Ria
[Les jours passent et se ressemblent tous]
Ce qui avait été auparavant quune petite cabane pour entreposer son riz et ses outils, avait été nettoyée et aménagée afin quelle puisse y vivre et accueillir Himi quand celle-ci le souhaiterait. Lendroit était petit mais cela lui importait peu, elle ny passait que peu de temps dans ses journées.
Cela lui rappelait la petite maison quelle avait eut à Kumamoto, sur la plage, à la différence quà présent elle vivait au milieu des rizières. Lendroit était calme, fréquenté par les ouvriers dans la journée, la nuit, la nature reprenait ses droits et les dernières grenouilles emplissaient le silence de leurs coassements.
Le manque de confort ne la gênait pas, elle en avait eut lhabitude. Cependant, elle travaillait dur chaque jour pour pouvoir apporter le minimum pour Himi. La fillette était devenue sa seule raison de vivre. Sans elle, Ria aurait été offrir sa vie à Susanoo le soir même où elle avait eut confirmation de ses pires craintes.
Quimportait à présent ? Tout. Malgré tout ses efforts, elle narrivait pas à oublier. Coquille vide, elle ne reprenait vie que lorsque la fillette était près delle. Elle navait pas besoin de se forcer à être heureuse avec elle, elle létait. Le reste nétait quun vide immense qui lui donnait le vertige quand elle avait la faiblesse dy songer.
Fidèle à sa promesse et à ses engagements, elle allait chaque jour soccuper de la gargote comme elle lavait fait depuis une année. Soccupant de relancer le feu et préparer le repas du matin avant quHimi napparaisse, les yeux encore gonflés de sommeil. Ses journées sorganisaient autour de lenfant, au gré des envies et désidérata. Le soir amenait son rituel du bain, du repas et enfin de lhistoire qui emporterait la fillette dans des rêves apaisants.
Elle ne le croisait jamais. Malgré les longues heures à veiller et quelques assoupissements. Il lévitait soigneusement. Silence douloureux de lindifférence. Elle avait fini par perdre le peu de confiance en elle et dans ses capacités à apporter un peu de joie autour delle. Le doute nétait à présent plus permit, il lui donnait la réponse à ses interrogations sans même sans rendre compte.
Il navait jamais eut besoin delle. Elle, toujours de lui.
Elle sétait elle-même bercée dillusions et narrivait même pas à lui en vouloir de la souffrance quil lui infligeait par son attitude. Même les propos plein de bon sens dAsami navait pu lui tirer un seul reproche. Tout était de sa faute à elle et elle en assumait les conséquences désastreuses. Il avait été le premier et serait le dernier.
Asami
Présence rassurante et discrète dune amie sincère. Elles navaient jamais été aussi proches quen ces instants. La jeune femme se révélait de jour en jour, apportant un soutient moral des plus important malgré ses préoccupations et ses propres tâches aussi nombreuses que diverses. Asami, cette sur si différente et si semblable à la fois.
Ria laissa un instant son travail en cours, allant sappuyer contre lun des piliers de la petite terrasse entourant la maison, levant les yeux vers la lune. Que faisait-il à cet instant ? Dormait-il ou travaillait-il encore comme la dernière fois quelle avait pu lapercevoir ? Avait-il seulement eut une pensée pour elle depuis ce soir maudit ? Ne plus y songer, ne plus se poser de questions qui resteront toujours sans réponses
Fermer les yeux et oublier
Ria
[Quand les Kamisama veillent...]
Une rencontre fortuite et la générosité dun homme avait réussi à lui faire entrevoir un avenir moins sombre que celui quelle imaginait depuis quelques jours déjà. Petit à petit, elle réorganisait sa vie et apprenait à vivre à nouveau seule. Ne pas se laisser aller et sourire envers et contre tout.
