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[RP] Tiens-la de Dieu et de ton père.

Chabert
Dieu avait certainement des plans pour lui, sinon comme expliquer la rencontre faite peu avant. En dehors de la grange, il se dirigea en direction des tavernes, prenant entre les battoirs lui servant de main, son visage à la barbe imposante.

- Maître.. Je goûte fort peu aux surprises du Destin, et si Dieu m’a prévu quelques tourments, j’aimerai que vous ne soyez pas mêlé à ceux-là..

Le voilà qui parlait tout seul ou presque. Son maître d’armes était mort deux années auparavant, emporté par une bête fluxion de poitrine, n’ayant de seul regret que celui de n’avoir jamais revu son enfant. Cette enfant, il lui en avait touché quelques mots à l’occasion d’une passe d’armes, autour d’un godet. Une gamine née d’un amour de jeunesse, très jeune d’ailleurs l’amante, trop jeune puisque l’enfant fut mise en nourrice en Provence et la jeune mère rapatriée. Une chance pour le vieux Juan puisque sans cette nourrice, jamais il n’eut reçu de nouvelles. Et la fillette grandit, et son maître lui parla d’elle un peu plus chaque jour.. Cerdanne, une gamine brune, vive d’esprit, quelques détails. Il jura d’aller la voir au moins un jour, pied de nez à la famille maternelle de l’enfançonne. Et pourtant, plutôt qu’à sa fille, ce fut à un jeune blanc-bec qu’il consacra sa vie et son énergie, se répétant sans cesse qu’il irait un jour en Provence, la récupérer. Mais les promesses non-tenues se transmettent sur un lit de mort. Et alors qu’il partait, Juan de Mona lui fit jurer de la retrouver et de lui dire qu’il avait essayé. Promesse en vain, Chabert avait autre chose à penser, autre chose à pleurer. Et au lieu de s’efforcer à réaliser les souhaits d’un vieillard malade, il avait préféré conserver le souvenir d’un homme de guerre. Le passé n’épargnant personne, ce fut au détour d’une grange saumuroise qu’il retrouva la bâtarde de son maître.

Laquelle avait à son bras, trois petits grains de beauté formant triangle comme le lui avait confié son maître, et ce fut l’impulsion la plus stupide qui soit, qui l’incita à attraper ce bras, surpris pour l’attirer à lui, avant de la relâcher et de lui demander de le suivre pour parler autour d’une vraie table. Ainsi donc dans cette taverne, alors qu’il avait escompté de ne faire qu’aiguiser son épée, sans se préoccuper des autres, il rencontra un jeune homme avec qui deviser en attendant la Provençale et les mots qui ne manqueraient pas de suivre, et enfin, elle vint.

- Yop, lança-t-elle.
- Vous voilà enfin.
- Rebonjour.

Elle plissa les yeux, et durant ce court instant de silence, il tenta de chercher en elle, toutes les similitudes entre le vieux barbon et la jeunette, tout en rangeant l’épée bâtarde dans le fourreau, et la pierre plate dans une bourse qui vint atterrir dans sa sacoche.

- Re Prince, dit-elle tout en s’asseyant à son aise
- Ainsi donc, vous êtes Prince ?
- On a le temps hein..
- Certains ont attendu toute une vie pour parler avec vous. Je pense que je peux attendre un peu, le temps d'une réponse.

Et tandis que le jeune Gildwen de Brocéliande souriait, Cerdanne marmonnait. Beau duo.

- De Bretagne et de France.

Charmante façon de rappeler son statut et son rang, bien moins pédant que tout autre, le jouvenceau lui plut et il se fit la remarque intérieure de lui proposer de combler ses lacunes dans le combat, la Provençale, quant à elle, semblait loin de là, puisqu’elle se gratta machinalement le bras, laissant, du moins pour un temps, les hommes devisaient.

- Macarèl.. Et vous ne savez pas tirer l'épée ?
- Bah, chacun ses defauts.
- C'est cela. Le mien, c'est de ne jamais savoir par où commencer, dit-il en fixant la jeune femme, vous venez d’où exactement ?
- Provence, marmonna-t-elle, installée à son aise contre son mur.

Las, il était si las, et les mains qui vinrent frotter le visage barbu pour essayer d’en ôter la fatigue, n’y changèrent rien, mis à part, ajouter au malaise de la jeune femme.

