Theos
La haute silhouette visite la nuit avec une facilité déconcertante et vient heurter les épaules de quelques villageois sans prendre le soin de se retourner pour sexcuser et faire preuve dun semblant de déférence. Lallure fière et pleine dun insaisissable mystère qui attise tantôt la crainte, tantôt ladmiration, libère une élégance maîtrisée et un raffinement qui contrastent avec le regard sauvage et la chevelure éparpillé de lhomme. Un parchemin, négligemment plié, gît au fond de sa poche où végètent quelques breloques cueillies tout au long de ses voyages. Les pas font chanter les pavés et éveillent les ruelles qui courent à travers toute la ville. Et, alors que son regard devine les ombres et dénude les lieux, ses pensées se fracassent contre lobjet de sa visite nocturne.
De sombres idées sinsinuent dans sa caboche dintouchable, étouffant ses résolutions les plus pieuses et ses projets les plus louables. Et il se sent déjà sombrer dans les méandres dune vie aussi trépidante, quinsidieuse et sublime. Lenvie de flirter avec les extrêmes le tiraille, la volonté de dépasser les limites, de franchir lentendement crépite au creux de ses viscères. Et quand sa morale sabsente, cest en monstre méprisant et arrogant quil se dresse. Mais il nest guère tourmenté. Lingratitude et la quête de prestige lui suffisent.
Il rabat sa capuche sur son dos et défait sa cape en franchissant la porte du lieu dans laquelle on lattend. Odénaiss. Chimère venue braver la réalité et effacer un passé qui fut fallacieux. Prise de conscience, violente, révoltante, jouissive. Aimer, cest sentir la terre se dérober sous ses pieds, et se retenir à une étoile pour ne pas vaciller. Cest perdre ses habitudes, ses repères, ses certitudes, et sextasier dun avenir jusqualors jamais envisager. Finalement, cest crever puis renaître. Et ses yeux la cherchent, cette donzelle envoutante, à travers une fumée opaque qui pique les sens. Dans un coin, il reconnaît sa silhouette féminine, son visage perché au-dessus dun verre. Il sapproche, évitant les gestes défaillant de certains, ignorant les éclats de voix et les éclats de rire des autres. Il nignore pas quil est observé, sans vergogne, telle une proie que lon veut croquer et dépouiller de son humanité. Il fait signe à lune des servantes de lui apporter à boire, lui indiquant la table quil rejoint. Et cest dun il aiguisé quil sattarde un instant sur son décolleté. Simple réflexe masculin.
Bonsoir.
Il prend place face à son Autre, fixant la donzelle, violant son regard. Un sourire simmisce le long de ses lèvres. La complicité est là, ils se comprennent et se devinent sans la moindre peine. Et même quand le silence règne, un chahut de sentiments, de confidences muettes sont échangés au travers de leurs pupilles. Leurs visages, leurs expressions, les mouvements de leurs mains sont un langage quils partagent et maîtrisent.
Cest donc cela votre idée du romantisme ? Une taverne où grouille la vermine et où le païen se planque pour ne pas avoir les oreilles tranchées ? Vous me surprendrez toujours.
Ses doigts se resserrent autour de son verre.
Je ne peux mempêcher de croire que vous avez une idée derrière la tête. De quoi sagit-il ? Si cest lucratif, je suis pour. Sinon
Haussement dépaules.
--L_nantais
[Rencontres clandestines]
L'Hermine - Dans un coin retranché de la taverne
L'Hermine : son repère, son fief, son antre. Après des semaines passées en mer, il ne manquait jamais loccasion, le temps d'une escale, de venir s'y engouffrer, dilapidant à tout va les écus d'un butin gagné pour le plus grand plaisir du patron qui s'en mettait plein les fouilles. La bière, le rhum, les femmes, jamais il ne s'en lassait. Surtout pas de ces dernières avec qui il prenait plaisir à fêter son retour à terre.
