Astana
La Nuit est déjà bien avancée, lorsque le corbeau vient se poser à la fenêtre, accompagné de sa malédiction. Astana est alors attablée à la mince table de bois qui lui sert de bureau, éparpillée entre encre, bouteilles, parchemins et plumes. La faible flamme de la bougie vacille, et quelques gouttes de cire viennent souiller le bois, peu à peu. Un croassement, un soupir, et une main qui se lève pour ouvrir la fenêtre sur l'oiseau. Le message une fois délivré, le volatile s'envole dans un battement d'ailes malheureux tandis que le carreau se referme sur la froide nuit au dehors. Quelques secondes s'écoulent, attendant que les tremblements qui ont saisi ses mains dus au manque d'alcool s'arrêtent. Et puis...
Le bougeoir s'écrase au sol en même temps que le vélin, alors que les étoffes s'enroulent, s'emmêlent, s'agitent autour du corps fébrile de la jeune femme.
Citation:
Qu'êtes-vous capable de faire pour quelqu'un ? Qu'il soit un être cher ou un illustre inconnu ? Jusqu'où êtes-vous prête à repousser vos limites afin de connaitre la Vérité sur Vous ?
Il s'agit de sauver une vie. La personne en question a beaucoup comptée pour Vous dans le passé. Il serait fâcheux que vous la condamniez à une mort certaine. Sachant que son agonie sera des plus douloureuses... J'ai ouï dire que ce n'était point ce genre de propos qui pourrait vous émouvoir. Mais veuillez bien reconsidérer la question. Laisseriez-vous lâchement périr une personne si chère à votre cur ?
Si la réponse est : Non. Bienvenue dans le Jeu.
Dont voici les règles. Une proie a été placée dans une masure abandonnée aux portes et fenêtres piégées par un mécanisme de mon invention. La porte principale vous sera déverrouillée dès que vous aurez décidé de jouer. A l'intérieur, vous aurez accès à un couloir aux murs blancs. Au bout de ce dernier se trouve quatre portes fermées à double tour. Derrière l'une d'entre elles, se trouve celle que vous devez sauver. Pour en avoir la clé, vous devrez réussir à trouver une chose si précieuse, qu'elle permet aux Hommes d'atteindre les rênes du pouvoir.
Quatre portes pour quatre personnes de votre entourage qui détiennent chacune, une clé. A vous de les retrouver...
N.
Un rire fou, vient briser le silence. Les nerfs. Ses iris toujours fixes sur le vélin, bien qu'à l'autre bout de la pièce désormais. Lorsque la vérité est trop crue, certains mécanismes se mettent en place d'eux-mêmes. Nier, renier, en bloc. Refuser d'admettre l'évidence. Elle essaie de se convaincre que tout ceci n'est qu'une mauvaise blague, qu'un fou est de passage dans les environs et qu'il a décidé de s'amuser un peu. Cependant, les tripes ne mentent pas, elles. C'est viscéral. Tout se déchire intérieurement, et la Carnivore se laisse choir à terre, recroquevillant ses jambes contre sa poitrine. Qui ? Pourquoi ? Où ? Les interrogations se bousculent, se chevauchent, à toute vitesse. Le coeur s'emballe dans un rythme effréné, et la reflexion se fait plus difficile.
Voilà bien longtemps qu'on ne l'a pas vue dans un tel état. La menace est trop sérieuse pour être prise à la légère. Mais comme à son habitude, le calme glacial reprend vite le dessus. Au bout de quelques minutes, peut-être. Une fois que l'angoisse a cédé la place à la maitrise de soi. Tout se gèle. A trop se laisser étouffer par ses émotions, le jugement s'en trouve altéré. Or là, toutes ses facultés lui sont indispensables. Ce n'est pas de l'insensibilité... du moins pas ici. Paniquer ne servirait à rien ; si ce n'est à perdre du temps. Les grains du sablier s'écoulent...
Elle se relève alors, attrapant un autre bougeoir pour s'éclairer, en venant se réinstaller à sa place initiale, tendue. Elle prend la plume, qui est trempée avec précipitation dans l'encre noire, pour venir couvrir non pas quatre mais six parchemins d'une écriture penchée, presque illisible. Mettre toutes les chances de son coté. Même si c'est un test. Jouer le jeu. Son jeu, son terrain : le sadisme. Le Maitre du jeu deviendrait victime sous peu.
Citation:
XXX,
Je n'ai pas le temps de t'expliquer. Le temps me manque. S'il te plait, ne pose pas de questions.
As-tu reçu quelque chose dernièrement ? N'importe quoi... Une clé, un objet, un code, une phrase que l'on t'aurais dite et que tu aurais trouvée curieuse ?
