quittait sa charge, c'eût été à elle de se retirer, de partir sur un éclat. Au lieu de cela, elle demeurait seule, avec son irritation et sa peine pour seules compagnes et elle resta là de longues minutes, n'arrivant pas à partir, tâchant d'essayer de se détendre pour y parvenir enfin. Lentement, elle détacha ses mains de derrière son dos pour ensuite en contempler les paumes et les doigts dont les chairs avaient été abîmées par les chatons s'y incrustant sous l'impulsion de son courroux.
Ô tout-puissant et miséricordieux Dieu du Ciel, pourquoi avait-elle la lancinante impression d'avoir perdu?
Qu'elle eût échoué ou non, elle resta en poste, malgré cette déclaration de forfait asséné avec résolution puis animosité. Et, qu'elle eût perdu ou non, quelques temps plus tard, elle finit par se décider à répondre à l'ultimatum posé, reprenant le jeu là où il s'était arrêté. Une lettre parvint au Grand Chambellan de France dans la première semaine du mois de mai :
Elle ne se trompa pas, le vicomte finissant par s'emporter, elle avait su anticiper, non, elle ne se trompa pas, enfin, pas tout à fait. Elle endura donc la fermeté, la véhémence, elle supporta le regard rendu obscur, le visage tendu, elle soutint les mots envoyés, les phrases assénées, sachant bien en quelque part il ne pouvait en aller autrement. Elle tint bon, ne rompant pas et même, osant relever ces pupilles qu'elle avait abaissées après avoir posé cette question qu'elle craignait de voir demeurer orpheline. Elle ne s'était pas trompée, mais seulement en partie car elle ne comprit d'abord pas pourquoi il la reprenait sur l'un de ses principes, sur celui qui stipulait que nul n'était irremplaçable. En disant cela, elle avait uniquement visé les charges, les responsabilités, elle n'avait pas abordé autre chose que le travail, comment aurait-elle d'ailleurs pu quand leurs rapports se bornaient à l'ordinaire de l'Office des Cérémonies de France? Ils n'étaient pas amis, même pas de simples connaissances même si entre eux existaient une concordance de vue et une similitude de goûts dans le cadre de leur collaboration. Alors, faire référence à la sphère privée, à l'intimité? Jamais elle ne s'y serait risquée, tant par pudeur naturelle que par prise en compte de l'état de leur relation; pourtant lui, avait osé. Les sourcils de la duchesse d'Auxerre se froncèrent alors que ses yeux se paraient d'incompréhension et si elle avait tout encaissé, cette évocation lointaine d'une réalité qui lui était inconnue commença d'entamer sa vaillance, la lassitude reprenait le dessus maintenant qu'elle se sentait encore plus étrangère à lui.
Et c'est dans cet état d'esprit et cet état de corps puisqu'elle percevait les premières manifestations physiques de la tension qui avait envahi son être que l'ultimatum du Languedocien la trouva. Etrange en vérité de prendre ainsi l'alternative qui lui était soumise là où elle avait clairement annoncé sa démission. Ne l'avait-il donc pas entendue? Avait-il ignoré ses propos? Ou décidait-il volontairement d'en faire fi? Sa colère en fut nourrie alors que son dépit lui aussi s'en retrouvait revigoré, elle n'appréciait pas de voir sa position aussi peu considérée car c'était bien ainsi qu'elle prenait le choix qui lui était offert. Ce qu'il put comporter de généreux et d'aimable fut perdu pour elle tant elle restait focalisée sur ce qui lui apparaissait comme du mépris, tant elle était aveuglée par son ire. A cela s'ajoutait l'attitude et le ton pleins de raideur du Grand Chambellan qui montrait par là l'étendue de sa combattivité et aussi cette peu commune indifférence dont il faisait maintenant étalage. Rien ne vint en retour, rien ne s'échappa des lèvres serrées d'une Ingeburge qui estimait avoir tout dit et elle n'opposa à son vis-à-vis que la fureur de ses yeux revenus à la vie et la dureté adamantine de son visage.
