.mahaut.
Etes-vous...
L'HOMME ?
- Ben, chais pas...
Placardées partout dans le quartier de la cathédrale, de grandes affiches colorées questionnaient les passants depuis trois jours.
- C't'à dire qu'ils précisent pas. L'homme de quoi ?
- Ben...
- De la situation ?
- P't'être des bois ? Y'a des p'tites fleurs coloriées en bas.
- Ah oui ! Et un chien.
- C'est un chien ?
- Ben ça a quatre pattes.
- C'est p't'être un canard.
- Non mais n'importe quoi. Vous ne savez pas reconnaître un ours ? Regardez les grandes dents !
- Ouais mais pourquoi il a une étoile près de l'oreille ?
- P't'être qu'ils recherchent un dresseur d'ours.
- Ou de canards.
Cachée dans son carrosse, Mahaut attendait le bon moment pour sortir. Elle avait tout prévu. La sortie théâtrale, les ménestrels pour l'effet magistral, le tapis rose destiné à se dérouler tout seul jusqu'à l'hôtel particulier, les fleurs multicolores à jeter en l'air, bref, tout. Ce qu'elle n'avait pas prévu, en revanche, c'était la réaction des passants.
- Anatole mais bordel, qu'est-ce qu'ils font ?
- Je crois qu'ils butent sur les petits dessins. Je vous avais dit que c'était une mauvaise idée.
- Mais enfin c'est pourtant limpide !
Toujours devant l'affiche, les passants commençaient à se prendre au jeu.
- C'est un canard et je le prouve ! Indice n°1 : le bec ! Observez ! Etalé comme il faut. Indice n°2 : les couleurs ! A part un canard, qu'est-ce qui peut être coloré comme ça ?
- ... Un ours qui se s'rait roulé dans les p'tites fleurs d'à côté ?
- UN CANARD vous dis-je ! Et tenez, indice n°3, le plus magistral : un poisson rouge à côté.
- Alors excusez-moi d'vous contredire mon p'tit messire, mais votre poisson rouge, il est rose, et il fait 3 fois votre canard. Alors moi j'dis c'est p't'être plus une carpe. Et juste pour dire, votre canard il a des dents.
- Et une étoile.
- UN COLVERT ETOILE, ignorant.
- Ouais, et vachement fourni niveau denture.
- C'est p't'être la rage.
- Ils cherchent des déragiseurs ?
- Des ?
- Des gens pour tuer les canards étoilés enragés qui se baladent avec leur poisson rouge au dessus d'eux.
- Une carpe, j'vous dis, vue la taille c't'une carpe.
- C'est pour un élevage ?
- RAAAAAAAAAH CORNECUL DE PEQUENOUILLES DE MORTEFIANCHTRE !
La porte du carrosse s'ouvrit d'un coup, sous la pression d'un Loup Bouttin verni. Aussitôt, les ménestrels soufflèrent dans leurs cuivres, entamant "la marche glorieuse". Les enfants jetèrent les fleurs en l'air et... sous la pression, la porte du carrosse se referma aussi sec sur son occupante.
- AIEUUUU BORDEEEEEEEEL !
Un silence confus s'opéra dans la foule jusqu'à ce qu'une main ne vienne rouvrir la porte de façon plus éduquée.
- Elle m'a agressée !
- C'est une porte, voyons, une porte. Je vous avais dit de ne pas la pousser comme une brute.
- Et pourquoi il n'y a pas de musique ? J'avais demandé de la musique. Et des petites fleurs.
- Euh...
Il passa la tête par l'ouverture et regarda la foule.
- Vite, ramassez les pétales et relancez-les. Et vous, recommencez à souffler dans vos trompes, vite ! Ils n'attendent que vous.
- Mon tapis.
- Hein ?
- Le tapis rose. Je ne descends pas sans le tapis rose.
- Ah. Attendez.
Il repassa la tête par la porte et regarda les enfants de nouveau.
- Oui alors vous pourriez les ramasser encore une fois ? On a raté le 2ème essai.
- Elle est malade la dame ?
- Non non. Enfin... Pas officiellement. Ramassez les pétales et relancez les à mon signal.
- Les ménestrels ils jouent bizarre.
De fait, certains des musiciens avaient choisi de recommencer l'air depuis le début quand l'autre partie avaient tout simplement repris où ils en étaient.
- Non, bon, c'est pas grave. Attention, voilà le tapis rose et tadaaaaaam !
- Bonjour Paris !
- Les pétales, viiiiite !
- Tu avais dit "à mon signal"
- Maintenant !
- C'est pas à mon signal.
- LANCEZ LES MAINTENANT !
- Tout à l'heure on l'a fait et t'as dit que c'était trop tôt.
- Là c'est bon. Lancez !
- T'as pas dit "à mon sig..."
- A MON SIGNAAAAAL BORDEL.
Stoïque, la poney rose attendit la pluie de pétales écrasés sur un air massacré.
- Anatole, vous êtes viré.
- Chouette.
- BRAVES GENS ! Je vous vois depuis ce matin vous interroger sur cette affiche. Ne niez pas.
- On n'a rien dit.
- Tchiiiip ! Vous vous interrogez ? "Etes-vous l'homme ?" Qui est cet homme ? Qu'aura-t-il à faire ? Saura-t-il nous délivr...
- On s'demandait pourquoi le canard se baladait avec une carpe au dessus de lui.
- C't'un ours, il a des dents.
- Et une étoile.
- Hein ?
A pas furieux, elle s'approcha d'une des affiches et regarda de plus près.
- Mais enfin c'est un poney.
- Hein ?
- Poney.
- Mais il a un bec !
- Non. Il a un museau. Un truc, là. Une mâchoire.
- Et des dents pointues !
- Il sourit ! Un poney qui sourit, m'enfin, vous débarquez d'où ?
- Il est multicolore !
- Evidemment puisque c'est un poney, m'enfin !
- Mais et le poisson rouge au dessus ?
- Rose.
- C't'une carpe.
- AAAAH, vous touchez le fond du problème.
- Ouais, comment elle vit sans eau, au dessus du poney colvert ?
- Ce n'est pas une carpe, malotrus. C'est mieux que ça. C'est...
- Une baudruche ! J'ai bon ?
- C'EST UNE BALEINE. ROSE. Baleine. Rose. Ça ne vous dit rien ?
- Ah, va y avoir un spectacle ?
- C'EST LA REOUVERTURE DE LA BALEINE ROSE, plus célèbre agence mondiale de relouquingue du XVème siècle. Péquenots.
- Et l'homme ?
- Ah, l'homme... C'est l'homme qui sera choisi pour un relouquingue complet afin d'incarner l'homme du XVème siècle à la fois cazzuale, smarttie et harttie. L'homme... L'homme de la Renaissitude.
- De la ?
- De la Renaissitude. Les temps nouveaux. Renaître, tout ça.
- A mon avis, ça prendra jamais cette idée.
- En même temps, vous ne savez pas reconnaître un poney qui sourit d'un canard qui attaque. Laissez-moi passer, j'ai du travail qui m'attend. ET FAITES TAIRE CETTE FANFARE, ON NE S'ENTEND PLUS !
Pénétrant dans l'hôtel particulier, elle débarrassa d'un geste sec la tenture cachant la devanture pleine de paillettes.
La Baleine Rose était officiellement rouverte.