Elle navait plus eut de commandes à honorer, aussi, en avait-elle profité pour aller au verger tout ces jours-ci. Le temps clément et labsence de nécessité en faisait un moment de calme et de sérénité. Il serait toujours assez tôt pour retourner à la carrière de pierres. Non pas quelle en éprouva lenvie mais elle ne comptait pas vivre sur ses acquit. Elle ne puiserait que le strict nécessaire dans le legs quon lui avait fait. Ce nétait destiné que pour le confort dHimi et ce quil resterait lui reviendrait quand elle serait en âge de gérer. Mais en attendant, il fallait travailler pour subvenir à ses propres besoins.
Elle sétait également remise à fabriquer des peignes. Non pas pour les vendre et en tirer un quelconque bénéfice, mais pour le plaisir simple doccuper ses mains et son esprit. Elle navait aucune prétention quant à son travail, seulement la satisfaction de loccupation. Les gestes se faisaient plus assurés, les détails plus soignés à mesure quavançaient ses ouvrages. Il lui arrivait également de façonner une nouvelle figurine pour la collection dHimi.
Finalement, peu de choses avaient changées en dehors de laspect affectif. Et pour lheure, cela ne lempêchait pas de vivre.
Fixant la lourde chevelure en un chignon lâche, maintenu par les longues épingles quelles ne quittaient que rarement, elle sassura de sa mise et ferma sa porte avant de se rendre à la gargote comme elle le faisait chaque fin daprès midi. Sa journée nétait pas terminée et Himi devait probablement lattendre déjà.
Ria
[Dun invité surprise]
Elle avait passé la journée dans sa rizière comme bien souvent, repiquant consciencieusement les précieux plants qui donneraient récolte abondante. Elle navait pas prêté attention à la légère bise qui irisait la surface de leau et encore moins à la température qui avait sensiblement baissée ces derniers jours. La nature revêtait ses couleurs chaudes et chatoyantes dun automne bien installé, apportant aux regards cet émerveillement dun environnement nouveau. Les faibles rayons du soleil avaient suffit à lui réchauffer le dos durant tout laprès midi et le soir venu, cest devant le feu de son habitation quelle sétait installée, prenant un peu de repos avant de prendre le chemin qui la mènerait jusquau « Tengu » où vivait Himi.
Elle avait promis à la fillette de venir chaque matin et chaque soir pour passer du temps avec elle. Il nétait pas rare quelle finisse elle-même par sassoupir, la main de la fillette abandonnée au creux dune des siennes, se réveillant dans la nuit pour reprendre la direction de sa maison. Les journées étaient longues et les nuits parfois bien courtes mais elle naurait remit ses visites pour rien au monde. Pourtant, ce soir là, elle prit pleine conscience quelle ne pourrait très certainement pas honorer sa promesse le lendemain, ressentant déjà les affres dun refroidissement qui sinvitait sans quelle ny ait songé. Préférant prendre les devants, elle avait signifié son besoin de repos sans vraiment donner de raison particulière à Tsune-san, lui demandant de bien vouloir lexcuser auprès de la fillette.
Le réveil du lendemain lui donna raison. La nuit agitée, le feu qui brûlait dans sa poitrine et les tremblements que provoquait la fièvre la tinrent alité durant deux jours. Deux interminables jours, emmitouflée dans une couverture, sendormant au coin du feu pour en retenir au mieux la chaleur. Ne sortant de sa torpeur que le temps de remettre du bois ou tenter davaler quoi que ce soit qui put laider à ne pas saffaiblir de trop et apaiser sa gorge douloureuse. Le jour et la nuit avaient fini par se confondre, mêlant rêves et réalités, achevant la confusion de son esprit.
Au troisième jour, la fièvre semblait totalement tombée. Les muscles endoloris protestèrent lorsquelle se prépara en vue de ce rendre en ville pour quelques achats. Il lui fallait de lair et marcher un peu. Elle ne supportait plus lenfermement entre les quatre murs de son habitation. Chaudement habillée, elle couvrit le feu et laissa les panneaux de la petite terrasse grands ouverts pour que lair circule dans la pièce durant son absence. Elle navait rien à craindre déventuels visiteurs, ses possessions étaient trop peu importantes pour quon puisse seulement sy intéresser.
