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[RP]Arrivée en terres...normandes?

Marzina
Un nouveau voyage, de nouvelles découvertes…
La jeune blonde ne se lassait pas de parcourir petit à petit l’extérieur du monde breton, ayant adoré sa visite de l’Anjou en compagnie de son remuant cousin, toujours à narguer voyageurs et tourangeaux (et surtout leur bourse). Elle était déjà venue par deux fois en Normandie, pour une visite rapide à un baron, et pour une invasion aux cotés de sa cousine Anastriana. Par deux fois, elle avait profondément marqué les esprits, en bien ou en mal, c’est selon.

La compagnie de la duchesse de Cholet était une douce présence dans ces moments difficiles pour la jeune princesse qui pourtant communiquait peu, passée misanthrope. Elle parlait un peu avec la duchesse rousse, beaucoup avec celui qui lui dispensait son enseignement dans l’art des mots, et dont elle finissait par acquérir le caractère asocial. Elle s’éloignerait de lui le temps que durerait ce séjour, ce qui n’était probablement pas une mauvaise chose, il avait tendance à déterrer les noirceurs de son âme.

Elle mit de coté sa mélancolie sur le chemin, retrouvant son âme d’enfant avec le plaisir de voyager, s’extasiant comme toujours de tout ce qu’elle voyait de nouveau ou d’incongru sur la route, étant en cela totalement naturelle en la présence de la duchesse, ce qui constituait sa marque de confiance. Elle sentait bien pourtant que Chimera ne partageait pas son enthousiasme, probablement parce que le voyage n’avait pas le même but pour les deux femmes. Pendant que la rousse s’inquiétait pour l’avenir de son pays, la blonde s’inquiétait de n’avoir pas amené son chat avec elle, ne sachant combien de temps durerait son séjour, se rongeant les sangs pour son Attila. Essayant d’occulter le malheur planant au dessus de sa famille, elle se voyait bouleversée par de petites contrariétés.

La bête ne risquait pourtant rien, comparé au personnel qui devrait s’en occuper.

L’air marin, qu’elle perçut tout comme sa compagne de route, dissipa ses songes et inquiétudes. Elle ferma les yeux et un léger sourire rêveur se dessina sur ses lèvres. Elle regretta de n’être pas venue à cheval, et d’avoir laissé son palefroi chez elle. Bientôt, elle s’extasia sur la découverte du Mont, ce gigantesque rocher au milieu de la mer et du sable sur lequel on faisait tenir une ville. Les yeux noirs habituellement si froids s’animèrent à la vue de cette large bande de sable qui s’étendait à perte de vue, et enregistrèrent silencieusement chaque détail du lieu pour le graver en sa mémoire. Tout un tas de questions lui vint alors en tête sur le lieu et ses conditions de vie. A marée haute, l’endroit devient-il une île ? Elle a pris possession de ses terres de Quiberon il y a peu, et elle y prend un plaisir certain, restant devant sa fenêtre à admirer jalousement l’étreinte violente de la mer et du récif.

Alors que le personnel de la duchesse s’affairait à prévenir de leur arrivée, la frêle princesse descendit à la suite de sa rousse compagne de route, disparaissant presque sous la lourde cape d’hermine. Un brusque coup de vent fit tomber sa capuche et quelques boucles dorées s’échappèrent de la fourrure. Le vent était toujours aussi glacial qu’en hiver, le froid mordait sa peau blanche, faisant rougir ses joues et son nez. Elle se redressa, portant fièrement la tiare d’argent sur son front, observant la bâtisse avec une curiosité mêlée d’appréhension. Elle était venue en réponse à l’invitation du duc, sans trop savoir ce qui l’attendrait là.
Les fines mains pâles resserrèrent la cape autour de ses épaules, et elle laissa s’avancer Chimera qui semblait savoir où elle devait aller, tandis qu’elle-même attendit un signe de son hôte.

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Alcalnn
La journée avait débutée bien avant l’aube. L’arrivée d’un prince et d’un roi… Cela n’avait beau ne pas être sa première fois, il n’en demeurait pas moins que le duc se devait de tout avoir prévu. Qui logerai où, par exemple, car il fallait éviter que les jeunes escuyers des uns et des autres évitent de fréquenter les mêmes allées et venues… Une rixe supposait qu’au moins une personne sentirai son honneur bafoué et ferai prévaloir son antique droit de faide, entrainant un regain de tension probablement létal pour la paix. Il fallait aussi savoir, si en ces temps de soudure, les vastes terres du puissant seigneur de la Merveille, pouvait participer à l’effort. Il avait fait en partie joué ses amis et clients Bordelais pour lui fournir une douzaine de tonneaux de bons vins. Sa bonne ville de Mortain lui avait accordé un subside en nature afin de couvrir les frais de bouche. Cela paraissait si simple pourtant… mais il savait que c’était un effort de la part de tous, car on était en pleine période de soudure et que le temps menaçait de détruire les semences.
Il avait puisé sur ses deniers propres pour acheter à des marchands allemands des tissus de qualité pour ses gens. Afin que chacun puisse identifier rapidement à qui appartenait tel personnage, des livrées aux armes du Chat avaient été confectionnées. Les anciennes avaient été redistribuées aux serviteurs les plus humbles du duc. Ses hôtes arrivèrent rapidement, juste au moment où il vérifiait que la Porte du Roi, résidence montoise traditionnelles des souverains de France, était en ordre et prêt à recevoir les plus intimes de souverain seigneur. Les nombreuses tours de l’enceinte avaient aussi été mises à contribution pour loger chaque grand seigneur, pendant que l’Hostellerie du Mont recevait le régent de Bretagne. Les seigneurs de moindre rang s’étaient empressés de louer des chambres dans les auberges, laissant aux plus humbles le seul choix de se loger sur le continent, obligés de faire la navette quotidiennement. Le duc avait tout de même exigé que des places soient réservées aux pèlerins, dont les bourses maigres faisaient le bonheur des Montois et par truchement, du trésorier du Chat.

