[Quelque part en Bourgogne ou ailleurs, dans le campement de la Salamandre]
Les nuits se succédaient et se ressemblaient. Jamais le campement de la Salamandre ne semblait dormir et chaque nuit voyait son lot déchauffourées et de rixes orchestrées par des soudards avinés. Et tandis que les rires gras résonnaient dans tout le camp, Isaure se tournait et retournait sur sa modeste couche, bien loin du confort des châteaux quelle connaissait. Toute cette promiscuité sociale nuisait à sommeil et agaçait ses nerfs. Ses nuits étaient courtes et dépeuplées de rêves quand les journées se faisaient longues et chargées.
Eveillée depuis bien trop longtemps, la Miramont fixait le plafond de toile par laquelle filtraient les premiers rayons du jour. Les draps remontés jusque sur le nez pour se préserver de la fraicheur du matin, elle ruminait silencieusement contre ces porcs suintant lalcool, une main enserrée autour du manche dune petite dague, dissimulée sous son oreiller. Simple précaution qui la rassurait quand la toile de sa tente frémissait un peu trop, comme cétait justement le cas.
Se redressant vivement, Isaure pointa sa ridicule arme, digne de la petite épée que tous connaissaient, vers lentrée de la tente où une silhouette semblait se découper sur la toile.
-Qui va là ?!
-Pour vous, Damoiselle de Miramont.
-Pour moi ?
Et la curiosité lui donnant du courage, elle enfila un manteau avant de risquer un il hors de la tente. Juché sur sa monture, un cavalier se pencha vers elle, lui délivrant un charmant petit paquet gansé, qui laissait présager une merveille pour les yeux, ou qui sait, les papilles.
Naccordant que peu dimportance à qui pouvait bien le lui envoyer, Isaure sengouffra dans sa tente, sans un dernier mot pour le cavalier.
Les doigts fébriles sacharnèrent sur le paquet pour en libérer le présent et dans un cri strident, Isaure envoya le paquet et son funeste contenu à lautre bout de la tente c'est-à-dire à ses pieds. La tête roula encore et encore, telle une toupie, avant de simmobiliser enfin, face vers Isaure.
Dabord, elle crut à une menace de mort. On voulait attenter à sa vie. Elle était en danger ! Mais quand le maure mort tourna vers elle son regard vide, les paroles du Von Frayner lui revirent en mémoire. Quelques jours auparavant, semaines peut-être, Judas lui avait fait une promesse. Promesse que la jeune fille navait visiblement pas prise au sérieux.
Remise de sa surprise, le cur retrouvant un rythme moins effréné, la jeune fille sagenouilla face à la tête esseulée et observa les traits de lhomme. Après tout, il ne sagissait ni plus ni moins dune tête. Elle qui se réjouissait de chaque exécution publique navait aucune raison de se tourmenter pour un simple morceau humain, pourtant cette tête humaine sans vie la troublait plus que de raison. Et la fatigue aidant :
-Ainsi cest vous
Je vous rencontre enfin
Lon ma beaucoup parlé de vous
Ou si peu. La brune fronça le nez. On mavait promis votre tête, mais de là à vous imaginer ici
Se saisissant de la tête du bout des doigts tout en grimaçant, Isaure linstalla sur une chaise de fortune, la tournant légèrement vers la tenture.
-Il serait indécent, aussi mort soyez-vous, que vous puissiez glisser un il alors que je me vêtis. Voyez-vous, je me dois de remercier votre cher maître pour ce charmant présent quil me fait
Charmant. Vraiment charmant. Vous mauriez pourtant était bien plus utile vivant ! Quavez-vous donc fait pour mériter cette sentence ?
Et tandis quelle tentait de shabiller seule, nayant personne pour le faire, la brune faisait la causette à une tête privée de son corps.
-Vous nêtes pas très bavard
Vous me direz, vous êtes un mort maure, ou un maure mort ! La brune se mit à rire. Elle était bonne nest-ce pas ? Vous en seriez mort de rire si vous ne l'étiez pas déjà
Jen suis certaine.
Une fois habillée, la Wagner sinstalla sur sa paillasse, se saisit dun vélin vierge, de sa plume et du flacon dencre.
Citation:Cher Ami, je puis désormais vous appeler ainsi puisque nous en sommes à nous offrir des présents.
Je tenais à vous remercier personnellement du charmant cadeau que vous mavez fait parvenir de si bon matin. Quel plaisir à mon réveil de voir que vous aviez pensé à moi. Quelle morbide attention qui se prête si bien aux temps présents. Jaurais préféré que vous moffriez là la tête de ce vil usurpateur qui nous pousse à la guerre, et ainsi me prive de mon précieux confort, mais soit, je me contenterai de ce modeste crâne desclave maure. Quel crime a-t-il donc bien pu commettre pour que vous le punissiez ainsi ? Il mavait lair dun brave homme.
Souffrez-donc que je vous retourne ce petit morceau de chair maure, et acceptez de lenterrer corps et tête tel le bon aristotélicien quil se devait dêtre. Vous me pardonnerez sûrement la suite.
Que le Très-Haut vous garde,
A ne jamais vous revoir,
Isaure Wagner
PS: Je vous avais sous-estimé.
-Vous transmettrez mes amitiés à votre maître
Ce fut un plaisir de vous recevoir en mon humble demeure
Vraiment ! Non, non, ne me remerciez pas
Et sur ces mots, la jeune fille replaça précautionneusement la tête du maure, préalablement peignée, coiffée et maquillée, dans le paquet qui lavait vu arriver. Délaissant le ganse carmin, elle leur préféra des rubans bleus de bonne facture quelle noua autour du paquet.
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