Chabert
Dieu avait certainement des plans pour lui, sinon comme expliquer la rencontre faite peu avant. En dehors de la grange, il se dirigea en direction des tavernes, prenant entre les battoirs lui servant de main, son visage à la barbe imposante.
- Maître.. Je goûte fort peu aux surprises du Destin, et si Dieu ma prévu quelques tourments, jaimerai que vous ne soyez pas mêlé à ceux-là..
Le voilà qui parlait tout seul ou presque. Son maître darmes était mort deux années auparavant, emporté par une bête fluxion de poitrine, nayant de seul regret que celui de navoir jamais revu son enfant. Cette enfant, il lui en avait touché quelques mots à loccasion dune passe darmes, autour dun godet. Une gamine née dun amour de jeunesse, très jeune dailleurs lamante, trop jeune puisque lenfant fut mise en nourrice en Provence et la jeune mère rapatriée. Une chance pour le vieux Juan puisque sans cette nourrice, jamais il neut reçu de nouvelles. Et la fillette grandit, et son maître lui parla delle un peu plus chaque jour.. Cerdanne, une gamine brune, vive desprit, quelques détails. Il jura daller la voir au moins un jour, pied de nez à la famille maternelle de lenfançonne. Et pourtant, plutôt quà sa fille, ce fut à un jeune blanc-bec quil consacra sa vie et son énergie, se répétant sans cesse quil irait un jour en Provence, la récupérer. Mais les promesses non-tenues se transmettent sur un lit de mort. Et alors quil partait, Juan de Mona lui fit jurer de la retrouver et de lui dire quil avait essayé. Promesse en vain, Chabert avait autre chose à penser, autre chose à pleurer. Et au lieu de sefforcer à réaliser les souhaits dun vieillard malade, il avait préféré conserver le souvenir dun homme de guerre. Le passé népargnant personne, ce fut au détour dune grange saumuroise quil retrouva la bâtarde de son maître.
Laquelle avait à son bras, trois petits grains de beauté formant triangle comme le lui avait confié son maître, et ce fut limpulsion la plus stupide qui soit, qui lincita à attraper ce bras, surpris pour lattirer à lui, avant de la relâcher et de lui demander de le suivre pour parler autour dune vraie table. Ainsi donc dans cette taverne, alors quil avait escompté de ne faire quaiguiser son épée, sans se préoccuper des autres, il rencontra un jeune homme avec qui deviser en attendant la Provençale et les mots qui ne manqueraient pas de suivre, et enfin, elle vint.
- Yop, lança-t-elle.
- Vous voilà enfin.
- Rebonjour.
Elle plissa les yeux, et durant ce court instant de silence, il tenta de chercher en elle, toutes les similitudes entre le vieux barbon et la jeunette, tout en rangeant lépée bâtarde dans le fourreau, et la pierre plate dans une bourse qui vint atterrir dans sa sacoche.
- Re Prince, dit-elle tout en sasseyant à son aise
- Ainsi donc, vous êtes Prince ?
- On a le temps hein..
- Certains ont attendu toute une vie pour parler avec vous. Je pense que je peux attendre un peu, le temps d'une réponse.
Et tandis que le jeune Gildwen de Brocéliande souriait, Cerdanne marmonnait. Beau duo.
- De Bretagne et de France.
Charmante façon de rappeler son statut et son rang, bien moins pédant que tout autre, le jouvenceau lui plut et il se fit la remarque intérieure de lui proposer de combler ses lacunes dans le combat, la Provençale, quant à elle, semblait loin de là, puisquelle se gratta machinalement le bras, laissant, du moins pour un temps, les hommes devisaient.
- Macarèl.. Et vous ne savez pas tirer l'épée ?
- Bah, chacun ses defauts.
- C'est cela. Le mien, c'est de ne jamais savoir par où commencer, dit-il en fixant la jeune femme, vous venez doù exactement ?
- Provence, marmonna-t-elle, installée à son aise contre son mur.
Las, il était si las, et les mains qui vinrent frotter le visage barbu pour essayer den ôter la fatigue, ny changèrent rien, mis à part, ajouter au malaise de la jeune femme.
- Quoi ?
- Jolie vie. Gentille fille. Gentille Mère. Gentil Père. La totale ?
- Tout faux, répondit-elle en serrant les poings.