- Quoi ?
- Jolie vie. Gentille fille. Gentille Mère. Gentil Père. La totale ?
- Tout faux, répondit-elle en serrant les poings.
- Mea maxima culpa.. Votre mère buvait, votre père vous violait et vous n'aimez pas travailler aux champs ?
- Non ! s’écria-t-elle en fronçant les sourcils, vous cherchez la bagarre, vous !
- Je cherche la paix et vous ne l’apportez pas, croyez moi, répondit-il, soudainement plus las que jamais.
- Orpheline. Ca vous va ?
- Pas vraiment, non..
- Mère trop jeune, père inconnu et nourrice peu recommandable, lança-t-elle en haussant le ton sans vraiment le vouloir.
- UN NOM, cria-t-il en tapant du plat de la main sur la table, est-ce si dur à donner ?
- Cerdanne, c’est tout ce que j’ai, répondit-elle après avoir sursauté.

Un soupir de nouveau de la part du Termois avant de maugréer dans sa barbe.

- Espagnol, ça.. Comme Juan.
- Espagnol, oui. Et puis même.. Qu’est-ce que ça peut vous faire, répondit-elle en le fixant d’un air mauvais. Et y a de l’écossais au milieu.
- M’est avis que j’ai pris ce qui vous appartenez, et je n’aime pas être en dette avec quelqu’un.
- Qu..Quoi ? Je dois rien à personne, j’ai pas de dettes !
- Et pas de père non plus.
- Non..
- Moi, j’ai eu un maître d’armes. Solide gaillard. Un espagnol.

Et au fur et à mesure des mots qu’il prononçait, il la vit se tasser dans son coin, et du coin de l’œil, il aperçut le jeune prince quitter la taverne. Les histoires de famille et leurs effets..

- Il avait una galha.. Une gosse..
- Et alors ..
- Bah figurez-vous que la drôle avait un prénom espagnol.
- C’est toujours pareil, ça fait des mômes et c’est tout, dit-elle en grimaçant. Conchita ?
- Cerdanne en fait.
- Vous mentez, répliqua-t-elle en pâlissant.
- Et il était bien marri le pauvre homme d'avoir du la laisser.. Mais la mère ne voulait pas. Trop jeune. Ca fait des gosses partout après..
- Comme vous quoi, lança-t-elle, mauvaise.
- Non point. Pas de petit Terme. Vous avez devant vous le dernier survivant de la famille. Mon père est mort, un peu comme le votre du reste.
- Mon père ?
- Brave homme, hein.
- Ben tiens..
- Si, si on met de côté le fait qu'il n'a jamais pu vous voir, un homme qui prend la peine de s'enquérir de sa bâtarde. C'est un brave homme. Question de principe.
- Ah oui ?? Tellement que j’en ai des souvenirs.
- Oui. C'est comme les petites tâches sur votre bras, il trouvait ça mignon sans même les avoir vraiment vues. Bon père.
- Taisez-vous vieux fou, souffla-t-elle en se figeant.
- A votre guise.
- Vous voulez quoi ?
- La paix. Et ça passe par des promesses.
- La paix.. Fou, ça vous l’êtes.
- Vu votre façon de crier au loup, vous ne devez pas savoir ce que c’est.
- Vous y connaissez quoi aux loups, vous ?
- Je suis vieux, aussi. J’en ai connu un, une fois. Il avait le même regard que vous. Fou.
- Oui, vous êtes vieux. Enfin.. Un peu. Vous venez d’où ?
- Termes.
- Mon père.., commença-t-elle, songeuse, c’est lui le regard fou ?
- Vous auriez du le voir une épée à la main, il aurait fait peur à n’importe quel démon.
- Alors pourquoi il n’était pas là pour moi ?! Y en a peut être d’autres des Cerdanne, hein !
- D'accord. Alors je chercherai mieux pour en trouver une autre qui soit la fille d'un espagnol et d'une étrangère. Et qui vienne de Provence où sa nourrice l'a élevée. Ca doit se trouver.
- Alors pourquoi il est pas venu ?
- On se serait abstenu à moins. Votre mère est rentrée, Dieu ne sait où, vous confiant à une nourrice.

Et à la jeune femme de passer une main sur le front en soupirant.

