June
- Cette journée avait été horriblement ennuyante. Harassante, au point de vue moral. Son travail de Haute Figure Diplomatique était parfois passionnant, parfois beaucoup moins, mais il l'aimait beaucoup. Cependant, il y avait des limites à l'amour de la paperasse.
Il avait regardé le soleil toute la journée, par la fenêtre. La seule impression qu'il en avait, était celle que l'astre l'appelait, chaque minute, chaque seconde, de ses longs rayons brûlants. Il lui disait de tout lâcher, pour venir dehors se dorer la peau et tremper ses pieds blancs dans le Cher. Penché sur son bureau, le Chancelier avait ignoré ces cris, avait essayé de rejeter l'idée ; mais sa volonté fut surpassée en fin de journée. Posant ses derniers dossiers, qui attendraient le lendemain, il sortit du Palais Jacques Cur et continua sa route à pied, laissant son étalon gris aux écuries. Après tout, le Fidèle lui aussi avait droit à un peu de repos, vu son âge avancé.
Finalement, à défaut de l'eau claire du Cher, il opta pour la bière, douce à ses lèvres ; il s'était donc décidé à rejoindre une taverne non loin de là - la plus proche, en fait. Il terminera donc cette sainte journée comme toutes les autres : une chope dans la main, un pied sur la table. Finalement, les habitudes avaient quelque chose de bon. Il pensa à la boisson délicieuse qui lui faisait frissonner les papilles. Délicieuse, oh oui qu'elle l'était. C'était de la berrichonne, celle qu'on a envie d'avoir à soi tout le jour.
Lorsqu'il avait passé la porte, il avait de suite posé ses yeux sur les personnes présentes ; une seule, finalement, après examen de la situation. Et pas n'importe qui, c'était là une tête connue, une de celles qu'on a déjà vues quelque part, et qu'on avait presque oublié. Oublié, là était le principal défaut du blond. Sa mémoire d'andrinople poiscaille lui jouait des tours chaque jour. Cette deuxième rencontre avec Judas fut pourtant des plus intéressante, plus que la première, en tous les cas. L'audace naturelle du blond faisait qu'il s'approchait bien vite de ce genre de personnage, froid et peu enclin à discuter. Le pire, c'est qu'il arrivait souvent à se faire accepter et ce, rapidement. La conversation fut engagée, tandis que le brun jouait de ses mains avec des cartes que le grandissime n'avait jamais vues auparavant. Chacun ses activités, de toute façon. Il avait remarqué le pouvoir presque dictateur de Judas sur ses femmes. Il pensa à l'une d'elle, rencontrée un soir ; elle avait l'air terrifié... Mouais.
De toute façon, les femmes exagèrent toujours !
Le Von Frayner et le Sidjéno n'avaient en commun que leur virilité, mais par les gestes, l'attitude, les sous-entendus, ils se comprenaient. Et lorsqu'une brune s'était pointée, une qu'il avait déjà vue deux ou trois jours auparavant, June avait choisi de simplement écouter la conversation, ne se mêlant pas trop des discussions entre Judas et les femmes. Et soudainement, alors qu'il était bien loin de s'y attendre, il avait été mis sur le devant de la scène. C'est là qu'elle avait commencé à s'intéresser un peu plus à lui, malgré le fait qu'elle ne faisait que le mépriser à moitié quelques instants plus tôt. Lui, "le blond". Madame n'aimait que les bruns...
June était un homme à femmes, c'était presque une évidence. Certes, il cachait cette réputation, mais de moins en moins. Cela se savait, de toute façon. Mais cette brune-là ne l'avait pas particulièrement marqué, en tout cas pas immédiatement.
Avec les femmes, le Sidjéno était comme avec les fringues. Il les remarquait au coup de cur. Et si une affaire lui paraissait intéressante, il allait la regarder, la jauger. Et pourquoi pas... L'essayer. Finalement, c'était un peu comme du commerce. Cela marchait pour tout, le commerce, la politique, la diplomatie. Il avait donc jaugé la brune. Il l'avait regardée. Restait à voir ce qu'il en pensait...
La Diplomatie n'ouvrait pas que des portes. Elle ouvrait aussi pas mal de cuisses, à qui s'en débrouillait bien.