Lorsque chacun de ses hôtes négociateurs eu fini de prêter serment, le duc laissa à sa fille le soin de surveiller les premiers débats. Cette délégation préfigurait le jour où, impotent, il lui faudrait laisser à d’autre le soin de veiller à la paix entre ceux de France et de Bretagne. Par bonheur, ce moment n’était pas proche et c’était tant mieux. Il se dirigea alors, le front barré d’un pli soucieux, vers la jeune princesse de Bretagne qui semblait l’attendre parmi les suites des délégations. C’était que pour la première session, du monde avait été autorisé à pénétrer dans la Salle des Chevaliers. Il lui souhaita la bienvenu :


-Princessa, soyez la très bien venue en le Mont de Saint Michel. Je suis heureux que vous ayez pu faire le déplacement. Est-ce qu’on vous a dit où loger ? Manquez-vous de quoique ce soit ?
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Marzina
Elle attendit en silence, debout, observant ce qui l’entourait. Elle s’était habituée aux visites diplomatiques, ne rien faire était encore le meilleur moyen de ne pas faire une bourde. Encore que, la chose était discutable dans certaines situations. Pourtant, l’ennui la gagnait assez vite, n’ayant pas l’habitude de rester à ne rien faire pendant autant de temps, et la solitude était son plus cruel ennemi en ces temps de deuil familial annoncé. Dans cette atmosphère, elle n’eût aucun mal à distinguer le bruit de pas qui se rapprochaient, elle se tourna vivement vers celui qui arrivait, et qu’elle reconnût comme son hôte. Légère révérence et inclinaison de la tête pour saluer le duc. Les yeux noirs viennent déchiffrer rapidement l’humeur soucieuse sur les traits de l’homme qui lui fait face, et le sourire de la jeune femme se veut chaleureux.

« Plijet braz, je vous remercie surtout de votre invitation Votre Grace, sans laquelle je ne serais pas là. »

Rendons à Alcalnn ce qui est à Alcalnn !

« Votre compagnie durant ce mariage m’a été agréable, la prolonger, je l’espère, sera un délice.»

Et elle est habituellement avare de compliments pourtant. La première question posée pourtant la laisse songeuse. Elle n’est pas habituée à être invitée chez un presque inconnu, lorsqu’elle avait été en Anjou, elle avait été logée chez son cousin. Lors des invitations diplomatiques, ses hôtes pratiquaient généralement la même politique qu’elle-même pratiquait à Nantes en tant que Maitresse de Cour, à savoir les loger dans le château grand ducal. La situation était différente, mais ne semblait pas l’ennuyer outre mesure.

« J’avoue n’avoir aucune idée d’où je pourrais déposer mes malles et trouver repos, votre aide serait la bienvenue Votre Grace. »

Le sourire se fait malicieux et elle pencha la tête de coté, faisant remarquer au duc :

« Je viens seulement d’arriver Votre Grace, et je n’ai même pas encore commencé à sortir mes affaires de mes malles, comment pourrais-je savoir ce qu’il me manque ? »

Le sourire s’élargit et elle parait franchement amusée, bien que pas très à l’aise.

« Mais je vous remercie d’avoir demandé Votre Grace, et j’espère que ma présence ne vous importunera pas trop durant la présence de ces invités de marque. »

La princesse blonde se sentait inhabituellement gênée. D’ordinaire, elle prenait possession des lieux à peine entrée, de sa simple présence et avec sa hardiesse, elle était partout chez elle. En ce jour elle se sentait fluette dans cette pièce en compagnie de son hôte. Etait-il si intimidant ? La jeune femme releva les yeux, venant regarder l’homme droit dans les yeux, sans ciller.
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Alcalnn
Souriante, la jeune princesse chassa les soucis du duc. La jeunesse à parfois du bon, quand elle est simple, sans prétention. Ce n’était pas le cas de tous. Malheureusement. A son inclinaison polie, le Chat découvrit sa teste, où dans la tignasse cuivrée se cachaient des mèches grises, témoins des ans, pendantes des rides qui se dessinaient peu à peu sur son visage. Cependant, sa robe courte aux plis soignés lui faisait une taille minuscule et des épaules de taureau, laissant supposer que la vigueur si elle n’était intacte, n’était que peu entamée par le temps. Récemment encore, il avait démontré qu’il portait le harnois en bel array. Pourtant, il n’avait plus jousté depuis des éons. Peut-être pour mieux laisser la chance aux jeunes de briller en cour ? Car qui osait encore prétendre culbouter le duc de Mortain ? Revenant à la jeune femme, il lui sourit, de ce sourire « Alcalnnien » :

-C’était un honneur princessa. J’y été allé plus par devoir envers un mort que par envie de mondanité. Grand bien m’en a pris, soyez en assurée. Accompagnez moi je vous prie.

Lui présenter son bras eut été un peu trop maniéré. Après tout elle était princesse et lui simple duc. Et puis il avait dépensé son capital bonne manière –privilège de l’hôte- dans l’accueil de ses invités. Il fallait tout de même qu’il évite de laisser surgir ses façons d’homme d’armes. Or donc, par un simple geste de la main il l’invita à mettre leurs pas de concert. Il sorti de la salle des Chevaliers et désigna le Grand Degré, l’escalier qui desservait tous les niveaux du Mont :

-Non loin, dans ces marches, vous trouverez l’Hostellerie du Mont Saint Michel. C’est là que réside traditionnellement les plus éminents bretons de passage. Je ne doute pas que le régent vous fera quelque place pour que vous puissiez y disposer de vos malles.

Finalement, c’était bien une petite princesse. L’idée de poser ses malles ne semblait pas l’inquiéter, cela l’amusait même de se ménager un peu de surprise. Il se dit alors que lui, au contraire, ne laissait pas ce genre de détail au hasard. Là encore, c’était une habitude de soudards, lorsqu’on est parmi les gens de guerre, on veille à ses affaires comme une louve sur ses petits.

-Je crois que vous avez de la marge avant de m’importuner… L’Aveugle qui seconde vostre pauvre père en a déjà fixé un seuil élevé en faisant fi de mes commandements. Mais baste, ils ont voulu la guerre, qu’ils trouvent donc maintenant la paix !

Il savait à quel point, en réalité, la paix, si ce n’est pour elle-même mais pour ses traités, était plus susceptible de provoquer une nouvelle guerre que d’en prévenir une. Il n’y avait qu’à voir celle qui, des années plutôt, avait eu le malheur de se trouver sur la route de son armée, non loin de Fougères et qui en avait été laissé pour morte. Ses terres étaient une épine dans les relations entre les deux princes. Mais qu’avait-il donc à toujours ressasser le passé ? Pour bien le fixer dans le présent, la princesse ancra son regard dans le sien. Il eut une courte prière à Saint-Georges pour qu’elle ne puisse y voir ce qu’ils avaient vu…


-Je vous propose de commencer par aller nous recueillir, prier pour la paix et pour vostre père, le voulez-vous ?


