Angel_de_chevelu
Dame ! Sil est un détail dont vraiment je me moque,
Cest de faire jaser, les fats de mon époque.
Car pour mon grand bonheur, j'ai plus que l'on ne pense,
Si pour mille ennemis, une seule amie compense.
Il lui présenta donc son bras avant de s'engager sur le chemin qui descendait vers la cité des ducs.
Chemin faisant, il chercha souvenance de ce que Tomaso avait bien pu lui apprendre, lors de son éducation à Pavone, sur ce fameux siège de Carcassonne. Diantre, c'était que l'affaire remontait à plus de deux siècles et demi, et avait eu lieu en France, à l'étranger... il y avait déjà tant à se souvenir sur l'histoire de Savoie. S'il fallait en plus apprendre les guerres étrangères !
Toutefois il lui revint à l'esprit que l'on associait souvent de la cité languedocienne à une mystérieuse dame Carcas, et il lui plut d'imaginer le parallèle entre le siège d'une cité et celui du cur d'une dame.
Ah, la guerre de siège... tout un art, patience et persévérance en sont les clés. On ne brûle que de monter à l'assaut des tours et à combler les douves... mais une attaque trop tôt lancée et c'est la victoire qui vous échappe !
Attention toutefois qu'à attendre le moment idéal, il se peut que rien ne bouge jamais; un peu de folie est parfois nécessaire pour faire le pas qui mènera à la victoire. Le bon stratège usera en siège d'un peu de folie parce que - à la guerre comme en amour- il n'est pas possible de tout prévoir.
Je gage qu'un bon stratège n'est pas celui qui prend la cité à la force d'un assaut, mais bien celui qui en obtient la reddition sans conditions.
Angel_de_chevelu
Angel prit longuement le temps de mûrir sa réponse, tant la question lui semblait biaisée. Les croisades étaient choses du passé, et pour les bien juger il aurait fallu être homme de leur temps. Lui personnellement se refusait de les juger avec ses valeurs à lui, celles du XVeme siècle.
- Ma dame, je ne saurai trop répondre sur la reddition de Carcassonne, si les conditions furent celles dont vous me faites part. Car je suis convaincu que par la guerre on n'obtient que des gains matériels, et que l'on ne combat pas les idées par le fer, mais avec d'autres idées.
Il est toujours dangereux - et vain - de mêler guerre matérielle et guerre spirituelle. Les stratégies, comme les objectifs, ne sont pas les mêmes. Un bon stratège ne cherchera par la reddition qu'à s'emparer de son objectif militaire, la cité ou la forteresse, avec un minimum de pertes. C'est pourquoi il devra veiller à ce que la reddition demandée soit honorable, et pour ceci montrer clémence envers les assiégés. On ne demande pas à quelqu'un de quitter un lieu sans lui montrer une porte de sortie. La mort n'en est pas une.
La deuxième question de Theolenn était beaucoup plus facile, aussi y répondit-il en souriant, par une de ces pirouettes qu'il affectionnait tant lors des cours de dialectiques de Tomaso:
- Quand à dénoncer mes amis hérétiques au prix de leur vie, je crois que la question ne se poserait même pas. Car s'ils étaient vraiment mes amis ils se dénonceraient d'eux-même pour sauver la mienne, ne croyez-vous pas ? Moi, en tout cas, si j'étais hérétique, je le ferai.
Faisons l'amour, faisons la guerre:
Les deux métiers sont pleins d'attraits.
La guerre au monde est un peu chère,
L'amour en rembourse les frais.
Que l'ennemi, que la bergère,
Soient tour à tour serrés de près;
Quand on a dépeuplé la terre,
Il faut la repeupler après !
Angel_de_chevelu
Angel n'était pas mécontent que la "leçon" de stratégie fut arrivé à si bonne fin. Theolenn avait l'air satisfaite de ses conclusions, il l'était aussi.
De l'intelligence et du cur... un utopiste, lui avait-elle dit. Il en avait bien conscience, et n'allait pas la détromper. Au contraire, selon lui, c'étaient bien les utopistes qui faisaient avancer le monde.
- Et pendant que tous les grands stratèges se liment la cervelle avec le jeu gratuit des hypothèses et des conséquences, cherchant des preuves, croyant aller partout, n'arrivant nulle part, l'utopiste, lui, fait un pas. Un pas ? Voilà qui est bien peu, diront ces doctrinaires. Et qu'importe ? Car c'est pas de géant: un seul pas, mais le bon. Les grandes théories sont grises, belle dame. Seul pousse vert l'Arbre de la Vie.
Léglise se dessinait au bout de la route, et leur "pèlerinage" prendrait bientôt fin dans la messe dominicale du père Synesios.
- Theolenn, mon amie - si vous me permettez cette appellation d'origine incontrôlée - le son de nos pas sur cette route me fait songer à chaque étoile que compte le ciel de la longue nuit qu'est notre époque. Lorsque je foule la poussière des chemins, c'est toujours vers le firmament que se tournent mes regards.
Je crois que les âmes éveillées de notre sorte ont logés dans le cur tous les astres du monde comme autant de larmes ou d'émeraudes, selon que nous soyons tristes ou pleins de joie. Nous portons en nous les chagrins les plus secrets, les plus futiles de l'univers. Mais nous semons aussi les lumières les plus pures dans les curs.
Ne nous soucions ni de l'or, ni du temps, ni de la mort qui effraie tant les hommes, mais seulement de l'amour, de la beauté, de la poésie. Ainsi, loin des lois du monde, nous régnons en souverains sur nos nuits, nos songes, l'imaginaire, et nous ne pouvons mourir : l'infini est notre compagnon de route.
Redoutant de s'être laissé entrainé un peu loin par la poésie du moment, Angel en revint vite à un sujet plus terre à terre.
- Sentez-vous encore vos pieds ? Les chausses se font-elles à vous et vous à elles ?
Angel_de_chevelu
- Oui, Theolenn, les lumières finissent toujours par s'éteindre... Tout comme les hommes finissent toujours par mourir. Mais est-ce une raison suffisante pour ne point vivre ? Ôtez plutôt ce vilain caillou qui vous donne de si sombres pensées...
Angel s'attarda donc au bord du chemin pendant que la dame se déchaussait sur son rocher. Le clocher de l'église appelait déjà les fidèles à la messe, mais peu lui importait d'arriver en retard.
- Prendre de l'avance ? Et vous laisser seule affronter le reste du chemin ? Si c'est vostre première messe, vous êtes une cible de choix pour le Sans-Nom qui essayera sans doute de vous empêcher de rejoindre les lieux consacrés. Il faudra que je vous raconte quelques légendes locales qui n'en sont peut-être pas...
Il lui lança alors un sourire mystérieux, qui mélangea confusément la part de plaisanterie et la part de sérieux de ces dernières paroles.