Aimbaud
Citation:
D'Aimbaud de Josselinière, Marquis de Nemours et Duc de Corbigny,
À Blanche da Lua, Marquise de Gondomar, Ambassadrice de Castille,
Salut et respects.
De nombreux mois ont passé depuis votre dernière escale en France. Je viens par ce courrier m'enquérir de votre santé et de celle de votre époux. Aussi vos enfants grandissent-ils bien ? Je suis pour ma part passé par un bien fiévreux mal, qui me fit tenir le lit tout le début du printemps. Ma santé s'en trouve heureusement désormais renforcée, et je puis vaquer à mes devoirs, en mes fiefs ainsi qu'en Bourgogne, où des contestations tonitruent. Le Roy soulève des émules, dont vous savez le meneur... Il faut en ces temps difficiles, calmer les soulèvements et tenir l'arme prête aux mains.
Ma femme, marchant vers Rome depuis huit mois, ne peut hélas se joindre à moi dans les amitiés que j'envoie vers votre famille. De là où elle se trouve, elle prie cependant pour vous, j'en suis certain.
Aristote vous ait en sa sainte garde,
- Aimbaud de Josselinière
PS : Pardonnez mon écriture. Je n'ai pas fait d'effort, les mots sont sales et illisibles. Si tant est que vous soyez dans la pénombre, vous vous y abîmerez les yeux. S'il vous plait, lisez ceci tout près d'une bougie.
À l'encre sympathique :
Citation:
Ma belle dame,
Mon amour !
Je prie pour que vous trouviez ces mots au verso de ma lettre. J'ai usé de vinaigre pour vous les écrire. Le parfum n'est pas fameux, je m'en excuse ! Mais peut-être, si vous ne jugez pas le stratagème trop imprudent, pourrions-nous ainsi laisser parler la plume aussi librement qu'auparavant (cet avant où votre señor n'avait pas encore l'oeil sur vos correspondances)... Ma Blanche. Ma petite femme. Me reviendrez-vous pressément ? J'ai tout le jour à l'esprit notre entrevue dernière en les bois de Décize... Il faut m'ôter le souvenir de votre peau ou bien les raviver... Mais me laisser à un songe de vous, une imagination bête, impalpable et meurtrissante, ça...! J'aime encore mieux perdre la mémoire. Euh... Non, faux. Je dis des cruautés... Les pensées de vous sont tout ce que je possède de joli, je les veux conserver jusqu'à la tombe et dans la mort, les emporter même avec moi, en petites parcelles dans la terre où l'on m'ensevelira.
Vous êtes une source chaleureuse dans ma tête d'idiot, je m'y reclus de temps à autres, claquemuré avec moi-même. Et je pense rien qu'à votre esprit et votre corps, je songe à ce que vous dites et ce que vous faites au moment présent. J'essaye souvent de vous imaginer rêveuse à mon propos, point malheureuse, juste aimante et compatissante. Narcissique de ma part... Ne m'en tenez pas rigueur, c'est qu'il est moins pénible de me voiler la face, que d'imaginer sur vos hanches les mains de votre époux. Et je sais, pour ma douleur, qu'elles y sont souvent...
Aristote nous enseigne qu'il est ruineux pour l'âme d'être plein d'envie et de jalousie. C'est une des leçons les plus dures que je me doive d'appliquer... Mais une simple question, ma dame. À force de partager la couche de votre époux, se peut-il que vous vous émouviez de sa personne ? Si vous vouliez bien m'assurer une fois encore, une toute petite fois, que vous ne concevez pour cet homme pas d'heureux sentiments, et que c'est à moi qu'appartient votre affection, j'aurais l'esprit en repos. Que sais-je si vos inclinations pour moi n'ont pas suivit le vent ? Vous ne m'écrivez pas, et restez secrète en toutes occasions de me voir. Et puis la constance des femmes m'est terra icognita... Si votre coeur va comme vos humeurs, vous m'aimez inégalement à chaque heure. Je suis peut-être lourd, là ?
À mon dam, je ne sais pas aimer sans être jaloux... Aussi l'amour que j'éprouve se corrompt dans des humeurs fielleuses et je les sais qui m'empoisonnent les sangs. Mais j'essaye de toutes mes forces de garder pour vous des pensées pures et point mélancoliques. La chose terrible que le coeur, mon bel amour...
Je brise là, au bas de la page. Et je l'embrasse en songeant bien à vous.
Votre serviteur,
Aimbaud
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