Anaon
- La mie nuit est passée. L'air est sirupeux, poisseux de cette brume qui envahit les dédales de la villes. Elles ont troqué le crachin de Saumur pour la brouillasse de Craon et ses gouttes perdues qui s'échouent dans les torchères en retombées chuintantes. A leurs pied, c'est le ballet des spectres vaporeux qui leur baisent les chevilles et dépose sur leurs manteau une fine poussière liquide. Les jours en Anjou ne sont rythmés que par le bruine céleste ou la danse monotone de la brume lancinante. Jours gris et sombres nuits. La lune se voile à demi, bien lovée dans l'écrin de nuages opaques qui lui font une paupière d'ombres. Et sous le couvert des arbres qui bordent la battisse, à l'abri du halo chatoyant des torches murales, les azurites guettent, immobiles.
Ce n'avait été qu'un délire. Des parole ivres issues d'un ressentit commun. Blasphèmes lâchés dans un rire, des mots aux relents d'hypocras et aux accents d'amertume. Une pensée sans porté, mais le sommeil qui avait succédé la beuverie n'avait sut les effacer. L'ivresse avait gravé dans les âmes des stigmates tenaces. Une lubie folle, au parfum de délivrance. Et de vengeance...
Sous la cape, les doigts aguerris se resserrent sur le bois de l'arbalète. Ça avait été comme une démangeaison. Puis çà devint une obsession. Ça lui picotait les doigts, lui titillait l'âme. Pareille à une entaille sur le palais. Il suffirait de cesser de la lécher pour la faire cicatriser... Mais on ne peut pas. Plus on y pense plus, plus çà irrite. L'exacerbation d'une haine. L'idée avait occupé ses pensées et hanté les leurs. C'est alors que de mot en mot, la lubie devint acte.
Un regard se lève brièvement dans l'embrun du ciel avant de retourner se river sur le flanc de l'Eglise. Elles n'agissaient pas à l'aveuglette. A la leur du jour, elles avaient repéré le terrain, mais c'est à la faveur de la nuit qu'elles se feront Sacrilèges. Bref frisson qui vient ébranler la peau martyrisée. Rien d'agréable, mais de viscérale. Au regard des pierres, c'est autant de cicatrice qui se ré-ouvrent et qui suintent leur humeurs purulentes. Elle avait laissé les plaies s'envenimer sans jamais chercher à en crever les abcès, cadenassant sa haine au lieu de l'épancher. Et si son aversion ne s'était jamais tari avec le temps, l'Anaon n'avait jamais cherché pour autant à déverser son fiel sur ces pierres grises qu'elle a en horreur.
Peu savent la raison d'être de la mercenaire. Pour ne pas dire personne. Ce n'est qu'une armure fêlée, animée par la seule mécanique de la haine. Elle dirige ses pas, ses gestes, la femme lui est esclave malgré elle. Si elle avait toujours ardemment cherché à retrouver les mains coupables de sa torture, elle s'était inconsciemment détournée de la prime responsable de sa déchéance. L'Église et son Inquisition.
Au nom d'un Unique, on a violé son visage et profané sa peau. On lui a arraché ce quel avait de plus cher, on l'a battue et saccagé sa maison. Au nom de l'Unique elle a été détruite. Une injustice des plus impardonnables aux yeux de la païenne qui avait toujours fait selon les lois, embrassan sa foi uniquement dans le privée. L'Église avait pourtant bafoué son droit. Alors aujourd'hui, l'hérétique se fera Outrage. La culpabilité viendra après le châtiment.
Doucement, elle souffle sur une mèche d'un châtain foncé qui lui chatouille le nez puis la balafrée se tourne calmement vers ses deux comparses. Un regard se porte tour à tour sur Cerdanne et Eliane. Chacune motivée par leurs propres raisons, mais toutes deux animées de la même motivation. Sous la cape, les doigts s'activent, bandant l'arbalète dans un cric des plus significatifs.
_ Par la porte du transept, comme prévu. Je te couvre.
Murmure audible seul des deux femmes. A cette heure tardive, le plus fidèle des croyants dort déjà sur ses deux oreilles, la maréchaussée est passée un peut plus tôt pour sa ronde... Hors de question pour autant de s'attaquer à la porte principale.
Un pas et la balafrée vient déchirer le voile vaporeux qui drape leur chevilles. De la fente de la cape se révèle le métal. A demie-couverte, à demie révélée, l'arbalète se tient prête à cracher son carreau.
Cette nuit, les femmes se feront l'égale de Dieu. Au Miséricordieux d'expier ses infamies. Aux profanes de punir, au divin de payer. Cette nuit, la haine sera maitresse.
Soumettons-nous à nos tentations
Et délivrons-nous du mal.
Amen.