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Info:
Histoire de retrouvaille et de découverte. Le retour au monde d'une fleur de Couvent.

[RP] L'envol de la tourterelle

--Blichilde
[Dans un couvent occitan, par une journée pluvieuse de mai]

Vêtue de blanc de la tête aux pieds, une croix de fer au cou oscillant au rythme de ses pas, la novice avançait d'un pas lent et mesuré aux côtés de ses compagnes moniales. Elles revenaient de la chapelle où elles avaient chanté pour la troisième fois de la journée. À cette heure, elles s'en allaient toutes à la salle commune pour manger leur maigre repas composé de bouillie d'orge et de poisson séché. Ensuite, elles s'en iraient vaquer à leurs différentes tâches en silence. Cette routine se répétait pour Blichilde depuis aussi longtemps qu'elle pouvait se souvenir. Entrée au couvent comme pensionnaire à l'âge de cinq ans comme plusieurs jeunes filles issues de la noblesse, elle n'en était jamais ressortie. Existence morne, chaste et grise comme le ciel en ce matin de mai. Certes elle était instruite, nourrie, logée. Mais elle voulait plus. Elle avait toujours voulu plus.

À chaque occasion qui se présentait, la jeune femme prenait la poudre d'escampette. Vite remarquée parmi la foule, fantôme blanc au milieu d'une masse bigarrée, on la saisissait par le bras et la ramenait au couvent. Alors elle se faisait punir par la mère supérieure. C'était d'ailleurs ce qui allait arriver à nouveau aujourd'hui.

«Bouse! M'ont vue sortir de la cour ce matin... Saleté de robe blanche!» pensa-t-elle.

-Demoiselle Blichilde Lablanche? Veuillez aller rejoindre notre Mère. Elle vous attends. Lança la voix nasillarde de la soeur portière.

S'exécutant, la jeune femme marcha d'un pas rapide vers le bureau trop souvent visité. Poussant la lourde porte cloutée, elle pénétra dans la pièce éclairée par un soleil malade. Derrière un grand bureau de chêne trônait une femme grasse, engoncée dans sa robe de nonne.

-Vous voilà encore ici! Demoiselle, vous me décevez. Vous décevez aussi notre Seigneur! Désobéissante, menteuse, paresseuse! Qu'allons nous faire avec vous?

La matrone lui fit les gros yeux.

-D'abord, vous quittez nos murs sans demander la permission et ce, depuis des années malgré le fouet dont vous avez tâté plusieurs fois!

La jeune femme restait silencieuse, se retenant de rire au visage de la bonne femme. Le fouet. Elle avait presque toujours réussi à amadouer son bourreau à grands renforts de larmes et de supplications.

-Ensuite, second doigt levé, elle comptait sur sa main pour mettre l'accent sur les fautes commises par Blichilde. Ensuite, le bedeau vous a surpris en train d'embrasser le fils du garçon d'écurie! Ce dernier vous avait en plus offert de la bière! Honte à vous ma fille!

Profond soupir.

-Vous n'avez pas l'étoffe d'une religieuse, ma fille. Et vous commettrez bien plus de péchés en ces murs qu'à l'extérieur. Rentrez chez vous. J'ai écrit à votre soeur, la donà Exaltation. L'on viendra vous chercher pour vous ramener à Orléans. Maintenant, sortez.


[Quelques jours plus tard...]

C'était donc vrai. De bon matin, après Matine on était venue la quérir pour qu'elle rende toutes ses possessions religieuses: la robe de novice, la croix, le missel. Sur sa couche pareilles à la trentaine d'autres couches du dortoir était déposé une robe de laine écru. Sa première tenue laïque depuis son entrée au cloître. Ainsi donc, Blichilde n'était plus forcée de prononcer ses voeux, de se couper les cheveux et de vivre dans le silence pour le reste de ses jours? Oh joie, oh allégresse! Marchant d'un pas léger, elle descendit pour la dernière fois le large escalier de pierre grise qui menait à la porte principale. Dans la cour, deux chevaux attendaient. C'est avec l'excitation d'un enfant que la jeune femme accourut dehors. Elle reverrait son frère et ses soeurs dont elle gardait un très vague souvenir.

Exécutant une petite révérence à l'intention de l'homme près des chevaux, elle s'adressa à lui:

-Bonjorn messire. Ainsi, c'est donc vous qui me ramenez chez moi?

Sourire timide.

-J'en suis ravie.

Un dernier regard à sa prison et la jeune femme s'empressa d'accepter le bras de l'homme pour grimper sur le cheval.
Ectelion.le.noir
    [ Sur les Terres des Lablanches d'Abancourt.]


Ectelion était a sa lecture des derniers traités et fadaises qu'avaient put sortir les têtes couronnés du Royaume des Lys, quand soudain, un valet vient le trouver, le Noir avait prit la sale habitude de faire lire le courrier de sa cousine – belle-sœur, il aimait savoir tout ce qui se tramait sous le toit qu'il avait au dessus de la tête. Qu'elle le découvre ou non, il n'en avait que cure, elle et lui ne serait jamais amis, ils pouvaient a peine se supporter même si l'arrivée de la petite Yselda avait un temps soit peu arrangé les choses. Le valet se tient bien droit devant la porte d'entrée, attendant que le Noir lui fasse signe d'approcher, celui-ci détestait par dessus tout être interrompu dans sa lecture, mais pour que l'homme ose ainsi le déranger, c'est que c'était d'importance.
Un signe de main.
Un bruit de pas fugace.
Des mots chuchotés a une oreille attentive.
Un froncement de sourcils.


Disparaît. Prononça Ectelion, la nouvelle lui semblait inattendue, il avait entendu des histoires sur la jeune Blichilde, il se souvenait d'elle très jeune, quand lui était encore autorisé a venir en ces lieux, elle était douce, jolie comme un cœur, friponne quand il le fallait, et un brin tricheuse au jeu du chat et de la sourie. Le Sombre laissa tomber les traités, qui de toute façon l'ennuyait a mourir, il attrapa son épée, posée non loin, la glissant de son baudrier, il prit la porte pour rejoindre la cour. Là, il donna ses ordres, qu'on lui prépare deux chevaux légers. En attendant, il alla prévenir sa Châtaigne de cousine qu'il prenait la route du Languedoc.
Un plis simple et expéditif comme toujours orna le bureau d'Exaltation qui devait être encore en goguette on ne sait ou.


Citation:
Ma cousine,

Je m'en vais en ce jour chercher vostre soeur Blichilde en Languedoc, car on ne peut décemment la laisser sans escorte. Je reviendrais a temps pour la cérémonie.

A bientôt.

Ectelion d'Enkidiev Lablanche d'Abancourt.



Laissant le plis en évidence, le Sanglant seigneur quitta les appartements de sa cousine, ses bottes claquant sur le pavé annonçant son approche, les serviteurs tachèrent d'être fin près quand il apparut au détour d'une porte car il le connaissait, si les ordres n'avaient pas été exécuté sur l'heure, sa colère serait terrible. Ectelion détestait attendre.
Les chevaux étaient fin près, leurs robes sombres seraient parfaites pour le voyage de nuit, ils étaient jeunes, fougueux et robustes, ce serait de très bonnes bêtes de voyage. Le Seigneur glissa son pied dans l'étrier, et d'un bond souple se mit en scelle sur la plus haute des deux bêtes, l'autre, plus fine serait réservée a la jeune femme qu'il s'en allait quérir. Serrant sa main droite gantée autour des rennes, Ectelion attrapa de sa main gauche la bride de la jument, il la tenait fermement, elle n'aurait ainsi aucune chance de s'éloigner.
Ectelion piqua des deux fers, et s'élança sur la route.


    [Bien des jours plus tard.]


La route avait été longue, parsemée de brigands qui avaient - les inconscients - tenter leur chance contre l'épée sans merci du Seigneur d'Enkidiev. Pas de pot pour eux, enfin pas de pot, Ectelion lui s'était bien amusé, c'était si drôle de les voir courir comme des abrutis devant son cheval.
Malgré ces quelques amusements de passages, la route lui sembla longue et usante. Si bien qu'au matin du 8 ou 9 eme jour, il se présenta aux portes du couvent, couvert de boue et de poussière, montrant un visage aux traits tirés mangé par une barbe nouvelle. Le Noir mit pied a terre, et cogna du poing contre le battant de la porte.


Ouvrez ! Je viens chercher Demoiselle Blichilde Lablanche d'Abancourt !

Sa voix grave tonna si fort qu'on du fort bien l'entendre de l'autre coté du battant. Une vieille peau lui ouvrit, lui laissant le loisir de rentrer dans la cour avec les deux chevaux, ceux-ci ne tenait pas la grande forme, Ectelion avait poussé grand train, mais le voyage serait plus calme au retour, la jeune femme ne devait probablement pas savoir comment tenir en selle alors il faudrait aller doucement.

Le Sombre tenait court les deux brides, les chevaux étaient rendus nerveux pas la fatigue, et Ectelion qui avait les muscles tendus et crispés par la fatigue, ce qui l'amena a penser qu'il serait bon de prendre un jour ou deux en ville. Non seulement pour prendre le temps de connaître Blichilde, mais aussi pour lui apprendre a tenir en selle, ce qui pouvait s'avérer utile pour voyager.
Attendant, chose peu commune en son cas, Ectelion prit appui sur l'encolure de son cheval, il était trop fatigué pour se tenir correctement. Soudain une jeune femme, toute de blanc vêtue apparu a ses yeux, se redressant un peu, le Soldat la détailla, elle se tenait droite, avait un port plus que correct et un sourire timide plein de jeunesse.
L'Enkidiev s'inclina, sèchement comme a son habitude, et la salua.


Ravi d'enfin vous rencontrer Blichilde. Je suis Ectelion d'Enkidiev Lablanche d'Abancourt, votre cousin, et beau-frère. Je suppose que vous êtes d'accord pour quitter ce lieu sur l'heure.

Souriant a la jeune femme, il approcha la jument par la bride et lui tendit le bras pour qu'elle y prenne appui, Ectelion se fit prévenant, et préféra demander avant de la monter a cheval, car il doutait que les sœurs ai put lui apprendre quoi que ce soit qui ai a faire avec un quadrupède.

Savez vous monter au moins ?

