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[RP] L'innocence est blanche. L'Arsenic aussi.

Judas



Acte I, Scène I.

[Judas, assis sur sa couche de fortune, Campement de Mâlain, Bourgogne. Dehors une voix crie, des bruits de fer tintent dans l'agitation de ce qui semble être un rassemblement d'hommes.]

Citation:
    Nyam,

    c'est par delà les frontières du Berry que j'écris cette missive. Alors que je suis reclu au coeur du bastion du Rapace - j'ai nommé Eusaias de Blanc Combaz - il me vient une pensée pour les filles restées à Bourges. Dis-moi ce qu'il en est de vous, et quand est-ce que vous pourrez regagner la Bourgogne pour rentrer à Petit Bolchen, où vous trouverez Moran et les chiens qui gardent fidèlement les murs.

    Sans dire que je ne sais vaquer sans ma suite, j'oserai dire qu'ici le temps semble être plus long qu'ailleurs, mais c'est le lot de la guerre... Répond-donc , je pourrai vérifier si tu as respecté le temps de leçon que ton maistre t'a imposé, c'est ce que tu avais de mieux à faire en son absence.

    Judas.

_________________
Nyam
Acte 1, scène 2

Posons le cadre de la deuxième scène de ce premier acte... Nyam fut la victime malheureuse de la colère de son Maître et subit des sévices durant plusieurs semaines avant d'être sauvée par Anaon... A moitié morte de privations et sous les coups, elle était faible quand le Déchu et sa maisonnée pris la route du Maine. La Frêle, évoluant dans un nuage de fièvre et de délire, n'avait que peu de contacte avec l'extérieur en dehors de celle qu'elle considérait comme sa mère pour lui avoir sauvé la vie.

Mais la réalité s'était rappelée à elle violemment, au travers d'une armée qui les assaillit soudain sur les routes. Le groupe éclata avec l'assaut, ses membres s'éparpillant sans le vouloir. Anaon, indemne, se retrouva séparée des autres en Touraine, tandis que les esclaves et servantes, finissaient avec leur Maître, dans les lits de convalescence de bénédictins à Bourges. Chacun reçut des blessures plus ou moins graves, avec une convalescence plus ou moins longue... Celle de la Frêle fut interminable.

En sus de ses blessures déjà existantes acquises sous le fouet et les coups, s'ajoutèrent d'autres coups et surtout une blessure par l'épée à la cuisse, qui s'infecta, manquant l'emporter. Mais la Frêle n'avait de Frêle que le nom, car elle survécut à tout cela, là où la croque mitaine avait péri, pourtant en meilleur forme qu'elle avant l'attaque. Cependant son esprit s'en trouva affecté. S'enfermant dans les rêves et l'imaginaire, mêlé de réalité, les délires liés à la fièvre la firent entrer dans un monde à part, emplis de certitudes étranges.

Une conversation avec Suzanne, à qui elle acceptait de reparler malgré le fait qu'elle lui en voulait beaucoup pour l'avoir abandonnée et trahie, ancra en l'adolescente fragile une certitude dangereuse même. Le Maître était seul, à la guerre, sans aucune des filles de Petit Bolchen pour veiller sur lui... Et avec Iris devenue aveugle, la jeune Eleonore trop peu expérimentée, l'Azrael morte, Suzanne qui voulait les quitter et Anaon, sa maman, disparue, il ne restait qu'elle... Il fallait qu'elle aille s'occuper du Maître... Mais plus facile à dire qu'à faire quand on ne peut plus marcher. Sa jambe la faisant trop souffrir, elle dut se résigner à attendre, et à rester sous la garde attentive de Ayoub.

Seulement une lettre bouleversa tout.

Le courrier était bref, visiblement rédigé à la hâte, mais comme il l'avait promis, le Maître avait écris. Nyam dévora les quelques lignes avec avidité, ayant acquis une bonne aisance de la lecture et de l'écriture malgré quelques fautes d'orthographe persistantes. Son esprit embrouillé interpréta les choses à sa manière. Elle réclama de quoi écrire, ce qu'on s'empressa de lui donner tant il était exceptionnel qu'elle sorte de son apathie et de son silence. D'une main un peu maladroite, mais d'une écriture fine et déliée, elle rédigea une réponse courte mais directe. Elle posa le tout sur la table avec écris sur le dos de la missive "pour le Maître, Judas Von Frayner, de Nyam".

Après quoi, elle attendit que tous se rendent à la chapelle pour la prière du midi, Ayoub y compris le temps d'accompagner la vulnérable Iris et la fragile Eleonore. Le Maître avait dit de se faire baptiser, alors les plus fortes physiquement allaient à la messe. Seule, Nyam se leva et enfila sa robe, simple et grise, nouant ses longs cheveux d'or blanc en une natte qui battait dans son dos. Elle déroba une cape élimée pour se protéger du froid et glissa dans un petit sac de quoi écrire et le pain et le fromage qu'elle prit sur un plateau d'un de ses voisins absent. Finalement prête, elle se glissa dehors en boitant, tâchant de ne pas appuyer trop fort sur sa jambe.