Si oui, je t'en prie, fais-moi parvenir ce que tu as. Au plus vite.
Astana.
Scath. Lhyra. Andréa. Alzin. Le Mielleux. Et... le Poison, peut-être.
Sans plus attendre, la danoise quitte sa chaise pour enfiler sa pelerine avec empressement. Et d'empoigner le paquet de missives préparées, avant de claquer la porte du logement en quête d'un pigeonnier. Quitte à faire le pied de grue devant celui-ci jusqu'à ce qu'une réponse lui parvienne.
Pourvu que les personnes visées soient les bonnes...
Pourvu que le temps ne se perde pas en chemin...
Pourvu que les choix à faire d'ici peu soient les bons...
Pourvu que...
To be continued. **
** A suivre._________________
--Nayko
Les feuilles mortes en retard s'évanouissent lentement. Dernières étoffes pour un tapis d'une saison désormais démodée. L'orange et le rouge vont reprendre des couleurs mais d'une autre manière. La verdure sera le nouvel étendard pour ces jours qui filent en vitesse. Et dans ce décor entre fin et début, nous retrouvons notre visiteur. Sa respiration est rapide et bruyante. Malgré, la fraîcheur des timides avances du Printemps, le pauvre suffoque sous la chaleur. Ses vêtements sont bien trop lourds, bien trop étouffants et une sensation de vapeur désagréable s'échappe de la base de son ventre dans l'étroitesse de ce conduit en haillons avec le col en guise de cheminée.
Courir. Courir à en perdre haleine, en perdre la raison. Et surtout y perdre son chemin. Et c'est dans un labyrinthe grandeur nature que notre visiteur ira dépenser les restes de son énergie jusqu'à la nuit tombée. Là, où les loups affamés ou de sombres ombres pourront le dilapider de ce qu'il a de plus précieux.
Citation:J'ose espérer que vous avez su trouver au moins un indice et le code qui en découle. Si ce n'est point le cas, vous m'en voyez fort marri. Je place beaucoup d'espoir en Vous. La dernière candidate a dépassé toutes mes espérances. Hélas, cela a mal fini...pour elle.
Afin de vous aider dans votre quête et que notre petit Jeu puisse continuer, je vais vous donner quelques explications. Nous avions convenu de choisir quatre personnes de votre entourage détenant chacune un indice d'une valeur inestimable. Après tout, l'enjeu est bien là. L'un de ces indices demande des connaissances sur ce que nous nommons l'art. Plus précisément la peinture. La seule chose que je puis vous dire : Une comparaison sous-entend une différence.
Concernant un autre indice, vous devrez vous tourner vers un code. Un code usité par un ancien ordre, qui fut renié par l'église alors qu'il arborait le symbole d'icelle sur le torse, une vraie marque de sang. Un temple...
Une fois que vous vous sentirez la force de poursuivre. Vous vous rendrez au sein d'une vieille chapelle abandonnée en terre Angevine. Vous y déposerez l'ensemble de votre recherche sous l'autel. Inutile d'attendre la venue d'une quelconque personne. Vous seriez perdante. A partir de là, vous prendrez direction Nord-Est jusqu'à atteindre un cours d'eau. Remontez le sens du courant et vous ne tarderez point à apercevoir une masure délabrée. C'est ici que nous pourrons débuter les réjouissances.
N
--Nayko
Furetant à l'orée du bois, les timides lueurs d'un jeune printemps s'éteignent en silence. La forêt si calme en journée s'éveille pour un ballet nocturne, une représentation étrange. Où le sonore du lointain se fait proche. Où la chouette hulule à la recherche de sa moitié depuis trop longtemps disparue. Où les bêtes sauvages sortent à l'abri du regard des hommes. Voici le théâtre de ces nuits, celles qui vous glacent le sang. Celles qui s'immiscent sous votre chair jusqu'à rompre vos os. Vous aurez beau vous débattre, votre corps lutter contre le froid. Vous ne pourrez y échapper.
Et la quiétude glaciale offre un spectacle étonnant. La cristallisation de l'air ou du moins sa représentation pour assister aux tourbillons incessants d'une fumée blanchâtre. Qui s'échappe avec volume, au rythme d'une course effrénée. Les hennissements se font saccades à l'instar de la décomposition d'une syllabe. Le fers viennent tantôt percuter un pavé d'un autre âge, tantôt s'enfoncer dans la poudre ébène. L'un offre un claquement caractéristique, l'autre s'étouffe dans les entrailles de la terre. On aime à penser que la moindre onde de choc. Aussi petite soit-elle, résonne à l'autre bout du Monde. Et que les pas perdus d'un million d'êtres humains se font échos, s'échouent au sein d'un noyau incandescent où les orchestres les plus mirifiques jouent de leurs symphonies avec les bribes, les notes de cette cacophonie originelle. D'une émulation sans faille, pour une compétition sans temps mort. La pierre aurait alors la valeur et la brillance d'une pépite d'or.