La regardant un peu de travers, le sombre la jugea, si elle avait le caractère des Lablanches, elle promettait d'être un sacré brin de fille, et le Noir aimait les filles de caractères, et en venant sortir la novice de son couvent, il espérait s'en faire une alliée, chose qui pourrait lui être utile, fort utile.
_________________
--Blichilde
Toute heureuse qu'elle était de quitter le couvent pour entamer une nouvelle vie, la demoiselle d'Abancourt avait tout de même quelques appréhensions. Tentant de les dissimuler derrière un sourire avenant et un regard franc,elle s'adressa à nouveau au cavalier. L'idée qu'il ne saisisse pas l'occitan ne lui vint même pas à l'esprit.

- Ravie de faire votre connaissance aussi, senher* Ectelion. Cossi va?* En effet, je suis prête à partir sur l'heure, mais vous semblez épuisé...

La jeune femme leva les yeux vers son cousin. Il avait effectivement l'air atrocement fatigué, et cette barbe assortie aux traits tirés lui donnaient un air angoissant. Déglutissant pour faire passer ses craintes, elle avança la main pour caresser les naseau de l'animal qu'on lui présentait.

-Nenni, malheureusement je ne sais pas monter.

Tournant la tête pour voir si la mère supérieure pouvait entendre, elle ajouta assez fort:

- Que croyez-vous? Selon cette congrégation, il est honteux pour une pucelle de chevaucher. Mais je ne vais certainement pas marcher derrière vous, n'est-ce pas? Allez-vous avoir la patience de me montrer?

Se disant, Blichilde s'approcha de la jument à la robe baie et lui gratouilla le garrot, ne sachant définitivement pas comment adopter la position adéquate. Descendant rapidement de sa monture, il lui offrit son bras sur lequel la jeune femme s'appuya. Le temps de lui rendre son sourire et en moins de deux, elle se retrouva juchée sur la croupe de la bête. Plantant par réflexe ses doigts dans les avant-bras de son escorte elle peina à trouver son équilibre.

-Dedjou! Mais prévenez moi avant de m'enlever de terre ainsi! Piailla-t-elle.

Il lui répondit par un grognement puis se mit à la détailler. Gênée, Blichilde rosit légèrement avant de se reprendre puis de soutenir le regard et de détacher ses doigts crispés sur le pourpoint.

-Va plan, mercès.* Je euhm, je m'accrocherai. Je crois. Allons-y. C'est la première fois que je sors d'ici en toute légalité, de verda.

Sans lâcher les rênes de la jument, l'homme sombre remonta sur son cheval et ils sortirent de la cours au pas. Les jambes couvertes de sa cape et les bras noués serrés autour de la taille de son cousin, la jeune femme se laissa emmener. Après une heure ou deux de voyage en silence, Blichilde s'inquiète soudain.

-Avez-vous un endroit où loger pour cette nuit? Avec votre mine longue comme le bras, nous ferions mieux de nous arrêter avant que le soleil ne se couche.

Elle dit cela d'un ton se voulant badin, mais la perspective de dormir à la belle étoile l'emballait quand même un peu. Resserrant les pans de sa cape autour d'elle pour se protéger du vent montagnard, elle poursuivit:

-Je, je n'ai pas d'argent. Pour les auberges... Ni pour les repas.

Elle lui offrit un sourire gêné.

-Cela doit vous peser que de venir chercher une pauvre ingénue. Je regrette de vous imposer cela.
___________
*1) Senher : Seigneur
*2) Cossi va? : Comment allez-vous?
*3) Va plan, mercès: Ça va, merci.
Ectelion.le.noir
    [Il pleut, il mouille, c'est la fête a la grenouille.*]


Le Sombre avait été surprit par la langue utilisée par la jeune femme, il ne releva cependant pas, de fait, il ne comprenait rien, et ne comptait pas le montrer, alors, il ne répondit pas, quitte a passer pour un goujat, purement et simplement.
Comme il s'en doutait, elle ne savait ni monter, ni mener bride a un destrier, il ne manquait plus que ça, pensa le Noir. Lâcha un soupire, il prit sa décision, il la prendrait en croupe, alors oui, sans prévenir il la souleva et la posa derrière la selle de la jument sans prêter attention a ses protestations, il se contenta de grogner sa fatigue. Et pour sa part il laisserait son propre cheval au repos qui l'avait portait durant tout le chemin.
Attachant les rennes du plus haut a la petite jument, et se grimpa en selle, un peu lourdement s'il en est. Ectelion jeta un regard par dessus son épaule a la jeune fille tremblante sur la groupe, elle n'avait pas l'habitude et il prit sur lui de lui dire :


Accrochez vous a mon tabard, je n'ai pas envie de vous ramasser.

Puis sans plus attendre, il donna de petit coup de talon dans les cotes de la monture qui se mit en route, lentement ils prirent le chemin du nord, tournant le dos a la ville de Mende qui s'étendait derrière eux, a quelques minutes seulement de chemin.
Il ne parlait pas, c'était un homme de silence, il aimait ne pas s'étendre pour rien. Et il apprécia que la jeune femme garde le silence, il était trop usé pour parler chiffon. Mais le plaisir silencieux fut de courte durée, soudain sa voix douce prit le pas sur le calme, et Ectelion grogna entre ses dents, elle était partie pour palabrer, encore un trait de famille.


Non. Nous allons dormir dehors cette nuit, j'ai de quoi vous couvrir chaudement dans mes fontes, nous ferrons un feu, j'espère que vivre un peu a la dur ne vous dérange pas ?

Il pensa tout de même qu'après le couvent, le choc du voyage avec un soudard comme Ectelion allait peut être être rude, mais il faudrait qu'elle s'y fasse, il était là en ami, et tâcherait de faire en sorte que sa nouvelle belle-sœur l'aime bien, et donc il se ferrait prévenant, doux peut être pas, mais au moins il ne serait pas mal aimable, depuis son passage chez les moines, le gus faisait en sorte de combattre son foutu caractère, de temps en temps il avait franchement du mal, notamment avec Xalta, mais il essayait, il essayait, du moins avec la famille, parce que faut pas non plus pousser, les serviteurs étaient là pour servir et s'ils étaient pas contents sa botte bien placée et le problème était réglé.
Et elle n'avait pas d'argent, qu'importe, lui en avait, et il avait prévu large, quoi qu'il aime voyager rapide et léger sans s'encombrer de nuit a l'auberge ni de repas trop copieux, il préférait nettement le voyage a la sauvage, la nuit sous les étoiles et des repas frugaux.


Ne vous inquiétez pas pour cela. Nous aurons ce qu'il faut.

Le chemin se poursuivit, tranquillement presque sans heurs, sauf que... Le ciel soudain se couvrit, il craqua comme savait si bien craquer les cieux du sud de la France, se fracassant violemment et s'ouvrant pour déverser des flots et des flots d'eau.

Bordel ! Jura Ectelion, il couvrit son visage de sa capuche, et lança a la jeune femme : Accrochez vous bien cette fois, j'ai repérer un moulin abandonné plus haut, mais je vais forcer l'allure.

Le Noir s'assura qu'elle tenait bon en posant sa main sur les siennes, rectifiant de se fait sa prise, il serra la bride a la monture, et vérifia que l'autre suivait bel et bien. Sans attendre, l'Enkidiev pique des deux et la jument bondit soudain en avant, en cheval léger, elle avait le sabot assuré sur le sol même détrempé, la bête était vaillante et bien tenue, la main ferme d'Ectelion la guidant a travers la pluie et les flaques de boues qui s'élargissaient de plus en plus. La pluie tombait drue et droit, c'était ce que l'on nomme des rideaux d'eau.
Les destriers grimpèrent la colline, la jument manqua un pas et faillit bien leur faire vider l'assise, mais le Sombre avait glissé son bras derrière lui, inquiet pour la jeune femme, il l'avait agrippée a la ceinture histoire de ne pas la perdre en route. S'il revenait avec la jeune femme blessée, là, Exaltation aurait sa tête, a coup sur !


Tenez bon ! Lança-t-il, le souffle court par l'effort qu'il fournissait pour tenir la monture et la cavalier. Enfin, le vieux moulin, partiellement en ruine fut en vue, Ectelion serra la bride et fit ralentir les deux bêtes. Il les fit se stopper totalement au pied de la bâtisse de pierre, sautant habillement au sol, il tendit les bras vers Blichilde pour qu'elle mette pied a terre.
Une fois que ce fut fait, un bon coup d'épaule dans une porte qui ne se tenait presque plus sur ses gonds, il la fit entrée.


Mettez vous au sec. Je me charge des chevaux.

Il la laissa là, pour essayer de sauver ses fontes de l'eau, il les déchargea des chevaux qu'il mena pas les brides, ses bottes glissant dans la terre boueuse, le Noir attacha les chevaux sous un auvent presque entièrement disparut, mais les chevaux seraient assez malin pour se coller au mur et éviter un maximum de goutes. Les délestant de leur selles, il les porta au sec, et fini par rentrer a son tour dans le moulin. Se découvrant, il regarda la belle-sœur.

Pas trop froid ? Dit-il simplement de sa voix grave et profonde, il ne pourrait pas faire de feu, mais si elle avait froid, il pourrait au moins lui filer une couverture, en espérant qu'elles n'étaient pas trop humides.

* Chanson de cour d'école, allons! Tous le monde connait ça!
_________________
--Blichilde
L'air austère de son escorte ne donnait pas spécialement envie à la jeune femme de commencer à babiller gaiement. De plus, elle était concentrée à balancer son centre de gravité pour éviter de les tirer tous les deux vers le sol. Néanmoins, elle crut bon de s'enquérir de ses conditions de vie pendant le voyage: l'auberge, les repas, tout cela.

Entre deux grognements, l'homme lui répondit de ne pas s'inquiéter pour sa pitance et qu'il préférait nettement dormir au coin du feu dehors que dans la chambre surchauffée d'une auberge.


-J'espère que vivre un peu à la dure ne vous dérange pas?

