Vahanian
- La réalité finit toujours par nous rattraper. Ce qui nest pas forcément le cas de la sociabilité.
Attitude à laquelle il ne sattendait pas. Parfois, les femmes peuvent encore le surprendre sur des petites choses. Une main qui lui effleure la joue, caresse légère telle une brise qui souffle sur la surface dun lac. Leffet est étrange. Sil avait un jour eu une mère, se serait-il sûrement senti redevenir enfant face à ce geste simple aux contours maternels. Mais là, leffet reste indéfinissable. Une fois de plus. Et puis les lèvres de la Blonde savancent pour sarrêter près de son oreille. Elle veut bien. La question nétait donc pas si terrible. Elle na pas eu lair dy réfléchir beaucoup. Le terme « ami » ne la pas même choquée. Tant mieux. Et soudain une minuscule touche de douceur dans son cou. Depuis combien de temps une femme ne la-t-elle pas embrassé à cet endroit ? Il aurait pu dire une éternité. Mais à bien y réfléchir, ça nétait pas tout à fait le cas. Claire, dont il navait à ce jour aucune nouvelle, Claire y était allée. Ah, souvenirs des sens. Ils sont parfois plus aiguisés que les souvenirs cérébraux.
Vahanian, qui pour ce soir sappelle « François », met donc un tout petit peu plus de temps que sa voisine à sortir de la bulle bienfaitrice de calme. Mais le tavernier qui apporte une bouteille rompt là tout le charme. Un clignement de paupière plus tard, le brun retrouve la salle, les gens, le bruit, les odeurs infâmes. Encore un temps dadaptation et puis il réalise tout à fait. On leur a offert une bouteille. Pour sûr quils vont laccepter. Le Berrichon nest pas du genre à refuser tel présent. Mais il nest pas non plus du genre à considérer que cela lengage à quoi que ce soit envers son généreux donateur. Dailleurs qui est donc cette femme ? La-t-il connu jadis ? Si cest le cas, là, comme ça, elle ne lui dit absolument rien. Dailleurs est-ce vraiment une femme ? Il plisse les yeux dans sa direction. Un homme ? Pourquoi leur offrir cela ? Le brun se fait méfiant. Toute douceur envolée. Il en redevient le bougon, le chiant, le grossier, le rustre, le tout ce que vous voulez. Ou plutôt le tout ce quon prétend quil est.
Il tourne ses iris vers Eliane qui le regarde également. Et sans être doué dune perspicacité extraordinaire, dun sens logique particulièrement aiguisé ni sans sadonner à la sorcellerie pour lire dans les pensées, il devine quelle se pose somme toute la même question. « Quoi quon fait ? » Et cest là une excellente question. Il zyeutte encore linconnue quil range finalement mentalement dans la catégorie des femmes. Il regarde Eliane. Et puis, après tout pourquoi se poser des questions encore ? Il se lève promptement, assuré et se dirige vers loffreuse de bouteille, replaçant ses cheveux dun coup de main expert, au passage.
Il évite le chenapan qui tente de lui piquer sa bourse en feintant le fracassement accidentel contre lui. Et arrive finalement à la table visée. Lair peu commode, comme à chaque fois quil parle à quelquun quil ne connaît pas, il dévisage, de bas en haut, de haut en bas. Un coup dil à la Blonde. Non, il nest pas là pour faire esclandre. Il nest pas là pour se battre pour rien. Il nest pas là pour séduire. Il nest pas là pour mettre une brune dans son lit. Il nest plus là pour ça depuis un moment. Il nest pas là non plus pour se faire virer de taverne sans sommation. Il dirige de nouveau ses billes marron sur la brune.
- Mci pour la bouteille.
Voilà, finalement, tout est dit. Point. En fait, il na même pas envie de savoir le pourquoi du comment. Il sen fout. Si elle a de largent à claquer pour rien après tout. Cest son problème. Non ? Déjà, il tourne les talons. Quon le regarde, quon les regarde, quon pense sur eux, quon dise sur eux. Il sen moque. Ou comme il dit souvent, il sen cogne. Mais ils ne sont pas là pour servir de bête de foire ou de sujets dexposition, disponibles pour quelque étude ou quelque étrange perversité. Du moins nest-ce pas ainsi quil voit sa soirée. Alors quoi, partir ? Déjà ? Encore ? Il regarde la Blonde, en quête dune réaction, dune parole, dune décision, dune indication denvie quelconque. Puisquon ne le dira jamais assez, lui sen fout