Lil fébrile, le cou légèrement crispé, la crinière séchevelant dans un galop ultime. Anhéler jusqu'à en observer l'écume qui se forme aux recoins du mors. Les vapeurs s'évadent d'une haleine chaude et fétide. Ils avancent jusqu'à Fatalité. Celle d'un destin. C'est que tout à une fin... Le vrai luxe est de pouvoir choisir la sienne.
N'émettre aucun doute concernant la détermination de cette femme. Il le savait. Par contre, elle, était juste dans l'ignorance la plus absolue. Qui devait-elle sauver ? Où se rendait-elle ? Avait-elle seulement conscience que peu importe le résultat, le jeu aurait continué ? Parce que personne ne se rendra au sein de la chapelle abandonnée. Ce qui compte, c'est de jouer. Le divertissement. S'en amuser voire en souffrir quand il devient addiction. Ou quand la lassitude nous gagne...
La prédatrice de toujours se fait proie d'une nuit. Et quand elle atteindra la masure, la porte lui sera grande ouverte. Sur le mur gauche, à même la pierre, se trouve un creux dans lequel est déposé les quatre clés et un mot.
Citation:
Bienvenue,
Chacune de ces clés numérotées ouvrent une porte correspondante. Vous n'avez point le droit d'ouvrir plusieurs portes à la fois. Vous devez progresser étape par étape. L'ordre importe peu. Si vous transgressez cette règle élémentaire, la personne que vous êtes venue sauver; mourra.
Vous pourriez bien vous enfuir et renoncer mais il est trop tard.
N.
A la lecture de ceci, la jeune femme à la crinière ambrée et aux azurées grisonnant, sous la danse de la torche à proximité, sera prise au piège. Puisque la lourde en bois se trouvant juste derrière elle, se refermera pour ne plus jamais s'ouvrir.
Maintenant, que le Jeu commence...
--Stan_
[Stan]
Quelques mois plus tôt...
Comme le chagrin ronge les âmes. De celles qui subissent de la vie les drames. Étincelle jaillissante pour s'atténuer dans un éclat meurtrit par une obscurité attrapeuse de rêves. Capture les rayons pour en faire des ombres. Et les fracassent contre terre. Elles se bousculent. Les trottoirs et les murs les figent pour mieux les perdre. Elles disparaissent. Elles sont "la suite" des damnés de ce siècle. Des marins. Aux mains torturées par les intempéries, par le travail harassant, par la fatigue aussi. Marins avec pour seul loisir que le jeu et le mauvais alcool. Les femmes ne font pas parties de ce monde là. Ou bien s'agit-il au mieux de sombres catins.
Aussi, quand Stan aperçoit une magnifique promesse se dissipant au milieu d'une foule crasseuse. Il tente de la poursuivre. Puisqu'il s'agit d'une de celle qu'on ne peut oublier dès lors que notre regard est foudroyé par la splendeur d'une minute qui parait être une éternité. Ses compagnons le raillent. Bien sûr qu'il n'a aucune chance. Mais il veut tenter de faire la différence. Sa différence. Seulement, sa belle s'envole au milieu de ce froid aux habits détrempés. Quelle triste humidité, quelle pauvre humanité. Il s'en retourne à son uvre lors d'une journée interminable. Et d'une simple vision, elle devient obsession. Le soir venu, il rentre chez lui à toute hâte pour entamer la rédaction d'une lettre. Il sait à qui la donner. Un "ami" lui a confié qu'il s'en chargerait. Hélas, les mensonges sont légions et la sincérité est le bouclier des naïfs. Il passe une nuit entière à gratter sur sa feuille. S'il devait être mort, la plage blanche serait son cercueil.
Citation:
A toi belle inconnue,
Je t'écris cette lettre afin de te faire parvenir toute mon admiration. En couchant sur le papier les mots de mes maux. Tu comprendras peut être que tu m'as brûlé les ailes en ce lundi. J'ai bien vu comment tu m'as regardé et je sais ce que cela signifie. Je sais pertinemment que nous sommes faits pour être ensembles. Sinon qu'en serait-il autrement ? Mes amis disent qu'en réalité ceci ne veut rien dire. Et que sans doute tu observais la ligne d'horizon. Mais moi, je sais que c'est faux ! Ils sont juste jaloux qu'une femme comme toi, désire finir avec moi. Voilà tout. Je te donne rendez-vous près du clocher à minuit. Pour débuter ce qui aurait déjà du commencer.