Y avait-il un peu de moquerie dans cette phrase? Sans doute. Elle ne releva pas cependant. La jeune femme n'avait effectivement connu que les dortoirs bondés du couvent et n'avait pas été plus de dix minutes à la pluie battante. Dans le monde clos des religieuses, tout était mesuré. Même la température! Pas d'exposition prolongée au soleil, à la pluie ou au vent. Sa vie durant, Blichilde avait été couvée, surprotégée. Le changement était donc pour le moins drastique: Partir sur les routes avec un inconnu pour retrouver une famille presque oubliée. Cela dit, la perspective de connaître -enfin- autre chose que l'atmosphère feutrée du cloître était grisante. Desserrant alors un peu l'étau de ses bras autour du corps de l'homme de façon à pouvoir lui répondre et qu'il l'entendre clairement, elle répondit brièvement:

-Cela me sort de ma zone de confort. C'est plutôt... plaisant!

Et elle partit d'un rire léger, s'interrompant presque aussitôt en entendant le bruit sourd du tonnerre et le juron d'Ectelion. Ce dernier lui serra d'ailleurs les mains pour s'assurer qu'elle se tenait bien, puis éperonna sa monture qui partit au galop. Il pleuvait des cordes et il fallait se mettre à l'abri. Quoi? Un moulin? Où donc? Ayant échappé un cri de surprise en sentant les muscles de l'animal se tendre sous l'effort du départ, elle serrait les jambes autour des flancs avec la même force avec laquelle elle étreignait le cavalier. Désagréable -mais épique- chevauchée. Comment ça tenir bon?

-Inutile de me le dire, je fais ce que je peux!

La bâtisse se profilait enfin au travers des rideaux de pluie. Passant au trot puis au pas, l'homme s'arrêta près de la porte. Se laissant glisser en bas de l'équidé, il aida ensuite Blichilde à descendre en l'attrapant à nouveau par la taille. Il la reconduisit par la suite à l'intérieur du moulin, l'invitant à se mettre au sec et à se réchauffer. À cela, elle répondit avec mauvaise humeur.

-Ben voyons... Et avec quoi hein?

Il ne l'entendit probablement pas puis sortit chercher leur bagage. Pendant ce temps, la puinée des Lablanche s'assit sur un tas de vieux sacs de jute vides et poussiéreux. Dénouant ses tresses pour les tordre et assécher un peu ses cheveux, elle se mit en même temps à grelotter. Son corsage humide lui collait à la peau et ses jupes n'étaient guère plus sèches. Et force était de constater qu'elle avait mal aux cuisses! Encore une cavalcade comme celle-là et elle ne pourrait plus marcher pendant des jours! C'est alors que rentra le cousin -le beau-frère ou peu importait le statut qu'elle lui donnerait-, la tirant de ses réflexions. Il lui demanda si elle n'avait pas trop froid. Le soudard voulait sans doute se faire aimable, mais la voix profonde intimidait quand même la jeune femme.

Pleine de la poussière du moulin, du poil de et la sueur du cheval et pour couronner le tout, trempée par la pluie, la blonde lui répondit que oui, elle avait froid et réclamant par la même occasion une couverture.
Blichilde se releva de l'endroit où elle était assise et, grelottante, alla se saisir de la couverture que l'homme sombre lui tendait.


-C'est donc cela qui vous plait? Être détrempé et gelé pendant les voyages? Sinon, vous y êtes rompu. Vous ne semblez même pas avoir froid, c'est étonnant!

Elle se permit ensuite un léger trait d'humour.

-Si vous lui ramenez sa benjamine malade, Exaltation ne fera qu'une bouchée de vous... À moins que le temps ne l'ait assagie. Ce dont je doute.

Elle réprima ensuite un bâillement. La fatigue se faisait sentir. Dehors, la pluie tombait moins fort. Sans doute demain pourraient-ils se mettre en route. Bien enroulée dans sa couverture, Blichilde retourna s'asseoir sur son tas de sacs. Silencieuse, elle observait l'homme s'affairer à colmater les trous des murs pour éviter que l'eau ne s'infiltre. Ainsi donc, cela était le quotidien de plusieurs individus. À 22 ans, elle se trouvait encore bien ignorante des choses les plus simples de la vie. Elle ignorait comment on faisait un feu, comment on pêchait ou comment on cultivait le blé. Elle avait appris à lire, à compter, à reconnaître quelle herbe soignait quel mal, mais c'étaient-là savoirs bien petits comparés à tout ce qu'elle aurait à apprendre. Lors de ses brèves escapades illicites, elle n'avait eu qu'un aperçu de ce que tout cela pouvait être. Et maintenant qu'elle avait rejoint le monde laïc? Qu'attendrait-on d'elle?

C'est sur ces noires pensées que la jeune femme finit par s'endormir, épuisée par sa journée mouvementée. Avant de se rouler en boule sur sa couche de fortune, elle marmonna à l'intention de son compagnon de route
:

-M'si nous repartons... réveillez moi.

Puis elle se mit à ronffler doucement, comme assomée.
Ectelion.le.noir
    « Le plus beau voyage est de se prouver sa liberté. »


Ectelion sorti une couverture a moitié humide pour la tendre a sa cousine, elle qui tremblait comme une feuille, avec sur le visage cette expression qu'elle n'arrivait pas a camoufler tout a fait, ce n'était pas ce a quoi elle s'attendait... Bah oui, la route c'est pas comme dans les livres, quand on voyage, on a mal partout, on dort n'importe ou, n'importe quand... Lui avait l'habitude, les campagnes militaires l'avait rompu, savait qu'il ne fallait pas se plaindre, au moins ils étaient au sec, dans un autre lieu, ils auraient put avoir a continuer sous ce torrent d'eau et ce toute la nuit.

Nous sommes au sec pour la nuit, alors cessez un peu, reposez vous, la route est encore longue.

Il pensait la discussion finie quand il se retourna pour étendre une couverture au sol, il comptait bien prendre une ou deux heures de repos, mais soudain la petite voix raisonna de nouveau, essayait-elle vraiment de faire de l'humour avec lui ?
L'aigle était usé par la tempête, et il fit volte face, grondant :


Si la benjamine ne se tait pas et n'arrête pas de se plaindre, ce n'est pas a cheval qu'elle va arrivée, mais attachée dans un sac !

Il n'était pas d'humeur a faire des plaisanteries, car il savait que si la pluie continuait ainsi les guets seraient impraticables et il faudrait faire des détours parfois de plusieurs jours pour trouver des ponts. Les routes allaient être glissantes, et propice a l'attaque, les brigands aiment a sortir par temps de pluie, car elle réduit la visibilité et est souvent accompagnée de brouillard, le meilleur moyen pour se prendre une embuscade sur le coin du nez.

En attendant, il y avait bien trop de courant d'air dans cette foutue ruine, Ectelion tâcha de boucher les fenêtres pour ne pas en plus se réveiller complètement geler en plein milieu de la nuit. Ce qui arriverait surement sans feu, mais peut être moins vite si l'air était bloqué. Il n'avait même pas fini de mettre l'un de ces sacs de jutes dans un trou qu'il entendit un ronflement. Surprit, il se retourna, elle s'était endormie comme une masse, ses cheveux s'éparpillant sur sa couverture et roulée en boule comme un enfant.

Aussi noir qu'il puisse être, l'Enkidiev ne put réprimer un sourire, cette naïveté enfantine le rendait cynique, et dire qu'elle lui accordait sa confiance sans même savoir qui il était, elle aurait put tomber entre les pattes du pire des pires des hommes, si ce n'était pas loin d'être le cas, le Sombre avait ses valeurs, ses règles de vie. Il tuait et massacrait allégrement, avec souvent un plaisir non dissimulé, uniquement ceux qui se déclarait comme ses ennemis, ou comme les ennemis de la couronnes de France. C'était une sorte de passe temps pour lui, réprimer les révoltes dans le sang, c'est quand même bien plus drôle qu'une chasse a court, le cerf ne se défend pas, alors que quand vous attrapez une jouvencelle par la crinière, il y a fatalement une réaction, quelle qu'elle soit.
Il s'amusait beaucoup en temps de guerre, mais là, ce n'était pas la guerre, pas encore, mais s'il y avait comme une odeur qui grandissait de plus en plus...

Ectelion alla s'assoir sur sa couverture, lui ne comptait pas dormir le ventre vide, il rompit le pain, et sortit un morceau de viande séchée, croquant a belle dent, il fit un rapide sort a son repas, et s'allongea, laissa son épée a portée de main, il ne voulait pas se faire surprendre.

Ce fut vers les coups de trois heure du matin que le Sombre s'éveilla en sursaut, il claquait des dents, il avait foutrement froid dans cette atmosphère humide. Se levant, il s'étira, jeta un regard a l'endormie, et vérifia s'il pleuvait ou non.

Apparemment la chance était des leurs, la pluie avait cessé pour leur laisser une campagne humide et dégoulinante, ainsi qu'une route boueuse.
Au moins il ne pleuvait plus, et l'Aigle avait horreur de se mouiller le plumage, foutre dieu, il n'était pas un canard et l'eau le glaçait bel et bien jusqu'à l'os.
Marchant vers la Tourterelle, il posa la main sur elle pour la secouée.


Debout. Nous repartons.

Lui s'était assez reposé, enfin suffisamment pour remonter en selle. Ses années de vie de campagne et de combat lui avait apprit a se satisfaire de quelques heures de sommeil, et a ne plus écouter les protestation de ses muscles.
Le Noir plia rapidement sa couverture, la roulant sur elle même, il la glissa de ses fontes, mais laissa celle de Blichilde.


Gardez la couverture sur vous, il fait encore froid. Vous monterez devant moi cette fois, vous pourrez ainsi dormir, et ne risquerez pas de glisser quand je forcerais l'allure.

Sans attendre, il glissa ses fontes sur son épaule, et ouvrit la porte, il devait de nouveau seller les chevaux. Chose fut faites, les bêtes étaient aussi usées qu'eux, mais elles étaient habituées a mener ce genre de rythmes.

Ectelion sauta rapidement en selle, il chevaucher l'étalon a la robe sombre, il le savait capable de les porter tout les deux sur une distance raisonnable, du moins jusqu'au petit matin, ensuite, il faudrait qu'elle se mette en selle comme une grande, et qu'elle apprenne vite a ne pas tomber. Le Noir savait qu'il lui tiendrait la bride durant tout le voyage, il était simplement hors de question qu'elle s'essayer a monter sans soutient.
L'attendant du haut de sa monture piaffante, il lui tendit la main quand elle approcha, et lui attrapant solidement le bras, il la hissa contre lui.
Une fois qu'il fut assurée qu'elle était bien calée, il piqua des deux, et les deux équidés s'élancèrent dans la nuit.