- Mea maxima culpa.. Votre mère buvait, votre père vous violait et vous n'aimez pas travailler aux champs ?
- Non ! sécria-t-elle en fronçant les sourcils, vous cherchez la bagarre, vous !
- Je cherche la paix et vous ne lapportez pas, croyez moi, répondit-il, soudainement plus las que jamais.
- Orpheline. Ca vous va ?
- Pas vraiment, non..
- Mère trop jeune, père inconnu et nourrice peu recommandable, lança-t-elle en haussant le ton sans vraiment le vouloir.
- UN NOM, cria-t-il en tapant du plat de la main sur la table, est-ce si dur à donner ?
- Cerdanne, cest tout ce que jai, répondit-elle après avoir sursauté.
Un soupir de nouveau de la part du Termois avant de maugréer dans sa barbe.
- Espagnol, ça.. Comme Juan.
- Espagnol, oui. Et puis même.. Quest-ce que ça peut vous faire, répondit-elle en le fixant dun air mauvais. Et y a de lécossais au milieu.
- Mest avis que jai pris ce qui vous appartenez, et je naime pas être en dette avec quelquun.
- Qu..Quoi ? Je dois rien à personne, jai pas de dettes !
- Et pas de père non plus.
- Non..
- Moi, jai eu un maître darmes. Solide gaillard. Un espagnol.
Et au fur et à mesure des mots quil prononçait, il la vit se tasser dans son coin, et du coin de lil, il aperçut le jeune prince quitter la taverne. Les histoires de famille et leurs effets..
- Il avait una galha.. Une gosse..
- Et alors ..
- Bah figurez-vous que la drôle avait un prénom espagnol.
- Cest toujours pareil, ça fait des mômes et cest tout, dit-elle en grimaçant. Conchita ?
- Cerdanne en fait.
- Vous mentez, répliqua-t-elle en pâlissant.
- Et il était bien marri le pauvre homme d'avoir du la laisser.. Mais la mère ne voulait pas. Trop jeune. Ca fait des gosses partout après..
- Comme vous quoi, lança-t-elle, mauvaise.
- Non point. Pas de petit Terme. Vous avez devant vous le dernier survivant de la famille. Mon père est mort, un peu comme le votre du reste.
- Mon père ?
- Brave homme, hein.
- Ben tiens..
- Si, si on met de côté le fait qu'il n'a jamais pu vous voir, un homme qui prend la peine de s'enquérir de sa bâtarde. C'est un brave homme. Question de principe.
- Ah oui ?? Tellement que jen ai des souvenirs.
- Oui. C'est comme les petites tâches sur votre bras, il trouvait ça mignon sans même les avoir vraiment vues. Bon père.
- Taisez-vous vieux fou, souffla-t-elle en se figeant.
- A votre guise.
- Vous voulez quoi ?
- La paix. Et ça passe par des promesses.
- La paix.. Fou, ça vous lêtes.
- Vu votre façon de crier au loup, vous ne devez pas savoir ce que cest.
- Vous y connaissez quoi aux loups, vous ?
- Je suis vieux, aussi. Jen ai connu un, une fois. Il avait le même regard que vous. Fou.
- Oui, vous êtes vieux. Enfin.. Un peu. Vous venez doù ?
- Termes.
- Mon père.., commença-t-elle, songeuse, cest lui le regard fou ?
- Vous auriez du le voir une épée à la main, il aurait fait peur à nimporte quel démon.
- Alors pourquoi il nétait pas là pour moi ?! Y en a peut être dautres des Cerdanne, hein !
- D'accord. Alors je chercherai mieux pour en trouver une autre qui soit la fille d'un espagnol et d'une étrangère. Et qui vienne de Provence où sa nourrice l'a élevée. Ca doit se trouver.
- Alors pourquoi il est pas venu ?
- On se serait abstenu à moins. Votre mère est rentrée, Dieu ne sait où, vous confiant à une nourrice.
Et à la jeune femme de passer une main sur le front en soupirant.
- Ma mère, elle ma retrouvée, elle. Elle na pas eu le choix, elle.
- Vrai que les morts peuvent difficilement chercher, lança-t-il dun ton acerbe, savourant lair interdit de la jeune femme.
- Et vous, vous êtes qui ?
