Gnia
[27 avril 1460 - Bourgogne - Castel de Digoine - A la pique du jour.]
Assise sur l'un des bancs que l'on avait disposés dans la grande salle du castel de Digoine, Agnès observait les derniers détails apportés à la transformation de la pièce de vie du château en lieu de culte.
La lumière naissante du jour filtrait au travers des étroites fenêtres qui tentaient vainement d'éclairer la salle et auxquelles l'on avait dû adjoindre grand renfort de candélabres et lanternes qui illumineraient le lieu le moment venu.
La jonchée venait d'être faite, apportant avec elle les senteurs du printemps naissant au travers de l'herbe fraîchement coupée qui recouvrait les dalles.
Quelques bancs faisaient face à l'imposante cheminée devant laquelle l'on avait dressé une étroite table couverte d'un linge immaculé.
Un lutrin en bois patiné complétait l'austère tableau.
Un épais manuscrit richement relié reposait sur les genoux comtaux, tandis que les doigts tapotaient nerveusement la couverture de cuir. Ils s'interrompaient parfois pour venir pincer nerveusement la fine cicatrice qui ourlait le bas de la joue droite avant de reprendre leur sarabande, accompagnés par quelques quenottes blanches qui venaient torturer la lèvre inférieure.
Oui, Son Infâme Grandeur Agnès de Saint Just angoissait.
Elle devait aujourd'hui officier le culte pour le jour des humbles et être le témoin terrestre de l'union de ses deux vassaux.
Bien sûr, il n'y aurait guère foule et donc peu de regards et d'oreilles scrutateurs, mais c'était une première pour la réformée clandestine, habituée à conserver son babillage avec pour auditeur exclusif le Très Hauct et parfois quelques proches.
Là il s'agissait de captiver un public recueilli de fervents huguenots, limite de la frange la plus dure et zélée issue de Montauban.
Finalement l'idée même d'afficher devant une poignée sa foi pourtant bien cachée ne l'inquiétait pas outre mesure. Et le cruel dilemme du choix des lectures et des mots qu'elle devrait prononcer l'avait emporté sur cette prime anxiété.
Il n'y avait guère d'indiscrétions à craindre à Digoine, même avec le soudain afflux de bras qui continuaient de venir porter leur soutien au Roy légitime de France.
Agnès exhala un profond soupir qui résonna dans la vaste pièce d'où l'on avait exclu toute richesse par trop ostentatoire - ce qui s'était avéré aisé dans cette forteresse construite pour la guerre et dont le seigneur avait conservé l'usage.
Elle s'ébroua enfin et après un dernier regard panoramique, referma l'huis derrière elle.
Il restait à passer aux cuisines pour veiller à ce que le banquet donné après la cérémonie soit diamétralement opposé au dépouillement du culte.
C'est que l'on recevait une belle brochette de spécimens ayant quelques difficultés avec le verset 14 de la Conduite d'Averroès.
"Et l'Unique nous a donné beaucoup. Et il nous a appris que la tranquillité de l'âme provient de la modération dans le plaisir. "
La modération...
Vaste programme.
Et il restait à s'habiller.
Et à veiller à ce que ses vassaux trouvent en ce jour la félicité qu'ils méritaient.
[Même jour - Mêmes lieux - Entre chiens et loups.]
Etrangement, à la lueur des centaines de flammes vacillantes des bougies, la grande salle visitée le matin semblait s'être animée d'une vie propre.
Si à la lumière du jour, sa simplicité monacale avait conféré à Agnès une solitude propice à retrouver un semblant de sérénité, à la tombée du jour, éclairée de milles étoiles, la froideur des murs de Digoine étaient réchauffée par une atmosphère propice à la communion avec l'Unique.
Les lourdes portes de la grand salle avaient été ouvertes, attendant les coreligionnaires qui uniraient leurs voix pour les porter vers Lui. Evidemment, assisteraient également à l'office et au mariage les suzerains respectifs des deux nobles en vedette ce jour, qui n'étaient visiblement pas de la Nouvelle Opinion, mais l'on aurait pu difficilement imaginer que l'office se tienne sans eux.
Agnès s'était postée derrière son lutrin, les yeux clos, tentant de calmer les battements de son coeur. Elle triturait machinalement la longue ceinture qui ceignait ses hanches jusqu'à récupérer l'ichtus qui la terminait entre ses doigts.
Une tenue sans ostentation quoique probablement trop riche aux yeux des puristes, mais lorsque l'on était Reyne, même simple lectrice et témoin d'une communauté à l'austérité mainte fois éprouvée, l'on n'en demeurait pas moins attachée aux belles choses et aux marques de son rang.
Une servante vint déposer sur la table une aiguière en métal brossé contenant du vin et une planche de bois supportant une épaisse miche de pain à la croute dorée sortant du four. Le mouvement pourtant discret tira la Comtesse de ses pensées.
Elle secoua légèrement la tête et redressa le menton vers les portes, guettant d'un regard où avait disparu toute trace d'anxiété l'arrivée des invités, du seigneur des lieux, du futur et évidemment de l'épousée.