La journée était douce et la promenade agréable. Elle ne mit guère de temps à trouver les herbes et remèdes quelle recherchait. Le marché possédait bon nombre détals proposant des produits des plus communs et usuels aux plus rares et parfois insolites. Elle décida de faire un petit détour par la gargote du sô avant de rentrer. Elle nalla cependant pas au « Tengu », sachant quelle ny trouverait personne à ce moment de la journée et Himi naurait probablement pas compris quil lui faille rester à distance de Ria, trop inquiète de la santé de la fillette pour prendre le risque de lui transmettre son mal.
Elle avait retrouvée Asami avec le plus grand plaisir, se tenant toutefois assez éloignée delle. Sortir de chez elle lui avait redonné des couleurs mais la voix était encore par trop mal assurée pour pouvoir converser sereinement, aussi ne sattarda-t-elle pas plus que nécessaire pour prendre des nouvelles mais bien assez pour accepter un thé quelle avait apprécié. Elle prit congé de son amie sans trop tarder, présumer de ses forces ne laiderait pas à se remettre et elle craignait quHimi ne finisse par se sentir délaissée.
Elle rentra chez elle en se promettant de rendre visite à la petite dès le lendemain si elle allait mieux
Mais pour cela, il lui fallait encore prendre du repos
Ria
[Solitude]
Fermer les yeux et ne plus penser. Se fermer aux autres, à soi-même et ne plus vivre. Elle en était là au moment présent. Sabandonner à loubli, rêver sa propre fin et la renaissance qui suivrait. Fermer les yeux et écouter les gouttes de pluie mourir sur le bois de la terrasse. Ne rien dire, ne pas sourire
Ploc !
Pas un son, pas un bruit autre que la pluie qui sabat depuis deux jours, inondant sans état dâme tout ce quelle touche. Pas détat dâme, ne pas souffrir. Etre cette goutte qui sécrase au sol mollement, avant de nourrir la terre et ce quelle renferme. Vivre et mourir utilement. Avoir un but, une fonction pour ce qui lentoure
Ploc !
Les larmes ont taries, la pluie poursuit. Le corps est immobile, les bras en croix. Le regard fixé sur les poutres du toit ne voit plus quun immense vide, un trou noir. Lâme se débat, la raison vacille. Les tourments sont là pour rappeler la vie. Mais pour quoi ? Pour qui ? Les mots sentrechoquent, martèlent et se mélangent, embrouillant davantage encore lesprit
Ploc !
Un soupir. Les paupières sabaissent et voilent le regard vide. Remonter le temps, parler, exprimer et comprendre. Avouer ses peurs et oser dire ses doutes. Le courage quelle na pas. Les incertitudes qui la hante, le changement quelle ne peut empêcher. La douleur silencieuse et insidieuse meurtrissant sa chair
Ploc !
Le temps sécoule comme la pluie le long du toit, inexorablement, sans retour possible. Comme la vie vous échappe des doigts sans que vous ne puissiez la retenir. Un début, une fin et entre, le néant
Ploc !
Le temps passe. La pluie cesse. Vider lécuelle près delle. Ranimer le feu et partir pour soccuper dHimi. Laisser là ses rêves dapaisement. Faire semblant et baisser les yeux pour en masquer la détresse. Oublier pour quelques heures le vide quelle a créé
Ria
La journée lavait moralement fatigué et elle avait mit un certain temps à ce décider à rentrer. Ni le froid, ni le vent ne lavait contrainte à se presser. Elle avait eut le besoin de réfléchir, de remettre en ordre ses pensés, si ordre il ny avait jamais eut
Lévidence était là, elle navait plus envie de rien. Et elle avait beau sépuiser chaque jour aux différentes tâches quelle avait, le vide était toujours présent. La seule chose qui gardait toute son importance restait Himi. La seule qui la gardait attachée à cette vie.