_________________
--Blichilde
Si elle s'était trouvée drôle en faisant une petite blague sur le caractère irascible de son aînée, elle rit jaune bien vite quand l'Aigle gronda et la menaça de la transporter dans un sac jusqu'à destination. Même si la jeune femme était définitivement mal à l'aise en présence de l'homme, elle avait une forte personnalité qu'on avait trop longtemps réprimée. Autant pour tromper sa crainte à peine avouée de son cousin que pour affirmer son caractère, elle rétorqua sur un ton qui se voulait assuré :

-Sont-ce là des menaces? Et puis je suis certaine que vous n'oseriez même pas!

De cela, elle n'en était pas du tout certaine, mais elle leva tout de même le nez, hautaine. Elle obtint pour réponse un nouveau grognement et l'homme esquissa un geste pour aller de l'avant. Avant de se prendre une gifle -méritée sans doute- elle préféra tourner les talons et retourner s'asseoir sur son amas de sacs. Mieux valait se tenir coite et ne pas provoquer la mauvaise humeur du Sombre inutilement. Se roulant en boule et lui tournant le dos, la jouvencelle fit mine de s'endormir immédiatement. Ce ne fut bien sûr, pas long, mais elle attendit d'entendre son escorte s'éloigner un peu avant de pouvoir sombrer dans un sommeil profond.

[Comme le chat, l'Homme rêve la nuit à ce à quoi il a occupé sa journée.]

Le cadre était un peu flou, et l'on ne distinguait pas vraiment bien l'image. Des chevaux écumant qui galopaient à un rythme effréné, l'un portant un sombre chevalier vêtu de noir et l'autre une jouvencelle en robe de novice solidement attachée, couchée sur le ventre en travers de la selle. Des cheveux blonds volant au vent. C'était Blichilde, enlevée par un homme en noir qui avait les traits semblables à ceux de son cousin.

Une pluie torrentielle, du tonnerre, des éclairs. Puis plus rien. Pendant quelques instants, la scène est complètement noire. On n'entend que les battements affolés du coeur de la jeune femme. Puis, on voit une main gantée lui empoigner la chevelure pour la traîner jusqu'à une bâtisse en pierre de forme grotesque. Une violente gifle lui est administré et elle est poussée sur le sol humide et froid. Rire guttural, voix caverneuse.

Les soeurs avaient donc raison! Si elle quittait le couvent elle allait finir violentée puis égorgée et laissée pour morte dans un champ!

Alors que l'homme allait s'allonger sur elle, une voix étrangère au cadre résonna une fois, puis deux, puis trois.

[...]

-Debout. Nous repartons.

Il dut sans doute lui secouer l'épaule plusieurs fois avant que Blichilde ne s'éveille en sursaut, s'asseyant sur sa couche.

-Lâchez-moi, lâchez-moi!

L'homme retira prestement sa main en la regardant interloqué. La Tourterelle rougit, se sentant l'obligation de s'expliquer.

-Je... Vous m'avez fait peur. Je faisais un cauchemar sans doute. Euhm, pardonnez-moi.

Elle se leva, le corps endolori et froid. Toujours enroulée dans sa couverture pour se protéger un peu du froid de l'aube qui commençait à pointer, elle suivit docilement l'Enkidiev jusqu'aux chevaux. D'un mouvement presque gracieux, il sauta sur le dos de la bête puis lui saisit le bras pour l'installer devant lui. La proximité des deux corps, tout d'abord gênante pour l'innocente jeune femme, se révélait plutôt réconfortante car elle permettait de se garder chaud. L'odeur du cheval et du cuir était rassurante. Tout de même troublée, elle garda le silence jusqu’à l'aube, somnolant par moments. Le rêve de cette nuit ne revint pas.

À l'heure où les paysans s'en vont au champ, l'homme décida qu'il était temps de s'arrêter et de lui donner sa première leçon d'équitation. Peu rassurée, encore fatiguée et courbatue, Blichilde rechigna.


- Êtes-vous certain que cela soit une bonne idée? N'avancerions-nous point plus rapidement si je chevauchais avec vous?

Elle s'imaginait déjà les jupes maculées de boue et les membres garnis d'ecchymoses à cause des inévitables chutes.

-Au moins, pouvons-nous faire une petite pause? Je n'ai rien avalé depuis hier matin... Auriez-vous du pain?

Elle lui sortit son plus beau sourire, battant des cils pour tenter de l'amadouer et qu'il consente à la laisser se délasser quelques minutes avant de remonter en selle. Seule. Pour la première fois.
Ectelion.le.noir
    « S'accomplir, c'est se dépasser. »
    Denys Gagnon


Les sabots frappaient la terre gorgée d'eau, des mottes étaient soulevée, projetés, la boue maculait les hautes bottes de montes du cavalier, la scène était surréaliste pour qui pouvait la voir :
Cette troupe galopante sur les chemins boueux, deux formes, l'une noire et sombre, n'inspirant rien d'autre que la méfiance, et la peur, qui donc était ce cavalier a la large capuche rabattue sur les yeux, qui donc était la pauvre petite ombre recroquevillée entre ses bras, la pauvre âme semblait tremblante, le cavalier l'avait-il enlevée ?

Rien n'était moins sur, hormis une chose, il était le mal, la marque des ténèbres, et elle était entre ses pattes.

Rien n'était plus vrai, la Tourterelle était aux prises avec l'Aigle.

L'aube se fit annoncée, claire et rayonnante, le soleil laissa ses rayons courir sur la rosée, et les chevaux ralentir, jusqu'à l'arrêt. Il était temps de laisser un temps de repos aux chevaux, le temps de leur donner de quoi boire, et manger. De même la jeune Blichilde n'avait pas mangé, et Ectelion n'avait aucun intérêt a devoir la réanimée. Ils s'arrêtèrent donc, au sommet d'une colline offrant une vue dégagée au alentour, il est essentiel de bien appréhender son environnement, et de ne surtout pas se faire surprendre... Réminiscence de guerre.

Sans attendre, il la fit descendre de selle, et annonça :


Il est temps de vous essayer a la monte. Je n'ai pas l'intention d'épuiser mon meilleur cheval sous notre poids.

Évidemment, elle rechigna, évidemment, il gronda sans répondre, il avait été clair, et n'aimait pas avoir a se répéter. Elle n'entendait rien aux chevaux, ça n'irait que plus lentement a deux sur une même bête, celle-ci s'épuiserait bien trop vite, et la jument ne valait pas l'étalon. Ectelion savait que son sombre destrier en tête, ils seraient bien plus rapides.
Elle parla, encore, ça devenait une habitude, mais cette fois plutôt justement, et dans la ligne de pensée du Sombre, celui-ci fouilla ses fontes, et lui sorti un bout de pain, un peu rassit, ainsi que de la viande séchée. La seule erreur de la jeunette fut de minauder.


Mangez, vite. Dit-il d'un ton sans appel. Ensuite vous montez en selle. Et non ! Reprit-il alors qu'elle ouvrait de nouveau la bouche, il avait levé la main en signe de silence. Non, vous ne protestez pas, vous ne minaudez pas non plus. Vous mangez. Point.

Ah ! Les femmes, décidément ! Ectelion grogna entre ses dents, et alla voir la jument, il resserra les sangles, et vérifia les harnachements. Jetant un coup d'oeil de temps en temps par dessus son épaule, il se demanda finalement si l'attacher dans un sac n'était vraiment pas la solution, ça lui éviterait les plaintes féminines, mais... Exaltation ne serait pas ravie. Soupirant, il attendit qu'elle eut fini, en profitant de son coté pour boire une longue rasade d'eau et s'en passer sur le visage, il s'ébroua, glissant sa main sur sa peau, il était maintenant presque tout a fait barbu, chose qu'il n'aimait guère, l'eau avait enlever une partie de la poussière qui maculait son visage fin, laissant sur sa main une substance boueuse, s'essuyant la main contre ses braies, qui de toute façon ne pouvait certainement pas être plus sale, il s'approcha de la Tourterelle, menant la jument par la bride.

En selle. Lança-t-il, et alors qu'elle hésitait, il mit ses mains en coupe pour l'aider un minimum, elle n'allait pas apprendre a monter comme une dame au près de lui, certainement pas, ils n'auraient pas le temps, et la selle n'était pas adaptée a ce genre de monte. Il faudrait qu'elle apprenne vite et bien de façon tout a fait masculine.

Quand enfin elle fut a califourchon sur la bête qui dressa les oreilles, surprise par la légèreté de son cavalier. Ectelio lui mit les rennes dans les mains, lui montrant sans un mot comment les tenir, pas trop courte, mais tendue pour que la bête n'est pas le sentiment d'être sans quelqu'un pour la maîtriser. Ensuite, il lui plaça les jambes, lui glissant les pieds dans les étriers de cuir souple, il la regarda et dit :


Gardez vos cuisses serrées, sans quoi, vous serez rapidement éjectée. Un cheval qui sent que le cavalier n'est pas sur de lui, fait tout simplement ce qui lui plait.

Sans attendre plus longtemps, il fit faire quelques pas la jument. Il n'allait pas trop jouer de patience. Le Noir voulait du résultat, mais essayerait tout de même de ne pas trop forcer la main de la jeune fille.

Il faut vous tenir droite, suivez le mouvement de la bête, ne résistez pas, c'est inutile.

Il fit encore marcher la monture, et quand il fut relativement satisfait du résultat, il approcha la sienne, tenant toujours l'autre, mais moins court, ce qui lui laissa le loisir de s'ébrouer un peu, tandis que lui se hissait en selle.

Nous allons aller botte contre botte aujourd'hui, demain, il faudra forcer l'allure.

Ils n'allaient pas faire des exploits aujourd'hui, et n'allaient pas non plus faire grand chemin, mais Ectelion ne pouvait pas non plus demander des miracles, l'enfant ne savait pas y faire, et on apprenait pas a se tenir en selle en un jour, il fallait aller par étape, déjà le pas, sans glisser sur le cotés, sans tomber bêtement, sans affoler la bête par un cri ou un geste brusque involontaire, ne pas faire tout cela serait déjà un exploit. Il ne faut pas forcer la chance.