Elle trouva un marchand qui accepta de l'emmener à l'arrière de sa charrette, en échange d'histoire racontée pour passer le temps. Le vieil homme fut généreux de ne pas la faire payer davantage. Bientôt, le cheval de trait se mit en route, et il fut trop tard pour savoir dans quel direction elle était partie, surtout qu'elle était censée ne pas pouvoir marcher bien loin. Le périple vers le Maître commençait...

Au dispensaire, un bénédictin pris la lettre pour l'envoyer, sans remarquer sur le moment l'absence intrigante de sa petite patiente... Dans le plis on pouvait lire...




Bonjour Maître,

Nyam est contente que vous alliez bien. Iris a perdu ses yeux et Eleonore est encore très fragile et bien petite, pour s'occuper du Maître.

Mais ne vous inquiétez pas, Nyam arrive.

Nyam

_________________

*Frédéric Régent, Historien
Judas

Acte I, Scène III.


[Judas, posté à l'écart des zones d'entrainement , Campement de Mâlain, Bourgogne. En ses mains deux lettres.]

Deux missives a moitié étonnantes. La première concernait Suzanne, jeune amante taciturne qui avait su égayer les jours du seigneur en l'absence de la Roide. La seconde , la Frêle, quelque part en Berry. Lorsque la première décidait de le quitter, ne supportant pas l'idée qu'une autre femme tienne place de choix, la seconde annonçait qu'elle le rejoignait, sans plus de détails. Judas avait froncé un peu les sourcils à ces lectures, sans trop savoir à quel sentiment se vouer. Les femmes sont de si versatiles créatures... Quid des justifications futiles de la brune, quand la plus fragile de ses esclaves décidait sur un coup de tête de venir se rouler au coeur du conflit. L’innocence. Un être doux, très gentil mais qui manque un peu d’expérience... Nyam, à défaut de se recroqueviller sur elle même à mesure que Judas serrait l'étreinte de sa cruauté sur son cou devenait plane, lissée, plus modelée encore qu'espéré. Son dévouement croissait, et sa fidélité l'avalait.

Judas ne manquait pas de putains au camp, et la présence de Rosalinde, venue quémander quelques consignes ne l'empêchait en rien de passer le temps. Pourtant à la lecture des mots encore fragiles couchés sur vélin étira un léger mais tenace frisson le long de son échine, de bien mauvais augure. Le retour de cette présence dans ce bastion de mâle ne manquerait pas d'éveiller sinon des jalousies, quelques jeux de pouvoirs. Depuis longtemps, Judas rêvait secrètement d'offrir au Digoine le plaisir de gouter à son art, en somme à ses esclaves...

_________________
Judas
Acte I, scène IV.

[Tenture aux armes de Courceriers, dans le trouble de la capitale Bourguignone. ]

Citation:
    A mon sénéchal,
    A toi l'ami,
    Moran,

    Je suis actuellement à Dijon, que je quitte sous peu. Ici c'est l'anarchie, un foutoir innommable règne sur le conseil. Je te somme a réception de cette missive de désorganiser tous mes déplacements programmés pour les marchés aux esclaves. Tu trouveras en ma chambre des ordres de ventes et des offres écrites et signées, brules-les. Petit Bolchen risque de recevoir la visite d'un évêque, efface tout ce qui peut me faire des ennuis avec Rome, en particulier les papelards de mes transactions de traites méditerranéennes et l'argent d'icelles. Si Ayoub apparait au castel, redirige-le vers moi à Sémur. Je t'expliquerais.

    Judas Gabryel Von Frayner.



Cavalier cavale, à brides abattues. Messager pressé aux sabots presque lustrés.
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Moran
Dans l'âtre, des cendres encore parsemées d'éclats rouge vif. Dernières preuves des affaires du Von Frayner que l'ibère s'était empressé de détruire dès réception de la missive.
Aucune hésitation. Là était son nouveau mode de vie avec Judas. Il ne contestait un ordre que lorsqu'il y voyait un inconvénient direct contre son maître. Dans ce cas-ci il était clair que la découverte de ces transactions particulières aurait amené quelques ennuis, voire pire.

Les ennuis avec sa soeur avait déstabilisé le géant quelques temps. Celle ci lui créant des problèmes pour le moindre projet, il avait profité d'un court laps de temps où la rouquine dormait pour s'occuper des derniers détails à régler.

Quelques missives furent envoyées aux vendeurs et autres organisateurs de ce marché humain et enfin, la plume vint griffer le vélin pour répondre à Judas.


Citation:
Mon maître,
Judas,

Toute trace a disparu. Vous pouvez me faire confiance lorsqu'il s'agit de vous blanchir.