Lorsquelle sétait enfin décidée à rentrer chez elle, le feu était éteint et les étoiles commençaient à pâlir dans le ciel, mais ça navait que peu dimportance. Dès que les premières lueurs de laube apparaitraient, elle rejoindrait le Tengu et débuterait sa journée comme toutes celles auparavant. Veiller sur le bien être dHimi, sassurer quelle ne manquerait de rien puis ce rendre à la carrière de pierres.
Et la journée sachèverait de même, à la différence quelle ne sattarderait plus dans la grande salle de la gargote. A quoi bon ? Attendre et espérer une réponse devenait de plus en plus difficile et il apparaissait également clairement que cette réponse ne viendrait jamais. Elle était la seule à encore y croire. A le vouloir. Un rêve unique, une chimère. Himi savait où la trouver et elle ne viendrait plus que pour elle, cela valait surement mieux ainsi. Pour elle, pour lui.
Si la vie reprenait doucement ses droits sur Kokura, elle, elle se retirait. Comme à Kumamoto jadis. Loin de tout, loin de tous.
Asami...
Il était bien difficile pour Asami depuis le début des travaux du sanctuaire de réaliser tout ce qu'elle avait à faire.
Cependant, puisqu'une nouvelle année débutait, elle avait tenu à abandonner son moulin et à déserter la carrière de pierre une journée afin de faire un petit tour et proposer ses services en tant que shinshoku.
Le temps n'était pas vraiment des plus agréables aujourd'hui.
Le vent était froid et semblait pénétrer sous le kimono de Asami sournoisement, lui glaçant les jambes malgré sa paire de tabi en coton épais.
Mais il en aurait fallu plus pour la décourager à parcourir le chemin jusque chez son amie.
Le sugegasa bien enfoncé sur sa tête inclinée pour faire obstacle au souffle du vent, les bras repliés sur elle même, les mains enfouies dans les manches de son kimono, Asami faisait pour la toute première fois la route pour atteindre la cabane de Ria.
Et elle trouvait que c'était bien excentré pour une femme vivant seule.
Enfin arrivée, elle aperçoit de la fumée s'échappant de la cheminée extérieure.
Bon signe, elle était sans doute chez elle.
Toc, toc, toc.
Ria
Le temps nétait pas à folâtrer dehors, aussi, ses tâches habituelles faites, elle sétait calfeutrée chez elle. Lendroit, bien que peu spacieux comparé au Tengu, était propre et bien chauffé. Décor sobre, lintérieur ne ce composait que dune seule pièce avec en son centre le feu dans son réceptacle creusé comme il était coutume. Légèrement surélevé, le futon occupait la partie gauche en entrant, faisant face au feu pour en capter la chaleur. A lopposé, elle avait aménagé un coin dissimulé par des tentures pour le nécessaire de toilette. La température y était plus douce quà lextérieur en cette saison hivernal et bien que ce contentant de peu, cétait un confort quelle appréciait tout particulièrement. Le seul meuble à proprement parler était une petite table, encombrée doutil et de réalisation en cours. Ne recevant jamais personne ici, elle préférait le coin du feu, assise sur le rebord qui servait de plancher à lhabitation. La vaisselle ne comportait quun chaudron empli deau et un service à thé. Elle ce passait du reste, ne mangeant quasi quau Tengu avec Himi et Tsune.
Affairée à la préparation du thé tout en songeant aux projets quelle pourrait réaliser avec un peu de bois et de la patience, elle fut un peu surprise dentendre frapper à sa porte. Personne ne venait jamais ici en dehors de la fillette et elle sannonçait plus généralement dune exclamation joyeuse que par les coups à la porte. Sinterrogeant sur lidentité de son visiteur, elle élimina assez vite Tsune, les coups étaient trop doux et elle ne voyait pas ce qui aurait pu lamener jusquici. Elle songea à Asami également et ne fut pas réellement surprise de la découvrir derrière le panneau quelle venait douvrir. Sinclinant légèrement, elle laccueillit dun sourire et linvita à entrer.
