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[RP] Qui cache son secret est maître de sa route...

Theolenn
Theolenn lit et relit … le mystère est entier, elle n’y comprend rien de rien et ça la titille! Il faut! Elle n’aura de cesse d’avoir trouvé… ne fut-ce qu’une piste, même un début… il en va de sa tranquillité d’esprit! … et de celle de Morelius…
Alors elle lit et relit, même en oubliant volontairement un mot sur deux, puis sur trois et ainsi de suite. A l’envers, en commençant par la fin, rien!
Elle essaye en assemblant les majuscules: CHESLOTCTSRCEFEFEAAMLNA, peut-être sans les majuscules de début de phrases? HESLTTSRCEFEFEAMLN …insensé!
Puis elle s’accroche au sens premier du texte en pensant « alcool » , évidemment en grande partie ça marche: l’eau qui monte en vapeur sous l’action du feu, l’eau de Feu récoltée, donc qui brule le gosier… Mais que viennent faire la terre et le sel dans l‘affaire?… Et puis quelque chose la chiffonne depuis le début, elle repense à sa trouvaille du grenier, les instruments si perfectionnés et les fioles, pourquoi les avoir cachés?… Et soudain un nom lui saute aux yeux! Et là, plus elle réfléchit plus la chose devient évidente.
Mais oui bon dieu, évidemment, c’est même certain!
Livide, elle informe Morelius de ses déductions car tout concorde, Sherlock n’a plus aucun doute.


- Je crois…enfin, je suis certaine que… l’homme qui vivait ici n’était pas un simple rebouteux, c‘était un… alchimiste!

Effarée par le verdict qu’elle énonce, Theolenn continue la voix aussi blanche que son teint, hormis le bout de son nez, si vous avez bien suivi.

- Regarde, le langage si hermétique, Hermès lui-même qui est cité dans les écrits, son symbole: les ailes, comme sur les caducées… tout correspond!

Et puis cet appareil qui ressemble en effet à un alambic… mais il est trop perfectionné pour ne servir qu‘à ça. Pourtant c’est évident, ça sert à distiller… ou à fragmenter … peut-être même à produire des choses, des choses… impensables, en tous les cas: à transformer la matière en une autre.


Theolenn est perplexe. Ils sont soit dans la maison de Merlin ou bien dans celle … du diable!??!
C’est excitant et terrifiant à la fois, tout ce qu’elle adore… à condition que Morelius ne reste pas trop éloigné car un froid étrange la gagne, un froid qu’elle connait bien pour l’avoir maintes fois éprouvé, celui qu’engendre la peur quand l‘inconnu s‘installe et que sa nature n‘est pas encore vraiment définie.
Néanmoins elle résiste, et puis elle meurt littéralement de faim.


- Morelius, il faudra chercher dans les autres livres. Il y en a peut-être un qui donne les clés, la signification des formules utilisées pour mystifier volontairement le message. Il nous faut trouver un code bien précis…

Regagnant la cheminée, autant pour tenter de s’y réchauffer le sang que pour voir où en est le repas, elle se réjouit de pouvoir annoncer que:
- Je pense que les carottes sont cuites !

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Morelius
Tout en dégustant le fameux lapin aux carottes sauvages et herbes poussiéreuses, issu de leur collaboration culinaire, Morelius continua à feuilleter les ouvrages poussiéreux et à en lire certains passages à Theolenn. Oh, il ne doutait pas que sa compagne fut bien plus instruite que lui-même. D'ailleurs il ne comprenait pas la moitié de ce qu'il lisait, mais il lui plaisait d'avoir ainsi l'air de lui donner la leçon.

Contrairement aux bruits qui couraient sur les alchimistes, il n'y avait rien de démoniaque dans ces ouvrages. Le but de l’alchimie semblait simple: saisir les secrets de la puissance de la nature et reproduire les corps que nous avons sous les yeux par la connaissance des lois qui ont présidé à leur formation. Il trouva un passage un peu plus compréhensible, car imagé, qu'il lut à Theolenn:




Ce que la nature a produit dans les commencements, pourquoi ne pourrions-nous pas l'effectuer également en remontant au procédé qu’elle a suivi ? Ce qu’elle opère peut-être encore à l’aide des siècles, dans ses solitudes souterraines, nous pouvons le lui faire achever en un instant, en l’aidant et en la mettant dans des circonstances meilleures. Comme nous fabriquons du pain, de même nous pouvons obtenir des métaux ; sans nous, la moisson ne mûrirait pas dans les champs, le blé ne se changerait pas en farine sous la meule, ni la farine en pain par le brassage et la cuisson ; concertons-nous donc avec la nature pour l’oeuvre minérale aussi bien que pour l’oeuvre agricole, et ses trésors s’ouvriront devant nous.

