Chabert
[Ce RP est ouvert à condition que vous respectiez lendroit In Game où se trouve mon personnage. ]
Il y avait un monde entre le Languedoc et la Guyenne, et pourtant, il lavait franchi. Il lavait franchi dautant plus vite quil lui avait fallu passer par le Comté de Toulouse, et déambulant dans les ruelles à peine ébauchées de la Teste-de-Buch, il y repensait, ressassant encore et toujours le passé quil avait pourtant voulu mettre derrière lui en quittant Aguilar et les tombes de ses ancêtres. Instinctivement la comparaison se fit dans son esprit à voir les maisons basses et blanchies à la chaux, les cabanes en bois des pêcheurs, loin dans sa mémoire, vivotaient les souvenirs dun imposant château barrant le col de l'Extrême, la vallée du Verdouble et le Vingrau, surplombant fièrement la plaine de Tuchan. Aguilar quon avait laissé en paix quand les croisés avaient tout saccagé des décennies auparavant, quon avait laissé retourner au silence bien après que les derniers Parfaits aient été massacrés, dont son propre ancêtre. A côté de lui, des enfants crièrent, il sourit conscient dêtre dans leur passage alors même quils devaient mimer quelque épopée, les longues mains calleuses se resserrèrent sur les rênes du destrier quil menait à sa suite pour dégager lartère. Son enfance avait été passée à se terrer puisque toute sa famille nétait pas rentrée dans les bonnes grâces de la Royauté, puisque ceux qui avaient conservé la mémoire navaient jamais renié ce qui avait fait des albigeois un peuple fier.
Soudain, des pleurs, devant lui une fillette venait de tomber. Etrange moment hors du temps que celui où limposante carcasse se plia sur elle-même pour se pencher vers lenfant et la relever avec douceur, au loin, un cri terrifié et déjà, il vit arriver sur lui une femme aux mèches éparses et à la dentition douteuse, et quand bien même était-elle moche, que le regard terrifié de la femme lui fit lâcher lenfant une fois celle-ci stabilisée sur ses deux jambes.
_ Passe ton chemin la mère. Je ne lui veux pas de mal à ta drôle.
Et qui laurait cru à le voir ainsi dégoulinant deau puisque le ciel crachait sa colère depuis des jours, pas un seul jour de répit depuis son départ dAguilar, pas un seul moment de soleil comme si Eulàlia avait emporté dans la tombe les derniers rayons de soleil sur terre, comme si en séteignant le regard dor avait éteint à tout jamais lastre brûlant. Et cest parce que la seule personne le rattachant aux Corbières était morte, quil avait quitté sa terre natale. Eulàlia, morte, il navait plus rien à faire là-bas où plus rien nexistait que la mémoire des temps ancestraux. Déjà la femme et sa progéniture étaient oubliées, il revit le corps abîmé de sa sur, il revit ses traits diaphanes déformés par la douleur. Ils navaient rien vu venir, tout à lannonce des fiançailles prochaines dEulàlia avec un petit seigneur du coin, elle ne sétait pas plainte quand elle avait eu froid, puis chaud, elle navait pas pleuré quand le mal rongeait ses chairs, et le médecin avait été clair à ce sujet, nul ne réchappait du Feu Sacré. Eulàlia avait emporté avec elle tout ce qui était bon sur la terre, et le soleil, en sus, et ce fut ainsi, recouvert dune pélerine dégorgeant deau autant que possible, les cheveux et la barbe rendus plus sombres encore par la pluie, quil avisa une auberge. Une dernière fois, il vérifia que lharnachement était bien attaché et à un môme qui passait par là, il jeta une pièce dun écu pour quil accepte de jeter un il sur lanimal. Le paquetage accroché sur le dos de lanimal vint atterrir sur son épaule, et lépée jusqualors, attachée à la selle, vint regagner sa place à sa hanche dans son fourreau. Et comme pour se donner du courage, le voilà qui se mit à chanter.
_ Et diran qui es morto aqui ? Et diran qui es morto aqui ? Aco es la paouvro Joana(1)
Entrant dans la taverne, il avisa les occupants rapidement, quelques voyageurs détrempés comme lui, un ou deux paysans à la mine agacé à la vue dun nouvel étranger, une femme entrain de remuer le souper dun air déterminé, envoyant par là-même des effluves alléchantes en sa direction, quel homme digne de ce nom cracherait sur une écuelle de hochepot ? Et plus que tous, cest le tenancier la bouteille à la main, qui attira son attention alors quil se laissait aller sur un tabouret. Plus tard, il faudrait dormir et partager sa paillasse avec des inconnus, mais pour lheure, il pouvait sautoriser ce repos tant mérité après dix jours entiers de marche.
_ Lhomme, dis voir, sers moi donc un verre de clairet.
Voilà comment un homme si droit dordinaire se retrouva relégué au statut de mortel, cela commença par un aubergiste qui ôtait le chiffon noué fermant la bouteille dun vin au miel et aux épices.
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(1) "Et diront : qui est mort ici ? Et diront : qui est mort ici ? Ca, c'est la pauvre Jeanne", extrait de Lo Boièr (Le Bouvier).