- Ma mère, elle m’a retrouvée, elle. Elle n’a pas eu le choix, elle.
- Vrai que les morts peuvent difficilement chercher, lança-t-il d’un ton acerbe, savourant l’air interdit de la jeune femme.
- Et vous, vous êtes qui ?
- La personne à qui il a daigné apprendre tout ce qu'il savait. Il est resté à Termes durant des années, profitant de la proximité de la Provence.
- Oui mais vous êtes qui ?
- Le descendant d’une lignée éteinte. Chabert de Terme. Ca ne vous dit rien, ça semble évident. Moi non plus, ça ne me dit plus rien.
- Vous faites quoi ?
- Je cherche la paix.
- En Anjou ?
- Dans le Nord. Je voulais aller dans le Nord.
- J’y vais. La paix est là-bas ?
- Ne pouvez-vous rester en place ? Je vous trouve et vous partez. Vous auriez mieux fait de rester dans les génitoires de votre père, j’aurais eu moins de mal à vous mettre la main dessus.
- Non mais, j’ai rien demandé à personne ! le tança-t-elle en devenant rouge, j’ai réussi sans personne jusque là !
- Oui mais personne ne vous a donné l’occasion de demander !
- Demander ? C’est comme faire l’aumône ! Je suis pas une mendiante, pour qui vous me prenez !
- La digne fille du pire braillard que cette terre ait porté, répondit-il dans un éclat de rire
- Au moins, vous l’avez connu, sa fille ne peut pas en dire autant.

Y avait-t-il une réelle déception dans ces propos ?

- Arrangez-vous avec votre mère. Au moins, vous l’avez encore la vôtre.
- Elle l’a jamais revu, embarquée de force après l’accouchement. Juste une médaille qu’elle a confié à la vieille.
- Comme quoi la nourrice est la plus maline de tous, elle a réussi à contacter votre père. La famille, c’est pas inné chez toi.
- C’est inné chez personne. Vous savez pas ce que c’est d’être seule.
- Si. Et de voir mourir des êtres chers, aussi.
- Oui mais vous avez été élevé avec.
- Et je l’ai vu mourir aussi, et je n’ai rien pu faire. Comme à chaque fois.
- Mon père ? Il était comment ?
- Plus fort que vous ne pouvez l’imaginez. Droit, brave et pieux.
- Pieux ? lança-t-elle avant de partir dans un ricanement.
- Il avait trouvé la foi et vivait par elle.
- Rome…
- Il avait renié les blasphèmes de l’église aristotélicienne et trouvé la vraie foi.
- Quelle vraie foi ?
- Pas celle dont on abreuve les enfants dès la naissance.. Celle qui vous laisse libre de votre croyance et attend que vous soyez prêt pour recevoir la Lumière.
- Elle m'a pas saoulée, elle a voulu me tuer.. Alors votre foi vous pouvez en faire des boulettes
- Que savez-vous de la foi, petite ignorante ? Gorgez-vous donc des mensonges de la Rome cupide. Vous ne valez pas votre père.
- Je ne me gorge surement pas ! Je suis pas comme tous ces moutons ! Pas besoin de leurs simagrées et de leurs dorures ! lança-t-elle, entraînant chez le Termois un haussement de sourcil. Quoi ? C’est vrai ce que je dis ! A toujours soupirer là..

A toujours soupirer et espérer, on finit par mourir. Mais pas lui, Chabert ouvrit la sacoche à ses pieds et en sortit un objet long enveloppé d’un tissu un peu sale, un peu effiloché. Tissu qu’il déroula avec respect et douceur pour en extirper une dague brillante, non pas par sa richesse, car elle ne l’était pas spécialement, mais pour sa lame effilée et étincelante. Avec un sourire, il considéra le mouvement de recul et la main portée au manche de la dague, un sourire né de la nostalgie. Bon sang ne saurait mentir. Et la dague fut poussée dans la direction de la Provençale après une énième caresse.

- Voilà, c’est à vous.

L’hésitation puis une main habituée qui soupesa l’arme, jugea du fil de la lame, et ce sourire sur ses lèvres quand elle se mit à jouer avec, faisant danser la dague comme son père faisait danser les épées. Un instant de grâce qui ne dura que le temps d’un sourire fugace avant qu’elle ne se tourne vers lui et le fixe.