Et parce que ses ressources monétaires lui étaient insuffisantes, le vieux flibustier qu'il était ne se privait pas de s'enrichir sur le dos du petit, voire même du grand peuple, en leur proposant ses services et n'était jamais surpris de voir débarquer bon nombre d'inconnus désireux de faire affaire avec lui.
Là encore, il venait de conclure un nouveau marché, et pour avoir raccompagner son visiteur, il était venu se réinstaller dans la grande salle, se vautrant, le dos courbé à sa table. La même qu'il occupait depuis ce premier jour où il avait décidé de foutre les pieds chez lMaodan. Appuyé des deux coudes sur la table de noyer crasseux, le Nantais, comme tout le monde le surnommait ici, laissait planer sur l'assemblée un regard d'empereur auquel rien n'échappait, un regard qui de nouveau traversa la salle pour aller achever sa trajectoire sur le patron lorsque la voix de celui-ci s'éleva pour l'interpeler.
- Ho ! Le Nantais ! Du monde pour toi !
Doucement le visage de l'interpellé s'arma d'un fin sourire tandis que sa main venait le débarrasser d'un tricorne superbement galonné d'or qui n'avait pas dû être fait pour sa tête, et d'un signe, l'agitant en direction des deux que venait de lui désigner une des serveuses venue lui porter sa pinte, les invita à venir le rejoindre sans se priver au passage de venir dans lattente, palper les rondeurs du seant quoffrait la gourgandine à sa vue.
Theos
Lil inquisiteur et suspicieux de Theos sarrête sur le tricorne et suit son mouvement aérien. Mais, loin dêtre émerveillé par le précieux objet, il samuse de le voir batifoler de la sorte parmi la fumée, au bout dun bras qui les invite à le rejoindre. Cynique, Theos sinterdit de lui lâcher de façon toute aussi éhontée queffrontée :« Vous chassez les mouches ? ». Simplement parce que le respect, la déférence quil nourrit à légard de la donzelle qui la pressé de venir sabîmer dans une sombre et mystérieuse aventure len empêche. Il ne voudrait pas lui faire honte ou la mettre mal à laise. Pas encore. Cela serait préjudiciable pour leur relation et il le sait. Dautant plus que la fureur des donzelles a en général tendance à le blaser, à lindifférer et à lennuyer. Il se lève donc, ne dissimulant pas son audace et son caractère dhomme intouchable, parfois insensible et rejoint celui qui les attend, aux côtés de la délicieuse brune, une main possessive plaquée au creux de son dos.
Homme galant, -uniquement avec les femmes quil juge charmantes et séduisantes-, il propose une chaise à sa compagne et sinstalle près d'elle. Dun signe de la tête, il salue le marin, appréciant ses traits, devinant sa vénalité. Si un sourire un brin arrogant saccroche à son visage, ses lèvres demeurent muettes et sa curiosité étouffée. Il tourne la tête vers Odénaiss quil découvre aussi manipulatrice, ambitieuse et terrifiante que lui. Les apparences quils cultivent tous deux si élégamment ne devraient pas manquer destomper la méfiance de ceux qui les entourent, et la vie si sereine quils semblent mener néveillera les soupçons de personne quant à leurs effroyables personnalités. Un couple froid, aux ambitions sulfureuses, aux projets scandaleux.
Ignorant lobjet de cette rencontre, il reste attentif aux paroles échangées pour mieux apprivoiser le projet quOdénaiss veut élever, escamoter, concrétiser. Afin de se dispenser dune courtoisie quil juge futile et déplacée, il se présente avec sobriété. « DArenthon ».
Et déjà, il s'impatiente de savoir quel est l'objet de cet entretien.
--L_nantais
La main abandonnant le tricorne était venue s'abattre, se faisant ferme sur la taille de la serveuse. Ni plus ni moins le temps d'un échange. Après quoi, il relâcha l'étreinte la poussant à aller leur chercher de quoi boire.
Brusquement rétrécies, les prunelles glacées, d'un bleu d'acier s'était posée sur le visage de l'homme qui lui faisait face, comme s'il cherchait à lui arracher le secret de ses pensées.