En plus, du parvis de l’église montoise, on avait une vue imprenable sur la baie…

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Marzina
Marzina sentit plus qu’elle ne vit que le duc se détendait un peu, même si elle remarqua le sourire qui vint s’accrocher à ses lèvres. Elle-même se sentit un peu plus à l’aise une fois l’atmosphère plus légère et les salutations d’usage passées. Elle maitrisait relativement bien les usages de la Cour grâce à l’éducation que lui avait fait apporter Elfyn, mais elle n’avait toujours considéré cela que comme un joli masque. Ses premières années, elle les avait passées loin du faste, par volonté de sa mère, et l’éducation du chevalier-brigand qui la considérait alors comme sa fille avait marqué à jamais le caractère de l’enfant, et ces traces restaient tenaces dans le comportement de la jeune femme.
A la demande du duc, elle le suivit, tentant de coller le rythme de ses pas au sien, mais force était de constater que ses enjambées n’avaient rien à voir avec les siennes. Lui n’avait pas à porter une lourde et encombrante robe ! Elle observa les lieux qu’il lui désignait, et son sourire malicieux revint sur ses lèvres, tandis qu’elle répondait railleusement :


« Je ne suis pas sûre que le régent appréciera avoir quelque affaire Montfort auprès de lui. Mais je gage qu’il saura faire un effort pour ne pas vexer son hôte… »

Le sourire s’élargit lorsqu’il évoqua le début des négociations.

« Sa Magnificence n’a jamais obéi qu’à ses propres commandements, il ne faut pas que vous voyiez offense envers votre personne. Sa diplomatie est peut-être un peu grippée… »

Le sourire disparut et son visage se renfrogna alors qu’elle précisait :

« Ne voyez pas en lui le second de mon père cependant, ce serait une erreur. Sa Magnificence s’est accaparé la régence avec l’aide de Brocéliande, il n’était pas le choix de Sa Majesté pour gérer les affaires de Breizh. »

Elle n’en ajouta pas plus, craignant de s’emporter et de devenir grossière. Elle accepta d’un hochement de tête la proposition du duc d’aller se recueillir. La chose cependant la rendait nerveuse. Elle se redressa, inspira profondément, et tenta de se remémorer la dernière fois qu’elle avait prié. Ca semblait tellement loin…Sa confirmation de baptême? Sa cousine avait failli la tuer lorsqu’avec sa marraine elles avaient écorché le Credo. C’est vrai qu’elle aurait pu être plus fervente avec autant de prélats dans la famille, mais son oncle Clodeweck, à toujours faire ses leçons en latin, l’avait dégoutée des églises. Le chemin chaotique de sa vie avait fait le reste.
Tentant de chasser la « Confiture d’omnipotent » de Marie de son esprit, elle suivit son hôte vers l’église, rabattant sa capuche. Elle resta silencieuse sur le chemin, continuant d’observer autour d’elle.
Arrivés au parvis de l’église, elle se tourna vers la baie. La vue était magnifique et elle sourit, rêveuse. La Bretagne n’était vraiment pas loin…Son regard s’assombrit quand elle aperçut les terres de Dol. Elle chassa de son esprit les supplications du Marquis, et se tourna à nouveau vers le Duc et l’église qui se dessinait derrière. Récupérant l’audace qui est sienne, elle lui avoua :


« Je ne suis pas à mon aise dans une église, Votre Grace. Mais puisque tel est le souhait de mon hôte, je viendrais prier à vos cotés. »

Elle baissa la tête pour ponctuer sa phrase. Quand elle releva la tête, ses yeux noirs se firent pétillants tandis qu’elle continuait :

« Accordez-moi en échange un moment où je serais dans mon élément. Cette baie sur vos terres est magnifique, et la parcourir à cheval à vos cotés serait un ravissement certain. »

Petite moue sur le minois princier, se demandant comment réagirait le duc à sa demande audacieuse, amusée de prendre les devants.
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Alcalnn

Cet aveugle l’agaçait au plus haut point. Visiblement, vexer son hôte, c’était déjà fait. Et cela n’avait pas eu l’air de lui poser plus de problème que d’aller à la selle. Baste ! Le Duc se dit qu’après tout, c’était Myrlin qui passait pour un goujat de la pire espèce. Et cette réputation –que par ailleurs il connaissait de longue date- d’être retord, semblait se confirmer au durcissement du ton de la princessa à son évocation. Il se dit in petto qu’il aurait mieux fait de ne pas aborder le sujet avec une si jeune femme.


-Ne vous en faites pas, je connais vostre père un peu et je connais beaucoup l’Aveugle. N’y pensez plus.


Ils s’élancèrent donc sur le Grand degré après avoir quitté la Salle des Hôtes où maintenant les suites allaient se tenir jusqu’à ce que filtre quel qu’information que ce soit. Ils passèrent sous les absidioles de l’église pour s’élancer sur le Grand Degrè. Sur sa gauche se tenait les anciens logis abbatiaux qui étaient désormais ceux du duc :

-On appelle ce Logis du nom de Thorigny, grand abbé du Mont, qui les fit bâtir. C’est là où je réside quand je suis sur ces terres.


Elle lui fit alors part de son appréhension de fréquenter une église. Il sourit en coin. Plus jeune, il avait aussi répugné à aller à confesse et afficher ouvertement sa foi. Il avait préféré prendre ses distances, surtout après ses mouvementées campagnes dans le sud de l’Espagne… Il y avait vu les délires de quelques illuminés galvanisant la foule de croisés avant l’assaut d’une localité averroïste… Un bon homme de guerre n’est pas quelqu’un capable de tuer en grand nombre, mais quelqu’un capable de vivre avec.


-Je peux comprendre vostre mésaise. Mais sachez qu’au Mont, nous sommes dans la Merveille. C’est l’un des rares endroits dans toute l’Aristotélité où vous pourrez trouver une vraie quiétude. Aussi je pense que cela vaut le coup. Et quoi, on ne va pas me dire, qu’avec le nombre de saint invraisemblable que vous avez en Bretagne, une pauvre église normande fréquentée par un gascon va vous faire peur ?