L'aigle gardait un oeil sur la Tourterelle.

_________________
--Blichilde
Un quignon de pain d'une couleur douteuse atterrit dans ses mains, suivit d'un grognement de la part du Sombre dans les oreilles lui intimant de se dépêcher à manger pour qu'ils puissent se remettre en route le plus rapidement possible. Lorgnant la pâte parsemée de petites taches blanchâtre, la jeune femme déglutit péniblement. Posant son séant sur le sol, elle se mit en devoir de trier sa nourriture en arrachant toutes les parties rassies du morceau de pain qu'on lui avait offert. Ce triage effectué, il ne lui restait dans la main qu'un morceau de la grosseur de trois pouces à sa plus grande déception.

Soupir résigné.

Elle n'appréciait définitivement pas son voyage, et encore moins le caractère bourru de son compagnon de route. À quoi s'attendait-il en allant la cueillir au couvent? À une aventurière habituée à la vie au grand air? À ce qu'elle ne questionne point, pas plus qu'elle ne se plaigne? À une créature docile et surtout muette? Si tel était le cas, le pauvre homme allait être fort déçu. Certes, Blichilde se réjouissait de n'être plus condamnée à être enterrée vivante dans le monde ecclésiastique, mais ce trajet s'annonçait pour elle fort dur. L'homme exigeait d'elle le silence et l'obéissance complets. Exactement comme la Mère supérieure! Dans l'esprit de la jeune femme, elle avait troqué une prison pour une autre. Elle avait froid, n'avait jamais été aussi crasseuse de sa vie, chaque parcelle de son corps la faisait souffrir, elle avait des ampoules à des endroits inusités et en plus, on la nourrissait au pain quasi-moisi! Cette nouvelle vie commençait assez difficilement.

La demoiselle d'Abancourt sortit de ses réflexions quand l'Aigle amena la haquenée à sa hauteur.


-En selle.

-Quoi quoi? Mais j'ignore comment contrôler cette bestiole moi! Et si elle prend peur? Hein? Qu'allez-vous faire si je me rompt un bras? Hein? HEIN?

Étrangement, l'homme ne grogna pas sous les protestations. Il se contenta de soupirer d'agacement et l'aida à se hisser sur la jument. Il lui expliqua ensuite les rudiments de la monte, comment se tenir en équilibre et comment tenir correctement les rênes, entre l'annulaire et le petit doigt, le pouce sur le dessus.

Elle eut à peine le temps de placer ses jupes de façon à rester décente et un minimum confortable que la jument se mit en marche, le pas lent. C'était très déstabilisant comme sensation. Sentir les muscles bouger sous elle, puissance contrôlée. Blichilde se laissa donc mollement balloter au gré du mouvement cadencé de son cheval. Un. Deux. Trois. Quatre. Une fois le centre de gravité stabilisé, cela s'avérait plutôt confortable.


-Demain, je crois que cela ira. Dit-elle gaiement.

Sans doute qu'elle n'en serait plus aussi certaine lorsque le temps serait venu de trotter puis de galoper, mais elle avait encore la journée entière pour s'habituer aux mouvements ainsi qu'aux réactions de sa jument. Son cousin avait la mine sombre et n'avait pas dit un mot depuis qu'il lui avait expliqué comment interpréter les mouvements d'oreilles d'un cheval. Elle avait sourit, comprenant qu'il aimait bien ces bêtes. Lorsqu'il ne grommelait pas en lui ordonnant de se taire, il était plutôt agréable de voyager avec lui. Ou du moins, moins déplaisant.

Ils chevauchèrent ainsi tout le jour, dans un silence fort lourd pour la Tourterelle. Mais le paysage lui rendait ce mutisme moins pesant. L'on voyait défiler lentement les champs de blé, les vignes, les terres en jachère. C'était très joli et aussi étrange que cela puisse paraître, c'était l'une des premières fois qu'elle pouvait admirer cela. Elle sourit en y repensant. Ectelion qui la regardait de temps à autres lui demanda d'un ton bourru mais dans lequel pointait aussi la curiosité pourquoi elle souriait benoitement ainsi.


- C'est que je trouve cela joli. Lança-t-elle en lâchant l'une des rênes pour indiquer l'horizon du bout de l'index.

-Depuis les fenêtres au grillage de plomb du couvent, on distinguait mal les champs et les landes avoisinants. Et nous sortions si peu...

Il hocha brièvement la tête en guise de réponse. Quel personnage taciturne, décidemment. Ils venaient tout juste de traverser la ville fantôme du Puy lorsque le soleil commença à baisser. Sans doute feraient-ils mieux de s'arrêter pour la nuit dans une quelconque clairière autour d'un feu de camp.

Les deux voyageurs s'installèrent alors à l'écart du chemin de terre pour prendre du repos. La chevauchée de la journée avait fini d'étirer les muscles de ses cuisses. Tant et si bien que Blichilde eut besoin d'aide pour descendre de sa jument et marcha jusqu'au bivouac les genoux fléchis, les jambes légèrement écartées. Cela ne manqua pas de provoquer l'hilarité du Sombre, et par la même occasion l'irritation de la jeune femme.


-C'est cela, moquez-vous moquez-vous! Tss! Faites donc le feu pour qu'on ne gèle pas comme la nuit dernière.

La Tourterelle croisa les bras sur sa poitrine, mécontente. Puis elle alla s'asseoir - ô jouissance extrême- dans l'herbe grasse sous un chêne.
Ectelion.le.noir
    « C'est quand la poule est au repos qu'elle produit beaucoup. »
    de Grand Lama de Saskya


Ils allèrent avec lenteur en ce jour de Mai, sans forcer, ils ne pouvaient pas, la jeune Blichilde n'avait ni la force, ni l'habitude nécessaire pour aller grand train, au grand dam de son cousin. Il faut le dire, Ectelion s'ennuyait, lui qui aimait mener sa monture au galop. Il soupira, moult fois. Le Noir tenait la bride de la jument, court, pour ne pas que Blichilde ne se prenne pour une grande cavalière et se pique d'essayer quelques folies.

Alors qu'il se retournait pour voir si sa cousine allait bien, il la surprit avec un sourire aux lèvres, fronçant les sourcils, et demanda:


Pourquoi diable souriez vous ainsi?

Mauvaise idée, elle se remit a bavasser, Ectelion l'écouta pourtant, et grogna sa réprobation, sans pour autant lui dire qu'elle avait l'air plus bête qu'à l'habitude, s'il voulait s'en faire une alliée, valait mieux éviter tout commentaire.

La journée fut donc longue, très longue, trop longue.
Quand la lumière déclina, le Sombre décida qu'il était temps de faire un bivouac, ils venaient de traverser une ville bien vide ou ils avaient tout de même put acheter quelques met frais pour faire un repas plus correct.
Ils mirent pied a terre, Ectelion qui était habitué aux douleurs du voyage ne laissa rien voir de son état, et pourtant, il était fourbu, son voyage aller avait été rude, et le retour promettait de ne pas être mieux. Alors qu'il glissait ses fontes sur son épaule, il aperçut sa cousine, elle marchait en canard, les mains écartés du corps, dans une position des plus cocasse.
Le Noir essaya de se retenir, mais sans succès, l'hilarité le prit, chose qui ne lui arrivait pas souvent, son rire brisa le calme de la clairière. Son rire était comme sa voix, grave voir même un peu dur.

La jeune femme n'apprécia pas, elle protesta vertement et s'assit en poussant un soupire d'aise, cela n'arrêta pourtant pas le rire de l'Enkidiev, souriant terriblement amusé, il posa ses fontes près d'elle. Il ne releva pas l'ordre, la fatigue de sa cousine parlait. Qui plus est, elle avait raison, un feu serait une bonne chose. Les nuits étaient encore fraîches a cette époque de l'année, et il n'était pas souhaitable que Blichilde attrape la mort durant son voyage de retour au près des siens.

Le bois fut ramassé, un peu d'amadou fut trouvé sur un arbre, quelques brins de mousses bien sèches sorti des fontes, et en un tour de main le feu craquait au pied du chêne.
S'asseyant a son tour, l'Enkidiev grogna son contentement, c'est un homme de peu de parole, mais on ne peut pas autant en dire des grognements.
Tendant la main pour attraper ses fontes, il regarda sa cousine avant de lancer :


Une petite faim ?

Il savait qu'elle devait mourir de faim, il l'avait vue chipoter son petit bout de main rassit, laissant de coté plus de la moitié du morceau. Le Sombre esquissa un sourire, la jeune fille l'amusait définitivement. Il sortit donc de ses sacs de cuirs de quoi se rassasier, du pain frais aux olives, comme on en trouve dans le sud, un morceau de pâté enroulé dans un chiffon, et des fruits secs.
Il sortit de sa botte son couteau, et coupa une belle tranche a la jeune femme, l'agrémentant d'une tranche de pâté. Sans attendre, il lui tendit, lui souhaitant un bon appétit. Puis, il se servit, mangeant a son tour.

Bientôt, ils eurent le ventre plein, tous deux enroulés dans leur couverture, Ectelion reprit la parole après un long moment de calme, ils écoutaient les bruits de la campagne environnante.


Je prends le premier tour de garde, je vous réveillerais quand votre tour sera venu.

Il ne lui avait pas expliqué, mais elle devait avoir assez de jugeote pour comprendre qu'on ne dormait pas en pleine campagne sans avoir quelqu'un pour protéger son sommeil. Le Noir avait l'habitude de ce genre de situation, mais il avait une appréhension en ce cas précis, il ne savait pas s'il pouvait réellement se fier a la fleur de couvent qui lui faisait face, il la regarda par dessus le feu, les flammes dansaient entre eux, éclairant par intermittence leurs visages.

Encore une fois, la blonde se glissa dans les bras de Morphée assez rapidement, laissant le soin a son cousin de veiller sur elle. La nuit gagna du terrain, sombre et enveloppante. Ectelion avait planté son épée dans la terre non loin de lui, assit sur une roche, il avait posé ses coudes sur ses genoux, courbé sous sa couverture, l'on voyait de temps a autre sa tête se redresser, se tourner vers un bruit, un craquement, une fois ou deux, il piqua du nez avant de réagir en faisant quelques pas. Rien n'était a signer, il n'y avait personne dans les environs, pas même une chouette pour donner a la nuit un peu de musicalité. Rien. L’ennui total, pas même un brigand un peu dégourdit pour les attaquer et donner a l'Enkidiev sa dose d'action.