D'Arenthon... Regard qui le parcourt sans plus, son intérêt étant bien plus grand pour la donzelle qui prenait place tout près. Claquement de langue contre le palais et soupir de mécontentement lorsque l'immense carcasse vint se vautrer dans le fond de sa chaise pendant que la Galinette lui cause.
- Du calme tu veux ! Ne t'ai-je pas toujours satisfait ? chuinta t-il en découvrant trois dents restées étonnamment blanches au milieu d'une incroyable collection de chicots brunâtres. Son regard s'en était même venu défier celui du D'Arenthon, aimant à laisser croire qu'il aurait pu la satisfaire d'une toute autre manière la Brune. Pensée qui raviva de plus belle l'incessante manie qu'il avait de passer continuellement sa langue sur ses lèvres à la manière d'un matou qui se pourlèche.
- J'ai le pouvoir de te donner tout c'que tu veux ! Et en échange, tu me rends service quand j'en ai besoin. Et j' suis en mesure de comprendre que t'as réfléchi à ma proposition... Voilà une bien sage décision.
D'un bras de nouveau levé, et d'un geste entendu il fit signe au patron de sortir le colis qui était réservé. Moins de deux minutes s'étaient écoulées lorsque la serveuse revenue les bras chargés déposa silencieusement sur leur table, trois gobelets d'étain, une grosse bouteille noire d'un vieux rhum, sans oublier le paquet.
- Vous trouv'rez des chevaux, deux frisons à la robe noire. Un d'mes mômes vous attends au sortir d'la ville pour vous les confier. Une fois les frontières passées, peu m'importe ensuite l'endroit où vous vous rendrez et ce qui vous pousse à y aller, mais quoi qu'il arrive, tu dois absolument passer par Avranches pour y déposer ça. En rien tu n' t'occupes de ce que ce paquet renferme. Contente-toi d'aller le porter sur l'adresse qui y figure et donne le au propriétaire des lieux. C'est tout c'que j'te demande. En contrepartie, tu n'auras pas grand chose à craindre, si ce n'est que peut-être tu recevras un courrier des douanes t'invitant à rebrousser ton chemin.
Le Nantais se rapprocha alors subitement, passant un bras autour du cou de chacun pour les pencher vers lui. Rapidement, il jeta autour de lui un regard bourré de circonspection comme s'il s'attendait à voir fleurir soudainement tous les espions du Lieutenant de la Maréchaussée et chuchota enfin :
- J'espère que vous avez bien compris...
Theos
Hautain et impulsif, Theos ignore pourtant la provocation de lhomme qui prétend être capable de satisfaire les désirs, -sous-entendu charnels-, dOdénaiss. Il ravale son insolence, étouffe son écurement, écrase son impudence. Seul un sourire à la fois narquois et méprisant trahit le sentiment acrimonieux qui le traverse, sa virilité et son orgueil nétant pas atteints. Il nourrit une haine malsaine, une jalousie décomplexée envers ceux qui rôdent autour de la Belle et qui souhaitent sattirer les faveurs de la Rebelle. Mais il évite toute démonstration de violence, simposant un calme et une quiétude exemplaires, préférant élever une barrière dindifférence et un étrange détachement. Menteur, il ne se dévoile que rarement.
Sa main rejoint posément et avec complicité celle qui caresse sa cuisse. Il larrête dans sa course, la conservant précieusement contre lui, la retenant dans la sienne. Ses doigts effleurent les siens dans une douceur qui jure avec latmosphère détestable et répugnante de lendroit. Ses phalanges se plient, comme pour mieux la capturer. Le mouvement est futile, mais le partage immense.
Le Ténébreux les écoute. Distraitement. Il affecte un air grave alors que ses pensées voguent ailleurs, loin. Il oublie le sujet de la conversation, abandonnant sa suspicion et sa méfiance, se consacrant aux courbes dune donzelle qui traverse la taverne, au râle du patron qui intime un ivrogne daller répandre sa nausée dans les ruelles, aux claquements des chopes qui annoncent rires, querelles et insouciance.