Il trouvait que la rencontre avec la Princessa était alourdie par la présence de ces foutues négociations. La dernière fois, le rire était plus fréquent et les piques volaient comme des étourneaux. Il retrouva cette espièglerie dans la suggestion d’aller ensuite chevaucher sur le sable :

-La parcourir probablement, à mes côtés c’est une autre histoire. Je ne sais si je peux m’éloigner beaucoup, mais soit, j’accepte de vous montrer le Mont vu du sable. Nous irons à Tombelaine si vous le voulez. Il y a là un fortin que je tiens et y visiter mes gens sera un excellent prétexte. N’y voyez pas de mal, mais un coup de main des gens de Bretagne est si vite arrivé qu’il nous faut constamment être sur le qui-vive. Il me faudra d’ailleurs user de toute ma diplomatie pour ne pas qu’ils vous écharpent ! fit il en riant.

Ils finirent par se retrouver devant le parvis. Derrière eux se tenait l’église, sur le côté l’entrée du monastère de Padre Henriques, et devant eux la vue plongeante sur la mer de sable qui gagnait progressivement sur la mer tout court. En effet, l’étal était terminé et la marée redescendait… D’ici quelques instant elle se serait complètement enfuie pour reformer ses troupes et repartir à la charge…


-C’est un domaine fait de sable, de vent, de mer et d’embruns. Je ne pourrai m’en séparer pour rien au monde. J’ai obtenu ce fief en cédant notre fief familial de Montgomery au Duc d’Alençon. Je pense ne pas y avoir perdu au change qu’en pensez-vous ?
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Marzina
L’esprit vif de la blonde tentait de garder les informations que lui donnait son hôte, tout en admirant l’architecture des bâtiments. Elle-même sentait que cette nouvelle rencontre avec le duc n’était pas comme la précédente, et que les conditions actuelles créaient une distance entre eux qui n’existait pas lors du mariage de Loanne et Hadrien. Lorsqu’ils s’étaient revus, le contexte prêtait à l’allégresse, et la princesse n’était alors que la cousine de la mariée et l’amie de l’époux, elle avait commencé la cérémonie légèrement ivre. Aujourd’hui, les négociations créaient un climat de tension, et invitée sur les terres du duc, elle devait tenir correctement son rang. Les insinuations de Brocéliande sur les raisons de sa présence en ces lieux l’avaient également contrariée, elle n’était plus totalement naturelle. C’est pourquoi elle avait proposé à son hôte de s’éloigner un peu des bâtiments et des négociations, pour retrouver un climat plus serein.
Aux propos du duc sur ses réticences à entrer dans l’église, elle eût un doux sourire.


« Le silence et la quiétude sont parfois des ennemis plus que des amis…Ils vous laissent seul avec vos pensées, quelle que soit leur nature… Il y a certaines choses que je ne peux pas encore me pardonner. »

Des morts surtout…Tant de morts…L’Ankou la frôlait de si près depuis des années qu’elle doutait encore que la vie puisse reprendre ses droits. Le sourire reprit sa malice alors qu’elle lui rétorquait :

« Bretonne ne craint personne, surtout pas l’homme. »

Elle lui lance un regard en coin, espiègle.

« Quant aux gascons, je ne les connais pas. Mais je ne redoute pas l’inconnu. »

Elle en profita pour lui retourner la pique.

« Je comprends que vous ne souhaitiez pas vous éloigner trop de votre domaine, ne pas délaisser vos convives…Mais qui de nous deux aurait le plus à craindre dans cette excursion, le vieux guerrier sur ses terres, ou la frêle princesse en terre ennemie ? »

Le sourire amusé étira ses lèvres tandis qu’elle ajoutait :

« Les apparences sont parfois trompeuses, je sais me défendre seule. »


La mine princière se fit angélique.

« Mon ami le Marquis de Dol m’avait justement proposé une escorte, trouvant mon périple trop périlleux à son goût. Ai-je eu tort de refuser Votre Grace ? Serez-vous en mesure de me protéger ? »

Elle omit sciemment de mentionner qu’il l’avait suppliée de ne pas poser le pied en Normandie. Sur un ton qui se voulu suspicieux, elle ajouta, les yeux mi-clos :

« Après tout, vos intentions sont-elles louables ? Vous seul le savez… »

Observant la baie, elle répondit ensuite à son hôte :

« Je ne connais pas ces terres que vous citez, je ne saurais donc dire si vous y avez gagné ou perdu au change. Cependant, je peux comprendre le charme que vous trouvez à ces lieux. Je suis moi-même devenue la baronne de la presqu’île de Quiberon il y a peu. L’endroit est constitué des mêmes ingrédients. Mais ce domaine est vraiment unique, vous devez en être très fier. »
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Alcalnn
Le Chat tiqua sur le couplet du pardon. Si à son âge la jeune femme se trouvait déjà pécheresse et impardonnable elle finirait folle en vieillissant. Rien n’est impardonnable, c’était ce qu’avait fini par comprendre le duc. Il est des choses inoubliable, mais pas de choses que le pardon ou la culpabilité étreignent jusqu’à la mort. Christos ne disait-il pas de pardonner ceux qui nous ont offensés ? Mais pas d’oublier. De pardonner. Plus jeune, il avait certes voulu se venger à plusieurs reprises d’offenses réelles ou imaginaires. Mais en réalité soit qu’il ne put accomplir son dessein soit qu’in fine, il n’en éprouvait plus le besoin, jamais il n’avait pris de revanche sur qui que ce fut. Du moins à sa connaissance.

-A vous entendre, on dirait l’un de ces frères mineur de bas étage qui énonce partout à qui veut l’entendre que nul n’est innocent mais qu’il n’y a que des degrés de culpabilité. Ne laissez pas le conflit pénétrer votre cœur. Il y en a déjà bien assez en dehors, dans ce monde, pour que vous n’en accueilliez un peu plus.