Judas, dites-moi de venir vous rejoindre pour associer ma lame à la votre et je le ferai sans hésitation.
Je ne suis pas doué pour parlementer mais si vous devez mener quelques batailles, ne me laissez pas au rôle de nourrice et d'intendant au détriment du bras droit que je souhaite être pour vous.

Tenez-nous au courant. Ayoub sera informé de votre volonté bien entendu.

Votre fidèle,
Moran Lisreux.


La lettre fut envoyée, mais un goût amer restait sur la langue du boiteux.
Aussi beau soit le domaine, ses jambes s'engourdissaient de nouveau et il n'en pouvait déjà plus. Il fallait qu'il bouge, qu'il mène un combat ou qu'il voyage.
La proposition faite au Von Frayner approchait d'une supplique.

Et le non avancement de la relation avec sa soeur lui donnait un peu plus envie de fuir cette vie au domaine.

Un dernier vélin fut jeté dans la braise et les pas du Lisreux reprirent la route de sa chambre, s’apprêtant déjà à essuyer un nouveau combat fraternel, bien plus usant que toute autre bataille.

_________________
Nyam
[Quelque part sur la route]

Les premiers jours s'étaient passés assez facilement. La charrette du marchand avançait lentement mais surement, et l'homme tenait la conversation pour deux, voir trois, si bien que la petite Nyam n'avait pas grand chose à dire... Il fallait deux fois plus de temps avec ce moyen de transport pour rejoindre sa destination qu'avec les montures fraîches que chevauchaient le Maître habituellement, mais cela convenait davantage à sa jambe.

La douleur était encore bien présente, et se réveillait à chaque cahot de la route malmenée. Mais c'était en bonne voie de cicatrisation, même si la Frêle, en déjouant tout les pronostiques vitaux, restait encore bien maigrichonne. Le marchand fort généreux l'avait laissé partager ses repas, lui expliquant qu'il avait trois filles dont une de son âge, et qu'il ne supporterait pas de les savoir affamées, donc il ne pouvait que partager. Mais bientôt, il fallut se séparer. Car le marchand redescendait vers le sud après une livraison dans une ville dont Nyam n'arrivait pas à se rappeler le nom, et que l'esclave devait aller toujours à l'Est. Il allait falloir marcher, car avec les conflits, il était peu probable qu'elle trouve un autre marchand pour l'emmener...

Prudemment, en essayant de ne pas trop boiter pour ne pas paraître trop vulnérable, elle traversa le petit bourg avant d'en franchir la porte... La journée était bien avancée mais il restait encore du temps avant la nuit, elle pourrait donc avancer un peu... Ce soir, elle dormirait à la belle étoile. Mais cela ne pouvait pas être pire que certaines autres nuits où pourtant elle avait été entre quatre murs...

La première heure de marche fut laborieuse et épuisante... La deuxième fut encore pire... Quand à la troisième... Nyam renonça tant la douleur raidissait sa jambe... Et la pluie n'arrangeait rien. Elle avait commencé à tomber en un rideau fin continue peu de temps après sa sortie de la ville et c'était de grosses gouttes qui tombaient sans fin à présent... Et certains voudraient qu'elle reprenne a liberté ? Mais pour en faire quoi... Elle n'arrivait même pas à se débrouiller seule quelques heures.

La Frêle trouva refuge au creux des racines d'un vieille arbre arraché. Se blottissant dans sa cape, elle mâchonna un morceau de pain un peu sec et une bouchée de fromage. L’avantage quand on a l'habitude d'avoir faim, c'est qu'on se contente de peu... Elle finit par s'assoupir, dissimulée dans les racines noueuses, essayant de s'isoler du froid, s'enfonçant dans des rêves délirant sans logique, gardant à l'esprit la seule pensée de retrouver son Maître pour veiller sur lui...

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*Frédéric Régent, Historien
--Ayoub
[Quand on cède à la peur du mal, on ressent déjà le mal de la peur.]*

Et le Maure avait grande peur. Peur du mal qu'on allait lui faire. Peur de la correction qu'on allait lui donner. Un mal qui commençait par cette peur. Peur qu'il n'avait que rarement ressenti. Mais la seule pensée de son maître quand il apprendrait la nouvelle, la simple et dure vérité le tétanisait sur place. Lui, si grand, si costaud. Lui si indifférent à toutes choses, à tout danger. Ayoub. Face à Judas Von Frayner. Il ne ferait jamais le poids. L'esclave devient esclave à partir du moment où il cesse de se rebéller. A partir du moment où il accepte sa condition en silence. Tant qu'il lutte, il éprouve encore quelques affres de liberté. Ensuite... plus rien. Ce n'est plus un homme, c'est un objet. Un jouet au service de son maître. Entièrement dévoué. L'homme est un animal paradoxal. Il finit par accepter la souffrance. Il est finalement si aisé de le priver de sa liberté, de sa raison profonde et personnelle. Il est aisé de le rendre autre. De le rendre... rien.