- La personne à qui il a daigné apprendre tout ce qu'il savait. Il est resté à Termes durant des années, profitant de la proximité de la Provence.
- Oui mais vous êtes qui ?
- Le descendant dune lignée éteinte. Chabert de Terme. Ca ne vous dit rien, ça semble évident. Moi non plus, ça ne me dit plus rien.
- Vous faites quoi ?
- Je cherche la paix.
- En Anjou ?
- Dans le Nord. Je voulais aller dans le Nord.
- Jy vais. La paix est là-bas ?
- Ne pouvez-vous rester en place ? Je vous trouve et vous partez. Vous auriez mieux fait de rester dans les génitoires de votre père, jaurais eu moins de mal à vous mettre la main dessus.
- Non mais, jai rien demandé à personne ! le tança-t-elle en devenant rouge, jai réussi sans personne jusque là !
- Oui mais personne ne vous a donné loccasion de demander !
- Demander ? Cest comme faire laumône ! Je suis pas une mendiante, pour qui vous me prenez !
- La digne fille du pire braillard que cette terre ait porté, répondit-il dans un éclat de rire
- Au moins, vous lavez connu, sa fille ne peut pas en dire autant.
Y avait-t-il une réelle déception dans ces propos ?
- Arrangez-vous avec votre mère. Au moins, vous lavez encore la vôtre.
- Elle la jamais revu, embarquée de force après laccouchement. Juste une médaille quelle a confié à la vieille.
- Comme quoi la nourrice est la plus maline de tous, elle a réussi à contacter votre père. La famille, cest pas inné chez toi.
- Cest inné chez personne. Vous savez pas ce que cest dêtre seule.
- Si. Et de voir mourir des êtres chers, aussi.
- Oui mais vous avez été élevé avec.
- Et je lai vu mourir aussi, et je nai rien pu faire. Comme à chaque fois.
- Mon père ? Il était comment ?
- Plus fort que vous ne pouvez limaginez. Droit, brave et pieux.
- Pieux ? lança-t-elle avant de partir dans un ricanement.
- Il avait trouvé la foi et vivait par elle.
- Rome
- Il avait renié les blasphèmes de léglise aristotélicienne et trouvé la vraie foi.
- Quelle vraie foi ?
- Pas celle dont on abreuve les enfants dès la naissance.. Celle qui vous laisse libre de votre croyance et attend que vous soyez prêt pour recevoir la Lumière.
- Elle m'a pas saoulée, elle a voulu me tuer.. Alors votre foi vous pouvez en faire des boulettes
- Que savez-vous de la foi, petite ignorante ? Gorgez-vous donc des mensonges de la Rome cupide. Vous ne valez pas votre père.
- Je ne me gorge surement pas ! Je suis pas comme tous ces moutons ! Pas besoin de leurs simagrées et de leurs dorures ! lança-t-elle, entraînant chez le Termois un haussement de sourcil. Quoi ? Cest vrai ce que je dis ! A toujours soupirer là..
A toujours soupirer et espérer, on finit par mourir. Mais pas lui, Chabert ouvrit la sacoche à ses pieds et en sortit un objet long enveloppé dun tissu un peu sale, un peu effiloché. Tissu quil déroula avec respect et douceur pour en extirper une dague brillante, non pas par sa richesse, car elle ne létait pas spécialement, mais pour sa lame effilée et étincelante. Avec un sourire, il considéra le mouvement de recul et la main portée au manche de la dague, un sourire né de la nostalgie. Bon sang ne saurait mentir. Et la dague fut poussée dans la direction de la Provençale après une énième caresse.
- Voilà, cest à vous.
Lhésitation puis une main habituée qui soupesa larme, jugea du fil de la lame, et ce sourire sur ses lèvres quand elle se mit à jouer avec, faisant danser la dague comme son père faisait danser les épées. Un instant de grâce qui ne dura que le temps dun sourire fugace avant quelle ne se tourne vers lui et le fixe.
- A mon père ?
- Non, au pape, je lui ai retiré quand je lui ai fait avaler ses roustons.
- Bonne chose. Ils font des bâtards sans souci, eux.
- Vu la ribambelle de fot-en-cul et d'enculés qu'il se trimballe m'est avis que ses roustons perdraient à disparaître. Enfin.. L'avis d'un vieillard soupirant, lâcha-t-il, sarcastique.
