--Maybel
[Dans la forêt languedocienne, non loin d'une ville]
La petite marchait. La petite avait marché depuis ce qu'il lui semblait une éternité! Le sol caillouteux des forêts languedociennes écorchait ses pieds chaussés de vieilles poulaines usées et trouées et ses pieds étaient à vifs. Elle boitillait légèrement, dos un peu vouté, buste penché en avant, bras droit pendant le long de son corps fourbu. Dans son malheur, une chose la poussait à continuer, et même à sourire.
Elle ne nommait Maybel. Elle avait neuf ans mais était bien petite et menue pour son âge. Elle était née rousse et son père l'avait méprisée dès qu'il avait réalisé que ses prières restaient sans effets. Les yeux de Maybel étaient petits et ronds, se finissant en amande. Son front était haut et son teint très pâle, comme toute rousse. Les rouquines, chose rare en ce pays d'Oc aux influences latines.
Quoiqu'il en soit, Maybel avait dû partir, seule. Et saccommoder de son nouvel handicap. La fillette avait autrefois deux petites mains à cinq doigts à la peau fine. Or, il ne lui en restait qu'une. Son bras droit se terminait par un moignon violacé, néanmoins en voix de guérison. Avec sa main droite en moins, il n'avait pas été aisé pour elle de boire à son outre d'eau, ni même de se nourrir de la miche de pain dont il lui restait un bout minuscule dans son petit baluchon.
Voilà plusieurs longs jours qu'elle avait dépassé le chapelets de villages, dont celui qui l'avait vue naître à des jours de marche à l'ouest. On lui avait conseillé d'aller loin à l'est. Il y avait longtemps que Maybel n'avait vu âme qui vive, si éloignée des habitations.
Alors qu'elle allait perdre espoir, toute seule dans la nuit macabre des bois, quelque chose était venue à elle et lui avait touché son moignon, lui tirant des hurlements de terreurs. A l'aube naissante, elle avait distingué l'objet de ses craintes avec un grand sourire attendri. Elle avait alors tendu la main.
_ Viens, petit chien.
Elle s'adressait à un jeune animal gris aux reflets beiges à la toison duveteuse et si douce... Sa truffe était aussi noire que ses yeux ronds et ses oreilles ne tombaient pas comme les autres chiens. Maybel fut sous le charme et alla même jusqu'à lui donner un peu de sa précieuse eau. La fillette le prit dans ses bras sans se demander ce qu'il faisait là, s'il avait une maman ou un propriétaire et continua sa rude marche, bien plus gaie. Elle racontait sa vie au chiot et même aux arbres.
Un nouveau jour passa et l'étrange chiot ne quittait pas Maybel, qui le surnommait "cadeau de Dieu" car il lui avait redonné espoir et courage. Ce dernier galopait gaiement, et une fois, lorsqu'il disparût de sa vue, Maybel eut peur qu'il ne l'abandonne et se jeta à sa poursuite... Pour le découvrir en train de ronger une carcasse de lièvre pourrissante. Mais après son écurant repas, il revint auprès de la fillette.
Toujours dans la forêt, Maybel avait mangé son dernier quignon de pain rassit et s'affaiblissait. Elle ramassait des pignons de pommes de pin mais sans sa main droite, c'était difficile.
Elle ignorait que, pas si loin se trouvait un village.