Aelis
RP ouvert sur demande.
[Résumé de l'épisode précédent]
Elle avait bu, juste ce qu'il faut. Trop pour avoir les idées claires, pas assez pour se mettre hors d'état de nuire.
Taverne "l'Antre des Chambériens". Il y avait eu ce couple, elle avait parlé d'Amour, ils s'étaient embrassés, c'était le début, c'était la passion. Une morsure dans le cou, elle en avait eu les larmes aux yeux. C'était lui, c'était elle, avant. Avant César, avant la politique, avant la prison, avant la routine. Ils étaient partis, et il y avait eu Guilmord. L'alchimiste, l'herboriste. Il lui propose une potion pour calmer sa future gueule de bois. Mais c'est une toute autre fiole qu'elle lui réclame. Il refuse, bien sûr, elle doit le convaincre. Elle n'a plus envie de vivre, tous se détournent d'elle, elle n'est d'aucune utilité à personne. Et en plus elle a du se couper les cheveux, alors elle n'est même plus jolie. Et puis de toute façon, à quoi ça lui servait d'être jolie ? Il l'avait tellement vue qu'il ne la regardait plus. Et, à force de confessions, sérieuse, sans verser plus d'une larme, elle l'obtient, sa fiole. Du poison, noir. Des larmes plein les yeux, il la raccompagne chez elle.
[Générique]
Où aller ? Où ne pas aller ? Les brumes de l'alcool sont là, bien présentes, et pourtant pas assez pour l'arrêter. Elle avait décidé, résolution inébranlable des âmes ivres, qui, si personne ne les arrête, finiront par se réveiller, le lendemain matin, nues au milieu d'un champ, à cause d'une furieuse envie d'un retour à la nature.
Chausses abandonnées dans l'entrée, elle monte à pas de loup... Pardon, elle monte les escaliers, en essayant de faire le moins de bruit possible, chose non évidente quand on a quelques grammes d'alcool dans le sang. Première porte passée, celle le la chambre de son fils.
Terminée l'ivresse, elle redevient mère. Alors doucement elle s'approche du lit où l'enfant dort, remet les draps en place, s'agenouille aux côtés de son fils, et doucement caresse sa brune chevelure, en lui murmurant des mots de mère, des mots d'amour, des vux d'avenir.
"Pardonne ta faible mère, César, sois fort. Amadeus, sois tendre, sois un bon aristotélicien. Tu es déjà grand, et pourtant j'ai l'impression qu'hier encore je te nourrissais de mon sein... Tu étais si petit, je te berçais dans mes bras en te chantant ta berceuse favorite, mais de mes bras tu n'auras bientôt plus besoin. Tu auras tes propres bras, pour défendre, pour construire. Et puis tu auras les bras de la femme qui t'aimera, et ceux de vos enfants, car la vie n'est qu'un éternel recommencement. Je t'aime, mon fils, tu oublieras ta mère, tu es encore jeune, bien vite ton chagrin s'estompera..."
Une main dépasse des couvertures, elle la serre un instant ; embrasse le front blanc, c'est fini, elle sort. Un rai de lumière filtre sous la porte de la chambre conjugale. Raoul dormait-il, ou ne dormait-il pas ? Trois heures sonnent. Sans doute ne dort-il pas, alors seule, dans le couloir, face au grand miroir, elle sort de son décolleté le flacon, le débouche et l'avale d'un trait. A ta santé, Aélis, semble-t-elle dire à son reflet. C'est amer, c'est immonde. Elle grimace, manque de tout recracher dans un vase, déglutit finalement avec une moue de dégoût. Il ne faut pas qu'il sache, alors elle planque la fiole sous la visière d'une armure ornementale. Qui pensera à chercher là ?
Entrée en chambre. Le Vicomte est là, sur un divan, serrant amoureusement une cruche de vin entre ses bras. Elle sourit, jaune. Il y a quelques mois, cela n'aurait pas été une cruche de vin dans ses bras de son époux, mais elle, et elle seule. Elle ne serait pas allé passer sa nuit en taverne, ils auraient fait l'amour sur ce canapé, puis sur le lit, puis par terre, puis re sur le lit.
Elle soupire, se dirige vers son armoire, et passe une chemise de nuit. Inconsciemment, son choix s'est porté sur celle qui fut la préférée de Raoul, parce que trop courte, beaucoup trop courte. Depuis combien de temps ne l'avait-elle pas mise ? C'était une grande question à laquelle elle n'avait pas du tout envie de répondre.
Elle n'ira pas lui écrire une lettre d'adieu, elle ne veut pas qu'elle sache qu'elle vient d'avaler une fiole de poison. Non non, il doit penser qu'elle a été malade, que c'est la faute à pas de chance. Comme ça il ne sera pas malheureux, et s'il n'est pas malheureux, elle sera heureuse, tout simplement. Équation simple pourtant. Elle se glisse dans ses draps.
C'est vrai, il ne sera pas malheureux quand elle sera morte, elle le sait parce qu'elle a tout prévu, et qu'elle sait toujours tout, d'abord. Reste une inconnue : Comment le vérifier ? Et si l'Enfer, le Paradis, toussa toussa, ce n'était qu'une vaste fumisterie ? Si tout ce qu'il y avait, après, c'était rien ? Pas de vie après la mort ? Ne jamais voir sa mère, ne pas y attendre Raoul, César-Amédée et les autres ? C'est dire... Qu'elle venait de mettre un point final à son existence ?
Éclair de lucidité. Elle va mourir. Personne ne sait ce qu'il y a après la mort, personne n'est revenu pour le dire, les vieux croûtons du Livre des Vertus, si ça se trouve, il n'en savent rien ! Pourquoi a-t-elle bu ? Pourquoi ce fichu Guilmord lui a-t-il donné cette fiole ?! Un ronflement aviné l'extirpe de ses considérations métaphysiques. Pourquoi vouloir continuer à vivre si Raoul ne l'aimait plus comme avant ? C'était comme être face à une énorme crème glacée et n'avoir droit qu'à un verre d'eau...
Mais elle était bonne, cette eau. Elle se lève, effrayée. Tout quitter, le laisser ? Et si ces derniers mois n'étaient qu'une mauvaise passe ? Elle voulait un bébé, elle allait devenir chevalier, deux buts qu'elle venait de balancer par dessus son épaule, par le découragement d'un instant. Elle s'en mord la lèvre, tant pis. Dans l'état actuel des choses, c'était mieux ainsi, après tout elle n'était pas enceinte et elle n'était que page.
S'approchant du divan et de son époux endormi, elle s'accroupit auprès de lui, et lui retire la cruche des bras. Il grogne dans son sommeil, elle se justifie à voix basse... Ou plutôt, supplie :
Prenez-moi dans vos bras.
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