La réalité retombe lorsquun mystérieux paquet sécrase sur la table. Theos le scrute, sous toutes ses coutures, à la recherche dun indice qui pourrait indiquer ce quil renferme. Sa concentration et son sérieux reviennent, et cest intrigué quil sabreuve des paroles du Nantais. Une étreinte, une pseudo accolade achèvent son discours. Ne pas ouvrir le colis ? Cest comme demander à une femme de se taire. Cest risqué et le résultat nest que rarement celui espéré. Expérience, quand tu nous tiens
Oui, bien entendu, nous saurons le transporter en toute sécurité, sans louvrir
Ou comment se parer dun semblant de sagesse, dune fausse crédulité, dune honnêteté improvisée. Et cest un sourire plein dune implacable innocence qui déchire la gueule dange de Theos. Son regard se pose déjà sur Odénaiss, lui avouant silencieusement : « Crois-tu vraiment que je vais transporter ce paquet sans découvrir ce qui se cache à lintérieur ? » Sans doute essayera-t-elle de len dissuader. Quoique, elle est imprévisible.
Avranches , nous nous y rendrons !
Odenaiss
Son regard sabattant sur la face du Nantais, cest à peine pourtant si elle prend en considération les paroles quil lui adresse. Rapidement, elle balaye de son esprit les sous entendus fantasmagoriques de lindividu. Comme si elle était du genre à se coucher au côté dhomme qui veuille. Il ny avait bien quen rêve que pareille chose puisse arriver. Le seul qui puisse bien être assuré de la voir se fondre dans sa couche, nétait autre que celui qui venait de faire prisonnière sa main dans la sienne. Aucun besoin de le rassuré en ce sens, elle ne doutait pas quil sache. Contact était là pour len convaincre lorsquil la captura du bout des doigts.
Lesprit de la Brune nassimilait alors plus que lessentiel des informations, se laissant soudainement aller à ses songes.
Erotisation, vénération
Elle finirait par vouer un culte à ces mains qui doucement se décidaient à mettre de côté la retenue des premiers instants, prenant lhabitude de la visiter et de soctroyer la propriété du corps quelles découvraient avec une exaltation non dissimulée. Douce torture dune promiscuité quelle ne peut pour lheure davantage pousser. Pas maintenant et encore moins ici.
Douce douleur que dattendre dêtre sienne à part entière. Sa patience saura payer en amour, désir et volupté. Elle le sait.
A son fantasme de se voir dissipé, le geste du Nantais la tirant définitivement de sa rêverie. Les yeux noirs se posent sur le comptoir, dévisage le propriétaire des lieux et plus encore celle qui se dirige vers eux. Sans plus dintérêt pour sa personne, elle labandonne rapidement détournant le regard, le portant avec bien plus dintérêt sur la bouteille de rhum quelle leur présente et le paquet sur lequel viennent se poser les mains du flibustier.
Elle le reconnait bien là, homme à faire ses propres affaires profitant alors dun service rendu pour se faire rendre la pareille.
Et ce paquet quil leur intime de ne pas ouvrir, que renferme t-il ? Quelque chose quon cherche à sauver ? A moins que se ne soit le contraire et quil ne cherche à sen débarrasser
Osé que de demander à la Brune de ne pas aller fouiner et chercher à savoir ce quil cache. En même temps que le regard dOdénaiss restait accroché au paquet, loreille se tendit le temps dune confidence partagée. La lutte serait de taille pour quelle ne se laisse pas aller à sa curiosité. Car si elle avait un instant compté sur le sérieux de Sa Moitié, elle venait de prendre connaissance de son soudain attrait pour ce quil contenait.
En prenant possession, elle se décida à quitter sa place tout en acquiesçant dun signe de tête venu appuyé ses dires :
-" Tu peux être tranquille
tout sera fait comme tu lentends."
Tête qui se tourne sur Son Ténébreux et prunelles qui linvitent à quitter lendroit sans plus tarder. Dun geste elle lui confit le paquet affichant un dernier salut au Nantais à qui elle tourne rapidement le dos pour séloigner. Lextérieur rejoint, après les lourdes odeurs dalcool, lair qui se faisait encore vif au dehors lui parut délicieux. Si tant est quelle aspira par deux ou trois fois lair marin où sattardait une odeur de sel et dalgues, avec une sorte de volupté.