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- Guyenne, le berceau dAliénor.
Il y avait un monde entre le Languedoc et la Guyenne, et pourtant, il lavait franchi. Il lavait franchi dautant plus vite quil lui avait fallu passer par le Comté de Toulouse, et déambulant dans les ruelles à peine ébauchées de la Teste-de-Buch, il y repensait, ressassant encore et toujours le passé quil avait pourtant voulu mettre derrière lui en quittant Aguilar et les tombes de ses ancêtres. Instinctivement la comparaison se fit dans son esprit à voir les maisons basses et blanchies à la chaux, les cabanes en bois des pêcheurs, loin dans sa mémoire, vivotaient les souvenirs dun imposant château barrant le col de l'Extrême, la vallée du Verdouble et le Vingrau, surplombant fièrement la plaine de Tuchan. Aguilar quon avait laissé en paix quand les croisés avaient tout saccagé des décennies auparavant, quon avait laissé retourner au silence bien après que les derniers Parfaits aient été massacrés, dont son propre ancêtre. A côté de lui, des enfants crièrent, il sourit conscient dêtre dans leur passage alors même quils devaient mimer quelque épopée, les longues mains calleuses se resserrèrent sur les rênes du destrier quil menait à sa suite pour dégager lartère. Son enfance avait été passée à se terrer puisque toute sa famille nétait pas rentrée dans les bonnes grâces de la Royauté, puisque ceux qui avaient conservé la mémoire navaient jamais renié ce qui avait fait des albigeois un peuple fier.
Soudain, des pleurs, devant lui une fillette venait de tomber. Etrange moment hors du temps que celui où limposante carcasse se plia sur elle-même pour se pencher vers lenfant et la relever avec douceur, au loin, un cri terrifié et déjà, il vit arriver sur lui une femme aux mèches éparses et à la dentition douteuse, et quand bien même était-elle moche, que le regard terrifié de la femme lui fit lâcher lenfant une fois celle-ci stabilisée sur ses deux jambes.
_ Passe ton chemin la mère. Je ne lui veux pas de mal à ta drôle.
Et qui laurait cru à le voir ainsi dégoulinant deau puisque le ciel crachait sa colère depuis des jours, pas un seul jour de répit depuis son départ dAguilar, pas un seul moment de soleil comme si Eulàlia avait emporté dans la tombe les derniers rayons de soleil sur terre, comme si en séteignant le regard dor avait éteint à tout jamais lastre brûlant. Et cest parce que la seule personne le rattachant aux Corbières était morte, quil avait quitté sa terre natale. Eulàlia, morte, il navait plus rien à faire là-bas où plus rien nexistait que la mémoire des temps ancestraux. Déjà la femme et sa progéniture étaient oubliées, il revit le corps abîmé de sa sur, il revit ses traits diaphanes déformés par la douleur. Ils navaient rien vu venir, tout à lannonce des fiançailles prochaines dEulàlia avec un petit seigneur du coin, elle ne sétait pas plainte quand elle avait eu froid, puis chaud, elle navait pas pleuré quand le mal rongeait ses chairs, et le médecin avait été clair à ce sujet, nul ne réchappait du Feu Sacré. Eulàlia avait emporté avec elle tout ce qui était bon sur la terre, et le soleil, en sus, et ce fut ainsi, recouvert dune pélerine dégorgeant deau autant que possible, les cheveux et la barbe rendus plus sombres encore par la pluie, quil avisa une auberge. Une dernière fois, il vérifia que lharnachement était bien attaché et à un môme qui passait par là, il jeta une pièce dun écu pour quil accepte de jeter un il sur lanimal. Le paquetage accroché sur le dos de lanimal vint atterrir sur son épaule, et lépée jusqualors, attachée à la selle, vint regagner sa place à sa hanche dans son fourreau. Et comme pour se donner du courage, le voilà qui se mit à chanter.
_ Et diran qui es morto aqui ? Et diran qui es morto aqui ? Aco es la paouvro Joana(1)
Entrant dans la taverne, il avisa les occupants rapidement, quelques voyageurs détrempés comme lui, un ou deux paysans à la mine agacé à la vue dun nouvel étranger, une femme entrain de remuer le souper dun air déterminé, envoyant par là-même des effluves alléchantes en sa direction, quel homme digne de ce nom cracherait sur une écuelle de hochepot ? Et plus que tous, cest le tenancier la bouteille à la main, qui attira son attention alors quil se laissait aller sur un tabouret. Plus tard, il faudrait dormir et partager sa paillasse avec des inconnus, mais pour lheure, il pouvait sautoriser ce repos tant mérité après dix jours entiers de marche.
_ Lhomme, dis voir, sers moi donc un verre de clairet.
Voilà comment un homme si droit dordinaire se retrouva relégué au statut de mortel, cela commença par un aubergiste qui ôtait le chiffon noué fermant la bouteille dun vin au miel et aux épices.
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(1) "Et diront : qui est mort ici ? Et diront : qui est mort ici ? Ca, c'est la pauvre Jeanne", extrait de Lo Boièr (Le Bouvier).
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