Le Maure a peur. Une peur lancinante. Il pense savoir ce qui l'attend, ce qu'il risque. Le doute est facteur de peur. Peut-être espère-t-il, au fond de son coeur, un peu de clémence. Son maître en était-il réellement capable ? Il savait pourtant que non. Grognement, qui lui échappe. Grognement de dépit. De peur. D'attente. Il est entré seul dans le domaine. Il est arrivé seul. Elles ont disparu. Toutes. Nyam la première... et déjà le trouble et l'angoisse avait été important. Puis les autres. Toutes. A vouloir trop bien faire, parfois, on ne fait rien de bien. L'excès est une démesure qui conduit à la bévue. A la faute. Il arrive seul et va se devoir d'annoncer la nouvelle à son maître. Il ne saurait lui mentir. Peine perdue, il l'apprendrait. Pourquoi n'avait-il pas pensé à s'enfuir lui aussi ? Il n'avait pas pû. Il pensait au fond de lui qu'un homme devait assumer ses actes. Tous. Il se voulait homme. Une des rares façons de se qualifier, de se réconforter dans sa liberté. Liberté illusoire, vaine, feinte. Utopique. Fantasmée.

Le Maure était un homme. Comme peu. Un homme courageux. Peut-être trop. Il avait peur. Mais il affrontait sa peur, en se rendant droit vers sa pénitence. Le jour déclinait quand il arriva au domaine. La peur retenait ses grognements pour si coutumier. Aucun son ne sortait de sa bouche. Comme si l'esclave était devenu muet. Comme si sa voix l'avait quitté, prenant la fuite par avance, en prévision de ce qui risquait de se passer. Des coups il en recevrait. Il le savait. On ne déçoit pas un Judas Von Frayner impunément. Il le savait comme tous les esclaves du dit maître. Il avait pourtant eu de la chance jusqu'ici. Le maître le considérait plutôt bien. Pour un esclave. Mais la nouvelle changerait surement bien des choses. Le Maure avait toujours fait en sorte de ne jamais le décevoir. Il s'était dénué de sentiments pour faire sans remord la moindre des tâches qu'il lui était confié. Au fond de lui, il avait de la rancoeur. Se faire punir à cause d'elles... Il n'avait pas été assez vigilent. C'était sa faute. Un travail mal fait. Mais un travail qui dépend aussi des autres. Et cela avait du mal à passer.

Le Maure ne savait plier les autres sous sa volonté qu'en les tuant ou en leur faisant du mal. Mais il ne pouvait le faire face aux demoiselles. Il ne lui restait qu'un pas à faire pour entrer là où se trouvait son maître. Un pas. Et la vérité criante à cracher. Ce n'était alors plus de la peur, mais de la terreur. Il ne tremblait pas. Rien dans son attitude ne pouvait témoigner de son angoisse, de son état. La terreur est muette là où la peur crie. Ayoub n'osait pas faire le dernier pas décisif, fatidique, qui le conduisait tant vers son maître, que vers sa punition. Il osa finalement se présenter devant Judas. Mais il ignorait ce qui l'attendait réellement. Attendre dans le doute, et l'angoisse est bien la pire des attentes. Elle vous change un homme. C'est uniquement la force de caractère du Maure qui lui permis de tenir le coup, et de grogner comme toujours, avant de saluer son maître. Il ne restait plus qu'à annoncer la dite nouvelle de la fuite de ses esclaves féminines. Une fuite qui serait vu comme une faute. Il l'entendait déjà : "tu les as laissé s'enfuir !". Des mots qui ferait sans doute éprouvé des remords, des mots pointus qui le blesserait, car décevoir son maître n'est pas digne d'un bon esclave, d'un homme digne de ce nom. Des mots qui accuseraient. Pour une seule destination... la souffrance silencieuse.


* Beaumarchais
Judas
Acte II , scène I.

[Judas de retour à Petit Bolchen, fait le tour de ses terres en prenant note de tous les faits passés en son absence.]

L'homme avait quitté Dijon, comme il le prédisait dans son dernier courrier. Désertant l'armée, il chargea Rosalinde de rester si elle le désirait, juste pour quérir quelques informations que l'on obtient pas en usant de subterfuges masculins... Il avait lors de ce séjour en la capitale troublée fait des rencontres des plus intéressantes, une cousine rousse comme le diable et hérétique de surcroît, un irlandais sur la réserve, quelques suppôts Montalbanais et une Beaumont grinçante. A cette dernière d'ailleurs, il avait fait une promesse singulière, excédé de sa compagnie crispante. Judas avait recroisé avant de partir un sénéchal de Digoine plus en forme que jamais et une Sombre aux manières qui lui étaient bien familières. Bref, l'attente n'avait pas été improductive, et c'est sur un ordre particulier qu'il les quitta tous, du moins le croyait-il, pour retrouver Petit Bolchen et ses lévriers.

"Si l'on vous demande où je suis, mentez. Dites n'importe quoi, faites croire que je suis encore sous l'étendard de la Salamandre et que je combat."

