Ragnelle
Elle ne marche pas bien vite. Elle se retient, en fait. Par moment, elle tend sa main libre vers le bras du masqué, comme si elle glissait, pour justifier sa lenteur. Il lui faut gagner un peu de temps.
Son esprit est entièrement concentré sur ce qu'elle va devoir faire, maintenant qu'il la suit.
Elle regrette presque de l'avoir incité à venir. Il a l'air nerveux. Il se retourne souvent et ça rajoute à son stress.
Un doute s'insinue dans son esprit. Elle s'empresse de répondre à la question posée.
Et bien.. Je ne peux me résoudre à parler de lui au passé. Il est Baron.
Bien sûr, elle ne dira rien de l'achat de la baronnie en question et de la provenance douteuse des écus qui ont servi à cela. Elle-même a mis plusieurs années avant de s'en apercevoir. Elle baisse les yeux et récite les mots qui ont fait leurs preuves.
Il vient d'une vieille famille de province que nous avons quittée pour venir vivre ici, avec mes beaux parents. Beaux parents qui nous ont quitté subitement par ailleurs. La vie est parfois cruelle, n'est ce pas ?
Son visage, encadré des ses longs cheveux bruns soyeux, se fait tendre et doux, tandis qu'elle regarde son masque. La naïveté emplit ses traits un peu sévères juste avant, concentrée qu'elle est, sur la façon dont elle va gérer la suite. Elle se rapproche un peu de lui en marchant et reprend sa causette.
C'est un homme bon, courageux et généreux. Il s'occupe habituellement de gens pour les sortir du besoin.. en les faisant travailler. C'est pourquoi nous vivions tout prêt de la Cour.
D'un coup dil, elle se réoriente et passe entre deux maisons dans la rue des Petits Carreaux. Elle veut éviter ainsi d'être vue par la vieille voisine un peu sourde qui doit être à cette heure ci devant sa fenêtre. Elle pousse la barrière d'un jardin mal entretenu et remonte ainsi plusieurs terrains à se suivre.
Plus d'un an qu'il a disparu.. Le temps passe si vite..
Elle rit un peu de sa maladresse à marcher dans les touffes d'herbe, remontant sa robe instinctivement, pourtant bien trop courte pour en avoir besoin. Elle lance un sourire d'excuse à l'homme en noir, et s'arrête enfin devant la porte arrière de leur ancienne demeure, pour sortir une clef de son gilet mité.
La maison détonne un peu pour qui connait le quartier. C'est une maison bourgeoise, mieux entretenue que les autres, imposante, et sur deux étages. Sur la gauche de la porte, la grille d'un soupirail un peu descellée, atteste même de la présence d'une cave. Elle gravit quelques marches et ouvre la porte, puis invite, d'un geste élégant, le Masqué à la suivre.
Son regard se fait attentif tandis qu'elle le suit des yeux, dissimulant toujours son paquet dans les plis de sa robe.