Déjà la nuit sannonçait et ne tarderait plus à dominer ce quil restait du jour. Avec sa grâce naturelle, elle se tourna alors sur son Autre dans la coulée jaune dune fenêtre éclairée.
- " Ne perdons pas de temps et allons chercher les chevaux. Nous profiterons de la nuit pour voyager."
Theos
Des pensées sulfureuses s'égarent et se fracassent dans l'esprit du jeune arrogant alors qu'il foule le soir aux côtés de sa complice, d'un pas intrépide. Quels sont donc les projets que dissimule Odénaiss ? Vers quels desseins lentraine-t-elle avec autant dassurance ? Le soleil faiblit avec lourdeur dans un ciel vaporeux que seuls quelques oiseaux impertinents et désabusés viennent percer. Un silence troublant, invitant au malaise et à la méfiance règne dans les dédales obscurs de la ville qui sendort. Les bottes, élancées, claquent, et se suivent avec une monstrueuse élégance. Mais l'heure n'est plus à la cérémonie, et déjà, les deux silhouettes séloignent de cette taverne qui transpire la tourmente, la crasse, et le sang.
Comme convenu, un gamin les attend non loin des remparts, aux côtés de deux chevaux robustes et enveloppés dune robe aussi sombre que la nuit. Theos sempresse dattacher le paquet jusqualors caché sous sa cape, le sanglant solidement à la scelle et remettant à plus tard linterdit quil ne manquera pas de franchir en louvrant. Un écu se détache de la main du Prétentieux pour tomber dans celle du jeune garçon qui, très vite, séchappe pour accomplir dautres larcins et répondre aux attentes peu scrupuleuses de son paternel.
Le voyage sannonce étourdissant, les deux cavaliers quittent la ville transportés par un vent de fureur. Les minutes les écartent de lendroit qui a vu naître le projet cultivé par Odénaiss, enfermant toujours un peu plus Theos dans lignorance, alors que laudacieuse muse tait le véritable objet de cette aventure. Autoritaire et orgueilleux, ambitieux et peu sensible aux ordres, lhomme sent un agacement le traverser. Car il déteste senfoncer dans linconnu sans en connaître laboutissement, et que le besoin de tout contrôler, de tout maîtriser, lempêche davancer aveuglément vers une destination dont il ignore le nom.
Et, alors que lhumanité semble avoir déserté les environs, il défie la nervosité des chevaux et attrape les rênes de la monture de son Autre dune main ferme, la forçant à s'arrêter dans cette campagne peu accueillante. Son regard se révèle un brin glacial, mais sapaise en se posant sur les traits de sa compagne.
Il est à présent temps que vous me dévoiliez ce secret que vous protégez depuis tout à lheure. Cet homme, cet échange, ce paquet, ce voyage
Je vous écoute. Où nous rendons-nous? Allons-nous retrouver quelqu'un? Des amis, des proches, des personnes peu fréquentables? Que cachent tous ces mystères?
Leurs jambes se frôlent dans la danse lente des frisons qui napprécient que peu cette halte imposée et qui sefforcent de rester immobiles malgré le sang brulant qui court dans toute leur carcasse. Theos apprivoise le silence, attendant la réponse dOdénaiss.
Theos
Le vent ivre décroche quelques mèches de cheveux du Blond, les entraînant avec frivolité dans une danse nocturne, leur redonnant leur sauvage et leur liberté. Le crépitement des arbres accompagne les paroles dOdénaiss qui semble défier leurs impénétrables murmures. Il lécoute, sans intervenir, sabreuvant de chacun de ses mots, les disséquant pour en puiser le sens et leur insuffler la juste interprétation. Sa question finale le laisse imperturbable, son apparence emprunte les traits de lindifférence. Pourtant, il bouillonne au creux de ses viscères, il crève dun orgueil blessé, dune mauvaise foi qui, loin dêtre taciturne, déplore de ne pas avoir initié plus tôt à lobjet de ce voyage.