Mentir, Rosalinde savait faire, et avec un certain talent. Elle n'avait pas non plus rechigné à la demande du Frayner, lorsqu'il lui manda plus ou moins explicitement de passer ses nuits auprès du Blanc Combaz, afin de percer quelques non dits et de l'informer. Rose, sous les crins roux l'implacable talent de se faire avouer la pluie et le beau temps, au lit ou à la guerre. Lorsqu'il gagna Petit Bolchen, il s'informa de ce qu'il avait manqué et de l'arrivée imminente des filles. Nyam, Iris et Eleonore devaient être en route avec le Maure, mais lorsqu'au détour d'une porte il vit son visage apparaitre , grave et fermé, il comprit qu'il était revenu seul. Il manda d'un geste sec au valet qui le suivait en prenant note de ses doléances prochaines à Corleone de stopper leur marche et d'attendre. Levant le menton vers Ayoub il persiffla:


Où sont-elles...


Et les mâchoires de se serrer d'un tic nerveux, une mauvaise intuition sur le bout de la langue.
_________________
--Ayoub
L'esclave fait son orgueil de la braise du maître*

Vision du maître qui le fait se renfermer. Comme toujours. Se cacher derrière sa carrure, et ses grognements. Il ne pouvait plus. Judas le connaissait trop. Et il n'avait jamais été impressionné. Les choses changeaient. Il ne manquait plus que peu de chose pour que le Maure perde le peu de confiance et de fierté qu'il lui restait. Une question posée. Qui n'est pas véritablement une question. Il sait déjà. Rien qu'à le voir. Et le Maure sait qu'il sait. Mais qu'il est difficile de décevoir son maître.

Où sont-elles...

Baisser d'abord la tête. Fixer le sol. Réfléchir. Réfléchir à la manière de lui annoncer la chose. La disparition de ses filles. Baisser la tête. Comme il ne l'avait jamais réellement fait. Fierté d'un Maure. Culpabilité, et peur qui lui font perdre tout orgueil. Un esclave est un homme faible face à la colère, le doute, ou la déception de son maître. Baisser la tête. Le Maure se voit finalement dans cette posture et serre les poings. Il doit assumer. Il le sait. Il ne peut plus faire marche arrière. Il relève alors le visage et regarde Judas dans les yeux en lâchant les mots fatidiques :

Je l'ignore, ... maître.

La peur semble s'effacer. Le regard se veut fier. Esclave peut-être. Homme avant tout. Il le veut. Il l'est. Il le restera. Jusqu'à la fin. Durant les coups durs, comme le reste du temps. Il lâche un grognement mécontent. Mécontent de lui. Du travail mal fait, comme de ses actes intolérable. Comment avait-il pu baisser ainsi la tête ? Même lui ne comprenait pas, ne comprenait plus. La peur poussait parfois à faire des choses qui sortent bien nettement de notre comportement ordinaire.

Il arrêta finalement de réfléchir. De se perdre dans ses pensées. Seul chose qui restait réellement libre chez lui finalement. Ses pensées, et sa volonté. Sa force de caractère faiblissait parfois, mais, il assumerait la punition en véritable homme. Enfin il l'espérait. Il regardait Judas, attendant sa réaction, qui ne tardait jamais guère à se montrer.


* Antoine de Saint-Exupéry.
Judas
Tu... L'ignores?

Deja, l'atmosphère s'est tendue, les silouhettes qui entouraient Judas semblent s'être resserrées en un cercle maudit, suspendus à ses lèvres. Incrédule, Judas dévisage le Maure et cette gueule contrite qu'il ne lui a a jamais connue. Des secondes interminables s'installent entre eux, l'un jaugeant l'autre d'un air déçu et excédé, l'autre s'aplatissant, plus que jamais. Le Maure avait toujours répondu présent. En toutes saison et pour toute besogne l'homme n'avait jamais déshonoré le Von Frayner. Plus docile que la plus docile de ses esclaves, cette grande carrure n'était qu'abnégation et dévouement silencieux. Pourtant, ce jour marquait la fin de sa reluisante réputation. Ruiné, sur deux mots, déchu et tombé en désuétude au yeux implaccable de Judas. L'erreur était le signal d'un Ayoub sans doute vieillissant, la fin de sa tranquillité.


Tuez-le. Mais gardez la tête en l'état surtout, je la récupère.

Voilà. Voilà comment balayer en quelques mots des années de bons et loyaux services. La sentence tombe en couperet, elle parait si simple, si évidente. Désobéisance, mort. Les deux gardes placés en retrait depuis le début de manège s'exécutent, fondant en rapace sur la grande charure qu'il matteront a grand coup de lame sans doute. Judas ne sait pas, il se retourne, retournant à ses doléances comme on reprend la contemplation d'un paysage paisible après une éclipse.

Après les plaintes et les protestations, c'est le calme. Un bruit sourd se fait entendre, Judas relève les yeux du petit carnet griffoné en fixant brièvement un point imaginaire.