Le duel dura encore quelques secondes et fut rompu à nouveau par la voix chantante du Languedocien. Ingeburge craignit une nouvelle salve de son opposant, désireuse plus que jamais qu'il se tût enfin et si elle en eut peur, ce ne fut pas pour l'hostilité qui eût pu en émaner mais bien parce que cela l'obligeait à rester là. Et à nouveau, elle fut surprise et elle ne sut pas, perdue, si elle l'était agréablement ou non car Actarius lui fit un aveu inattendu, troublant, qu'elle ne sut comment interpréter. Et puis, elle n'avait pu que rêver, franchement rêver puisqu'il revenait à l'ultimatum, la sommant de faire un choix, se permettant en le faisant de lui donner du temps là où elle se sentait pressée de se décider. Mal à l'aise que signifiait ces mots qui semblaient s'être égarés? , elle ne sut que riposter elle qui avait eu jusque lors la réplique facile, aisé,e et elle baissa les yeux au moment où il lui tourna le dos. Elle savoura ce répit, pensant qu'une pause lui était ainsi accordée mais, alors qu'elle se risquait à le regarder à nouveau, elle s'aperçut qu'il s'éloignait. Elle demeura donc là, irradiant de colère, vexée par cette soudaine volte-face qu'elle n'avait su prévoir et par ce départ qui malgré son assurance lui apparaissait comme précipité et ce, à dessein. C'était elle qui partait de la Maison Royale, c'était elle qui quittait sa charge, c'eût été à elle de se retirer, de partir sur un éclat. Au lieu de cela, elle demeurait seule, avec son irritation et sa peine pour seules compagnes et elle resta là de longues minutes, n'arrivant pas à partir, tâchant d'essayer de se détendre pour y parvenir enfin. Lentement, elle détacha ses mains de derrière son dos pour ensuite en contempler les paumes et les doigts dont les chairs avaient été abîmées par les chatons s'y incrustant sous l'impulsion de son courroux.
Ô tout-puissant et miséricordieux Dieu du Ciel, pourquoi avait-elle la lancinante impression d'avoir perdu?
Qu'elle eût échoué ou non, elle resta en poste, malgré cette déclaration de forfait asséné avec résolution puis animosité. Et, qu'elle eût perdu ou non, quelques temps plus tard, elle finit par se décider à répondre à l'ultimatum posé, reprenant le jeu là où il s'était arrêté. Une lettre parvint au Grand Chambellan de France dans la première semaine du mois de mai :
Citation:
A Actarius d'Euphor, vicomte de Tournel, baron de Florac, seigneur d'Aubemare & de Saint-Dionisy, pair et Grand Chambellan de France,
Salut.
Votre Seigneurie,
A votre prise de fonction, vous aviez fait part de votre volonté de recruter un Maître des Cérémonies pour renforcer les rangs de l'office des Cérémonies Royales et donc, au-delà de la Maison Royale. A la formulation de ce désir, je n'avais pas caché mon sentiment et mon opinion et y avais ainsi opposé mes réserves qui se transformèrent, au fil du temps, en désapprobation estimant que les conditions de travail adéquates et pérennes n'étaient point réunies tant sur la question des compétences du dit office que de son fonctionnement, héritage des mois et des années passés. Vous avez respecté cet avis que j'avais formulé et cela, je vous en remercie, sincèrement, même si nos rapports de ces dernières semaines pourraient laisser entendre le contraire.
Je ne m'y oppose plus désormais, ayant pu constater que la situation avait favorablement et positivement évolué. Un membre de plus ne pourra que faire gagner en efficacité et en diligence, et je suis sûre aujourd'hui qu'il ne sera pas en proie aux incertitudes qui furent les miennes; je persiste à rester sur ce que je vous livrai lors de cette dernière discussion qui nous vit nous quitter en désaccord.
A ce propos, et parce que je sais que sous peu, quelqu'un d'autre sera là pour cet office, je souhaiterais pouvoir vous faire une réponse définitive quant à mon avenir et sollicite donc à cette fin un entretien particulier avec vous.
Que le Très-Haut vous garde.
SA Ingeburge von Ahlefeldt-Oldenbourg,
Grand Maître des Cérémonies de France.