Ademar
Les ordres du prévost furent donnés, on ne badine pas avec les ordres. Le fier Sénonais nétait néanmoins pas convaincu par les raisons de telles instructions. Atteints dans leur chair pour les uns, blessés dans leur dignité pour les autres, leurs assaillants avaient été bien assez punis ; à quoi bon un procès ? Et si Vonafred méritait sa couronne, ne devait-il pas se montrer magnanime et rassembleur ? Le pardon est un des apanages du lieutenant du Très-Haut ; en outre il y a de part et dautres des talents sur laquelle le Royaume doit pouvoir compter. Ce n'est pas en écrasant et en humiliant un ennemi que l'on gagne sa fidélité. Peu importe qui vaincra, pourvu que le prétendant victorieux fasse preuve de bon sens, de justice et de grandeur d'âme.
Pourtant Adémar exécuterait les ordres car il ne manquait pas de fondement. Si lon parvenait à mettre la main sur des prisonniers, il serait possible de leur soutirer de précieuses informations. Effectifs des armées, localisation des campements et points de retraite, objectifs militaires et routes suivies, noms des traîtres et des agents infiltrés, relations avec les diverses provinces, soutiens armés et financiers
les questions ne manquaient pas pour tenter de cerner un peu plus lampleur de la fronde.
Vous deux, sur les remparts. Vous deux, au repos, vous remplacerez vos compagnons quand complies sonneront.
Dans la cours de la Tour des Vigilants, les injonctions fusaient avec conviction. La voix ferme dAdémar résonnait contre les épaisses murailles qui avaient hardiment protégé Conflans la vaillante. Lancien maire parcourut alors du regard les volontaires pour dégotter ceux avaient lair le moins épuisé.
Toi et ... toi ... et toi. Allez chercher le vieux Jean-Antoine, il connait chaque recoin du pays. Vous me fouillez la plaine et les bois au sud et si vous trouvez des fuyards, vous les jetez dans les geôles.
Se souvenant du manque de manières qui gangrénait ses contemporains, il ne jugea pas superflu dajouter :
Sils se rendent sans résistance, ne les rossez pas. Si vous tombez sur un noble, traitez-le avec égard.
Sur ces mots, il sapprocha dun petit groupe de loyaux Sénonais.
Vous quatre, venez avec moi. Jai ouï-dire que les armées avaient pris la route de louest, cest là que nous aurons le plus de chances de ramasser des traînards.
Moins dune heure plus, les cinq cavaliers battaient broussailles à la recherche de la moindre trace suspecte. Une armée en marche laisse derrière elle un sillage quil est difficile de manquer, plus ardue est la tâche qui consiste à trouver la trace de quelques planqués. Et ce sont bien des éventuels retardataires que Lantenac espérait attraper, le gros de larmée représentant une menace trop importante pour le faible effectif des poursuivants.
Alors que le crépuscule menaçait de tomber, les efforts des chasseurs payèrent enfin. Là, au bord de la route, quelque soldat avait vidé ses tripes. Dix pas plus loin, les sabots des chevaux avaient piétiné les hautes herbes et traçaient une coulée qui menait jusquà une masse informe couverte de végétation.
Pas un bruit, on encercle ce truc.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Les chevaux évoluèrent au pas jusqu'au curieux édifice de verdure. Sur place, le lierre et les ronces fraîchement remués ne laissaient planer aucun doute, quelquun était entré très récemment dans la grange en ruine. Les renâclements de chevaux à lintérieur ne firent rien pour contredire cette idée.
Au nom du Roi, qui va là ?
Ademar
Des bruits étouffés et des murmures incompréhensibles séchappaient dentre les planches branlantes qui formaient les murs. Étaient-ils le fait de simples brigands, de pauvres hères ou de soldats ennemis ? Malgré le doute, Adémar frappa les intrus dune sommation.
Vous êtes encerclés et il vous est impossible de fuir. Si vous vous rendez, aucun mal ne vous sera fait. Sinon ...