Si les propos de Théos savouent incisifs et particulièrement froids, il maîtrise néanmoins son ton et dévoile une voix posée :
Je vous remercie de me dévoiler enfin la teneur de cette aventure. Quitte à sombrer dans une tourmente certaine, autant le faire avec acuité. Non pas que je doute de votre expérience. Seulement, vous semblez me considérer comme un avorton quil faut manier avec précaution, de peur de le choquer ou de le bousculer. Je pense en toute légitimité être capable de mener à vos côtés tels projets, avec transparence, sans nous affabuler de tous ses mystères et de toute cette circonspection qui ne font rien dautres que de magacer.
Il se tait un instant, ravalant lamertume qui monte dans sa gorge. Il nignore pas que ses mots sont injustes, accablants et sous-entendent quOdénaiss a une attitude semblable à celui dune mère pour son fils. Il lui dresse une offense pour laquelle elle pourrait se fâcher à juste titre et cracher tout son mépris. Se rendant compte de la portée de son énervement, regrettant que ses sournoises paroles se soient adressées à Odénaiss de la sorte, il laisse filer un fin soupir entre ses lèvres.
Je ne voulais pas me montrer aussi dédaigneux, jai été maladroit
Seulement, je vous remercie de bien vouloir me tenir informé de la suite des événements au fur et à mesure de son périple. De duo, je ne veux pas entrer avec vous en conflit pour finir en duel.
Il lâche lentement les rênes de la monture de son Autre.
Je suis prêt à vous suivre, je vous fais confiance. Et cest volontiers que jaccepte votre proposition. Cueillir des écus me semble être une activité intéressante. Et jai beau ne pas être spécialement attiré par l'argent
lentreprise me paraît plaisante !
Un craquement de branche attire brusquement lattention de Théos qui retient de justesse son cheval qui a lui aussi été sensible à ce bruit troublant. Dans un murmure, le Ténébreux lance à Odénaiss :
Vous avez entendu? Il semblerait que nous ne soyons pas seuls
Odenaiss
Les paroles fusent. Intentionnel ou non, les mots sont là pour faire mal.
Les iris se figent, mirant le reflet d'une lune austère que lui renvoie un regard couleur d'acier. Mots et regard sont tels des armes, l'un et l'autre se faisant aussi tranchant que des couteaux aux lames acérées.
La bouche ne consent dire mot, mais l'attitude, les gestes parlent d'eux même. Les poings se resserrent, se réappropriant les rênes de sa monture. Les battements de coeur sont violence, les muscles se tendent et la respiration se fait plus profonde sous la nervosité qui se fait naissante et lui fait bouillir les sangs.
Les alarmes naturelles que son corps dégage bien qu'invisible à l'oeil sont perçues de façon immédiate par son destrier qui, sensible à distance, s'exprime pour elle. La bête s'agite, les fers claquent et les antérieurs grattent la poussière qui couvre le sol et s'élève dans les airs.
Elle reconnait bien là la personnalité de son Autre qui autant puisse t-elle se montrer de velours, sait tout autant se montrer dure et insensible. Chez lui, la verve ne se montre pas seule acerbe, c'est l'âme toute entière qui se fait piquante.
