--Maxiimilien
Le moment de tension et d'expectative est passé. Les tourtereaux semblent reprendre leur souffle. Même Max est soulagé. C'est entendu. Tacite mais évident. Le "Merci, Max!" de Phyl au ton si naturel et amical arrive même à toucher le grand brun aux yeux bleu de gris. Il se doutait que Phyl fut un bon gars mais le sentait méfiant envers lui. Par le geste de Max, par les deux mots de Phyl, tout devient sain, clair et net entre eux. C'est du moins ce que ressens Max. Ce dernier selle l'accord muet d'une bonne vieille poignée de main puis remplit le verre honteusement vide.
_ A ta santé Max, et encore merci pour nous avoir prévenu qu'il y a des filous dans cet établissement. A qui peut-on se fier de nos jours ? Je me le demande vraiment ...
Max hoche gravement la tête d'un air faussement désabusé, comme contrit qu'il puisse exister de pareils voleurs déguisés en bonnes-femmes.
_ Vous permettez Max ?Dit Isleen de sa voix douce.
Et cette fois, c'est elle qui pose une question inutile car elle n'attends pas de réponse. La petite chapardeuse prends sa bourse - Max n'esquisse aucun geste contre - et se penche, écarte un pan de sa veste et remets le petit sac de cuir à sa place initiale, en tapotant l'endroit comme pour s'assurer qu'elle est bien en place.
_ Là, elle sera bien mieux. Si personne ne la voit, personne ne sera quelle existe et personne nessayera de vous la prendre.
Il sourit franchement, puis commence à rire. Rire communicatif qui dure quelques instants. Rien n'a été dit dans cette histoire. Dit explicitement. Ils n'ont rien dit de leurs activités tout comme Max n'a rien dit quant à ce qu'il a remarqué. Mais chacun a jugé l'autre à sa valeur. Aucun ici n'est un idiot. Chacun sait que l'autre sait qu'il sait. Tout a été dit en silence ou par des mots détournés, ironiques.
C'est d'accord entre eux. Max n'a rien à craindre des "mains assoiffées" même s'il se trouve dans un lieu qui porte ce nom. A y réfléchir, c'est plutôt drôle ce nom, vu les circonstances! Les compères boivent quelques gorgées, Max grignote en même temps son plateau de charcutailles qu'il propose aux autres si l'envie leur prends. Alors que la langue de Max se débat avec un morceau de gras coincé entre ses dents, il choisit d'opter pour la manière forte! Peu élégante mais si efficace! Il tourne un peu la tête de côté pour éviter la vue de l'intérieur de sa bouche à la jeune-fille et pars à la pêche au gras du bout de son index.
_ Tu repars donc ce soir, Max, si j'ai bien suivi ? Quelle est ta destination exacte, déjà ? Je suis tellement habitué à la région parisienne, où j'ai à présent mes habitudes, et surtout une compagne exceptionnelle, que le moindre voyage me semble une aventure périlleuse !
Il reste un instant le bout du doigt dans la bouche, s'il avait été une femme de petite vertu, des cochons auraient trouvé ça excitant. Oui mais Max n'est pas une catin et son gros doigt est auréolé du bout de gras qui a osé tenir tête au Seigneur de Tourmalie! Dans ce cas là, il n'a aucune pitié! Bon, de toutes façons il est repéré par l'une comme par l'autre. En mode discret il ravale son bout de gras d'un coup. Pas de pitié! Bon, ce moment intime avec ce bout de porc n'a pas duré longtemps mais il devait faire une drôle de tête! Il se reprends et toussote.
_ En effet, oui. Soupir. Demain... A Orléans je vais devoir embarquer, longer la Loire pour atteindre notre villa entre Touraine et Anjou. C'est là-bas que l'on m'attends.
Puis il ajoute d'un ton chantant - mais excédé - en détachant les syllabes:
_ Maison de campagne pour notre bonne famille..!