Il poussa les montants de l’église et pénétra dans la nef baignée par le silence. Fresques et peintures rendaient l’endroit chaleureux et de grands cierges réchauffaient l’air, preuve de la richesse des ouailles. Tapisseries et au fond, la chasse richement décorée contenant la lance et l’écu de Saint Michel. Il avait, plus jeune, rêvé s’approprier les précieux artefacts. Ces souvenirs refluèrent lorsqu’elle le taquina sur les gascoons :

-Ah ! La belle affaire. Et pourtant vous avez du en entendre parler. Sachez que quand j’étais plus jeune, je faisais partie d’une bande de routiers anglo-gascons. Une fois, nous avons embarqué sur un baleney de la ville de Bordeaux pour escorter un chargement d’armes à destination de la Normandie tenue par les Anglais. Lorsque nous passâmes dans les eaux qui bordent la Bretagne, nous fûmes assaillis par les vostres sur mer. Ils croyaient que nous acheminions une cargaison de bon vin à la vue des armes de cette bonne ville. S’engagea une course poursuite. Les baleney sont des navires remarquables car ils disposent certes d’une moindre voilure, mais de rame. Ce qui fait que lorsque le vent tombait, nous gagnons de la distance sur eux. Mais le vent tombe rarement longtemps par chez vous. Si fait qu’il y eu combat. De beaux gestes de chaque côtés. Bref, nous eumes le dessus sans qu’on puisse dire que les Bretons eurent démérité. L’affaire se corsa car nous étions en trêve, bref, mais ce n’est qu’un des nombreux épisodes qui jalonnent nos passés respectifs. Or donc ne pas connaître les gascons, c’est un peu comme demander « qui est Christos » ?

Il eut un rire et un regard vers le premier crucifix venu :


-On rit beaucoup d’ailleurs par chez nous du fait qu’on suppose que Christos était Gascon. Or donc, si vous n’avez rien à redouter, éviter quand même de les mettre en colère. Le despit est presque une seconde nature chez nous. Par chance, mon sang gascon paternel est tempéré par le sang normand et breton de ma mère.

Elle se fit à nouveau espiègle, laissant imaginer qu’elle était un pauvre fétu de paille balloté par les évènements.

-Quel piteux fait ! La pauvre princesse de Bretagne au main d’un des plus terrible capitaine du roy de France. Cela augmenterai ma côte de popularité par chez vous, pour sûr ! Déjà que je suis obligé de voyager avec un haubergeon de maille sous mes vestements lorsque je fréquente vos routes …

Susurrant qu’elle était capable de se défendre seule, le Chat en profita pour la détailler d’avantage. Il la scruta, des pieds à la tête et fit une moue amusée :

-Je ne doute pas qu’un stylet bien aiguiser doit quelque part trainer dans vostre parure, mais doutez tout de même de son efficacité ma chère. Ne ratez pas vostre coup et plantez le dans l’aisne du premier larron venu. Cela devrait réfréner ses ardeurs… définitivement.

Elle joignit alors ses mains, tentant de prendre une pose digne d’un triptyque dédié à la Sainte Vierge, mais à vrai dire, cela ne fit que renforcer le sourire aclannien :

-Oh, j’aurais bien aimé desconfir vostre marquis. Je n’ai jamais ouïe dire qu’il était bon capitaine ni homme d’armes. Vous aillant ainsi ravi, je doute que par la suite j’aurais laissé ma prise se gaster ! Or donc vous auriez été traité avec tous les égards et hourdée en conséquence. Probablement comme maintenant. Sauf que je n’ai pas eu le plaisir de culbouter ce marquis de Dol.

Quelles étaient les intentions du duc ? A vray dire, luy mesme était avant tout préoccupé, même si cela n’occupait pas le premier plan de ses pensées en l’instant, à l’entrevue qui était en train de se dérouler sous son toit. Du peu qu’il avait entendu, cela ne l’enchantait guère. L’arrogance de l’aveugle n’égalait que l’humilité du soldat qu’était en réalité son roy.

- A mon âge, on n’a guère plus d’intentions. On se contente de vivre en attendant la mort fit-il en feignant d’estre un petit vieux à l’agonie. Je ne mange que bouille de son et viande prémachée ! A quoi puis-je prétendre ? Enchaina-t-il en se retenant de rire.

Il se signa et récita un crédo rapide, ponctué de ses habituelles modification avant de se lever et d’entrainer son invitée hors de la nef :


-J’en suis fier, mais j’essaye de garder l’humilité qui sied à un bon aristotélicien. Je vois et j’ai côtoyé bien trop d’arrogant pour me permettre de me comporter comme eux. Ce fief, je l’ai eu par héritage d’’un grand homme, mon oncle, William. En avez-vous entendu parler ? Grand chevalier, brave capitaine, il se fit la terreur de bon nombre des vostres, bien que fils d’une Guérande. Je ne l’ai donc pas acquis par mes qualités. De plus, je suis plus un homme de camp, toujours en voyage ou en campagne, plus qu’un laboureur. Mais j’aime cet endroit entre terre et mer, entre sol et ciel, entre Normandie et Bretagne, entre laïcs et clercs, entre gloire et humilité. Je connais un peu Quiberon. J’y ai fait escale à plusieurs reprises. Le château qui en défend l’entrée de cette langue de terre m’a paru plus tourné vers le continent que vers la mer. Vous devriez entreprendre des travaux de fortification vers ce côté-là, mesavis.

Il embrassa à nouveau du regard la baie qui regagnait sa couleur d’or à mesure que l’eau s’échappait :

-Bien ! Nous pouvons allez sans trop de crainte, visiter Tombelaine. Descendons jusqu’au port. Mes écuries sont en ville et n’ont guère de palefroi du fait du manque de place. L’essentiel de mes chevaux sont sur le continent, nous devrions toutefois trouver de quoi vous mestre en selle !
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Marzina
Les sourcils se froncent au couplet du duc sur la culpabilité, la blonde n’est pas d’accord, et ça se lit sur son visage. Et elle n’a jamais su se tenir coite lorsqu’elle était en désaccord, elle avait grandi au milieu des hommes, elle avait appris à s’affirmer plutôt que de s’écraser, quitte à passer pour une insolente.

« Et vous Votre Grace, vous parlez vraiment comme ces petits vieux qui pensent tout savoir, et considèrent les autres comme des enfants parce qu’ils sont plus jeunes. A mon sens, celui qui ne ressent plus la culpabilité finit par s’arroger tous les droits, parce qu’il se pardonne tout. »

Le nez fin se fronce et le menton se lève, signe évident de vexation. Le visage de la princesse a toujours été un livre ouvert, et cela ne lui avait jamais posé problème. Mais le sujet abordé était sensible, sa personne avait été l’objet d’un conflit qui s’était terminé en assassinat, et elle ne parvenait pas à oublier ces mots. « Je l’ai fait pour toi. » A-t-on jamais entendu paroles plus cruelles que la dédicace d’un meurtrier à sa muse ?
C’est renfrognée qu’elle était entrée dans l’église, l’humeur aussi versatile que le temps en Bretagne. Ses yeux étaient fuyants, furibonds, mais elle eût tout de même le loisir de remarquer que les lieux étaient moins glaciaux que ceux qu’elle avait fréquenté. Elle se signa rapidement et, toujours piquée au vif par la leçon de morale, elle répondit à son hôte avec mauvaise foi :