La réponse à l'attaque est là, sur le bout de la langue, lui brûlant les lèvres. Mais elle fait d'abord choix de garder le silence. La bouche de la Brune est comme muselée. Elle ne l'interrompra pas préférant l'écouter jusqu'au bout et c'est l'esprit imprégné des derniers mots prononcés et qu'elle aura interprétée comme excuses ayant été faite, qu' elle se décide à parler :
"Soit ! J'envisagerai ne plus faire tant de mystères dorénavant... mais à la seule condition que vous jugiez bon de ne plus vous adresser à moi de la sorte. Je préfère de loin vos doux mots d'amours... Car si le mystère vous agace, sachez qu'il en va de même pour moi quant à cet air et ce ton condescendant auquel je viens d'avoir à faire face. "
L'intérieur bout encore, mais la voix se fait douce. Le calme revient, et avec lui le vent s'est apaisé, comme si la brise avait trouvée bon se reposer maintenant que la tempête verbale entre les deux amants avait trouvé sa fin dans un sourire doucement mais tendrement adressé. Prête à repartir, elle se vit néanmoins stoppée une fois de plus, lorsque l'attention de son Autre se porta sur l'un des sombres endroits qui les entourait. Intriguée, elle se laissa attirée par un second bruissement, celui-ci se faisant plus proche que le précédent. Les yeux se posent sur le sentier qui s'enfonce dans la forêt à peine éclairée d'un rayon de lune, sur la silhouette tortueuse d'un arbre... Craquement d'une branche encore, sensation d'une vie foisonnante et cachée se fait ressentir. Et soudainement une paire d'yeux se dessine, phosphoréscents. La présence d'un loup se devine. Sans quitter la bête du regard la parole s'adresse doucement à Theos :
- "Reprenons la route avant que ce Féal du Diable ne se mette en tête d'avertir ses compagnons de meute et que nous faisions office de repas. On nsait jamais à quoi sattendre avec ce genre de créatures."
Invitation faite à reprendre la route, les cuisses resserrant les flancs des chevaux, les talons vinrent s'abattre franchement ordonnant de partir au galop.
Leur périple venait de débuter et une heure au moins les séparaient encore de la frontière normande.
Theos
Théos accueille les paroles dOdénaiss avec circonspection, sinterdisant toute remarque supplémentaire qui pourrait savouer dévastatrice pour la suite de leur périple. Conscient de la froideur qui lanime parfois et qui écrase toute la bienveillance et la courtoisie quil cherche à préserver, il se sent souvent emporté par une bouillonnante animosité qui vient amplifier ses vices. Il se tait donc. Sa gorge se contracte, un nud se forme pour ne laisser sévader aucun son. Seul un soupir, aussi discret que court, trahit lindifférence qui laccapare. Ignorant toute marque dautorité, la requête de son Autre ne lémeut pas et natteint pas une once de sa sensibilité. Quoique
Provocateur dans lâme, il lui aurait bien répondu : « Oui mon tendre amour au sourire envoutant, ma délicate et séduisante princesse, ma muse ô c combien captivante et attirante
» Un excès de mièvrerie pour lui faire remarquer que les mots damour ne sont pas toujours les bienvenus quand ils sont mielleux et pleins dune médiocrité fétide.
Et très vite, ils séloignent de cette querelle intempestive, abandonnant les loups à la diète et à la fraicheur nocturne. Les branches des arbres les défient, saccrochent à leurs vêtements et plantent des embryons de feuilles, des morceaux de bois et des insectes égarés le long de leurs silhouettes. Le Ténébreux laisse sa Moitié le devancer de quelques mètres et apprécie avec volupté le charme quelle dégage silencieusement, ce maintien quelle déploie avec une aisance sans pareille, cette audace quelle cultive avec entrain. Car malgré ce quil prétend, les femmes de caractère ne le laissent pas indifférent, et, rares étant celles qui osent laffronter, il ne peut quapprécier Odénaiss qui se distingue des autres. Car leurs discussions, conseils et reproches sont toujours riches, raisonnés et respectueux. Quoiquun brin incisifs
La frontière normande
La visite ne sera pas dagrément. Ils laissent cidre et andouilles aux voyageurs les plus casaniers. La main de Théos heurte le mystérieux paquet quil transporte. Sa curiosité linterpelle et lenvie de connaître le secret quil renferme laccapare. Et si cétait une bague ? Il pourrait loffrir à Odénaiss pour leur mariage. Ou bien mieux encore ! Après de douteuses négociations, il pourrait la revendre, toucher une coquette somme décus, acheter un bijou à coût moindre pour son Autre, et faire ainsi un gentil bénéfice. Lidée est splendide mais ne manquera pas dénerver Odénaiss. A éviter.