Danavun
[Aux côté d'Aymon]
« Y'a pas à dire, le canasson c'est tape cul, » pensait Danavun, mal à l'aise. Le roussin qu'on lui avait donné était un avorton, à peine plus haut qu'une mule, mais il lui semblait qu'il chevauchait une montagne en plus agité. Lui qui n'était jamais monté sur autre chose qu'un vieil âne, il se sentait à la fois grand seigneur et malade. Pourtant, à en croire son nouveau maître qui lui avait prêté sa fière monture, il fallait qu'il s'y habitue... de faux médicastre, il était devenu mauvais homme d'armes. Et certes il avait plus l'allure du second que du premier, avec son cuir clouté, sa lance, et sa gueule mauvaise de mauvais drille.
Aymon, à son côté, semblait plus fait à l'exercice, même si son armure trop grande tintinnabulait à chaque pas et que sa monture, mal guidée par un cavalier à moitié aveugle, prenait souvent de s'écarter un peu du chemin. « L'est-y torchée c'canasson-ci ? » se demandait Danavun.
'Du diab' si j'y entend quoi que ce soit à c'te carte. Dis voir, Danavun, tu saurais point te r'pérer dans ce fouillis d'lignes ?
Danavun haussa les épaules, gratta ses joues. Ne sachant lire, il avait fuit toute inscription que ce soit depuis qu'il était au service de son nouveau maître, de peur que l'on découvre sa prime imposture... il avait en effet la pernicieuse impression qu'un médicastre était sensé avoir ses lettres.
Ca doit être l'prochain croisement d'routes. Faut aller là. On d'vrait bientôt apercevoir l'chateau... Tu crois qu'on va vraiment d'voir s'battre, toi ? Passque...les entraînements 'vec messire, c'est bien, mais chuis pas sûr qu'un vrai combat s'passe tout à fait pareil... Qu'essten penses ? Hé ?
D's'un vrai combat, il y a plus de monde, des deux côtés.
« Et j'espère bien qu'il y en aura surtout plus de notre côté, et qu'on pourra se tenir bien à l'arrière des lignes, » pensa-t-il avec un sourire rusé. Dans l'esprit de Danavun, la guerre c'était en sus de la possibilité d'un trépas plus ou moins rapide, bien entendu la perspective d'un éventuel saccage. « Richesses et gonzesses ! » pensait-il le soir en s'allant coucher, pour oublier les maladies, le froid, la faim, les blessures et le reste qu'il n'osait pas nommer.
Mais le principe reste le même. Tu cognes et t'évites de te faire cogner.
Les deux compagnons étaient enfin sortis d'un bois, et au devant d'eux venait d'apparaître un fort château, mis au dessus d'une gorge profonde. Le casque d'Aymon était encore tombé sur ses yeux, aussi il revint à Danavun de le prévenir.
Hardi gamin, le château est en vue !
Se laissant emporter par son enthousiasme, il piqua ses talons dans les flancs de sa rosse, qui en passant en trot manqua de le mettre à terre.