« Ah oui ? L’affaire gasconne ne doit pas être si connue que vous le dites, je n’en avais encore ouï mot à ce jour. Mon grand-père Gomoz me contait plutôt sa spectaculaire évasion des geôles parisiennes, ou encore la bataille d’Orléans. Son histoire préférée, c’était la guerre contre le phookaïsme, et la mort d’Helric sur le bûcher. Son crâne ornait la cheminée du domaine de mon grand-père. »

S’il connaissait l’histoire bretonne, elle-même avait reçu durant son enfance sa dose de contes chevaleresques où les normands trinquaient. Sachant les origines normandes du sire, elle ne s’en était pas privée, et ne s’effarouchait pas le moins du monde de parler de ces événements en étant elle-même bretonne en terres normandes. Elle avait toujours été téméraire, et malgré tous les ennuis qu’elle s’attirait ainsi, elle était toujours vivante.

« Vous ne croyez pas si bien dire Votre Grace, je gage que vous trouveriez bretons pour vous rétribuer grassement en l’échange de mon sang versé. »

Elle ne répondit pas aux conseils sur la façon d’utiliser un stylet, et seul un petit sourire sadique passa vaguement sur ses lèvres fines, se remémorant cette fois où elle avait manqué égorger ce fol duc angevin. La diplomatie marzinesque…souffler tour à tour chaud et froid. Ce n’était pas une arme qui l’avait sauvée du viol face à celui qui était alors Dauphin de France, mais bien son insolence.

« Si vous souhaitez vous mesurer au Marquis de Dol, je peux toujours lui en toucher mot à mon retour en Breizh, mais je doute qu’il apprécie cette atteinte à son amour-propre. Je crains qu’il ne décline alors. »

La logique de l’Ours était parfois un peu tordue, mais elle avait fini par la connaitre, à défaut de la comprendre. Le sourire en coin s’était fixé sur les lèvres de la jeune femme, alors qu’elle rétorquait d’une voix douce contrastant avec ses mots :

« Allons bon…si vous êtes ainsi fini, que diriez-vous donc de vous cloitrer dans un mouroir à attendre la fin ? N’est-il pas triste pour homme de guerre de finir ainsi dépendant des autres pour manger ? Ne vaudrait-il pas mieux pour vous que l’on vous achève, comme les chevaux blessés qui ne peuvent plus tenir debout ? Abrégez vos souffrances… »

La phrase se finit dans un murmure. Les yeux se faisaient fripons, elle savait qu’elle allait trop loin, mais c’est le propre des femmes que de jouer avec le feu et clairement à ce moment, la femme était passée au dessus de la princesse.

« Vous ne convoitez vraiment plus rien ? Ca sonne à mes oreilles comme une petite mort… La conquête est le propre de l’Homme, ce qui l’a poussé à accomplir les plus grandes réalisations comme les plus noirs péchés. Et pourtant, n’est-ce pas un sentiment grisant ? J’irais même jusqu’à dire que l’accomplissement en lui-même est plus jouissif que la victoire. C’est un instinct animal, primitif, qui vous prend tout entier pour vous consumer. Cette sensation vous est-elle donc totalement inconnue, Votre Grace ? »

Les yeux noirs viennent alors fouiller ceux du duc sans pudeur aucune, agrémentés d’un sourire méphistophélique. Et puis ils s’y arrachent.

« Je ne tiens pas à faire de Quiberon un avant-poste de la Bretagne. J’ai promis à mon suzerain d’en faire un endroit qui me ressemblerait. La presqu’île est entourée par les terres de mon cousin le Duc d’Hennebont et celles de mon cousin le Duc de Rhuys. Entre un très bon marchand, et le maréchal de Bretagne. De par la mer, plusieurs bateaux ont bien tenté de l’approcher…on en retrouve parfois les entrailles éparpillées sur la côte sauvage. Ce n’est pas pour rien que son emblème est la sirène. »

Le sourire ravi revient tandis que le duc annonce l’heure de la promenade.

« Fort bien alors, je vous fais confiance pour le choix de ma monture Votre Grace. »

Elle se doutait que le duc n’irait pas imaginer qu’elle avait monté plus souvent des destriers que des palefrois, devant se contenter de ce que les écuries de Retz pouvaient lui offrir jusqu’au cadeau de la Duchesse du Rohannais. Elle le suivit donc jusqu’au port curieuse de voir ce qu’il lui proposerait.
Le plus petit de l’écurie ?

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Alcalnn
Il laissa passer ce qui semblait être une bouffée de colère passionnée marquant son désaccord profond sur la question. Il ne cherchait pas à convaincre, il avait exposé sa vision des choses, simplement. Il constata avec amusement qu’elle ne savait pas encore masquer ses émotions et se dit qu’il n’avait nul envie de flétrir ce visage avec ce genre de procédés. Il laisserait le soin à d’autres de ses suivants, ou tout simplement à la vie, de lui apprendre. La passion, que les gascons connaissaient bien, il avait appris, lui, à la maitriser, à en faire une force, comme le bief canalise la puissance du courant. Il sourit amusé, encore, des récits qu’avait pu lui faire cette forte tête de Gomoz. Il rit intérieurement se disant qu’elle n’avait là qu’une version de l’histoire et que le sieur s’était cru l’homme le plus malin de son temps alors qu’il n’en avait rien été.

-Oh, on a fait couler beaucoup de sang sur cette histoire de crâne. Et beaucoup d’encre sur l’évasion de vostre aïeul. Mais il ne m’appartient pas de le juger. Sachez simplement que ce que lui appelle évasion, d’autres qualifient de fuite voir de lâcheté. En somme, il n’a pas une grande estime partout. Mais après tout, n’est-ce pas normal ? Je doute que ma popularité soit si flagrante par chez vous. Vous n’aurez qu’à demander à vostre duègne.

Il viendrait un jour, où le Chat ne serait probablement plus là pour le voir, et où elle raconterait à son tour les anecdotes de sa jeunesse, la fresque de sa vie et de ce qu’était le monde, à de jeunes oreilles avides d’entendre ce qu’elle avait à transmettre. Peut-être se souviendrait-elle alors de cette journée de printemps où elle avait discuté avec un vieux duc normand…

Ils atteignirent le Gouffre. C’était là le châtelet d’entrée de la Citadelle. L’ouvrage en lui-même paraissait superflu quand on s’attardait sur les défenses du Rocher. Mais si d’aventures quelques un arrivaient à passer l’enceinte, voilà qui devait stopper net leur ascension.