Ces raisonnements paraissaient tout de même bien spécieux à l'homme d'armes qu'il était, et il craignait que Theolenn y prenne goût et que, en l’amenant ainsi à tout faire remonter à la nature sans tenir compte du Très-Haut, cela ne l’entraînât à quelque apostasie, implicite et secrète. Il continua sa lecture:



Il y a deux sortes de métaux : les métaux nobles, inaltérables au feu, et les imparfaits, à qui la chaleur enlève leur éclat et leur ductilité ; les uns et les autres sont des corps composés des mêmes principes, car dans chacun d’eux on trouve du soufre et du mercure, et ainsi chaque métal s’éloigne plus ou moins de l’or, le plus parfait de tous, selon l’état plus ou moins grossier du soufre et du mercure qu’il contient. De cette constatation découlent toutes les combinaisons qu’on voit se produire, tous les changements qu’on croira possibles. D’elle, aussi, peut-on déduire, avec la logique la plus rigoureuse, la possibilité de transformer les métaux les uns dans les autres à l’aide de certaines substances, et, par conséquent, de changer les métaux imparfaits en métaux nobles.

Et il continua encore un moment, lisant qu'à cette substance solide ou liquide que poursuivait l'infatigable espérance des alchimistes, et qui devait multiplier l’or ou l’argent, on donnait généralement le nom de pierre philosophale, et à leur travaux, celui de grand œuvre, car, dans leur imagination de savants autant que de médecins, cette pierre philosophale devait combler tous les désirs, en procurant l’or, la santé, une longue vie, le bonheur. Elle était ce qu’un pléonasme audacieux avait nommé « la panacée universelle ».

Au bout d'un moment, repu de lapin comme de textes ésotériques, Morelius jeta l'ouvrage dans un coin de la pièce avec un geste de mépris.


- Arfffff, bouton de vérole ! Je ne veux point de ces recettes magiques bon marché que fabriquent ces bourriques d'alchimistes ! Des gratte-papiers, des abrutis, des ignares complets qui ne sont pas chétifs pour rien, auxquels les plaisirs simples de la vie resteront éternellement hors de portée. Il ne suffit pas de chauffer un alambic comme un dératé en riant comme un foutrac toute la sainte journée pour insuffler l'Esprit de la Terre aux choses. Un bon breuvage aime qu'on le fasse chanter avec son cœur, et qu'on le distille avec amour. Rien à tirer de cette alchimie là.

Ce à quoi Morelius souriait, pensant en regardant Theolenn qu'il y avait des moyens bien plus simples d'arriver au bonheur.
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Theolenn
Theolenn apprit deux choses:
Elle aimait profondément quand Morelius lui faisait la lecture.
Les savants n’étaient pas plus sages que les autres.


- Vivre mieux, je peux comprendre que ça tente, mais vivre éternellement?
Tu imagines, toi, ce que ce serait?
Mourir peut faire peur, je comprends très bien ce sentiment, surtout si la mort arrive alors que tout était encore à découvrir, à construire, à expérimenter ou qu‘on avait encore plein de projets. Mais mourir quand on est très vieux ou affaibli d’une manière telle que la vie n’est plus qu’un mélange de douleur et d’ennui, ça, c’est plutôt une bénédiction, non?


Elle regardait Morelius comme à travers le voile du songe.
- Je ne voudrais pas changer ma vie actuelle pour tout l’or du monde …même si on me livrait là, dans la seconde, des monceaux de plomb et la formule qui permet le prodige.

Le riche commande et obtient si vite que je me demande ce qu’il peut encore inventer pour meubler le temps qu’il lui reste… le désir même doit disparaître à la longue. Quel intérêt accorde-t-on encore à la vie quand elle n’est plus défi ?


Son regard s'attardait pourtant sur l’appareil qui, complexe et mystérieux, semblait l’inviter à l’expérience. Et s’il y avait moyen de l’activer dans un but plus … humain?

- Morelius… est-ce que tu m’aiderais si …

Elle se rapprocha du Monstrius allium odoriferatus, dont elle avait la variété et le cultivar en commun, et se fit tentatrice. Disons qu’elle tenta de l’être parce que ce n’était pas du tout dans ses aptitudes naturelles de minauder pour obtenir quoi que ce soit.

Il était assis en tailleur sur une couverture pliée devant le feu et souriait d’une pensée qui semblait l’amuser. Le terrain était donc propice, autant attaquer l’animal sans reporter. Elle le contourna, s’agenouilla derrière lui et d’un geste qu’elle voulait coulé, se moula contre son dos, posant le menton sur une épaule tout en lui entourant la taille de deux bras amoureux.


