[Dans la rue des Petits-Carreaux]
Le sorgue vient, la trèpe sen va
Et Pantin est à moi
Gartemans avance, et il observe. Il tente de se souvenir. Les masures et les venelles, obscures, qui sécartent sur les cotés dans un désordre de taudis. Les pavés mal joints et la boue
il cherche dans sa mémoire.
Cest que la turne ça vous change un homme, ça bousille le ciboulot et ça lessive le souvenir. Le soir tombe et la foule sest dispersée
il y a bien quelques passants tardifs, ombres discrète qui filent dans les venelles, chacune à son affaire dont le tiers seulement est peut-être honnête.
Je pioncerai demain, car papa,
Tout Pantin est à moi.
Il marmonne plus quil ne chante. Et ce chant, soudain, lui en rappelle un autre. Ancien, en fouis dans les souvenirs dune autre de ses vies. Il regarde Chimère qui trotte derrière lui, et il dit :
On sépate toujours que les greffiers aient neuf vies, Chimère, mais moi, jen aurai bientôt autant ! Enfin, tu ne sais pas, tu ne me connaissais pas, avant. Mais je te raconterai.
Elle miaule.
Elle sen tape.
Gartemans sarrête net dans la rue. Bien sur la pluie a lavé le pavé. Tout est effacé, tout a disparu. Il saccroupit, près du sol, et de sa main droite touche le pavé sombre, comme pour se persuader que tout est bien réel. Il croit reconnaître est-ce un jeu de son imagination ? la morsure dune épée sur la pierre.
Cest là, dit-il, simplement.
Il regarde autour de lui, sengage dans une petite venelle, coincée entre deux baraquements de planches et de moellons branlants. Du pied, il cherche. Il marmonne, avec une excitation certaine.
Cétait là, Chimère
cétait là ! Là que le Rey la enterré
Il devrait
enfin
ça serait formidable, hein, Chimère, tu piges ?
Chimère ne pige pas. A vrai dire, elle sest lassée de cet instant nostalgie et est allée trotter plus loin sur la rue. Gartemans hausse les épaules.
Aucun sens historique
enfin, pas tout ça, mais va falloir creuser avec autre chose que larpion, Gartemans.
Il se penche sur le sol, un sol de terre compacte, tout contre un des murs. Il tente douvrir la terre avec ses mains, mais celle-ci est dure et sèche. Il regarde autour de lui, trouve un genre de bâton
peut-être le manche brisé dun balais. Avec il brise la terre, ouvre le sol.
Il remue, il creuse. Cest un travail exténuant. Bientôt la nuit tombe tout à fait, et il est encore à louvrage. Heureusement la nuit est claire.
Allez ho ! et on creuse, pour sortir le rabouin de sa boulangerie.
Chimère nest pas revenue, et il parle seul. Enfin son bâton rencontre quelque chose de différent
un peu de vide, peut-être. Il na pas creusé très profond. Il écarte la terre, excité et terrifié à la fois par ce quil va découvrir.
Et puis tout lui apparaît. Lodeur est insoutenable. Le corps est là mais il ne presque que les os, et quelques lambeaux de chairs décomposés qui reconnaîtrait là le corps autrefois vigoureux dun des princes des enfers ? Le vêtement du cadavre est en lambeaux, pourri par les chairs quil a contenues ; mais Gartemans sen moque. Il sait que le vêtement quil cherche est bien caché.
Qui, en effet, en découvrant ce cadavre décharné, et orné daucun bijou ni daucune autre richesse, aurait cherché plus loin ? Personne dautre que Gartemans, qui sait les richesses enfouies. Alors il prend son bâton, et le glisse sous le cadavre.
Désolé, vieux, je te sors du pieu. Ne tinquiètes pas, je ty remets dans une minute.
Il pousse, et sous le cadavre découvre un assemblage de planches, qui dissimule un paquet de toile, un peu long. Il tire le paquet, et repousse le cadavre dans son trou.
Il sassied contre un mur, épuisé, et défait le paquet de toile. Dedans il trouve une épée, une bourse, un masque divoire et un grelot, le tout enveloppé dans un manteau gris et une grande bure noire.
Lépée est une bâtarde, elle est de lacier le plus pur et à sa base une devise est gravée : "Ubi Volo, Quod Volo, Quando Volo".
La bourse est rebondie, il y a dedans des écus dor il lattache à sa ceinture et la cache sous ses hardes.
Le masque divoire est intact, Gartemans le caresse avec excitation.
Il regarde le grelot un instant à la manière dun diamantaire, comme pour estimer sa valeur, et puis le rejette rapidement dans le trou du mort.
Enfin il déplie la grande bure noire. Il en examine le col avec espoir. En effet, il y a une étiquette. Dessus, il lit, en lettres à demi effacées par la terre :
"Propriété de Belzébuth, Sa Majesté des Mouches, Prince Encapuchonné de lAvarice."
Gartemans sourit. Il refait le paquet autour du masque et de lépée, se lève et, sans prendre la peine de recouvrir le mort, séloigne pour commencer la cinquième de ses neuf vies.
Finalement t'as pas changé, Gartemans, souffle-t-il. Toujours à comploter et à déterrer des refroidis qui devraient rester dans leur trou.
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Il a un plan.
(Grand manit... modérateur de la Cour des Miracles)