- Elle est à moi ? Je peux la garder ? Vraiment ?
- Je vous lai déjà dit. Je nai pas à garder ce qui ne mappartient pas, je lai fait trop longtemps ?
- Combien de temps ? Pourquoi le Nord ? Vous avez une femme ?
- Ma parole, mais cest un vrai interrogatoire ! Cela fait deux ans que je la garde, que j'ai promis à Juan de Mona de retrouver sa fille.
- Juan.. Cest son nom. Et votre femme ?
- Pour le Nord, je vous l'ai dit.. Je vais me reposer l'esprit. Et quant à avoir une femme.. Ni femme, ni enfant, ni famille, rien qu'un cheval.
- Et les hommes comme vous, ça fait des bâtards.
- Il aurait vraiment du venir..
- Qui ?
- Votre père. Il avait prévu de venir vous voir, dit-il tout sérieux retrouvé, et il continua en dépit de la pâleur de sa vis-à-vis, Mais la toiture de l'écurie s'était effondrée, alors, nous avons du la rétablir, c'était l'hiver. Il nétait plus tout jeune, vous savez. Il avait trouvé la force de venir, mais la Mort l'a fauché avant. Et je nai rien pu faire.
- Vous n'êtes même pas venu vous...me le dire
- Javais une sur, figurez-vous ! Qui sen serait occupé ? Gardez votre rage pour vous, à chacun son content. J'ai vu périr trop de personnes chéries pour vous laisser médire de l'une d'elles.
- JE NE MEDIS PAS ! Je voudrais vous y voir vous..
Et un homme, portant un enfant, entra sur ces entre faits, concluant la discussion animée par quelques banalités de service avant une requête et un départ.
- Faudra répondre à mes questions d'accord ?
- Posez-les si vous osez. Moi, je vais rejoindre Ordalie, elle a bien trop attendu, et déjà, sur son dos, son paquetage, et au baudrier, son épée.
- La pauvre bete...
- Figurez-vous qu'une affaire plus grave me retenait loin d'elle.
Et il partit, non pas comme il était venu, mais soulagé davoir au moins pu tenir une partie de sa promesse : La retrouver. Maintenant, il lui restait à prendre soin delle. Et la donzelle navait pas lair de vouloir faciliter lexercice.
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- Maître.. Je goûte fort peu aux surprises du Destin, et si Dieu ma prévu quelques tourments, jaimerai que vous ne soyez pas mêlé à ceux-là..
Le voilà qui parlait tout seul ou presque. Son maître darmes était mort deux années auparavant, emporté par une bête fluxion de poitrine, nayant de seul regret que celui de navoir jamais revu son enfant. Cette enfant, il lui en avait touché quelques mots à loccasion dune passe darmes, autour dun godet. Une gamine née dun amour de jeunesse, très jeune dailleurs lamante, trop jeune puisque lenfant fut mise en nourrice en Provence et la jeune mère rapatriée. Une chance pour le vieux Juan puisque sans cette nourrice, jamais il neut reçu de nouvelles. Et la fillette grandit, et son maître lui parla delle un peu plus chaque jour.. Cerdanne, une gamine brune, vive desprit, quelques détails. Il jura daller la voir au moins un jour, pied de nez à la famille maternelle de lenfançonne. Et pourtant, plutôt quà sa fille, ce fut à un jeune blanc-bec quil consacra sa vie et son énergie, se répétant sans cesse quil irait un jour en Provence, la récupérer. Mais les promesses non-tenues se transmettent sur un lit de mort. Et alors quil partait, Juan de Mona lui fit jurer de la retrouver et de lui dire quil avait essayé. Promesse en vain, Chabert avait autre chose à penser, autre chose à pleurer. Et au lieu de sefforcer à réaliser les souhaits dun vieillard malade, il avait préféré conserver le souvenir dun homme de guerre. Le passé népargnant personne, ce fut au détour dune grange saumuroise quil retrouva la bâtarde de son maître.
Laquelle avait à son bras, trois petits grains de beauté formant triangle comme le lui avait confié son maître, et ce fut limpulsion la plus stupide qui soit, qui lincita à attraper ce bras, surpris pour lattirer à lui, avant de la relâcher et de lui demander de le suivre pour parler autour dune vraie table. Ainsi donc dans cette taverne, alors quil avait escompté de ne faire quaiguiser son épée, sans se préoccuper des autres, il rencontra un jeune homme avec qui deviser en attendant la Provençale et les mots qui ne manqueraient pas de suivre, et enfin, elle vint.