- Tu sais… Petite caresse l’air de rien sur le bedon en pleine digestionon pourrait essayer autre chose. J’ai vraiment envie de voir cet appareil en action…

Mais à ce jeu-là, malheureusement, c’est souvent elle qui perdait le fil de l’histoire et ses doigts eurent tôt fait de se trouver de nouvelles règles dont Theolenn n’était plus maîtresse. Pourtant, telle une Ulysse féminine, résistant aux sirènes qu’elles avaient elle-même réveillées dans leur sieste océane, elle continua sa demande, laissant ses doigts vivre leur vie à leur convenance.

- On pourrait distiller de l’ail macéré dans de la vinasse… ou dans du cidre.
Au pire dans de l’eau de pluie avec quelques ferments…

C’est pas très compliqué, j’ai quelques notions alambiquées, il y aurait peu de choses à changer à cette prétentieuse construction pour la transformer en Eclusière Biturale…

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Morelius
- Morbleu ma doulce, je savais bien que tu trouverais... De l'Eau de Vie d'Ail... pas que l'immortalité me tente tant que cela, mais ton monde invisible et les secrets de ta nature, bien plus.

Morelius s'empare des doigts baladeurs pour les porter à sa bouche avec gourmandise.

- Voilà qui verse en tout cas de l'eau à ma théorie disant que la porte de retour au Paradis est la même que celle qui m'en a fait sortir, mais dans l'autre sens, comme toutes les portes... il suffit d'en avoir la clé.

Morelius ressort alors de son havresac le fameux flacon en terre cuite fermé par un bouchon de liège effrité et remplit deux petits gobelets d'un liquide presque incolore mais dégageant un arôme très sucré. Sur le flacon figure une inscription dans un étrange alphabet tout en courbes et en points.

Comment comprendre les tempêtes qui s'agitent sous le crâne de sa maîtresse ? Il a un sourire mauvais en pensant qu'elles seront vite balayées par celles que provoquera la mystérieuse Boisson maure.

Il lui tend un des gobelets et à la manière d'une formule magique récite:


Bois, dame, le gob'let mignon,
Car bon espoir y gist au fond,
Comme en bouteille de Pandora,
Et oncques desespoir n'y verras.
... amen.

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Theolenn
- Mon monde invisible…ne te l'ai-je pas déjà fait visiter quelques fois? Tu y es si ancré que parfois je pense être dans le tien. Peut-être en es-tu la clé, qui sait? Quant aux secrets de ma nature, mon enchanteur … je crois que tu les devines mieux que je ne pourrais te les révéler.

Puis Theolenn voit le flacon réapparaître…
A sa vue elle se trouble mais s'en cache au plus vite. Il ne sait rien de son … emprunt.
Elle, par contre, n'a rien oublié des effets de cette liqueur douceâtre dont le goût lui rappelle celui de la datte.
Ses effets, mais pas l'endroit où sa magie l'a menée. A peine un son de cloche au loin et un grand lapin blanc qui refusait de… plus aucune idée. Et c'est bien ça qui l'inquiète. Ce grand trou noir dont elle n'a rien pu ramener à part une saveur sucrée sur les lèvres mais dont elle est incapable de reconnaître l'origine puisque la fève de cacao ne fait pas encore partie de son époque.
Un voyage dans le temps?
Veut-il connaître l'à venir?

En femme qui aime, elle ne peut réguler le flot des questions plus dangereuses qui, en pagaille, lui envahissent l'esprit et le cœur.
- Que veut-il que j'oublie?
- Que compte-t-il faire de moi que je ne puisse accepter en pleine conscience?
- Est-il déjà las de…
Mais les mots refusent de préciser cette dernière interrogation muette pour laisser rapidement à d'autres, moins meurtrières, le droit de s'exprimer.

C'est dans un instant comme celui-ci que, pauvre vestale d'un monde égaré, Theolenn aimerait que la petite voix s'invite à son oreille pour la bombarder de ses conseils même s'ils ne sont pas toujours vraiment éclairés. Serai-je condamnée si je prie un mauvais dieu? Quel mauvais dieu pauvre folle? Crois-tu que celui que les hommes ont élu ait quelque chose de vraiment divin dans l'image qu'ils en ont? Et n'as-tu pas promis récemment que l'enfer serait ton paradis où tu te vantais d'être heureuse si…


Bois, dame, le gob'let mignon,
Car bon espoir y gist au fond,
Comme en bouteille de Pandora,
Et oncques desespoir n'y verras.
... amen.