Isaure Wagner, damoiselle de Miramont et de Morvilliers, petite protégée de Agnès de Saint Just serait livrée à l'aube.

_________________
--Ayoub
La souffrance a ses limites. Pas la peur. *

Atmosphère qui se tend. Temps qui s'étire imperceptiblement. S'applatir, pour essayer d'amoindrir la punition. Ayoub n'avait jamais été réellement puni. Loin d'être parfait, il était simplement dévoué. Et la dévotion est belle aux yeux d'un maître. Elle flatte son orgueil, le fait se sentir supérieur. Le fait se sentir maître. De son domaine comme de ses hommes. Le regard de Judas est effrayant. Tout comme ces deux hommes qui se resserrent autour de lui. Sombres. Le plus terrifiant des monstres feraient alors moins peur au Maure que la stature et le regard de son maître. Glaçant. Plusieurs années maintenant qu'il était à son service. Et le Maure n'avait jamais aperçut un regard tel dans les yeux de son propriétaire. Un regard qui parle, tout autant que ses mots qui le frappent.


Tuez-le. Mais gardez la tête en l'état surtout, je la récupère.

La sentence est tombée. Irréfutable. Indiscutable. Le Maure serre les poings, sans réagir tout de suite. Choqué. L'esclave ne décide de rien. Pas même de sa mort. Il aurait aimé mourir autrement. Pas tuer par deux sbires. Son regard se pose sur son maître. Il lâche un nouveau grognement. En désaccord. Le passé ne compte plus. Ses services rendus ne viennent pas amoindrir la punition. Au contraire. Peut-être l'augmentent-t-ils. Désobéissance ou impuissance ? Tout dépendait du point de vue. Mais aucun des deux n'était pire que l'autre. Impuissance mortelle, ou désobéissance... fatale. L'orgueil tue, comme le maître. Le maître se retourne, et commence à s'éloigner tandis que les hommes se jettent sur le Maure, destitué. Un dernier élan avant la souffrance, il lâche, aussi fortement qu'il le peut, de sa voix rauque:

Laissez moi les retrouver pour vous... et... tuez moi ensuite...

Mots qui s'effacent. Qui se perdent. Le maître est trop loin. Sa voix est trop faible, amoindri par ses coups. Il mourra en lâche. Il mourra. En souffrant. Il mourra en silence. Il s'effacera. On l'oubliera. On l'avait oublié avant qu'il meure. Un coup, puis un autre. Un grognement. Il ne criera pas. Retenant la douleur comme on retient ses coups. Supportant la douleur pour mieux effacer sa honte. Il aimerait tant, le Maure, il aimerait ne pas être le seul à mourir. Il acceptait finalement son sort. Il vivait mortifié, alors mourir vivifié était une idée qui ne lui déplaisait pas tant que ça... Il n'avait jamais réellement craint la mort. Seulement, sa bonté habituelle reprenait le dessus. Il aurait aimé tout faire pour ne pas être le seul à mourir, pour entraîner les sbires assassinant dans la mort avec lui. Un coup maladroit sur son visage. Maladroit mais puissant, comme ils s'en donnaient à coeur joie était si vite arrivé.

Bientôt aucune pensée ne montèrent jusqu'au cerveau de l'Ayoub. La souffrance était trop grande. Tout oublier. Se mordre la langue au point de se la couper, seul. Douleur. Souffrance ahurissante. Il n'aurait jamais pensé que cela puisse exister, à tel niveau. Mutiler, perdant son sang. Les coups de lames avaient été violent, répétitif. Plus aucun sons ne sortaient de sa bouche. Contusionné, blessée mortellement, le Maure à la carrure imposante s'effondra en lâchant dernier mot, toujours plein de dévotion et de regret :


Maître...

La souffrance a ses limites. Le Maure l'avait atteint. En s'effondrant, il ne souffrait plus, il ne sentait plus les derniers coups qui s'abbataient sur lui. Solide. Et pourtant si faible, fragile. Il ne sentait plus rien. Il ne voyait plus rien, n'entendait plus rien. La seule limite de la souffrance est la mort. La mort qui venait cueillir le Maure. Libre. Il ne l'aurait jamais été. Ne le saurait jamais. Il était mort en indigne. Mort en esclave acceptant silencieusement, ou du moins le plus silencieusement possible le sort que son maître lui réservait. Mort. En esclave. Et la Lune l'attendait. Où il serait au service du pire des maître qui soit. Mais à croire que le Maure aimait cela. Plus le maître était sadique, plus il était dévoué. Mort en esclave. Mort en indigne. Et plus rien.