Après plusieurs heures, quelques tours d'arbre, et moult bâillements, Ectelion s'en alla réveiller sa cousine, la secouant un peu durement.


A vous. Je dois dormir. Dit-il dans un souffle, il était tout simple épuisé. Le Soldat s'écroula presque contre l'arbre, il remonta sa couverture contre lui, et se plongea dans un sommeil réparateur, si Blichilde avait protesté, il ne l'avait pas entendu, il était trop rompu par le trajet.

L'Aigle en avait ras les plumes.

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--Blichilde
«C'est moi que tu traites de poule?»
Blichilde Lablanche d'Abancourt


Et une masse sombre vint se poser à côté d'elle. L'homme semblait lasse et franchement épuisé. Le voyage semblait être dur pour les deux voyageurs, seulement seule Blichilde se plaignait ouvertement, provoquant l'agacement flagrant de son cousin.

-Une petite faim?

Question rhétorique. Évidemment qu'elle avait faim! Même qu'elle avait cru défaillir en descendant de cheval. La jeune femme se retint cependant de se jeter sur la nourriture qu'on lui offrait comme une affamée. Elle avait été bien éduquée. Ou du moins, on avait tenté de lui inculquer quelques notions de bienséance. Mais son estomac vide poussa un grognement sourd. Arrachant presque la tranche de pain des mains de l'Aigle, Blichilde l'engloutit en quelques secondes. La bouche pleine, elle demanda:

-Vous chauriez-pas un peu d'hypocrache ou de chidre à tout hasard?

Puis elle avala sa dernière bouchée, remerciant son escorte d'un léger sourire et elle s'enroula dans sa couverture. Alors qu'elle allait doucement sombrer dans le sommeil, la voix de l'autre Lablanche résonna à nouveau, lui faisant péniblement ouvrir ses paupières brûlantes.

-De quoi, quoi comment ça un tour de garde?

Elle soupira, marmonna quelques paroles incompréhensibles puis s'endormit comme une pierre. Il était inutile de s'obstiner avec le Sombre, cela Blichilde l'avait très bien compris. Alors que la jeune femme dormait paisiblement, l'homme s'en fut un peu à l'écart pour surveiller les alentours. Cela dura quelques heures. Les étoiles brillaient franchement dans le ciel lorsqu'il décida qu'il lui fallait un peu de repos et c'est sans grande délicatesse que notre petite aventurière se fit réveiller.

-Hein quoi? Déjà?

Grommelant en occitan, elle se releva péniblement, le corps meurtri par le sol de terre, elle qui était bien sûr habituée aux confortables couches de paille, pour faire quelques pas. L'un des chevaux somnolait, les oreilles sur le côté, l'œil vague . L'autre broutait non loin. Bien réveillée maintenant, la jeune femme alla s'asseoir sur une pierre plate, assez inconfortable pour qu'elle ne se rendorme pas. L'air nocturne embaumait la terre humide et le feuillage. Blichilde prit une grande inspiration. Cette nouvelle liberté était grisante. À son âge, il était plus que temps qu'elle s'ouvre aux plaisirs de la vie.

Dans le silence velouté des bois, elle songea à ce qui était arrivé ces derniers jours. L'expulsion du couvent pour conduite honteuse et fort peu aristotélicienne, cette rencontre avec son cousin. Elle le craignait mais il l'intriguait tout à la fois. Il y avait tant de questions qu'elle n'avait osé lui poser, de peur de se faire dire une nouvelle fois de se taire sur un ton acide. Comment étaient ses sœurs? Et son frère? S'ils étaient tous faits du même bois qu'Ectelion, il faudrait qu'elle se construise une carapace ou bien qu'elle se fasse un allié de son cousin. Malgré leur mésentente cordiale, elle s'arrangerait pour qu'ils s'accordent. Et il faudrait aussi plaire à Exaltation. Blichilde gardait de son aînée d'une dizaine d'années le souvenir d'une jeune femme orgueilleuse qui adorait la mener par le bout du nez. Sans doute était-elle encore ainsi, si elle se fiait à ce que son cousin avait dit d'elle. Certes, il faudrait jouer serré. Les rivalités familiales étaient visiblement exacerbées chez les Lablanche. Trop longtemps on avait voulu faire d'elle une petite créature futile et fragile qui ne disait jamais un mot plus haut que l'autre. Loin dans austère couvent du Languedoc, elle avait été éduquée à être polie, aimable et gentille. La parfaite fille, fiancée, épouse et mère. L'on avait voulu la façonner en une icône, un canon de vertu, et voilà qu'elle se rendait compte qu'à la place de lui servir, cette attitude lui nuisait. En effet, Ectelion supporterait sans doute mieux sa présence si elle ne s'efforcait pas d'être gentille et d'agréable compagnie. Et puis si sa parentèle était aussi peu agréable à côtoyer que son cousin, elle n'allait certainement pas jouer de révérences et de sourires timides.

Un craquement la sortit de ses réflexions. Des pas? L'un des chevaux releva la tête, les oreilles pointées dans la direction du bruit. Le coeur de Blichilde se serra. Elle n'était armée que d'un coutelas à lame recourbée qui ne causerait certainement pas beaucoup de dégâts. Se faisant le plus discrète possible, elle retourna jusqu'au campement. L'Aigle ronflait allègrement, bien enroulé dans sa couverture. Si elle le réveillait pour rien, il allait sans doute la ficeler sur la jument et ils fonceraient à vive allure jusqu'à Montagris. Le bruit ne se répéta pas. Soulagement.

En bon oiseau crépusculaire, la Tourterelle veilla ainsi jusqu'à ce que le ciel se colore de rose et de lavande. Jetant une poignée de terre dans le feu comme elle avait vu des métayers le faire par le passé, elle l'éteignit. Puis la petite blonde fouilla dans une des fontes pour en tirer un morceau de pain et quelques tranches de viande séchée qu'elle fourra dans sa besace. Ainsi elle pourrait grignoter en chemin sans importuner l'homme. Elle se souvenait de ses résolutions prises au cours de la nuit. Elle s'en ferait un allié. Et c'est en agissant comme lui, sans doute, qu'elle gagnerait son respect, voire peut-être son amitié.

L'oiselle déterminée alla ensuite chercher les bêtes, les menant par la bride. Se penchant quelques instants plus tard vers le rapace encore endormi, elle lui secoua vivement l'épaule puis lui parla d'une voix affirmée.


-Réveillez-vous, il est l'heure de nous mettre en route. J'ignore comment seller les bêtes, il va falloir que vous me le montriez.

Ce disant, elle lui tendit les rênes de la haquenée en se composant un air froid, accentué par les cernes sombres qui ornaient le dessous de ses yeux.

-Ensuite, je veux apprendre à monter comme il se doit. Ainsi, nous arriverons plus rapidement à destination. Ce trajet me pèse.
Ectelion.le.noir
    « Monter à cheval enivre comme le vin. Une fois en selle, on perd la raison et on commence à se balancer comme dans un rêve héroïque. »
    Laza Lazarevic, Il connaît tout


Qu'il est doux de pouvoir enfin se laisser aller a l'oublie. Qu'il est doux de sentir ses muscles se délier. Qu'il est doux de ne plus prêter attention a quoi que ce fut et de sombrer lentement dans les abîmes du sommeil.
Et il fut profond pour le Lagrange. Il n'y avait pas rêves dans ce sommeil, il était trop lourd, la fatigue était trop grande, et l'esprit même devait prendre du repos.
Le silence de l'absence de pensées était un pur délice.
Le corps allongé contre le sol d'où monté la senteur dure et douce caractéristique de la Terre, accueillante et enivrante...

C'était calme et reposant. Enfin... jusqu'à ce qu'il eut cette main contre son épaule, un sursaut, un frisson lui parcourant l'échine, un réflexe pur et simple, un bruit de lame sortant de son fourreau, l'éclat d'une dague contre la pâleur d'une gorge frémissante de vie.

L'Aigle est sur la défensive.

Regardant la Lablanche, le Lagrange grogna et rengaina sa dague. Il lui avait fait une frayeur, mais elle lui en avait fait une aussi. Quelle idée de le réveiller aussi brutalement, on se le demande !
Il ne dit pas un mot, se leva et attrapa sa gourde, et en prit une rasade avant de se passer de l'eau sur le visage, dans l'espoir de se remettre les idées au clairs.
Il jeta un regard a sa cousine.
Apprendre a seller, ce n'était pas la chose la plus dur que soit, quant à vouloir forcer l'allure, Ectelion n'était pas sur d'être tout a fait pour. Il ne l'avouerait jamais, mais il avait peur que la Blondinette ne se fracasse. Elle veut. Elle veut, elle est mignonne, quand elle veut... Souriant en coin le ténébreux afficha son sarcasme, elle apprendrait comme tout le monde, en tombant, et ça, il était prés a le parier.

Le Noir attrapa la selle de la jument qui avait été posée près de l'arbre, et fit signe a Blichilde de s'approcher.


Ça n'a rien de sorcier. Dit-il, en posant la selle et la couverture sur le dos de la bête. Il faut faire attention a ce que la sangle soit bien passée, pour éviter de blesser votre cheval.

Joignant le geste a la parole, il lui montra comment serrer correctement la sangle, oui, il fallait forcer un peu, mais c'était pour éviter de se retrouver la tête en bas une fois grimper sur le destrier.

Ensuite, il faut le filet.

Celui-ci était accroché a l'avant de la selle, histoire de ne pas perdre de temps, Ectelion glissa sa main sur les naseaux de la bête, puis dans sa bouche pour lui faire ouvrir, et fit passer le mord, puis passa les brides par dessus les oreilles et montra a la Blonde comment serrer correctement les sangles, il fallait prendre garde a ce que cela n'étouffe pas la jument, et pour se faire utiliser son poing coincé sous le cou du quadrupède. Il l'enleva presque aussitôt, et le tendit a la jeune femme.

A vous de le faire. J'ai a préparer ma propre monture.