Les quatre compagnons qui lavaient accompagné le regardèrent en attente dordre. Dun signe du menton, il leur intima de se rapprocher à pas comptés de la grange. A vrai dire, il navait pas la moindre idée du nombre de personnes qui se trouvaient là-dedans ; dans quelques minutes, peut-être est-ce eux qui seraientt en difficulté. Quimporte, Adémar serra plus fermement létreinte sur sa vieille dague et savança lentement.
Ademar
Sinon quoi
Adémar nétait pas plus un mignon de Vonafred quun bon danseur, linterjection qui monta de la grange eut le don de lénerver. Ces gens-là se posaient en partisan dun libérateur mais voyaient des ennemis partout. Cela dit, il perçut une forme de courage dans le ton de la voix, lécho de cette détermination dont les individus convaincus et passionnés savent faire preuve dans les moments désespérés et qui force le respect. La veille encore, ce sont les farouches Sénonais qui criaient de telles paroles.
Des bruits dagitation sélevaient depuis lintérieur du repaire de fortune, Lantenac fit signe à ses hommes de sarrêter et de mettre pied à terre. Dans lidéal, il préférait combattre en terrain dégagé car il nétait pas sûr que les assiégés ne leur aient pas réservé quelques mauvaises surprises dans la pénombre de la grange. Ses souhaits furent exaucés ; ses hommes et lui neurent guère besoin de prendre dassaut la porte vermoulue. Cette dernière souvrit sur une paire de combattants dont larme brandie ne laissait aucun doute sur leurs intentions. Dans la seconde qui suivit, ils fondirent sur les Champenois sans la moindre hésitation.
Le Normand eut maille à partir avec une jeune femme qui se démenait comme un beau diable. Les mouvements désordonnés de la lame rendaient les attaques inefficaces et peu dangereuses, mais Adémar resta malgré tout concentré. A raison puisque sa dague dévia à plusieurs reprises les voltes imprévisibles de lacier. Il neut finalement guère besoin de prendre une posture autre que défensive ; dépuisement, son adversaire sécroula sur un tapis de primevères.
Au même instant, deux des hommes de Lantenac pénétrèrent dans la grange pour la sécuriser alors que les deux derniers Sénonais résistaient aux assauts héroïques de lautre forcené. Lhomme maniait lépée avec force et précision ; nul doute quil sagissait là dun combattant aguerri. Ses mouvements parfois défaillants révélaient cependant quil était blessé et ses adversaires finirent par déceler une large ouverture dans sa garde. Un coup de pommeau bien placé assomma le lion enragé.
Yen a encore une là-ddans, mais elle est inconsciente. Et des chvaux aussi.
Adémar se retourna vers les deux soldats qui avaient fouillé la grange avant den ressortir.
Parfait. Toi, ôte ta cape et fagotes-y leurs armes. Toi, va chercher les lanières de cuir. Vous deux, rassemblez les corps près des chevaux.
Quelques minutes plus tard, les cavaliers repartirent en direction de Conflans. Les prisonniers ligotés avaient été déposés sur les croupes de leurs montures qui suivaient léquipage tenues par la bride. Très vite, les remparts furent à portée de vue, puis l'imposante Tour des Vigilants.
Deux des captifs avaient l'allure de nobles. Leur façon de se tenir quand ils sétaient défendus, leurs atours, leurs armes et leurs chevaux le révélaient. Lantenac veilla à ce quinventaire soit fait de leurs biens afin quon leur restitue en temps voulu. Au lieu de geôles, on les enferma dans des cellules séparées où un minimum de confort leur fut octroyé, eu égard à leur rang. La cul-de-jatte en devenir fut installée dans ce qui faisait office de dispensaire pour la tour-caserne et reçut les premiers soins. Un garde surveillait en permanence lentrée de sa chambre.
Au petit matin, un pigeon s'envola vers le château de Reims. Le prévost fut informé que la chasse avait été bonne et que les prisonniers seraient escortés dans la journée vers la capitale.