Le couperet final s'abbatit, alors que le Maure était déjà partit bien loin. Le maître voulait un trophée. Sa tête. La tête d'un serviteur qui lui avait toujours obéit de son mieux. Quel plus beau trophée pouvait-il avoir ? Cruel. Sadique. Dénué de sentiment, ou de pitié. Tel était le Judas Von Frayner qu'Ayoub avait connu et adoré. Qu'Ayoub avait servi et au fond aimé. On retourne toujours vers ce qui nous fait du bien. On s'attache toujours à ce qui nous fait du mal. Perdre cette source de souffrance fait toujours mal. Un esclave le savait mieux que quiconque. Ayoub n'est plus. Sa vie futile et inutile s'achève. Un dernier usage. Trophée. Ayoub n'est plus. Sa tête subsiste, pour on ne sait quelle raison. Vous le saurez ou l'apprendrez plus certainement que le Maure mort.

La fin frappe. La page se tourne. Le serviteur suivant connaîtrait sans doute un jour le même sort. Cela ne le concerne plus. Il ne reste qu'un corps mutilé au milieu d'un domaine sensé être calme, représentant pourtant un lieu de volupté. Une tête, des yeux exorbités. Une belle image. De Fin.


* Arthur Koestler
Isaure.beaumont
[Quelque part en Bourgogne ou ailleurs, dans le campement de la Salamandre]

Les nuits se succédaient et se ressemblaient. Jamais le campement de la Salamandre ne semblait dormir et chaque nuit voyait son lot d’échauffourées et de rixes orchestrées par des soudards avinés. Et tandis que les rires gras résonnaient dans tout le camp, Isaure se tournait et retournait sur sa modeste couche, bien loin du confort des châteaux qu’elle connaissait. Toute cette promiscuité sociale nuisait à sommeil et agaçait ses nerfs. Ses nuits étaient courtes et dépeuplées de rêves quand les journées se faisaient longues et chargées.

Eveillée depuis bien trop longtemps, la Miramont fixait le plafond de toile par laquelle filtraient les premiers rayons du jour. Les draps remontés jusque sur le nez pour se préserver de la fraicheur du matin, elle ruminait silencieusement contre ces porcs suintant l’alcool, une main enserrée autour du manche d’une petite dague, dissimulée sous son oreiller. Simple précaution qui la rassurait quand la toile de sa tente frémissait un peu trop, comme c’était justement le cas.

Se redressant vivement, Isaure pointa sa ridicule arme, digne de la petite épée que tous connaissaient, vers l’entrée de la tente où une silhouette semblait se découper sur la toile.


-Qui va là ?!
-Pour vous, Damoiselle de Miramont.
-Pour moi ?


Et la curiosité lui donnant du courage, elle enfila un manteau avant de risquer un œil hors de la tente. Juché sur sa monture, un cavalier se pencha vers elle, lui délivrant un charmant petit paquet gansé, qui laissait présager une merveille pour les yeux, ou qui sait, les papilles.

N’accordant que peu d’importance à qui pouvait bien le lui envoyer, Isaure s’engouffra dans sa tente, sans un dernier mot pour le cavalier.

Les doigts fébriles s’acharnèrent sur le paquet pour en libérer le présent et dans un cri strident, Isaure envoya le paquet et son funeste contenu à l’autre bout de la tente – c'est-à-dire à ses pieds. La tête roula encore et encore, telle une toupie, avant de s’immobiliser enfin, face vers Isaure.


D’abord, elle crut à une menace de mort. On voulait attenter à sa vie. Elle était en danger ! Mais quand le maure mort tourna vers elle son regard vide, les paroles du Von Frayner lui revirent en mémoire. Quelques jours auparavant, semaines peut-être, Judas lui avait fait une promesse. Promesse que la jeune fille n’avait visiblement pas prise au sérieux.

Remise de sa surprise, le cœur retrouvant un rythme moins effréné, la jeune fille s’agenouilla face à la tête esseulée et observa les traits de l’homme. Après tout, il ne s’agissait ni plus ni moins d’une tête. Elle qui se réjouissait de chaque exécution publique n’avait aucune raison de se tourmenter pour un simple morceau humain, pourtant cette tête humaine sans vie la troublait plus que de raison. Et la fatigue aidant :


-Ainsi c’est vous… Je vous rencontre enfin… L’on m’a beaucoup parlé de vous… Ou si peu. La brune fronça le nez. On m’avait promis votre tête, mais de là à vous imaginer ici…

Se saisissant de la tête du bout des doigts tout en grimaçant, Isaure l’installa sur une chaise de fortune, la tournant légèrement vers la tenture.

-Il serait indécent, aussi mort soyez-vous, que vous puissiez glisser un œil alors que je me vêtis. Voyez-vous, je me dois de remercier votre cher maître pour ce charmant présent qu’il me fait… Charmant. Vraiment charmant. Vous m’auriez pourtant était bien plus utile vivant ! Qu’avez-vous donc fait pour mériter cette sentence ?


Et tandis qu’elle tentait de s’habiller seule, n’ayant personne pour le faire, la brune faisait la causette à une tête privée de son corps.

