Matouminou
Ce soir là, Matou, en compagnie de Ef, son escuyer et compagnon, se trouvait en taverne. La soirée s'annonçait tranquille. Quelques personnes étaient déjà là, attablées, à papoter et à boire. Ils s'étaient installés à la même table que Stromboli et Inba, rejoints un peu plus tard par Num, le maire, et Job, le...vieil escuyer de Gribouille, l'erreur noble.
La conversation allait bon train, jusqu'à ce que Num, pour une raison inexpliquée, mais bien souvent, il agissait et parlait sans vraiment savoir pourquoi, bref, Num lança:
-Tiens , j'ai une vache, je l'ai appelée Matouvachou, elle est bien grosse et elle va donner bientôt du lait.
Matou n'était pas susceptible, mais tout de même, il y avait un domaine où elle avait tendance à réagir vivement. Tuck en avait fait les frais. Cependant, elle n'avait pas culpabilisé longtemps, car il était devenu, grâce à elle et à une habile reconstruction faciale à base de masques de bouses de cerfs et de bave de crapauds, entre autres ingrédients aussi douteux que dégoutants, l'homme le plus beau de Fécamp.
Jamais ni lui, ni Lave ne la remercieraient assez. Mais, Matou était du genre magnanime et dans sa grande bonté, elle n'attendait rien d'eux, heureuse de leur avoir fait plaisir.
Toujours est-il que cette phrase directement adressée à elle, la piqua au vif, elle avait regardé Num de travers, s'était levée et avancée vers lui.
Ef, prévoyant une réaction imminente et proportionnelle au degré de l'insulte, avait tenté de la retenir par le bras, en vain.
La claque était partie, et sa main s'était abattue sur la joue droite de Num, le bruit fut sec, accompagné de petits craquements.
Un silence se fit, tout le monde s'était figé et attendait.
Elle s'était rassise, en lui lançant:
- Tu l'as pas volée celle-là!!
Il est vrai que si Matou avait repris quelques rondeurs, elle ne ressemblait en rien à ce que cette mauvaise langue de Grib racontait. D'abord sa vision était déformée par la vue de son mari, d'une forte corpulence. Quoi qu'il en soit, Matou rentrait dans tous ses vêtements. Elle avait demandé à sa fidèle Suzon de reprendre certaines coutures, car on sait qu'avec le temps le tissu s'use.
Num avait craché quelques dents qui, de toute façon, seraient tombées tôt ou tard, il n'avait pas saigné, ce qui rassura Matou, elle avait tapé proprement. Mis à part un léger défaut de prononciation qu'elle remarqua quand il put parler "Cha fait chrolement mal...ch'ai beau être maire, ch'ai mal...", et une rougeur sur la joue, tout était normal.
L'histoire aurait pu s'arrêter là, si le vieux Jobart, dans une réminiscence due à un sursaut de survie sans doute ou de volonté d'exister, n'était pas intervenu. Sans doute s'était-il souvenu d'une amitié lointaine avec Num...à moins que ce ne soit par respect pour le maire...il se mit donc à brailler:
- Vengeance...Numichou, je vais te venger!!
Bien entendu Ef, qui avait tout compris, sentant la bagarre dont il était friand et dont il sortait toujours perdant, s'était jetée sur elle, l'avait ficelée comme un vulgaire morceau de viande et l'avait posée sur la table de la taverne. Cela s'était passé si vite qu'elle, pauvre femme sans défense, n'avait pas pu réagir. Elle s'était contentée de gémir et de balbutier:
- Mais...mais...que fais-tu?
Toutefois, l'esprit de Matou était en ébullition, et déjà, elle avait en tête la punition qu'elle lui infligerait. Il avait une notion bien à lui de ce que voulait dire "servir sa dame", elle allait lui apprendre sa définition à elle à coups de fouet s'il le fallait. Hélas, la situation dans laquelle elle se trouvait pour l'heure, était plutôt affligeante. Elle tenta bien les menaces:
- Je vais tous vous tuer!! je vous découperai en rondelles....vous périrez dans un immense bucher...
...les vociférations et des insultes, aussi:
- Bande de lâches...je vous hais...vous n'êtes que des gueux!!
Bref, elle était très énervée, et aussi humiliée.
Job, alors, exécuta la vengeance, une vengeance terrible, si terrible qu'aucune femme n'aurait pu la supporter, mais Matou était forte et c'est les yeux ouverts qu'elle le regarda. Il s'approcha d'elle, sa dague à la main, la fit basculer sur la table, lui attrapa la masse de cheveux qu'elle avait laissé déployer sur ses épaules, ce soir là. Elle retint un cri de douleur et pâlit en entendant le bruit que fit la lame en tranchant ses cheveux. Elle ferma les yeux, ravala les larmes qui perlaient à ses yeux et se força à reprendre son souffle.
Entre temps, Stromboli, lui avait glissé une dague entre ses mains attachées, et par un effort de contorsion immense elle avait réussi à trancher la ficelle.
Elle s'était redressée brutalement, pour voir ce lâche de Job s'en aller. Elle ne put que lui crier:
- Tu me le paieras, je demande réparation...heyyyy...
L'entendit-il? il ne se retourna pas. Quant à Ef, il en avait profité pour s'en aller par la fenêtre, sous le coup d'un instinct de survie sans doute, ne sachant que trop qu'il aurait à expliquer son comportement et qu'il lui faudrait faire preuve d'énormément d'imagination pour convaincre Matou qu'il ne l'avait pas fait exprès. Quant à plaider une folie passagère, qu'il ne lui serve pas de cette sauce-là...
Matou arracha les derniers bouts de ficelle qui l'avaient fait ressembler, l'espace d'un instant à un rôti appétissant, elle avait remis en ordre ses vêtement, dans un geste plein de désinvolture, genre "même pas mal", puis elle avait passé la main dans ses cheveux....et là..le drame....Elle s'était assise sous le choc et avec une peur panique dans la voix, s'était mise à balbutier:
- Mes...mes....cheveux....j'en ai plus...ohhhh....par Aristote...
Num en profita pour s'éclipser, ne restaient qu'en cette douloureuse soirée, Inba et Stromboli. Elle les regarda désespérée.
_________________