Konnichi wa Asami-san. Cest un plaisir que de vous voir mais entrez donc, il fait meilleur à lintérieur même si je dois mexcuser pour le manque de confort pour recevoir.
Laissant le passage à la jeune femme, elle referma soigneusement le panneau derrière elle, coupant court aux assauts du vent. Laidant à ce débarrasser de ses vêtements dextérieur, elle les accrocha à une patère prévue à cet effet, leur permettant de ségoutter et sécher.
Je viens de préparer du thé. Cela vous réchauffera.
Et joignant le geste à la parole, elle invita Asami à prendre place près du feu et lui servit un bol avant de la rejoindre. Puis, un peu inquiète de la raison de la visite de la jeune femme, elle la questionna doucement :
Est-il arrivé quelque chose ou avez-vous besoin de quoi que ce soit Asami-san ?
Asami...
Asami était quand même passée au Tengu avant de venir chez Ria, sachant qu'elle s'y trouvait souvent, mais était malgré tout soulagée de la trouver ici.
S'inclinant, un léger sourire aux lèvres, elle lui répond :
Konnichi wa Ria-san. Plaisir réciproque, et d'autant plus ravie de vous trouver chez vous.
Arigato, j'accepte volontiers votre invitation à entrer.
Asami entra donc à l'intérieur.
La douce chaleur contrastant grandement avec le froid extérieur rosit immédiatement ses joues alors que les muscles de son corps se détendaient, crispés par ce vent pénétrant.
Ce vent semble vous pénétrer aujourd'hui.
Les paysans ont bien du courage pour travailler par ce temps.
La plupart n'avait surement pas le choix, mais ceux qui l'avaient avaient surement reporté leurs travaux.
Asami remercia d'une inclinaison de tête Ria pour l'aide à se débarrasser puis prit place près du feu où Ria lui indiquait par le geste.
Hai, j'avoue ne pas refuser une tasse de thé bien chaud.
Surement que mon corps en sera reconnaissant, rajouta-t-elle dans un sourire.
Asami la suivit du regard alors que son amie lui servit un bol avant de la rejoindre.
Elle aurait juré que les traits de Ria transpiraient l'inquiétude, ce qui fut confirmé par sa question :
Est-il arrivé quelque chose ou avez-vous besoin de quoi que ce soit Asami-san ?
Iie, n'ayez aucune inquiétude Ria-san, tout va bien et je n'ai besoin de rien, répond-elle un sourire un peu gêné aux lèvres.
Il est vrai que c'était sa première visite, bien qu'elle ait, par le passé, voulu venir plus d'une fois.
Malgré sa volonté, jamais elle n'avait réussi à atteindre sa cabane, retenue par cette gêne qu'elle avait longtemps eu de ne pas dire sincèrement à cette amie unique ce qu'elle avait sur le coeur.
Heureusement, depuis, Asami avait trouvé le courage de lui parler.
A vrai dire, si je viens, c'est pour vous proposer mes services, bien que je sois contente d'avoir une raison de venir troubler la tranquillité qui règne ici pour partager avec vous une tasse de thé.
Enfin, partager n'était pas vraiment le mot, puisque Ria ne s'était pas servie.
Après avoir pris une gorgée de thé, Asami reprend.
Je n'ai pas organisé de cérémonie particulière pour la réouverture du sanctuaire, mais je fais cependant le tour de la ville pour proposer à chacun une purification de leur maison, atelier ou échoppe.
Je me suis dite que vous souhaiteriez peut-être que j'en organise une chez vous.