-Nous allons traverser le tinel. Normalement il est vide à cette heure-ci. Avez-vous avalé quelque chose avant que nous prenions le large ?

La salle était bien chauffée et avait sa jonchée régulièrement nettoyée, vu le passage et le nombre de personnes qui fréquentaient ce lieu de convivialité des proches du duc. C’était une sorte de grand réfectoire pour tous ceux qui faisaient partie de la mesnie. Parfois le duc y partageait un repas. Il revint sur l’amertume de sa compagne :

-Vous semblez faire bien peu de cas de vos compatriotes. D’habitudes, ils sont plutôt avares d’argent et plutôt généreux en faide, surtout lorsqu’on attente à l’un d’entre vous. Et je m’étonne aussi de savoir qu’un Grand de chez vous refuserait d’affronter en champ clos un vieillard comme moi…

Il devait bien mal feindre la faiblesse, car elle se gaussa de lui en le taquinant sur ce sujet :

-Et pourquoi pas ? Mais seriez-vous assez forte ? Nous autres gascons ou normands avons la peau dure. Vos frêles et délicates menottes ne pourraient pas même y faire une égratignure. Nous sommes aussi infatigables qu’une bête noire et nous avons la couenne encore plus épaisse. D’autant plus que nous sommes croisés de lions.

Il leva vers elle ses yeux délavés, gris comme la poussière, et sourit en coin :

-La conquête c’est le désir. Le désir c’est l’absence. L’absence, c’est la frustration. A mon âge, c’est une chose qu’on a appris à dominer. On ne fait pas de vieux os en courant chaque lièvre qui croise notre chemin. J’ai accompli beaucoup de choses. Des biens et des moins… biens. Je vous plains, jeune que vous estes, à courir par monts et par vaux pour assouvir la moindre envie, la moindre passion ! Cependant, remarquez que si j’avais maintenu le rythme de mes désirs, il ne resterait plus rien pour ceux qui suivent !

En toute modestie… Il redevint sérieux sur la question de son nouveau fief de Quiberon :

-J’entends bien vos intentions et elles sont louables. Il n’en demeure pas moins que Quiberon est un endroit facile d’accès, facilement prenable. Vous devez à vos sujets, vos gens, ceux avec qui vous estes liée par contrat vassalique, à la protection de leur biens, ce genre d’aménagement. Qu’auraient pensés de moi mes bons bourgeois de la ville de Mortain, si je ne les avais pas aidés à relever les murs rasés ? Sachant leur vulnérabilité et la proximité de vos gens de Bretagne ?
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Marzina
Elle avait accueilli les propos du duc sur son grand-père avec un sourire amusé. Au fond, elle savait bien que son grand-père avait forci le trait, elle l’avait toujours su, mais il avait été le héros de son enfance. Il avait fait briller les grands yeux noirs à l’époque si innocents du bambin qu’elle était, elle avait bu ses paroles, elle avait tant apprécié cette époque où elle n’avait pas de père, mais où elle avait un semblant de vie de famille. Dans les yeux noirs que la vie avait rendus froids, il resterait à jamais le duc en or. Elle tiqua pourtant sur le mot de duègne. Elle avait plutôt mal pris que son père lui impose un chaperon, surtout que la duchesse de Cholet avait tendance à être moralisatrice, et leur caractère divergeant du tout au tout, il y avait toujours l’une des deux qui finissait par se braquer lors de leurs discussions.

« Je ne suis pas une enfant, protesta-t-elle, je dirige moi-même ma propre vie, me forge mes propres opinions, prends mes propres décisions. Je n’ai pas de duègne, juste une grande dame que mon père a érigée en guide auprès de ma personne par quelques mots couchés sur un parchemin. »

La loyauté était la valeur phare de la famille Montfort, celle qui faisait leur force, ainsi volonté du père était force de loi pour la jeune femme. Il n’en avait pas toujours été ainsi pourtant, mais le duc de Retz avait su acquérir la confiance et le respect de l’enfant que lui avait confié sa femme fauchée prématurément par l’Ankou. Il n’y avait bien que sur le sujet des hommes qu’elle lui tenait tête, déclenchant la fureur de son paternel en préférant des royalistes aux bretons.

«Et bien… » commença-t-elle à répondre à son hôte, mais elle n’eût le temps de finir, son ventre réagissant bruyamment à l’évocation de nourriture. Ses joues rosirent tandis qu’elle commentait un peu gênée, une main posée sur le ventre comme pour le faire taire :

« Me voici trahie. »

Elle avait toujours eu grand appétit, appréciant les plaisirs de la table, mais l’inquiétude pour son père lui faisait régulièrement oublier de se nourrir, et cette lente agonie finissait par creuser les joues d’un visage habituellement enfantin. Ses pas finissaient par se caler sur ceux de son guide avec plus de facilité. Elle eût un air pensif tandis qu’il citait le comportement des bretons, et hésita un instant avant d’avouer :

« Peu de gens le savent, mais mon sang n’est que pour moitié breton. Si j’ai été élevée sur les terres tempétueuses de Breizh, ma naissance eut lieu en Maine, l’un de mes géniteurs en étant originaire.»

Elle poursuivit :

« Je suis juste lucide au sujet des bretons et de la Bretagne. J’ai beaucoup de mal à me reconnaitre dans cette nouvelle Bretagne qui se dessine, et qui est déjà devenue en grande partie un état régi de manière despotique par le droit. L’on a oublié l’héritage de nos ancêtres, les valeurs transmises, le courage vrai. L’on a oublié que le lien de vassalité était autre chose qu’une charge que l’on jure et que l’on couche sur un papier, mais qu’il impliquait aussi le respect, la loyauté, et que ceci n’était pas régi par des lois. A vouloir tout codifier, la Bretagne n’est devenu qu’un beau cachot dont les gardiens sont aussi amers que les reclus, où il faut demander permission avant de prononcer un mot plus fort que l’autre, ou de mettre un pied devant l’autre. »

Elle eût un sourire fier alors qu’elle concluait :

« J’ai un peu dévié de votre remarque, Votre Grace. Mais vous sous-estimez les vieillards. Malgré le grand âge de mon père, avant que la maladie ne le gagne, il était encore un guerrier remarquable, et je doute que quiconque le connaissant l’aurait défié en lice sereinement. Sûrement votre réputation est-elle faite tout comme Sa Majesté, cependant, ce n’est pas par peur de vous affronter que le marquis refuserait. »