- Yop, lança-t-elle.
- Vous voilà enfin.
- Rebonjour.
Elle plissa les yeux, et durant ce court instant de silence, il tenta de chercher en elle, toutes les similitudes entre le vieux barbon et la jeunette, tout en rangeant lépée bâtarde dans le fourreau, et la pierre plate dans une bourse qui vint atterrir dans sa sacoche.
- Re Prince, dit-elle tout en sasseyant à son aise
- Ainsi donc, vous êtes Prince ?
- On a le temps hein..
- Certains ont attendu toute une vie pour parler avec vous. Je pense que je peux attendre un peu, le temps d'une réponse.
Et tandis que le jeune Gildwen de Brocéliande souriait, Cerdanne marmonnait. Beau duo.
- De Bretagne et de France.
Charmante façon de rappeler son statut et son rang, bien moins pédant que tout autre, le jouvenceau lui plut et il se fit la remarque intérieure de lui proposer de combler ses lacunes dans le combat, la Provençale, quant à elle, semblait loin de là, puisquelle se gratta machinalement le bras, laissant, du moins pour un temps, les hommes devisaient.
- Macarèl.. Et vous ne savez pas tirer l'épée ?
- Bah, chacun ses defauts.
- C'est cela. Le mien, c'est de ne jamais savoir par où commencer, dit-il en fixant la jeune femme, vous venez doù exactement ?
- Provence, marmonna-t-elle, installée à son aise contre son mur.
Las, il était si las, et les mains qui vinrent frotter le visage barbu pour essayer den ôter la fatigue, ny changèrent rien, mis à part, ajouter au malaise de la jeune femme.
- Quoi ?
- Jolie vie. Gentille fille. Gentille Mère. Gentil Père. La totale ?
- Tout faux, répondit-elle en serrant les poings.
- Mea maxima culpa.. Votre mère buvait, votre père vous violait et vous n'aimez pas travailler aux champs ?
- Non ! sécria-t-elle en fronçant les sourcils, vous cherchez la bagarre, vous !
- Je cherche la paix et vous ne lapportez pas, croyez moi, répondit-il, soudainement plus las que jamais.
- Orpheline. Ca vous va ?
- Pas vraiment, non..
- Mère trop jeune, père inconnu et nourrice peu recommandable, lança-t-elle en haussant le ton sans vraiment le vouloir.
- UN NOM, cria-t-il en tapant du plat de la main sur la table, est-ce si dur à donner ?
- Cerdanne, cest tout ce que jai, répondit-elle après avoir sursauté.
Un soupir de nouveau de la part du Termois avant de maugréer dans sa barbe.
- Espagnol, ça.. Comme Juan.
- Espagnol, oui. Et puis même.. Quest-ce que ça peut vous faire, répondit-elle en le fixant dun air mauvais. Et y a de lécossais au milieu.
- Mest avis que jai pris ce qui vous appartenez, et je naime pas être en dette avec quelquun.
- Qu..Quoi ? Je dois rien à personne, jai pas de dettes !
- Et pas de père non plus.
- Non..
- Moi, jai eu un maître darmes. Solide gaillard. Un espagnol.
Et au fur et à mesure des mots quil prononçait, il la vit se tasser dans son coin, et du coin de lil, il aperçut le jeune prince quitter la taverne. Les histoires de famille et leurs effets..
- Il avait una galha.. Une gosse..
- Et alors ..
- Bah figurez-vous que la drôle avait un prénom espagnol.
- Cest toujours pareil, ça fait des mômes et cest tout, dit-elle en grimaçant. Conchita ?
- Cerdanne en fait.
- Vous mentez, répliqua-t-elle en pâlissant.
- Et il était bien marri le pauvre homme d'avoir du la laisser.. Mais la mère ne voulait pas. Trop jeune. Ca fait des gosses partout après..
- Comme vous quoi, lança-t-elle, mauvaise.
- Non point. Pas de petit Terme. Vous avez devant vous le dernier survivant de la famille. Mon père est mort, un peu comme le votre du reste.
- Mon père ?