Ria
Tandis quAsami reprenait peu à peu des couleurs et rassurait Ria sur les raisons de sa venue jusquici, celle-ci sétait préparé un bol de thé pour accompagner la jeune femme et écoutait attentivement sa proposition.
Lidée dAsami lui plaisait bien. Si lendroit nétait habité que depuis quelques mois, elle savait assez lavoir parasité par ses pensées. La visite dAsami coïncidait bien avec les bonnes résolutions de la nouvelle année à bien y réfléchir et après la purification effectuée au sanctuaire de Kokura, celle de son habitation était une suite logique.
Inclinant légèrement la tête et souriant à Asami, elle la remercia.
Je serais honorée que vous le fassiez Asami-san.
Quant à troubler la tranquillité, je puis vous assurer que cest un réel plaisir que de vous accueillir ici.
Elles savaient aussi bien lune que lautre quil était plus question de solitude que de tranquillité. Mais elles se connaissaient assez pour navoir à le mentionner et les nombreuses discussions quelles avaient eues ensemble avaient été autant de bénédictions quune purification en bonne et dû forme. Cependant, soucieuse daider son amie dans la voie quelle avait choisie, elle ne pouvait que lencourager et accepter ses services en tant que chargée du sanctuaire.
Avez-vous besoin de quoi que ce soit pour réaliser votre purification ?
Elle nétait pas pressé de la voir partir mais la savait occupée, aussi, lui laissait-elle le choix quant à la durée de sa visite, quitte à profiter plus longuement de la présence dAsami une fois son rituel terminé. Il y avait bien assez de thé pour elles deux.
Asami...
Ria se sert à son tour, et cela rend le moment plus intime entre les deux femmes.
Reprenant une gorgée du liquide bien chaud qu'elle pouvait sentir s'écouler à l'intérieur d'elle même, elle répond à Ria :
Je n'ai besoin de rien. Enfin, je veux dire par là rien que vous ayez besoin de fournir.
Je n'ai pas pensé à prendre le nécessaire pour la purification, et c'est dommage.
Cependant, cela me donnera l'occasion de repasser, rajoute-t-elle dans un sourire amical.
Est-ce que cela vous conviendrait demain ?
Je peux passer en début de matinée, si vous avez des tâches à accomplir après, ou bien si ce moment là ne vous convient pas, je peux venir plutôt en fin de journée mais je ne pense pas me tromper en disant que Himi attend votre arrivée avec impatience au Tengu dès la nuit tombée.
Elle savait que les journées de Ria étaient au moins aussi pleines que les siennes, et que les fins de journée étaient réservées à Himi pour le bain, le repas, l'histoire du coucher. Des moments tendres que la mère et la fille appréciaient autant l'une que l'autre.
Ria
[Quelques semaines plus tard]
Elle avait essayée mais avait échouée. La soirée navait pas été celle quelle espérait et bien que lannonce du mariage dAsami et de Lujan lait transportée de joie, celle-ci était bien vite retombée. Pas un mot, pas un regard. Du voyage, elle napprendrait quasi rien en dehors de ce quavait pu lui raconter Asami et Lujan.
Toute la soirée avait tournée autour de tractations commerciales et du prochain départ. Désabusée, elle avait écoutée silencieusement, parfois distraitement, perdue dans son rêve dimmensité bleue. La chose lui devenait de plus en plus coutumière et les renseignements obtenu pour ce rêve pressant lui avait fait comprendre que seule, cela prendrait du temps.
Prendre le large et simmobiliser au milieu de nulle part. Rien dautre que le navire, la nature et elle. Ne plus penser à rien quau chant du vent dans la mâture, les craquements de la coque sous lassaut des vagues. Le plus loin possible de cette vie quelle ne comprenait plus, ni même ne maitrisait. De ces gens qui lui devenaient étrangers un peu plus chaque jour.