Elle voulait apprendre, soit, il la planta là avec son filet, il s'en alla vers le Baie brun brûlé, et le sella tout en regardant par dessus l'encolure ce que faisait sa cousine, il n'était pas totalement idiot et bien qu'il eut confiance en l'intellect de la Lablanche, il préférait se méfier. Elle s'en sortait pas trop mal. Bien que la jument rechignât, mais un sifflement aigu de la part du Noir la calma, la rendant un peu plus docile, la voix du maitre se faisait entendre.

Au bout d'un temps, ils furent fin prés a reprendre la route. Ectelion aida tout de même la jeune femme a se mettre en selle, il savait que les courbatures allaient se réveiller dès les premiers instants, et avait l'espoir que cela calme ses ardeurs, le galop n'allait pas être maitriser avant un moment.


Nous allons aller sans forcer. Cependant, il est nécessaire d'aller plus vite qu'hier, nous ne pouvons nous permettre de mettre trop de jours pour rallier Orléans. Je ne vous tiendrais pas la bride aujourd'hui, vous avez l'air assez rompue a la monte pour maitriser votre monture.

Sans attendre, l'Enkidiev piqua des deux, et fit se mettre en branle les deux bêtes, la jument suivant l'étalon. Il espérait pouvoir atteindre voir même dépasser Polignac dans la soirée.
Mais pour se faire, il ne faudrait pas garder le pas, alors, le Noir plaça ses jambes comme il convenait et l'étalon au pas souple bondit presque aussi tôt. Le Cheval léger avait parcourut bien des routes et bien des chemins avec son maitre, et il savait parfaitement répondre a ses jeux de jambes.

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Blichilde
«Il est rare que les défenses aient d'autres causes que la faiblesse du cheval ou l'ignorance du cavalier.»
Baucher -oui, comme le mors Baucher!-


Blichilde crânait. Elle voulait montrer à son cousin qu'elle n'était pas un petit oisillon idiot et fragile, mais bien un volatile de son espèce. Les sourires, les ''s'il vous plait senher'' et les battements de cils avaient été remplacés par un visage fermé et un ton froid, un ton qui voulait donner des ordres. Chassez le naturel, il revient au galop. Forte de cette attitude nouvelle, la jeune femme s'était penchée au-dessus du rapace endormi et lui avait secoué l'épaule sans douceur. La Tourterelle ignorait tout du passé militaire du Noir. Aussi, elle ne put prévoir ce qui suivit.

Ectelion frémit tout d'abord. Le croyant encore dans les bras de Morphée, la d'Abancourt se pencha à nouveau vers lui. C'est là qu'elle aperçut le gris d'une lame. Le temps d'un clignement d'yeux et cette même lame se retrouva plaquée contre sa gorge, et l'homme lui saisit le poignet. Elle ne bougea pas, ne cria pas et cessa de respirer. Non, elle ne le réveillerait plus jamais ainsi. À mois qu'elle-même ne s'arme pour pouvoir répliquerLa reconnaissant aussitôt, le Sombre lâcha son arme. Sans s'excuser, il se contenta d'attraper sa gourde et de se lever. Soit, il allait lui apprendre à harnacher correctement les animaux. Encore tremblante de frayeur, la demoiselle le suivit à bonne distance. .


[La leçon]

La cavalière en herbe observa donc le maître. La couverture, la selle par-dessus, on sangle à gauche.

-Pourquoi toujours à gauche? demanda-t-elle.

-Parce que.

Puis il poursuivit. Une fois sellée et sanglée, la jument était presque prête à entreprendre sa journée de travail. Ne restait que la bride. Ectelion lui montra que près de la commissure des lèvres du cheval, il y avait un endroit où il n'y avait naturellement pas de dents. C'est là que reposait le mors. Il ajusta les sangles pour lui montrer puis retira rapidement l'harnachement. À elle de le refaire. Sans faire plus de cas de la jeune occitane, l'homme en noir s'en fut près de sa propre monture.

-Bon ma belle, tu vas être patiente hein? Ne me mords pas. Sinon je te mords à mon tour et tu ne vas pas du tout apprécier. Pour intimider l'animal, Blichilde claqua des dents. Ridicule. Elle n'était définitivement pas à l'aise autour des chevaux.

Après quelques essais, la bride fut mise et ajustée comme il le fallait. Ce n'était pas si difficile après tout. Quoique... Elle n'était pas encore sur le dos de la bête.

-Je veux bien apprendre. Mais grimper là-dessus en surcot, c'est impossible. Aidez-moi.

En quelques enjambées il fut près d'elle et, comme à chaque fois qu'ils se mettaient en selle depuis leur départ de Mende, il la prit sans ménagement par la taille et la hissa sur sa haquenée. Elle le remercia d'un sourire, sincère cette fois-ci.

Ils se mirent en route, enfin. Se laissant balotter confortablement au rythme du pas mesuré de sa jument, Blichilde en oublia presque ses membres douloureux. Ils voyagèrent ainsi jusqu'à ce que le soleil soit bien haut dans le ciel. En silence, comme à tous les jours.La voix douce de la demoiselle se fit entendre soudain:


-Nous ne rejoindrons pas Orléans avant la fin du mois si nous ne forçons pas l'allure. Et les brigands seront ravis de se mettre devant nos chevaux au pas. Beaucoup plus facile pour eux de leur saisir la bride, nenni? Et il est hors de question que je me fasse forcer dans un champs Auvergnat!

N'attendant pas l'assentiment de son escorte, Blichilde se redressa, saisit une touffe de crinière puis donna un petit coup de talon dans les flancs de la jument qui réagit aussitôt en partant joyeusement au petit trot. Les premières foulées se déroulèrent assez bien. Petit trot maîtrisé. Mais le cheval, sentant bien l'inexpérience de sa cavalière se permit quelques libertés. Le trot se fit plus rapide, faisant rebondir la pauvre Tourterelle dans sa selle. Les rênes s'étaient relâchées, indiquant au cheval qu'il pouvait accélérer encore. La jument se mit au galop, la queue en l'air et les oreilles pointées. Tableau équestre charmant. Les quelques métayers présents semblaient d'ailleurs fort amusés de voir une noble dame éprouver des difficultés de locomotion équine.

Agaçée par ce cavalier plus qu'instable, la jument coucha les oreilles, baissa la tête et leva la croupe. Cela eut pour effet de projeter notre aventurière par-dessus sa monture. Étalée sur le dos, Blichilde gémit. Tomber de cheval n'était définitivement pas la même chose que de tomber d'un tabouret.

Ectelion arriva au même moment à sa hauteur, l'air mi-amusé mi-inquiet. La mine sombre, Blichilde se tenait la cheville sous ses jupes. Nouvel endroit douloureux, magnifique!


-Je vais bien. Grommela-t-elle.

Et elle se leva pour aller récupérer sa monture qui broutait non loin de là, tentant tant bien que mal de dissimuler une claudication évidente. Saisissant les rênes avec mauvaise humeur, la jeune femme attendit que son cousin vienne l'aider à se remettre en selle.
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Ectelion.le.noir
    « c'est un franc succès, c'est-à-dire une chute qu'on n'a pas la franchise d'avouer. » Jules Renard


Ils avaient passé la journée a cheval, comme durant les jours précédents. Aller lentement de cette façon rendait le Sombre bougon, plus qu'à l'habitude. Soudain, il entendit la voix de sa compagne de route, il se trouva surprit de l'entendre ainsi impatiente. Il lui jeta un regard, et a la vue de sa mine assurée qu'elle affichait, le Noir eut a craindre le pire.
Ectelion savait que le cheval avait besoin d'une main solide pour le tenir. Et la blonde avait tout sauf une main solide, c'était une main de velours dans un gant de velours. Et pourtant, il vit la jument bondir, le sabot assuré sur la terre meuble.
Grognant, il talonna son destrier qui suivit sa comparse. Le Noir ne savait pas s'il devait s'amuser de la situation, ou s'il devait hurler pour l'arrêter. Il prit sur lui de ne rien dire, la jument avait du caractère, presque autant que sa cavalière, et il était presque sur du résultat.

Il ne fut pas déçut.

Regardant la jeune femme, il fut un instant surprit de son assurance, elle tenait bien en selle, droite et élégante, sa chevelure dorée se soulevant avec le vent en le plus délicieux des oriflammes.
Mais l'instant de grâce passa fort rapidement, soudain la bête se décida a accélérer le pas, sa cavalière inexpérimentée fut ballottée a droite, a gauche, c'était cocasse.
Un sourire s'étira sur les lèvres de Lagrange.
Il connaissait la fin. Pour l'avoir vécut quand il était enfant.

& ce fut l'acte final.
Une envolée magnifique.

Ectelion serra la bride de son quadrupède. Le faisant ralentir, il le remit au pas, riant sans méchanceté, c'était juste terriblement drôle. La pauvre Blichilde sur le dos, éparse, couverte de terre, mais farouche, et entêtée, en vraie Lablanche, elle se releva, le nez en l'air, la tête droite, et sans faiblir, elle annonça qu'elle n'avait rien. Ectelion ne pipa mot, il la regarda avec un sourire moqueur, elle n'avait rien, rien qu'un boitement prononcé. Elle s'était probablement heurté la cheville ou le genoux, suffisamment pour en souffrir.

L'Enkidiev mit pied a terre, elle avait besoin d'un coup de main pour se remettre en selle. Et il l'aiderait. Souriant, il la regarda et lança :


C'est en tombant qu'on apprend jeune fille, mais ne recommencez pas cela, c'est folie, vous auriez put vous briser le cou.

Puis sans plus de jugement, il la souleva pour la posée sur le dos de sa monture. Il attrapa la bride de la jument, bien court pour lui faire comprendre qu'elle avait un maitre, et qu'il n'était pas ce fantoche qu'elle avait sur le dos.
Tenant fermement la premier bête, il grimpa sur la seconde. Lançant un regard sévère a la blonde, il déclara :


Vous êtes prête a forcer le pas, vous venez de le prouver. Mais pour le moment je vais mener la course, vous n'avez qu'a vous accrochez.

En un coup de talon, les deux chevaux s'élancèrent, Ectelion avait prit le temps de préciser a la Blonde que si jamais elle se sentait en difficulté, elle n'aurait qu'à crier. Rapidement une vitesse de croisière fut atteinte, un trot mesuré, mais actif.