- Brave homme, hein.
- Ben tiens..
- Si, si on met de côté le fait qu'il n'a jamais pu vous voir, un homme qui prend la peine de s'enquérir de sa bâtarde. C'est un brave homme. Question de principe.
- Ah oui ?? Tellement que jen ai des souvenirs.
- Oui. C'est comme les petites tâches sur votre bras, il trouvait ça mignon sans même les avoir vraiment vues. Bon père.
- Taisez-vous vieux fou, souffla-t-elle en se figeant.
- A votre guise.
- Vous voulez quoi ?
- La paix. Et ça passe par des promesses.
- La paix.. Fou, ça vous lêtes.
- Vu votre façon de crier au loup, vous ne devez pas savoir ce que cest.
- Vous y connaissez quoi aux loups, vous ?
- Je suis vieux, aussi. Jen ai connu un, une fois. Il avait le même regard que vous. Fou.
- Oui, vous êtes vieux. Enfin.. Un peu. Vous venez doù ?
- Termes.
- Mon père.., commença-t-elle, songeuse, cest lui le regard fou ?
- Vous auriez du le voir une épée à la main, il aurait fait peur à nimporte quel démon.
- Alors pourquoi il nétait pas là pour moi ?! Y en a peut être dautres des Cerdanne, hein !
- D'accord. Alors je chercherai mieux pour en trouver une autre qui soit la fille d'un espagnol et d'une étrangère. Et qui vienne de Provence où sa nourrice l'a élevée. Ca doit se trouver.
- Alors pourquoi il est pas venu ?
- On se serait abstenu à moins. Votre mère est rentrée, Dieu ne sait où, vous confiant à une nourrice.
Et à la jeune femme de passer une main sur le front en soupirant.
- Ma mère, elle ma retrouvée, elle. Elle na pas eu le choix, elle.
- Vrai que les morts peuvent difficilement chercher, lança-t-il dun ton acerbe, savourant lair interdit de la jeune femme.
- Et vous, vous êtes qui ?
- La personne à qui il a daigné apprendre tout ce qu'il savait. Il est resté à Termes durant des années, profitant de la proximité de la Provence.
- Oui mais vous êtes qui ?
- Le descendant dune lignée éteinte. Chabert de Terme. Ca ne vous dit rien, ça semble évident. Moi non plus, ça ne me dit plus rien.
- Vous faites quoi ?
- Je cherche la paix.
- En Anjou ?
- Dans le Nord. Je voulais aller dans le Nord.
- Jy vais. La paix est là-bas ?
- Ne pouvez-vous rester en place ? Je vous trouve et vous partez. Vous auriez mieux fait de rester dans les génitoires de votre père, jaurais eu moins de mal à vous mettre la main dessus.
- Non mais, jai rien demandé à personne ! le tança-t-elle en devenant rouge, jai réussi sans personne jusque là !
- Oui mais personne ne vous a donné loccasion de demander !
- Demander ? Cest comme faire laumône ! Je suis pas une mendiante, pour qui vous me prenez !
- La digne fille du pire braillard que cette terre ait porté, répondit-il dans un éclat de rire
- Au moins, vous lavez connu, sa fille ne peut pas en dire autant.
Y avait-t-il une réelle déception dans ces propos ?
- Arrangez-vous avec votre mère. Au moins, vous lavez encore la vôtre.
- Elle la jamais revu, embarquée de force après laccouchement. Juste une médaille quelle a confié à la vieille.
- Comme quoi la nourrice est la plus maline de tous, elle a réussi à contacter votre père. La famille, cest pas inné chez toi.
- Cest inné chez personne. Vous savez pas ce que cest dêtre seule.
- Si. Et de voir mourir des êtres chers, aussi.
- Oui mais vous avez été élevé avec.
- Et je lai vu mourir aussi, et je nai rien pu faire. Comme à chaque fois.
- Mon père ? Il était comment ?
- Plus fort que vous ne pouvez limaginez. Droit, brave et pieux.
- Pieux ? lança-t-elle avant de partir dans un ricanement.
- Il avait trouvé la foi et vivait par elle.
- Rome
- Il avait renié les blasphèmes de léglise aristotélicienne et trouvé la vraie foi.
- Quelle vraie foi ?