Aucun ressentiment, seulement un vide sans limites et ce sentiment de sombrer toujours plus profondément sans jamais en atteindre le fond. Plus de repères ni de volonté. Un jouet que lon manipule puis que lon abandonne dans un coin jusquà ce quun regain dintérêt vienne à nouveau tout chambouler. Cétait peut-être finalement à elle-même quelle avait songé en réalisant la poupée dHimi.
Les pruniers avaient offert leurs fleurs, bientôt ce serait au tour des cerisiers. Un soleil timide, mais annonciateur dun printemps longtemps espéré, jouait entre les nuages, dessinant des ombres sur les rizières qui sétalaient à perte de vue. Un océan de verdure quelle contemplait depuis la terrasse de sa cabane transformée en habitation depuis quelques mois déjà. Elle ne sétait pas préparée ce matin là et ne le ferait probablement pas de la journée. Rester allonger et regarder le temps qui passe, lesprit vide.
Ria
[Distances]
Si les événements avaient apportés quelques changements à Kokura et de nouvelles rencontres, la langueur avait fini par reprendre le dessus, laissant un goût damertume.
Ria en était venue au constat que rien ni personne ne valait vraiment la peine quelle se sacrifie et fasse le moindre effort en dehors de sa fille.
Les gens, doù quils viennent, nagissaient que par intérêt personnel et avaient tôt fait doublier qui vous étiez une fois quils navaient plus besoin de vous. De froide et distante, elle était devenue sombre et cassante, ne ménageant plus personne lorsque les choses lui déplaisaient. La solitude ne lui faisait plus peur et lui apportait même une certaine paix intérieure. On fini par shabituer à tout, même à la fatalité.
La paix. Elle naspirait plus quà ça depuis quelques temps. Ne plus être loreille complaisante et attentive des malheurs des autres, ne plus avoir à répondre de sa personnalité ni même à se faire sonder lâme. Une âme écorchée vive qui tendait à partir par lambeaux entiers au contact des autres. Se couper du monde pour ne plus avoir à en souffrir.
Son refuge cétait la petite habitation où elle avait élu domicile quelques mois auparavant. Et si son implication pour Kokura len avait éloignée durant quelques semaines, elle en avait reprit possession la veille et comptait bien y apporter des modifications durables. Si les rats ne sétaient pas encore invités, la poussière et les araignées navaient pas eu la même délicatesse et les journées à venir allaient être consacrées au nettoyage.
La matinée avait été consacrée à quelques plantations de nécessités mais également dornements. Et si le temps restait clément, elle en profiterait également pour se rendre au verger avec Himi et peut-être quelles pousseraient leur promenade jusquà la plage pour y ramasser quelques coquillages en vu dinventer de nouvelles occupations et de nouveaux jeux.
Ria
[Eau et vie]
Cela faisait plusieurs jours à présent quelle sattachait à éviter soigneusement les gens. Plusieurs jours quelle ne se rendait au Tengu que pour Himi et pour lentretient quelle avait promis dassurer. Mais elle sappliquait à ne croiser personne dautre que la fillette. Le besoin de partir, voyager, se faisait de plus en plus pressant et si elle navait craint lune des colères froides dont Tsune avait lui seul le secret, elle se serait déjà aventurée sur les chemins sans rien demander à personne.
La seule bravade dont elle avait été capable ce jour cétait de sêtre rendue seule à la source chaude dont il lui avait parlé à plusieurs reprises. Il navait pas été simple de la trouver ni même dy accéder mais la perspective dun bain brûlant avait bien vite balayé les difficultés de lascension. Trop éloigné de la ville et trop peu connu, lendroit était préservé et nul ne sy rendait jamais. Cétait le lieu idéal pour profiter pleinement du calme et de la nature environnante.