Il chasse son petit air renfrogné en vidant son verre. Pour lui l'ivresse est souvent dure à atteindre, à force d'entrainement. Il est si souvent las et plein d'ennui qu'il taquine un peu trop la bouteille certaines fois. Max est juste gérant, et encore! Son père a trop peu confiance. Max chasse, Max fait des ballades à cheval, Max lit... Quand il rend visite aux habitants du Domaine qui à force de prospérité est devenu un hameau, il a droit à des courbettes et sollicitation pour son père. Seule Léonore le distrait un peu, ainsi que son fidèle écuyer Guy. Et il écoute avec délectation les histoires et les contes de leur médecin arabe. Son père le méprise de par ses origines mais reconnait son immense savoir-faire.
Il sourit quand Phyl mentionne sa "compagne exceptionnelle". Il connait peu Isleen mais ne doute pas des dires de Phyl, encore moins du fait qu'il pense véritablement ce qu'il dit. La rousse esquisse un sourire. Un jour, une domestique expérimentée lui avait dit "dans un couple, il y en a toujours un qui court après l'autre". Ils en étaient sans doute un exemple.
_ Oh! Moi j'aimerai vraiment pouvoir m'éloigner en toute liberté du Domaine de mon père et de ces charges. Et même de notre villa familiale où m'attendent ma mère et ma sur...
Il ne mentionne pas que leur maison de campagne n'est pas une villa mais un château - toutefois modeste - établi sur les bords de la Loire. C'est là-bas que Léonore à souhaité fêter ses sept années. Leur père est resté au château pour finir des tâches auxquelles Max ne s'intéresse qu'avec un immense effort de concentration, et dans ce cas sa volonté est mise à rude épreuve!
_ Si chaque voyage vous parait une aventure périlleuse, moi c'est surtout au premier mot que je me rattache: Aventure! J'aimerai tant voir le monde, où ne serai-ce que le Royaume. Mais dans ma situation, je.. Oh, je ne vais pas me plaindre non plus! Beaucoup envieraient ma place, ma naissance. Sans doute est-ce vrai que l'ont veut toujours ce que l'on a pas...
Gros soupir. Il remplit à nouveau les trois verres même s'ils ne sont pas tout à fait vides.
Isleen a ses sourcils clairs froncés. Elle semble préoccupée. Où bien quelque chose la titille. Et ce ne doit pas être un bout de gras coincé dans ses dents! Puis elle lâche le morceau.
_ Vous savez Max, vous avez la possibilité de choisir vous aussi. On a tous la possibilité de le faire, ce sont les conséquences que lont a du mal à assumer qui fait que lon laisse faire sans choisir. Choisissez et assumez.
Petit sourire amusé face à cette franchise si.. ignorante mais si vraie. Bien-sûr qu'il pourrait tout laisser tomber et vivre la vie dont il rêve. Mais il n'est pas seul, beaucoup de gens comptent sur lui. Gens qui comptent sur lui pour qu'il fasse ce dont il n'a pas envie, ce pour quoi il n'est pas fait. Il serai prêt à payer pour donner sa place à quelqu'un. Quelqu'un de capable tout de même. Qui sache gérer les Domaines et prendre soin de tout et tous... Arrête de rêver mon gars! A nouveau, il soupire puis décoche un pauvre sourire pathétique.
Pour un peu, on aurai pu prendre ce grand et beau gars jeune et en pleine santé, unique héritier mâle de lignage direct qui, à la mort de son paternel se verrai propriétaire d'une immense fortune, de deux châteaux et d'un village, responsable de plusieurs centaines de vies entre habitants et domestiques... pour un pauvre garçon acculé sur lequel le sort se serai acharné. Max avait-il vraiment le droit de se plaindre?
_ Ce n'est pas si facile. Vous ne soupçonnez pas les conséquences et vous avez de la chance. Mon père est responsable de plus de choses que vous ne pouvez imaginer. Moi-même ne suis pas au courant de tout... Il a de lourdes tâches trop compliquées et ennuyeuses pour les raconter. Et un fils unique. Moi, votre serviteur! Un petit rire ponctue sa dernière phrase. Si je venais à disparaître... Mon père est encore jeune mais.. A sa mort - Dieu le préserve - qui s'occuperait de tout cela? Il ne sera jamais donné à ma jeune sur de gouverner notre petit royaume, si je peux nommer ça ainsi. Ma sur reste une femme. Les femmes ne peuvent pas gouverner. Pas de front. Elles uvrent en sous-main par le biais le leurs maris. Le meilleur conseiller de mon père est ma mère même s'il le nie, pour la forme. On n'imagine pas à quel point l'influence des femmes est importante.