-Vous n’êtes pas très bavard… Vous me direz, vous êtes un mort maure, ou un maure mort !
La brune se mit à rire. Elle était bonne n’est-ce pas ? Vous en seriez mort de rire si vous ne l'étiez pas déjà… J’en suis certaine.

Une fois habillée, la Wagner s’installa sur sa paillasse, se saisit d’un vélin vierge, de sa plume et du flacon d’encre.


Citation:
Cher Ami, je puis désormais vous appeler ainsi puisque nous en sommes à nous offrir des présents.

Je tenais à vous remercier personnellement du charmant cadeau que vous m’avez fait parvenir de si bon matin. Quel plaisir à mon réveil de voir que vous aviez pensé à moi. Quelle morbide attention qui se prête si bien aux temps présents. J’aurais préféré que vous m’offriez là la tête de ce vil usurpateur qui nous pousse à la guerre, et ainsi me prive de mon précieux confort, mais soit, je me contenterai de ce modeste crâne d’esclave maure. Quel crime a-t-il donc bien pu commettre pour que vous le punissiez ainsi ? Il m’avait l’air d’un brave homme.

Souffrez-donc que je vous retourne ce petit morceau de chair maure, et acceptez de l’enterrer –corps et tête – tel le bon aristotélicien qu’il se devait d’être. Vous me pardonnerez sûrement la suite.

Que le Très-Haut vous garde,

A ne jamais vous revoir,

Isaure Wagner

PS: Je vous avais sous-estimé.


-Vous transmettrez mes amitiés à votre maître… Ce fut un plaisir de vous recevoir en mon humble demeure… Vraiment ! Non, non, ne me remerciez pas…

Et sur ces mots, la jeune fille replaça précautionneusement la tête du maure, préalablement peignée, coiffée et maquillée, dans le paquet qui l’avait vu arriver. Délaissant le ganse carmin, elle leur préféra des rubans bleus de bonne facture qu’elle noua autour du paquet.

Retour à l’envoyeur.

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Judas
Acte II, scène II.

Elle avait réceptionné message. Mieux, elle avait accusé réception du présent, avec ce sarcasme que Judas lui connaissait bien. Il pensait d'ailleurs qu'icelui cachait moults choses, et sans vouloir réfléchir auxquelles il se plaisait à les exacerber. Isaure était jeune et écervelée, du moins c'est ce qu toute a mauvaise foy du Frayner voulait garder de sa personne. La tête revint à bon port, et tous ses souvenirs avec. Assis en face de la boite à la ganse, l'homme la fixe en silence, tentant de s'empêcher de penser à ce que son propriétaire lui évoquait. Car même si l'erreur grossière était l'ultime souvenir qui avait éclipsé les autres, elle ne les avait pas effacé pour autant. Judas revit le soir où le grand maure avait accompagné son maitre jusque sous la chaumière d'une famille, les grandes flammes qui léchèrent la masure et le petit corps de Nyam enserré dans ses bras et arrachée à sa vie initiale . Il était là, plus obéissant que le meilleur des lévrier du castel. Il se souvint aussi des traques dans les bois, de la découverte de la dépouille du garde, de la fois où il avait décidé d'acheter cette brute silencieuse a la peau noire et de temps qu'il fallut pour la mater... Casser son tempérament, briser sa volonté à grands coups de badine... Judas avait encorre tout en tête comme si cette ombre bravement disciplinée avait toujours été la sienne, là par dessus son épaule. Le chaperon de filles... Voilà ce que son maitre en avait fait. Ces derniers temps l'homme aux cheveux long avait assoupi ses élans colériques et ses pulsions destructrices, absorbé par moult choses sans doute. Il fallait croire qu'Ayoub avait été le réceptacle de plusieurs semaines de platonisme, un exutoire nécessaire pour recouvrir les véritables desseins qui jamais n'avaient pu être dissociés de Judas.

L'observation mutique dura près d'une heure. Une heure durant laquelle la poussière du castel vint velouter le cuir de son vêtement, imperceptible. Et la silhouette toute immobile en son siège avait des allures marmoréennes, un chien attentif en son giron. Prunelles grises vissées à ce qu'il n'arrivait à définir comme la représentation d'une erreur ou d'une justice. Sa justice. Enfin la carrure frémit, garde-corps et col fourré s'animèrent un peu mécaniquement. Puisque la mort avait emporté dans son lit même la fossoyeuse de Petit Bolchen, Judas bâclait son final. Senestre, la plus virulente des deux, emporta en son joug la boite salie d'avoir trop voyagé. Les funérailles avaient un gout de mascarade lorsque du haut de sa monture, dans le bois au pieds de la muraille il la balança d'un geste leste en éperonnant déjà la beste pour hâter le chemin du retour.

Le crâne cogna mollement dans son écrin de misère qui tomba non loin d'un cadavre décapité déjà convoité par les mouches, comme une pierre de plus à un édifice vieillissant. Finir en offrande au Malesoir, sans doute que l'esclave n'y aurait pas songé...

Adieu l'ami.

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