Elle se remplit, oui, la taverne.
Le froid mordant, l'ambiance silencieuse. Jusqu'à ses pas sur le dur pavé, qui résonnent et la poursuivent. La ville semble gelée.
Mais Ekate, elle, ne l'est pas. Bien que peu et fort mal vêtue, bien que peu grasse aussi, elle résiste. Elle ne sait elle-même pas pourquoi. Le froid ne l'atteint pas, ni non plus la morosité ambiante. Tellement jeune! Son âme lisse n'accroche pas le mal.
L'air lui fait écho, que rien ne fait vibrer en cette heure.
Rien ne retient ses cheveux, et ils enveloppent son visage d'une masse protectrice. Rien ne retient son souffle, qui trace de jolie volutes. A quelques pas de sa destination, elle distingue une silhouette collée aux vitres.
Elle ne la reconnait pas. Mais c'est une femme, elle en jurerait. Et pourquoi resterait-on dehors, lors que dedans, un feu brûle, qui réchauffe? Ekate ne comprend pas, mais elle se le demande, en parcourant les derniers mètres. Bien sûr, elle n'osera pas interpeller l'inconnue. Bien sûr, elle ne saura jamais.
Mais tandis qu'elle la croise, elle qui fuit, elle voit son visage.
Sa bulle éclate, et son bien-être vole en éclats. Il existe donc des gens qui portent tant en eux, que leur être semble le raconter? Elle est niaise Ekate, préservée. Et l'idée même qu'on puisse tant souffrir lui est étrangère.
Cette image se grave, d'un trait. Ce beau visage.
Contre elle, elle sert létole qui la protège si peu. Et contre elle, elle aurait bien serrée l'inconnue. Réflexe d'enfant qui a souvent connu les bras de sa mère. Elle se retourne, Ekate, pour la voir filer, alors qu'elle ouvre la porte de la taverne. Si seulement un son pouvait sortir de sa gorge. Peut-être faudrait-il être bien plus fort qu'elle ne l'est, pour savoir couper le chemin de cette femme.
Sans qu'elle s'en soit rendue compte, elle a dit quelque chose, mais quoi? Assez fort? Elle en doute.
Elle entre, si doucement. Elle entre comme on renonce. Et elle oublie presque aussi vite, ne gardant en elle qu'une trace douce-amère de cette infime rencontre, et l'image.
Le feu l'invite, elle le rejoint, il l'enveloppe de sa douce présence.
Posant létole, rejetant les boucles noires qui lui dansent devant les yeux, elle fait corps avec le silence presque gai qui résonne entre les murs comme tout autant avec les conversations en cours. Elle s'en fiche, Ekate, elle est bien là. Visage pur, regard tendre, corps vierge, elle reforme sa bulle.