*[hrp : Fête huguenote]
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Assise sur l'un des bancs que l'on avait disposés dans la grande salle du castel de Digoine, Agnès observait les derniers détails apportés à la transformation de la pièce de vie du château en lieu de culte.
La lumière naissante du jour filtrait au travers des étroites fenêtres qui tentaient vainement d'éclairer la salle et auxquelles l'on avait dû adjoindre grand renfort de candélabres et lanternes qui illumineraient le lieu le moment venu.
La jonchée venait d'être faite, apportant avec elle les senteurs du printemps naissant au travers de l'herbe fraîchement coupée qui recouvrait les dalles.
Quelques bancs faisaient face à l'imposante cheminée devant laquelle l'on avait dressé une étroite table couverte d'un linge immaculé.
Un lutrin en bois patiné complétait l'austère tableau.
Un épais manuscrit richement relié reposait sur les genoux comtaux, tandis que les doigts tapotaient nerveusement la couverture de cuir. Ils s'interrompaient parfois pour venir pincer nerveusement la fine cicatrice qui ourlait le bas de la joue droite avant de reprendre leur sarabande, accompagnés par quelques quenottes blanches qui venaient torturer la lèvre inférieure.
Oui, Son Infâme Grandeur Agnès de Saint Just angoissait.
Elle devait aujourd'hui officier le culte pour le jour des humbles et être le témoin terrestre de l'union de ses deux vassaux.
Bien sûr, il n'y aurait guère foule et donc peu de regards et d'oreilles scrutateurs, mais c'était une première pour la réformée clandestine, habituée à conserver son babillage avec pour auditeur exclusif le Très Hauct et parfois quelques proches.
Là il s'agissait de captiver un public recueilli de fervents huguenots, limite de la frange la plus dure et zélée issue de Montauban.
Finalement l'idée même d'afficher devant une poignée sa foi pourtant bien cachée ne l'inquiétait pas outre mesure. Et le cruel dilemme du choix des lectures et des mots qu'elle devrait prononcer l'avait emporté sur cette prime anxiété.
Il n'y avait guère d'indiscrétions à craindre à Digoine, même avec le soudain afflux de bras qui continuaient de venir porter leur soutien au Roy légitime de France.
Agnès exhala un profond soupir qui résonna dans la vaste pièce d'où l'on avait exclu toute richesse par trop ostentatoire - ce qui s'était avéré aisé dans cette forteresse construite pour la guerre et dont le seigneur avait conservé l'usage.
Elle s'ébroua enfin et après un dernier regard panoramique, referma l'huis derrière elle.
Il restait à passer aux cuisines pour veiller à ce que le banquet donné après la cérémonie soit diamétralement opposé au dépouillement du culte.
C'est que l'on recevait une belle brochette de spécimens ayant quelques difficultés avec le verset 14 de la Conduite d'Averroès.
"Et l'Unique nous a donné beaucoup. Et il nous a appris que la tranquillité de l'âme provient de la modération dans le plaisir. "
La modération...
Vaste programme.
Et il restait à s'habiller.
Et à veiller à ce que ses vassaux trouvent en ce jour la félicité qu'ils méritaient.
[Même jour - Mêmes lieux - Entre chiens et loups.]
Etrangement, à la lueur des centaines de flammes vacillantes des bougies, la grande salle visitée le matin semblait s'être animée d'une vie propre.
Si à la lumière du jour, sa simplicité monacale avait conféré à Agnès une solitude propice à retrouver un semblant de sérénité, à la tombée du jour, éclairée de milles étoiles, la froideur des murs de Digoine étaient réchauffée par une atmosphère propice à la communion avec l'Unique.
Les lourdes portes de la grand salle avaient été ouvertes, attendant les coreligionnaires qui uniraient leurs voix pour les porter vers Lui. Evidemment, assisteraient également à l'office et au mariage les suzerains respectifs des deux nobles en vedette ce jour, qui n'étaient visiblement pas de la Nouvelle Opinion, mais l'on aurait pu difficilement imaginer que l'office se tienne sans eux.
Agnès s'était postée derrière son lutrin, les yeux clos, tentant de calmer les battements de son coeur. Elle triturait machinalement la longue ceinture qui ceignait ses hanches jusqu'à récupérer l'ichtus qui la terminait entre ses doigts.
Une tenue sans ostentation quoique probablement trop riche aux yeux des puristes, mais lorsque l'on était Reyne, même simple lectrice et témoin d'une communauté à l'austérité mainte fois éprouvée, l'on n'en demeurait pas moins attachée aux belles choses et aux marques de son rang.
Une servante vint déposer sur la table une aiguière en métal brossé contenant du vin et une planche de bois supportant une épaisse miche de pain à la croute dorée sortant du four. Le mouvement pourtant discret tira la Comtesse de ses pensées.
Elle secoua légèrement la tête et redressa le menton vers les portes, guettant d'un regard où avait disparu toute trace d'anxiété l'arrivée des invités, du seigneur des lieux, du futur et évidemment de l'épousée.
*[hrp : Fête huguenote]
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