- Pas celle dont on abreuve les enfants dès la naissance.. Celle qui vous laisse libre de votre croyance et attend que vous soyez prêt pour recevoir la Lumière.
- Elle m'a pas saoulée, elle a voulu me tuer.. Alors votre foi vous pouvez en faire des boulettes
- Que savez-vous de la foi, petite ignorante ? Gorgez-vous donc des mensonges de la Rome cupide. Vous ne valez pas votre père.
- Je ne me gorge surement pas ! Je suis pas comme tous ces moutons ! Pas besoin de leurs simagrées et de leurs dorures ! lança-t-elle, entraînant chez le Termois un haussement de sourcil. Quoi ? Cest vrai ce que je dis ! A toujours soupirer là..
A toujours soupirer et espérer, on finit par mourir. Mais pas lui, Chabert ouvrit la sacoche à ses pieds et en sortit un objet long enveloppé dun tissu un peu sale, un peu effiloché. Tissu quil déroula avec respect et douceur pour en extirper une dague brillante, non pas par sa richesse, car elle ne létait pas spécialement, mais pour sa lame effilée et étincelante. Avec un sourire, il considéra le mouvement de recul et la main portée au manche de la dague, un sourire né de la nostalgie. Bon sang ne saurait mentir. Et la dague fut poussée dans la direction de la Provençale après une énième caresse.
- Voilà, cest à vous.
Lhésitation puis une main habituée qui soupesa larme, jugea du fil de la lame, et ce sourire sur ses lèvres quand elle se mit à jouer avec, faisant danser la dague comme son père faisait danser les épées. Un instant de grâce qui ne dura que le temps dun sourire fugace avant quelle ne se tourne vers lui et le fixe.
- A mon père ?
- Non, au pape, je lui ai retiré quand je lui ai fait avaler ses roustons.
- Bonne chose. Ils font des bâtards sans souci, eux.
- Vu la ribambelle de fot-en-cul et d'enculés qu'il se trimballe m'est avis que ses roustons perdraient à disparaître. Enfin.. L'avis d'un vieillard soupirant, lâcha-t-il, sarcastique.
- Elle est à moi ? Je peux la garder ? Vraiment ?
- Je vous lai déjà dit. Je nai pas à garder ce qui ne mappartient pas, je lai fait trop longtemps ?
- Combien de temps ? Pourquoi le Nord ? Vous avez une femme ?
- Ma parole, mais cest un vrai interrogatoire ! Cela fait deux ans que je la garde, que j'ai promis à Juan de Mona de retrouver sa fille.
- Juan.. Cest son nom. Et votre femme ?
- Pour le Nord, je vous l'ai dit.. Je vais me reposer l'esprit. Et quant à avoir une femme.. Ni femme, ni enfant, ni famille, rien qu'un cheval.
- Et les hommes comme vous, ça fait des bâtards.
- Il aurait vraiment du venir..
- Qui ?
- Votre père. Il avait prévu de venir vous voir, dit-il tout sérieux retrouvé, et il continua en dépit de la pâleur de sa vis-à-vis, Mais la toiture de l'écurie s'était effondrée, alors, nous avons du la rétablir, c'était l'hiver. Il nétait plus tout jeune, vous savez. Il avait trouvé la force de venir, mais la Mort l'a fauché avant. Et je nai rien pu faire.
- Vous n'êtes même pas venu vous...me le dire
- Javais une sur, figurez-vous ! Qui sen serait occupé ? Gardez votre rage pour vous, à chacun son content. J'ai vu périr trop de personnes chéries pour vous laisser médire de l'une d'elles.
- JE NE MEDIS PAS ! Je voudrais vous y voir vous..
Et un homme, portant un enfant, entra sur ces entre faits, concluant la discussion animée par quelques banalités de service avant une requête et un départ.
- Faudra répondre à mes questions d'accord ?
- Posez-les si vous osez. Moi, je vais rejoindre Ordalie, elle a bien trop attendu, et déjà, sur son dos, son paquetage, et au baudrier, son épée.
- La pauvre bete...
- Figurez-vous qu'une affaire plus grave me retenait loin d'elle.
Et il partit, non pas comme il était venu, mais soulagé davoir au moins pu tenir une partie de sa promesse : La retrouver. Maintenant, il lui restait à prendre soin delle. Et la donzelle navait pas lair de vouloir faciliter lexercice.
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