- A mon père ?
- Non, au pape, je lui ai retiré quand je lui ai fait avaler ses roustons.
- Bonne chose. Ils font des bâtards sans souci, eux.
- Vu la ribambelle de fot-en-cul et d'enculés qu'il se trimballe m'est avis que ses roustons perdraient à disparaître. Enfin.. L'avis d'un vieillard soupirant, lâcha-t-il, sarcastique.
- Elle est à moi ? Je peux la garder ? Vraiment ?
- Je vous l’ai déjà dit. Je n’ai pas à garder ce qui ne m’appartient pas, je l’ai fait trop longtemps ?
- Combien de temps ? Pourquoi le Nord ? Vous avez une femme ?
- Ma parole, mais c’est un vrai interrogatoire ! Cela fait deux ans que je la garde, que j'ai promis à Juan de Mona de retrouver sa fille.
- Juan.. C’est son nom. Et votre femme ?
- Pour le Nord, je vous l'ai dit.. Je vais me reposer l'esprit. Et quant à avoir une femme.. Ni femme, ni enfant, ni famille, rien qu'un cheval.
- Et les hommes comme vous, ça fait des bâtards.
- Il aurait vraiment du venir..
- Qui ?
- Votre père. Il avait prévu de venir vous voir, dit-il tout sérieux retrouvé, et il continua en dépit de la pâleur de sa vis-à-vis, Mais la toiture de l'écurie s'était effondrée, alors, nous avons du la rétablir, c'était l'hiver. Il n’était plus tout jeune, vous savez. Il avait trouvé la force de venir, mais la Mort l'a fauché avant. Et je n’ai rien pu faire.
- Vous n'êtes même pas venu vous...me le dire
- J’avais une sœur, figurez-vous ! Qui s’en serait occupé ? Gardez votre rage pour vous, à chacun son content. J'ai vu périr trop de personnes chéries pour vous laisser médire de l'une d'elles.
- JE NE MEDIS PAS ! Je voudrais vous y voir vous..

Et un homme, portant un enfant, entra sur ces entre faits, concluant la discussion animée par quelques banalités de service avant une requête et un départ.

- Faudra répondre à mes questions d'accord ?
- Posez-les si vous osez. Moi, je vais rejoindre Ordalie, elle a bien trop attendu, et déjà, sur son dos, son paquetage, et au baudrier, son épée.
- La pauvre bete...
- Figurez-vous qu'une affaire plus grave me retenait loin d'elle.

Et il partit, non pas comme il était venu, mais soulagé d’avoir au moins pu tenir une partie de sa promesse : La retrouver. Maintenant, il lui restait à prendre soin d’elle. Et la donzelle n’avait pas l’air de vouloir faciliter l’exercice.
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Cerdanne
Elle ne pouvait pas rêver mieux la Provençale ;
dernière semaine sur l’Anjou il fallait marquer le départ.
Mais le marquer de cette manière, ah ça non, elle n’avait pas envisagé cette possibilité.

La folie se terrait dans un recoin sombre, les amis pour la plus part visitaient le duché.
Et elle, elle…

Elle bullait, …bord de Loire, …sieste, ...soirées bucoliques, alcooliques… Tranquille.
Couleurs pastel à tous les étages.

Il avait suffit d’un signe de la main.
Gentiment tendue pour indiquer le chemin des tavernes et le printemps était redevenu rouge et noir.

Elle avait beau happer l’air à plein poumon, ça ne parvenait pas vraiment à l’aider à respirer…
Elle avait même l’impression qu’au contraire, chaque bouffée d’air lui enfonçait ses propres épines dans la gorge…
Fini le blanc cotonneux dans lequel elle s’enfonçait doucement.

Comme si leur première rencontre en taverne n’y avait pas suffit, elle l’avait revu, l’homme.
Plutôt houleux leur dialogue.
Sanglant même, pour être franc.
Un moyen comme un autre de vérifier que la soit disant dague, souvenir posthume de son soit disant père était en état de remplir son office.

Elle l’était… et la main de Chabert s’en rappellerait.
Lui,au moins aurait un vrai souvenir.

Machinalement, elle caressait le manche de la dague, jouait avec et lentement éprouvait d’un doigts la fil de la lame…

Des questions, elle en avait un plein cœur de chardon.
Des rancunes tenaces encore plus, et ce Chabert là qui laissait entendre que Son père à elle avait passé sa vie entière à ses cotés à lui allait devoir en dérouler des fils de ce passé là.
Et le lui compter.
Ou pas.