Pas dautres bruits que le chant des oiseaux qui reprenait peu à peu après avoir été dérangés par la présence de la jeune femme, le léger vent dans les frondaisons et leau qui cascadait entre les pierres volcanique, alimentant le bassin naturel où il faisait si bon de sabandonner à la rêverie. Ria en venait presque à regretter de navoir jamais osée venir jusquici avant ce jour. Elle avait découvert le plaisir et les bienfaits des onsen en Oda et avait toujours trouvé dommage quil ny en ait pas autant dans cette partie du nippon.
Elle était fermement décidée à en profiter pleinement et ni les histoires de bêtes sauvages ni la peur dêtre surprise ne la dissuadèrent dabandonner ses vêtements sur un rocher moussu et dentrer dans londe, laissant leau envelopper son corps amaigri et meurtri. Leau, élément purificateur, source de toute vie. Laisser la chaleur et le léger courant purifier chaques parcelles de sa peau des fièvres successives. Si certaines choses étaient innées pour certain, cétait loin dêtre le cas pour Ria et il y avait bien longtemps quelle ne faisait plus le moindre effort sur son physique et sa santé. Peut-être était-ce un tort, mais sans avis ni encouragements, elle nen voyait pas lintérêt.
Les bras croisés reposant sur le bord, une joue appuyée contre, elle se laissa bercer par le pépiement des oiseaux entre rêve et réalité. Les images du passé prenant peu à peu le dessus sur celles du présent. Toujours le même rêve, la même ombre qui plane avant de piquer vers la proie, ne laissant aucune chance à celle-ci face aux serres démesurées et acérées. Le déchirement sous les coups de becs contrastant avec la chaleur et la douceur des plumes. La lente agonie dune part et la fière satisfaction de lautre. Puis deux corps qui se devinent, une chevelure blanche mêlée à une autre plus sombre. Une lutte silencieuse où le plaisir se mesure à la sensualité, au désir de dominer lautre par les sens puis enfin lapaisement, le repos. Elle avait payé de son âme sa rencontre avec le Tengu et sétait infligée elle-même ses tourments en rompant laccord convenu.
Enchainée à ses sentiments, elle avait découverts les aspects négatifs dune vie à deux. Le manque de confiance en elle avait fini par amplifier et déformer une jalousie et possessivité latente en un imbroglio quelle ne parvenait plus à contrôler. Trop de questions et trop peu de réponses. Elle avait fini par se persuader de ne pas être faite pour lui. Pourtant, depuis son départ, elle ne cessait de regretter son geste impulsif. La seule chose positive quelle pouvait concéder était la certitude quaucun autre ne saurait le remplacer. Comment ignorer lattrait et lentente quils avaient eus si longtemps et quelle continuait à ressentir malgré tout ? Si différents et si complémentaires à la fois.
Et bien que discret et distant, il était toujours présent, semblant veiller, lair de rien. Tant et si bien quelle ne savait plus trop quelle attitude adopter. Lenvie se disputait à la crainte et le fait quil nencourage ni ne repousse ses sollicitations naidait pas davantage à faire un choix. Elle se retrouvait face à un dilemme entre provoquer une réaction même négative ou attendre et laisser faire les choses. Seulement, du courage, elle nen avait jamais eu à revendre et elle ne se sentait pas davantage lâme dune séductrice. Cétait dailleurs une notion qui lui était totalement étrangère. Elle se sentait gauche et empruntée dans son rôle de femme libre et ne se révélait quen rêve. Cétait peut-être ça son problème, toujours tout réprimer, ne rien dire, ne rien faire, ne rien exprimer librement. Toujours cette peur de décevoir, dêtre méprisée. Tout retenir et subir jusquà sen rendre malade.
Toute à ses réflexions, elle fini par sortir de leau pour se sécher aux rares rayons de soleil filtrant entre les feuilles des arbres. Il serait bientôt temps de rentrer et reprendre une routine qui commençait à lui faire horreur. Peut-être que le voyage projeté apporterait un peu de changements à défaut de réponses ou même dinitiatives. Seuls les kamis pouvaient prédire ce quil adviendrait dici là.