La nuit tomba, le froid & son compagnon le brouillard avec. Ralentissant le pas, le Noir montra une petite maison sur le bord de la route, flanquée d'une écurie, ce devait être un petit relais, l'un de ces bouges ou la jeune femme adorera dormir, mais surtout prendre un bain. Après trois jours de routes, un bain ne serait vraiment pas de refus.

En un petit quart d'heure l'auberge fut atteinte, les chevaux mis entre les mains d'un garçon aux joues aussi pleines que rouges. Ils seraient bichonnés, c'était a n'en pas en douter.
Les deux compagnons de routes entrèrent dans la petite auberges, ils furent accueillit par une grosse dame, a la vue de ses joues rouges, surement la mère du garçon d'écurie.


La Mère : L'bonsoir. Qué qu'on peut ben faire pour vous ?
Le Noir : Il nous faut une chambre, de quoi manger, et de quoi se rafraichir, & vite !
La Mère : Com'que si c'était fait ! L'père ! Oh ! L'père ! Prépare dont d'la boustifaille !

L'ordre rauque et gras de la maitresse de maison arracha une grimace a Ectelion, décidément le bas peuple ce n'était pas sa tasse de thé. Cependant, il fit signe a Blichilde de le suivre. Ils allaient profiter d'une table au coin du feu, d'un broc de bière & d'une assiette bien remplit.
Laissant échapper un soupire d'aise entre ses lèvres fines, le Sombre renvoya la petite servante qui apporter les chopes, le geste était sec, mais également las. Étendant ses jambes sous la table, il poussa un grognement, de douleur et de soulagement, étirer ses muscles était un pur bonheur, quoi qu'un peu douloureux.
Les yeux de l'Aigle se posèrent sur la Tourterelle, c'était leur de lui poser quelques questions.


Alors, ma chère cousine, pourquoi diable ne vous a-t-on pas sorti du couvent avant, vous auriez du être mariée depuis longtemps, maintenant que vous êtes aussi âgée, il ne va pas être facile de vous trouver un époux, surtout si vous en voulez un en prime noce...

Il n'y avait rien de sarcastique là dedans, uniquement un constat, la noblesse aimait a prendre femme jeune et belle, pour s'assurer une descendance nombreuse, et si la femme venait a mourir en couche, alors on en prenait une seconde, et Blichilde ne serait rien d'autre qu'une seconde.
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Blichilde
«La liberté est un bagne aussi longtemps qu'un seul homme est asservi sur la terre.» tiré de Les Justes, Albert Camus.

À la grande surprise de la Blonde, l'Aigle ne se moqua pas méchamment en la voyant chuter de façon spectaculaire, pas plus qu'il ne sembla se courroucer de la découvrir si intrépide. Il se contenta de rire franchement, la situation était drôle après tout. Mais Blichilde ne l'entendait pas de cette oreille. Son orgueil lui faisait aussi mal que sa cheville. Néanmoins, elle gardait le nez en l'air, digne dans sa robe de novice qui jadis fut blanche. L'Enkidiev arriva à sa hauteur en souriant puis lui dit sur un ton presque gentil que c'était en tombant qu'on apprenait.

- Je vous remercie de ces encouragements mon cousin.

Après une petite pause, le temps que l'Aigle ne l'aide à remonter en selle, la jeune femme poursuivit.

-Ne vous inquiétez pas. Je ne recommencerai point de si tôt. Mon être entier me fait atrocement souffrir...

Sur ces mots, elle soupira profondément.

Sans doute par pitié pour sa cousine autant que pour raccourcir la route les séparant de leur destination, l'homme en noir décida qu'ils allaient se remettre à bonne allure. Seulement, ce serait lui qui conduirait les deux bêtes. La demoiselle n'aurait qu'à s'accrocher. Et c'est ce qu'elle fit. Les deux mains cramponnées à la crinière de la jument, Blichilde tenta de suivre le mouvement sans trop rebondir. Ils cheminèrent ainsi jusqu'au crépuscule, en alternant avec quelques lieues au pas pour reposer les bêtes.

Les bois avaient fait place à une grande plaine, avec quelques arbres seulement par-ci par-là. Ce ne serait pas un bon endroit où dormir. La fumée du feu indiquerait clairement leur position et la jeune femme craignait par-dessus tout de se faire surprendre par quelque soudard en voulant à sa bourse ou à sa vertu. Ou aux deux. De plus, il commençait à faire froid et un léger brouillard se levait. Rien de tout cela n'était rassurant pour la frêle oiselle qui voulait se montrer aussi forte qu'un oiseau de proie. La Tourterelle s'imaginait déjà en train de sommeiller à nouveau sur la terre battue quand le Sombre indiqua une bâtisse de sa main gantée. Une auberge? Blichilde afficha aussitôt un large sourire.

Ils laissèrent les bêtes fatiguées aux bons soins d'un garçon d'écurie plus que bien nourri et qui d'ailleurs lorgnait l'Occitane comme si elle était un pâté tout chaud. Mal à l'aise, cette dernière se rapprocha instinctivement de son cousin qui l'entraîna vers la porte où ils furent accueillis par une bonne femme en forme de tonneau: les seins, le ventre et les fesses ne faisaient plus qu'un. Les femmes comme celle-ci, on pouvait leur faire confiance.

La demoiselle s'amusa de l'attitude de la matrone. Bien qu'elle ne saisit qu'un mot sur deux, le ton et les gestes de la femme la firent rire doucement. Elle était de bonne humeur. Une paillasse, un repas chaud et un bain. Le paradis!

Elle se laissa ensuite tomber sur un banc aux côtés du Sombre, exténuée. Ce dernier ordona à une jeune fille de leur apporter de quoi manger et de la bière. Lorsqu'elle fut partie, il reposa son attention sur la jeune Blichilde et lui posa quelques questions étonnantes.


-J'ai été fiancée par le passé. Je devais avoir dans les treize ans à l'époque. Un bourgeois Occitan, parait-il. Je ne l'ai jamais rencontré. À quelques jours de la noce, une servante le surprit en train de euhm...

Elle baissa d'un ton.

-Forniquer avec le palefrenier. Apprenant cela, Xalta a sans doute annulé les fiançailles. Peut-être avez-vous eu vent de cette histoire?

Un pli soucieux barra ensuite son front.

-Je ne suis pas si vieille que cela, plan segur. Mais vous avez sans doute raison, il sera plus difficile de me trouver un époux que si j'avais quinze ans.

Elle se savait jolie, on le lui avait déjà dit. Peut-être cela jouerait-il en sa faveur? Mais la jeune femme s'inquiéta soudain.

- Donc, si je comprends bien, c'est dans ce but que l'on vous a envoyé me chercher? Échanger une prison contre une autre, après tout. Être l'épouse de Christos ou bien celle d'un vieux baron libidineux, je ne sais ce qui est pire, de verda.

Son regard d'un vert printanier* s'assombrit l'espace d'une seconde. Relevant le menton avec fierté, elle déclara:

- Je veux pouvoir choisir celui avec qui je devrai copuler. L'amour n'a rien à voir dans les affaires matrimoniales, mais vous, vous avez eu le choix. Je veux pouvoir choisir également. Et puis si Exaltation me force, je prendrai un amant, picétou!

Propos surprenants pour une pucelle tout droit sortie d'un couvent. Elle semblait en savoir bien plus sur les accordailles que ce qu'elle aurait dû. En effet, depuis quelques années maintenant, elle entretenait une correspondance assidue avec une ancienne pensionnaire du couvent. Cette dernière lui avait décrit en long, en large et en travers les détails de sa vie conjugale. La nuit de noces sanglante, puis les autres nuits tout aussi désagréables, la première grossesse, la première naissance dans une douleur encore plus pénible que celle qui avait suivi la rupture de l'hymen. Et puis le jeune page au regard bleu qui mettait un peu de baume au coeur de son amie. Cela donnait à Blichilde donc, une vague idée de ce qu'elle vivrait sans doute dans un futur plus ou moins éloigné.

La fille de salle revint avec deux bols remplis d'un ragoût quelconque. Du mouton sans doute, ainsi que d'une miche de pain et une cruche de bière. Sans attendre que son cousin ne se serve, Blichilde saisit la cruche et se versa un plein hanap qu'elle vida en quelques gorgées. Puis, saisissant sa cuillère, elle entama un des bols après s'être versé à nouveau de la bière. Les jours de voyage et la diète de pain rassis avaient d'autant plus stimulé son appétit. Quant à la légère angoisse que provoqua en elle la question d'Ectelion, elle refusa d'y penser. Elle y songerait à nouveau en temps et lieu.

Le repas fut englouti en quelques minutes. Ils continuèrent de deviser au coin du feu. L'alcool rendait visiblement l'Aigle plus loquace. Elle le fit même rire à quelques reprises en racontant ses quelques escapades hors du couvent, ce qu'elle y avait fait, comment elle réussissait toujours à faire enrager la Mère supérieure. Alors que les braises se mourraient et que la servante somnolait sur un banc plus loin, Blichilde regarda son compagnon de route du coin de l'oeil.


- Vous allez sans doute me grogner dessus, mais je voulais vous remercier pour ces quelques jours de liberté. J'ai bien plus appris avec vous en trois jours qu'en quinze ans au couvent.

La jeune femme adressa un léger sourire à son cousin puis se leva.

-J'ai demandé à la rouquine là-bas de me faire monter de l'eau chaude pour un bain, et de laver ma robe. Ne vous empêchez pas de monter pour dormir, j'aurai de l'eau jusqu'au cou de toute façon.

Les nombreux godets vidés avaient rougi les joues de la jeune femme et la rendaient moins réservée.À peine éméchée la demoiselle. Et puis peut-être qu'elle essayait -un peu maladroitement- de séduire l'Enkidiev. Était-ce un sourire languide qu'elle venait de lui glisser? Après tout, elle voulait s'en faire un allié. Et sans doute que ce ne fut pas la première pensée qui lui traversa l'esprit mais, si elle perdait son honneur, elle ne serait plus mariable. Ce qui n'était pas négligeable. La fin justifie les moyens.

*Ouais. Printanier.Parce que j'aime ça, moi, les adjectifs!

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