Vole… et ne demande rien d'autre à l'infini qu'un droit d'asile.
Et s'il est temporaire, il te suffit de chercher, les formulaires de renouvellement sont dans le tiroir blanc.

…et d'un seul trait, les yeux rivés sur ceux de son poète, elle avale le contenu du gobelet.

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Morelius
Theolenn a écrit:
…et d'un seul trait, les yeux rivés sur ceux de son poète, elle avale le contenu du gobelet.


Un sifflement suraigu. Un point vert entre les sourcils. Et le point devient tache, et la tache s'élargit, comme une goutte d' huile de foie de morue tombée par mégarde sur une étoffe neuve. Elle progresse, elle s'étale, elle croit non seulement en étendue, mais aussi en volume. Une pâte à gâteau. Elle gonfle, elle se dilate. Pareil à une éponge, Theolenn absorbe l'Eau-de-Vie par tous ses pores béants.

Ça coule dans ses veines, vert comme dans les plantes. L'eau baigne, à présent, son espace-du-dedans. Goulou, goulou,goulou ! Génial ! C'est doux, c'est chaud, elle se sent en confiance et protégé par quelqu'un qu'elle ne voit pas. Le lent va-et-vient des vagues saoules la berce avec tendresse, et un clapotis discret lui susurre une vieille comptine.

Quelqu'un joue de la harpe, là-haut. Chaque note lance un rayon de couleur au travers d'un tunnel obscur. Picotements. Son corps frémit. Quelque chose de subtil s'en détache, s'engage dans le trou et suit le mince cheveu de lumière. Spirale. Tourbillons. Bruit de coquillage. Mais... ce quelque chose qui vient de sauter dans le vide, c'est elle ! Et cette dormeuse qu'elle abandonne à terre, c'est elle encore ! Est-elle folle ? Elle raisonne, cependant ; elle existe, quelque part.

La lumière forcit. Elle éclaire avec de plus en plus d'intensité. Ça l'aveugle, mais ça ne la brûle pas. Des millions d'étincelles minuscules pétillent de joie. Elle sait qu'elles sont intelligentes. C'est contagieux, la joie. C'est amusant, elle rit ; elle rit comme une tordue. Allez savoir pourquoi. Avec tout ce qui leur arrive en bas...

Tiens, voilà qu'elle est en compagnie d'un chacal, à présent. Nuance : un homme à tête de chacal. Très seyant, son pagne. Il lui dit d'être moins frivole, que la vie a un sens, et qu'il ne faut pas la gaspiller en de vaines occupations. Qu'elle ne connait pas sa chance. Que, normalement, elle ne devrait pas être là, et que si elle s'y trouve, c'est parce qu'un passeur lui a offert l'El-Samnt. Ah, c'est donc ça, l'alcool bizarre ? Bon. Il tient un objet bizarre dans sa main. En argent, il semble bien. Il dit que c'est la Croix de Vie. Décidément, ça les obsède, par ici, l'éternité. Elle a encore à s'assagir et à mûrir, qu'il lui dit. Elle a le temps, alors. Pour l'instant, il l'autorise à suivre le chemin jusqu'au bout...

La voilà repartie, trottant. Finalement, elle parvient jusqu'à un mur. Que c'est idiot ! Toute cette route pour réaliser qu'elle s'est fourvoyée dans une impasse ! Ah, non, pas tout à fait. Ce mur est un miroir. Il est poussiéreux, c'est pour ça. Elle le frotte, et, oh ! Une pluie de roses blanches tombe de nulle part, et dans le miroir, apparait le visage de l'homme auquel elle rêve souvent, et qui lui sourit. Séduisant, faut bien l'admettre. Mais l'autre trouble-fête, là, la tête de chacal, la tire par la manche au meilleur moment, et lui dit qu'elle en a assez vu pour aujourd'hui. Qu'elle doit rentrer. Que, de toutes façons, elle aura tout oublié à son retour. À quoi ça sert, alors ? Cause toujours, tu m'intéresses! Le tourbillon. Le vide. Le néant. Le noir. Ça claque dans sa tête. Elle perd conscience...


- Theolenn... Theolenn...

Quelqu'un lui tapote les joues.

- Theolenn... reviens... tu n'aurais jamais dû boire ça cul-sec ! Le voyage a dû être violent !
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Theolenn
Dans les limbes où elle erre au lieu de rentrer dans son corps, Theolenn a chaud. D'accord d'accord, elle a toujours préféré les chemins de traverse aux voies toutes tracées, mais quand même… là, y a trop de choix! Devant elle s'enroule un nœud géant, une boule faite de tubes transparents qui se croisent, s'entrecroisent, s'emmêlent, se défont, et subitement prennent une autre tournure encore. Aucune lumière, aucune couleur, elle sent toute chose sans en rien voir. Faut-il choisir? Comment choisir? Comment font les autres? Est-elle obligée de prendre cet uniforme qu'on lui tend? Non merci… sans façon, m'sieur dame!