La suite était un peu plus intime, et c’est avec hésitation et un certain embarras qu’elle poursuivait :

« Le Marquis de Dol m’a demandée en épousailles voilà plusieurs mois déjà, mais c’est un homme pudique et bourru qui n’assume guère ses sentiments. Je lui ai refusé ma main, mais il n’en reste pas moins possessif envers ma personne. Il verrait le fait de vous affronter comme un aveu de sa jalousie, et c’est quelque chose que ne lui permet pas sa…pudeur. »

S’agissant d’une autre personne, elle aurait sûrement parlé de couardise, mais par respect pour l’amitié qu’elle portait au Marquis de Dol, elle avait adouci le terme. La tendresse qu’il avait pour elle parfois touchait la blonde, et pourtant, son manque d’assurance avait le don de lui attirer le mépris de la princesse. Ils étaient voués à une incompréhension mutuelle.
Le ton mutin de sa voix pointa à nouveau alors qu’elle lui répliquait :


« Je suis une passionnée, Votre Grace. La force que mes bras n’ont pas, la fougue me la confère. Le dernier qui en a douté a bien failli finir la gorge tranchée ! Et j’ai occis plus d’un normand durant la guerre. Leur peau est moins dure que la mienne, c'est moi qui ait survécu! »

Et ça, elle s’en serait bien passée. Rien ne la prédestinait à mener une armée si ce n’est sa filiation. Seules ses tripes et son orgueil lui avaient permis de tenir à la tête. Cette fois là, elle avait foncé dans le tas en espérant s’en sortir vivante, et ce n’est pas la prière qui avait maintenu la vie en elle, mais une promesse qu’elle avait faite. Elle n’avait sauvé qu’une vie sur les deux ce jour là.

« Infatigable Votre Grace ? De vos propres dires, vous êtes vieux et plus bon à grand-chose ! Je doute qu’en vous nourrissant de bouillie et de viande prémâchée vous ne soyez pas atteint par la fatigue ! Pensez-vous que l’endurance gagnée par les années saurait surpasser la vitalité naturelle de la jeunesse ? »

Elle devenait clairement moqueuse, elle avait quelques comptes à régler avec la modestie.

« Et mes frêles et délicates menottes, d’une caresse, peuvent blesser aussi mortellement qu’un carreau d’arbalète. »

Elle relève haut son nez en feignant l’orgueil, mais son sourire amusé donnait peu de crédit à sa mimique. Elle repousse une boucle blonde derrière son épaule avant de continuer sur le même ton vif :

« Vous ne me donnez pas envie de vieillir Votre Grace, si l’on vous écoute, les années passant amenuisent les plaisirs de la vie. Je vous sens blasé, comme si rien ne pouvait plus vous surprendre. Oublier un peu la sagesse acquise est parfois comme une bouffée d’air frais au cours d’un été trop sec. Vous ne vous laissez plus aller à quelque folie ? De décider les choses sur un coup de tête ? De vous réveiller un beau matin en vous disant « je partirais bien en voyage », et de partir dans la journée, sans savoir quelle sera la fin du voyage ? Ne laissez-vous plus aucune place au hasard, à l’imprévu, à l’impulsivité ? »

Et de conclure, avec une lueur malicieuse dans le regard :

« Vous n’êtes vieux que parce que vous l’avez décidé ainsi Votre Grace. Vous ne me parlez que de contrôle, de domination. Vous me faites penser à ces pièces qui sont si bien rangées que lorsqu’on y entre, l’on doute que quelqu’un y vive encore. »

Sans prévenir, un pas vers lui et les yeux noirs sondent à nouveau les gris tandis qu’elle s’enquiert :

« De quoi donc avez-vous peur Votre Grace ? Que se passerait-il donc si votre vie n’était plus aussi bien rangée ? Si vous ne contrôliez plus en permanence votre personne ? Serait-ce donc si terrible pour que vous vous priviez de ça ? »

Elle détourne à nouveau les yeux, légèrement vexée.

« Allons bon, à vous écouter, j’ai quantité d’envies et de passions. Nann, vous vous fourvoyez. Je n’en ai pas quantité, je les vis juste plus intensément. La mort des proches, la guerre, toutes ces choses vous apprennent que la vie peut vous être ravie d’un instant à l’autre. J’ai décidé de la vivre pleinement, pour n’avoir aucun regret lorsque l’Ankou viendra. Malgré ma jeunesse cependant, mes années me rattrapent maintenant, ainsi que ma condition de femme, mes envies changent…un peu. »

Quand Marie lui avait demandé de devenir la marraine de la petite Alix Ann, la blonde avait pris peur, n’étant pas à l’aise avec ces petites choses gluantes qu’on nommait enfant. Heureusement que la petite était solide d’ailleurs, parce que la princesse n’avait pas été tendre avec elle. Au fil des années cependant, leur relation était devenue plus proche, et Marzina moins pataude. Elle prenait maintenant plaisir à donner le meilleur d’elle-même à cette petite qu’auparavant elle avait méprisé, ne voyant en elle qu’une créature baveuse. La petite filleule avait malgré elle réussi à faire mûrir un peu la jeune femme, chose qui semblait jusqu’alors impossible.
Lorsqu’il aborda à nouveau la question de la sécurité de la presqu’île, elle avoua d’un ton contrit :


« Je m’en voudrais bien si ces gens venaient à être violentés par un quelconque envahisseur, croyez-le bien…Mais tout comme je m’échine à faire fructifier son économie, à leur rendre la vie plus agréable, et à dispenser quelque éducation…je n’ai pourtant aucune aptitude en ce qui concerne la sécurité. Mon père m’a fait apprendre à tenir les comptes de son duché, à le gérer, le développer…Mais je n’ai reçu aucune formation en matière de sécurité, ceci étant du devoir de mes cousins et de mon neveu à Retz, ils sont de grands meneurs d’hommes et de très bons stratèges. »

Les yeux inquisiteurs se lèvent à nouveau vers l’hôte, tandis qu’elle s’enquiert :

« Mais pourquoi me dites-vous tout cela ? Après tout, Breizh et France étant toujours ennemies, ces remparts pourraient très bien être ceux que vous seriez amené à briser un jour. Il n’est pas très judicieux alors de vouloir m’en indiquer les faiblesses. »
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