Judas
Bourgogne est troublée. Des jours que Judas a quitté l'armée, faisant mine d'y être encore lorsqu'il croise ses soldats. Rosalinde est restée quelques temps de plus, observant et écoutant, se fondant dans la masse... Et ce même si la besogne exige quelques sacrifices. Le Von Frayner se méfie de tout homme qui la frôle, de tout regard qui croise le sien, de tout mot qui sort du cadre qu'il s'est forgé, là dans un recoin de sa tête. Rose travaille pour lui, par conséquent, elle est sa possession directe. Lorsqu'il la quitte, après ses rapports détaillés et leur conversations tout ce qu'il y a de plus sérieuses, Judas s'apaise, imaginant laisser son limier dans un écrin de confiance. La confiance est une interprétation toute personnelle dans l'esprit du Frayner, un sentiment a sens unique qui se moque bien d'accepter une réciprocité. La barrière de la confiance donc, fut franchie, au fil du temps et d'une absence de plus en plus pesante. Rose accédait au titre de confidente lorsque Judas s'appesantissait sur l'absence de la Roide, soupirant comme un enfant capricieux dans ses coupes de vin.
Mais n'était-ce pas la guerre? Un jeu d'hommes, parait-il. L'Irlandais rencontré a Dijon prit un nouveau visage, un nom surtout. Finn de Pommières. Entre notre seigneur et son homologue c'est une franche camaraderie et même quelques familiarités qui naquirent, Judas justifiant publiquement que c'était seulement " parce que lui au moins était un bon aristotélicien ". Frayner était mauvais comédien, son gros égo et son repli personnel avérés ne dupaient personne. Entre deux séance de cautérisation et de jeux de mots aussi graveleux que peuvent faire les mâles en taverne, le brun a pris l'habitude de la promiscuité qu'offrent les veillées de combats.
Une nuit, c'est une Rose avinée qui se présenta au seigneur de Courceriers. Vêtue d'un robe à nouette qui avait semé la discorde entre la coquette et l'exigeant, la rousse semblait habitée d'une docilité toute inhabituelle. Celle qui ne buvait que du lait se laissa sermonner et déshabiller à la fois, nouettes dénouées une à une. Il est des instants si fugaces et si inattendus qu'on ne peut les regarder passer sans les saisir fermement. Et quand il s'agit de fermeté, Judas répondait présent. Au lendemain, rousse à nouette retournée à besogne, une missive des plus banales, un rapport. Un nouveau jour s'est levé, et chacun se remet à ses préoccupations.
Nuit encore, nuit toujours, Judas s'amourracherai presque de son acolyte, complice des heures tardives... Ha la fraternité! ça fleure bon la naïveté. Car pour la première fois de sa vie, Judas faute. Il prend pour acquis ce qui ne l'est pas. L'attente pèse sur le système parfois... Associée à de légères spéculations quant à la possesion d'autrui, elle engendre de légers contretemps.
Judas est assis en taverne, faciès fermé à double tour. Dans sa main une bourse pleine qu'il malaxe avec raideur, échauffant depuis de longues minutes le cuir de ses gants. Ses lèvres semblent avoir disparues, ravalées entre ses dents. Son regard fixe la porte, il pourrait passer pour vague, pourtant... Il est le terrible support d'images insupportables. Le satrape est pétrifié de haine, depuis combien de temps n'a-t-il pas déglutit? C'est cette crinière rousse entre des mains qui ne sont pas les siennes, et cette lippe volage qui soupire l'indécence. C'est son limier, en plein après midi à la discutable discrétion d'une taverne et l'Irlandais. S'offrir à Judas est un pacte vicieux et dissimulé. C'est coucher au lit du plus despote des possessifs. C'est une erreur, que l'on ait une excuse ou pas. Une stupide erreur. Il n'aime personne, ou presque, et pourtant exige qu'on le désire. Lui, et lui seul. Les prunelles sombres ne décrochent pas du chambranle. Quel étrange sentiment que celui de la trahison... Il est bien plus tendre quand on le donne. Les pensées s'éparpillent...
Oh Rose, j'ai envie de te voir danser. Danser, danser, gracile et volubile, les bras battant l'air avec légèreté, les pieds tendus et mutins .
Danser au bout d'une corde.
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Nous sommes les folles plumes des inspirations sans règles... Entrez dans la danse.