Ces pas, mine de rien, l’amène roder du coté de la grange.
Il doit être en train de bichonner sa vieille carne au nom affreux.
Comment déjà...

Juan son père s’appelait Juan..

La brune laisse échapper un soupir bien vitre ravalé.
Elle va le remercier pour la dague.
Prendre des nouvelles de sa main et lui indiquer la route du Nord.

C’est le mieux.
Enfouir tout ça bien vite et retrouver ses douces incertitudes et ses fuites interminables.
Pas de raison que l’ombre d’un père, redessine le givre qui l’entoure et la protège si bien..

La porte de la grange était ouverte, elle s’avança sur le seuil et l’entendit sans le voir palabrer avec sa jument.
La remarque acerbe franchit ses lèvres avant même qu’elle ne puisse le voir..


Je dérange en pleins ébats ??
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Chabert
Et dans cette grange qu’elle lui avait concédée, il pansait et repensait. À l’entretien avec cette jeune femme qui n’était autre que la fille de celui qui avait été son mentor en toutes choses plus qu’un simple maître d’armes mais aussi aux évènements qui l’avaient amené à croiser la route de Juan de Mona, à moins que ce ne soit l’inverse. Il se revoyait à l’aube de ses treize ans juché comme tant d’autres sur le pont de Villerouge-Termènes, attendant que jugement soit rendu. Jamais il n’avait pu dire si le seigneur du coin avait été jugé pour s’être réellement adonné au pêché de luxure avec sa monture ou bien parce qu’il était brutal et haï de tous ses serfs. Toujours est-il que ce jour de procès, Chabert, adolescent à l’époque, assistait à la scène et frémissait de tout son corps de voir sacrifier un animal digne des plus grandes lignées royales tant le destrier qui allait subir l’ordalie par l’eau glacée, était beau et puissant. Et le comble de l’injustice avait été de voir que l’on comptait envoyer à la suite du noble et de la jument, un poulain innocent, coupable d’être la progéniture de l’animal rendu coupable par la justice des hommes. Il lâcha le bouquet de chardons qu’il tenait à la main, et les bras massifs s’enroulèrent autour de l’encolure de la jument, savourant avec un plaisir non feint, la sensation du museau velouté fouillant dans ses cheveux. Si ce jour-là, il n’avait pas été aidé, Ordalie aurait péri dans les eaux glacées comme sa mère avant elle, mais Dieu en avait voulu autrement, et alors, porté par une intime conviction et sa foi inébranlable qui le poussait à vouloir préserver la vie de tout être, il avait quitté le pont, laissant là les badauds qui ricanaient, pour gagner la rive en contrebas et se jeter sans plus de cérémonie dans le flux glacial. Combien de fois il en avait fait des cauchemars de cette eau sournoise, combien de fois, il avait revu le regard terrifié de la pouliche alors que l’eau tentait de s’engouffrer dans sa bouche ouverte pour appeler sa mère, et contrairement à ses cauchemars qui se finissaient toujours par sa mort et le regard froid des hommes d’églises, la réalité était tout autre. Alors qu’il tenait contre lui, le corps tremblant et lourd du poulain, et qu’il semblait perdre pied à son tour, entraîné par le courant, une main l’avait saisie par le col pour le tirer en arrière, et son regard avait croisé celui de Juan de Mona.

Et les jours se succédèrent où il veillait, aidé par le palefrenier d’Aguilar, sur la santé fébrile de la pouliche tandis que le Mona veillait sur lui, de crainte que le jouvenceau qu’il était alors, ne rende l’âme, emporté par un refroidissement. Eulàlia avait ri de ce sauvetage raté, mais n’en avait pas moins accueilli avec tous les égards que leur déchéance leur autorisait, l’espagnol. Laissés seuls à eux-même, le frère et la sœur avaient su faire une place à cet homme droit et fier qui avait pris la place sinon d’un père, au moins d’un oncle bourru et exigeant. La vie avait changé à Aguilar, et tandis qu’Eulàlia se retrouvait à apprendre les rudiments de la vie d’une hôtesse accomplie, lui-même avait été formé au métier d’homme et de seigneur en dépit du maigre lopin de terre qui restait à sa famille. D’arrache-pied tous deux, ils avaient travaillé et fait de leur mieux pour faire d’Aguilar une forteresse impressionnante, et les alentours revivaient. Le motif ? Constituer une dot pour Eulàlia.