Stan,
L'être est issu de classe sociale de déshérités mais l'intelligence est là. Hélas, les journées passent sans une réponse à la clé. Au début, c'est l'incompréhension. Le manque de patience. Puis le début de la douce démence. Où se forme le torrent des interrogations malvenues. Aucun barrage ne peut le stopper. Il dévaste tout. La douleur morale devient physique.
"Pourquoi ?"
Les voix dans sa tête se bousculent, une sensation d'étouffement, que sa poitrine se compresse, que les murs se rapprochent dangereusement et que sa boite crânienne va exploser. Alors la routine chausse ses chausses usées et prend la route pour les sentiers en cette morne vallée. Sous une pluie battante, des milliers de fidèles se réunissent pour se lamenter. Quand le pèlerinage devient trop éreintant, on s'accorde une pause. Et c'est ce qu'il fait en renouvellent l'expérience de ses déboires. Il empoigne une nouvelle fois sa plume, l'encrier et transpire ses émotions sur le parchemin.
Citation:Ma chère Astana,
Oui, surprise ! Je connais ton nom, c'est un gars au port qui me l'a avoué. Depuis ce jour, j'arrive à le crier au cur même de mes songes. Malheureusement, tu y es souvent muette. Je n'ai pu entendre résonner le doux son de ta voix. La bande de jaloux continue de se moquer de moi. Ils prétendent que tu ne me répondras pas. Que s'il faut, tu observais l'homme derrière moi. Et qu'après des jours sans réponses, ni signes de vie, je devrais passer à autre chose. Mais je ne peux pas.
J'espère que tu me répondras.
Stan,
P.S : Je suis persuadé que nous avons le même surnom. Astana, Stan. C'est notre destin.
On ne saura jamais si cette avant dernière missive est parvenue aux prunelles de la belle. Tout ce que l'on sait, c'est qu'elle fut orpheline de réponse(s). Et Stan continua de ruminer sa rage. Seul dans son coin. Et c'est lors d'une nuit d'orage, qu'il déchaina ses écrits. La rémige grince sous les assauts répétés d'une main énervée. Les ratures souffrent de la peine d'effacer les mots du commun ou de l'exception. Les bourreaux des oubliés pour une future lettre morte. Des tiraillements le long du canal carpien poursuivent et accompagnent cette danse macabre. La cadence est battue par les volets claquant avec force contre les vieilles pierres d'un mur à la solidité qui seffrite. Chaque coups portés réprésentent une sculpture déformée, un pieux planté dans le poignet. En contre bas, les rats fuient les égouts pour prendre de la hauteur. Si même eux s'y mettent... L'eau ruisselle et nettoie les ruelles à sa manière. Pendant que les pauvres hères prennent à contre courant la course des rongeurs. L'instinct de survie a sauté quelques générations. Les uns savent, les autres meurent. Sélection naturelle. Et un jour prochain, les rats domineront le monde. Si ce n'est pas déjà le cas...
Citation:A celle qui répond jamais !
Je te déteste ! Tu te moques de moi ! Maintenant, si on se recroise l'affaire sera différente. A vrai dire, je viens à toi ! Un type, que j'ai rencontré hier, m'a dit comment je pourrais te rencontrer. Il faut juste que je me rende dans une vieille masure abandonnée et là, nous serons ensembles à jamais !
A très bientôt !
Stan,
La clé tourne dans la serrure, la porte s'ouvre dans un grincement, et...
Le suspense s'estompe rapidement en rendant la monnaie de sa pièce à la victime prochaine. Un sourire inquiétant se dessine sur son visage, les yeux cernés, il s'approche le regard vissé dans celui d'Astana. Le pas est lent mais déterminé. Il va la faire souffrir, il veut la faire mourir.
Bonjour Astana, si tu ne veux pas de moi. Personne d'autres t'aura, j'en fais le serment. Je vais prendre ta vie et ensuite je mettrai fin à mes jours. Ainsi, nous resterons l'un à l'autre pour l'éternité !
Un ricanement et il s'élance sur elle avec rapidité. Elle a sans doute à peine le temps de se remettre de "la rencontre" et du choc qui s'en suit. Que lui, prit d'une folie "lucide", tente déjà de lui arracher ses vêtements. Mais on ne prend pas facilement, une femme de cet acabit. Elle doit reprendre le dessus, se débattre et se battre. Elle en a la force, le caractère et le vécu. Le sait-elle ? Espérons-le. Sinon, elle devra puiser au fond d'elle-même pour en sortir victorieuse. Si elle doit apprendre quelque chose, qu'on lui enseigne. Si elle doit se sublimer, qu'on lui montre qu'une lueur brille. Sinon...
Non loin de là, on peut ouïr des bruits de chaines trainant à même le sol...