Il boit quelques gorgées et continue. A ce stade il ne peux pas s'arrêter là.
_ Jean-François. Mon cousin. Fils du frère cadet de mon père. Mon père étant le premier-né c'est à lui que l'héritage a échu. Si je partais, ce serai Jean-François qui aurai ce dont je n'aurai pas voulu. Il en rêve. Le pouvoir, la gloire, le respect du peuple, la considération des grands de ce monde... Alors que moi, j'aimerai prendre la route, voir plein de choses, dormir à la belle étoile, écrire chaque jour mes aventures, rencontrer toutes sortes de gens qui ne sauraient de moi que mon surnom, Max, et rien d'autre. Et.. rencontrer une jolie femme qui m'aimera pour moi et non pour ma fortune. Une femme que j'aimerai plus que la vie elle même, une femme que j'aurai choisie sans me soucier de ses titres de noblesses et des alliances qu'elle pourrait apporter à ma famille...
J'ai vingt-trois ans. Mes parents ont en tête pour moi deux jeunes-filles qui ont à peine quinze ans. Je ne les connait pas mais ils en choisiront une pour moi. Cette fillette que je devrais épouser sera sans doute docile mais froide comme une pierre. Où bien elle me détestera et aura peur de moi. Quant à Léonore, elle est promise à un homme qui a plus de trente ans aujourd'hui et qui a trois enfants. Il sera déjà grisonnant lorsque ma sur sera pubère. Et ses enfants plus âgés que sa future femme. Cet homme est un cousin éloigné de mon père... De par notre naissance on nous a enlevé nos choix.
Max s'épanche. Il n'a jamais été âpre à la parole. Une vraie pipelette comme lui disait sa mère! Et encore, il écrit bien plus qu'il ne parle! Une fois, dans une taverne d'un village voisin il avait parlé du mariage de sa cousine avec l'un de ses oncles et s'était indigné des mauvais traitements qu'elle avait subi. Les clients de la taverne, avides de ragots avaient questionné le jeune Max ivre qui avait parlé sans retenue. Il s'était endormi sur un banc et deux soldats de son père l'avaient ramené au Domaine. Son père avait eu vent de ces propos, mille fois déformés. Max avait tâté de la ceinture. S'il y a bien une règle chez les nobles, c'est bien de ne jamais parler des mariages consanguins, de la violence et des petits bâtards qui fleurissaient dans la roture. Entre mille et une chose que les paysans n'avaient pas à savoir.
_ Oh bien-sûr ce n'est pas toujours ainsi, hein?! Mais.. Pour en revenir à votre question de choix Isleen. Ce n'est pas mes charges ou la richesse qui me retiennent. Avez-vous de la famille? Savez-vous ce que c'est que d'être aimé par une mère tendre et douce? Avez-vous déjà eu une petite-sur qui vous saute au cou dès qu'elle vous aperçoit, les yeux brillants de joie? Un père qui.. vous aime malgré votre différence? Si vous aviez tout cela, pourriez-vous le quitter sans vous retourner?
Il se rince la bouche au whiskey et se demande encore pourquoi il ressasse tout ça. Qui plus est devant deux personnes humbles. Il doit avoir l'air pathétique. Pitoyable. Il aurai bien voulu être comme Phyl. Avoir sa vie, où du moins comme lui, une vie de liberté. Qui plus est, c'est un bel homme, autant que Max puisse en juger. Bien fait, la mâchoire carrée, des yeux saisissants... Mais c'est sa liberté qu'il envie. Il est possible d'être jaloux sans animosité et en ce moment, Max sentait le goût amer de l'envie dans sa bouche et dans son esprit. Pour chasser ce gout, il vide son verre.