- Ils sont tous morts et il ne reste plus que nous, vieux débris d’un passé révolu. Mais tu as plus fière allure comme cela et tu parais quelques années de moins.

Car autant que lui, Ordalie n’était plus toute jeune, et il craignit un instant que la chevauchée vers le Nord, ne finisse de l’épuiser tout à fait. Et Cerdanne entra, sarcastique ou volontairement cruelle, à ses mots, il répondit d’une voix glaciale.

- Débat. On aurait pu croire qu’à ton âge, tu saches parler mais on croit beaucoup de choses vaines. Il y a mot pour chaque chose, sais-tu péronnelle ? En effet, tu nous interromps en plein débat, nous conversions du passé et des fantômes qui peuplaient nos jours.

La jument avait-elle seulement conscience que plus jamais elle n’aurait le droit aux brassées d’herbe fraîche que l’espagnol allait couper à l’aube quand elle était pleine de la rosée matinale ? Comprenait-elle que plus jamais Eulàlia ne viendrait la saluer en chantant de sa voix si pure ? Qu’importe, ils avaient quitté le Sud pour laisser derrière eux les souvenirs, et s’il n’y avait eu Cerdanne, c’est ce qu’ils auraient fait. Oublier.
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Cerdanne
Ce que je crois, c’est que les mots disent ce qu’ils veulent et que rien ne leur plait plus que de se mettre au service de qui les prononcent.

Et ce qu’elle sait et qu’elle n’ajoute pas, mais pense bien fort, c’est que rien ne leur plait plus que de vivre leur propre vie et de brouiller les esprits.
Brume permanente qui virevolte autour d’elle depuis si longtemps déjà et qu’elle bichonne au gré des mots qu’elle égrène, comme certains égrènent les prières.
La brune s’avance vers le couple insolite et tache de se concentrer sur l’allure de la jument.


Vieille peut-être mais elle a de beaux restes.
Elle devrait pas avoir de mal à vous mener au Nord...
Vous devriez laisser vos fantômes au fond de leur trou.
Ce n’est jamais bien bon de les réveiller.



Le regard obstinément fixé sur la croupe du canasson, elle s’avance encore un peu et machinalement finit par aller flatter l’encolure de la jument.

T’as l’air d’avoir meilleur caractère que ton ami .
Et vous, comment va votre main ?
Pas un regard n’est accordé au brun, dont elle redoute l’œil acéré.

Vous repartez quand ??
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Chabert
Évidemment, la raison voudrait qu’il laissa derrière lui souvenirs et fantômes mais quant était-il de la réalité ? Vivre sans revoir jamais l’or teinté de roux d’Eulàlia ? Ne plus jamais entendre l’accent roulant de son maître d’armes ? Oublier jusqu’aux yeux rieurs de sa mère ? Et puis quoi ? S’oublier soi-même ? Si seulement la chose était possible, il ne serait pas obligé de boire pour se forcer à ne plus se souvenir, et pourtant si d’apparence, il paraissait si pauvre, c’était bel et bien parce que l’argent servait à acheter l’alcool plutôt que la nourriture. Il haussa les épaules à ses dires avant de lancer moqueur.

- Elle n’a que l’air, elle a quelques vies à son actif.

Et la main blessée vint flatter le chanfrein de la jument avant un regard complice. Comme elle avait l’air paisible avec les années, cette rosse qui avait brisé des côtes aux garçons d’écurie les plus maladroits.

- Elle a vu pire. Ce n’est qu’une entaille de plus, belle cela dit. Tu t’en sors bien.

Était-ce un compliment ? Cela en eut bien l’air puisqu’il fut accompagné d’un sourire, tandis qu’il s’éloignait pour accrocher sa sacoche sur un clou rouillé.

- Je ne repars pas maintenant, contrairement à ce que tu penses, elle a besoin de repos. Elle n’est pas habituée aux longues chevauchées.

Et ainsi, il pourra la surveiller, elle et se changer les esprits.

- Bon, et bien dis moi, que fait donc la bâtarde de Juan en Anjou ?

Autant dire que le tact n’avait jamais été au menu de ses leçons.
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