Yolanda_isabel
Mai 1460 - Après l'enterrement de la Duchesse de Chasteau-en-Anjou
Elle les avait prévenus. Elle leur avait dit quelle devait absolument quitter Le Tournel pour assister à lenterrement de sa tante. Quand il ne reste plus beaucoup de membres dans une famille, on se doit de se serrer les coudes et dêtre présent, nest-ce pas ? Alors elle était partie pour gagner lAnjou avec Aimbaud et elle les avait prévenus de son absence prolongée puisquelle comptait passer aussi par Paris pour régler quelques détails et de là, embrasser son frère et rejoindre le Languedoc où lattendait un avenir si glorieux, bercé par le chant des cigales et les flots du Lot dans la vallée du Tournel. Elle les avait prévenus, et parce qu'elle lavait fait, quoi de plus normal que le messager de la Siarrette la trouve à Paris en lhostel familial. Funeste messager pour funeste nouvelle, des heures quelle sescrime sur le papier noyé de larmes, celles dAimelina et les siennes, car au fur et à mesure des mots quelle déchiffre avec peine, toujours aussi peu douée pour les lettres, la vérité prend toute son ampleur. Pourquoi la vie sacharne-t-elle ainsi sur deux jeunes filles déjà bien éprouvées par la mort de leurs proches ? Pourquoi leur ôter alors lAmour quand celui-ci daigne se présenter ? Pourquoi arracher à deux curs juvéniles lassurance dune vie remplie de sourire et de présents ? Une fois déchiffrée, la lettre est relue encore et encore jusquà simprégner tout à fait des perles salées.
Adieu lassurance de la pré-adolescence, cest une enfant recroquevillée sur sa couche qui pleure et hurle son malheur. Thibert est mort, le Languedoc est mort, Aimelina souffre et Germain nest plus. La Mort a tué lAmour et elles, pauvres enfants nont plus que leurs larmes pour scander la tendresse quelles portaient à ceux qui avaient su leur ouvrir leurs curs. Jusquà quel point, peut-on être maudit ? A quelles limites sarrêtent lacharnement du sort ? Celles de Yolanda sont proportionnelles aux larmes qui sarrêtent après de longues minutes de sanglots épuisants, la laissant pantelante en marge de la réalité. Lentement, elle sextirpe de la couche et rejoint la cheminée à pas chancelants et dans les flammes timides, le courrier vient terminer sa vie et mourir, racorni, brûlé, comme son cur à elle, si tendre et pourtant déjà si abîmé. Tremblante, elle sort de sa chambre et rejoint son frère qui sera sûrement, comme à son habitude, dans la salle darmes. Quimporte quil sentraîne, quimporte quil y ait des témoins, car malgré lattitude droite et noble quelle voudrait conserver, linfante blonde et noire dAnjou na plus rien daltier quand les larmes reviennent en masse à lorée des cils et la voix cristalline plus habituée aux rires et aux traits desprit se fait couperet quand elle sarrête à lentrée de la salle.
-« Thibert est mort. »
La vanne a sauté, les larmes quelle croyait taries, sécoulent et les mains se tendent vers le seul homme qui na jamais réussi à la décevoir ou à la blesser : Son frère.
_________________