Theolenn a trop chaud et au diable les vêtements, elle se déshabille et les éparpille au vent. Elle a pensé "vent" et il s'est mis à souffler doucement, une brise de printemps aux parfums de fleurs des champs qui lui rafraîchit le visage. Comme c'est agréable… Une porte apparaît, puis une autre. La première est en bois, étroite et grossière, la seconde brille comme de l'or, large et gravée finement. L'or l'aveugle, elle choisit d'ouvrir la première, celle où il faut se faufiler pour passer. Ouf! Tout juste…

Et derrière c'est la nuit et il pleut à nouveau. Les gouttes sont-elles froides? Non… elles n'ont pas d'impact sur sa peau! Elles la traversent… *Je suis morte… ça ne fait même pas mal…* A peine cette pensée la quitte-t-elle que le manque s'installe. La sensation est si puissante que ça l'aspire, elle se déforme, s'allonge démesurément, se détache et glisse. La pente est montante mais elle prend de la vitesse, accélère encore et… ouvre les yeux.

L'homme est sorti du miroir, cette fois c'est elle qui lui sourit mais lui a l'air si inquiet…?!? Theolenn veut le rassurer, elle a tant de choses à lui raconter! Elle tend tout son corps vers lui mais … rien ne se passe comme prévu, ni ses lèvres ni ses bras ne répondent à ses ordres. Alors elle referme les yeux et pense "Éveil" et le son prend enfin les dimensions de la pièce.


- Theolenn... Theolenn...

Quelqu'un lui tapote les joues.

- Theolenn... reviens... tu n'aurais jamais dû boire ça cul-sec ! Le voyage a dû être violent !

L'air emplit ses poumons avec fureur. Bronches, bronchioles, chaque alvéole se gonfle d'oxygène avec brutalité et Theolenn pousse un cri. Ça ressemble davantage à un pleur. Morelius est penché sur elle, affolé. La promeneuse solitaire attrapent ses mains auxquelles elle s'agrippent de toutes ses forces.

- Morelius, t'as entendu le grand chien bizarre toi aussi ??? Dis, il aboyait tout le temps…

Elle tremble, elle a froid, son visage est couvert de sueur mais son excitation est telle qu'elle ne se rend compte de rien.
Pas même du pétale de rose blanche qui s'est accroché aux cheveux de son doux et tendre.

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Morelius
Morelius s'empresse de recouvrir Theolenn de la chaude couverture en laine de brebis autrichienne qu'il trimballe avec lui depuis sa mission à Salzburg.

- Tututtut... calme-toi, ma jolie... c'est fini.
J'aurai dû te prévenir, arfff. On ne boit pas l'El-Samnt sans un minimum de préparation.
Je pensais que tu étais prête.


Finalement l'eau de pluie trouvée dans la jarre devant la porte aura son utilité.
Il en imbibe un chiffon avec lequel il essuie le front de sa compagne, puis lui en fait boire un peu.


- Un chien dis-tu ? Non... d'ordinaire, quand je prends l'El-Samnt, je ne vois que sang et des tripes, suspens, charges héroïques, grandes douleurs et joies pures, trahison, sacrifices... et quelques femmes peu vêtues aussi.
Et un hérisson.
Pas de rêve digne de ce nom sans le hérisson.
Ça a quand même plus de gueule qu'un grand chien qui aboie, non ?

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Theolenn
- Un hérisson…
L'animal que Morelius évoque comme faisant partie de chacun de ses voyages laisse Theolenn dubitative. Qu'est-ce qu'un hérisson vient faire dans des scènes de batailles sanglantes ou dans des … moments plus… intimes…??!?

Le hérisson… voyons voir. C'est un auxiliaire du jardin qui se met en boule lorsqu'il se sent en danger. C'est maigre comme déduction, Theolenn sent bien que la symbolique concernant la bestiole doit être beaucoup plus importante que cette pauvre définition. Si elle s'intéressait au chien plutôt? Pourquoi cette fichue habitude de se désintéresser de ce qui la concerne plus directement dès qu'un autre sujet est en jeu? Elle agit exactement comme si le fait de découvrir qui elle est lui faisait une peur bleue.


- Comment te rappelles-tu les étapes de ces rêves-là ?
Moi je ne me souviens que du chien… et encore, je ne vois que sa tête. Il aboie et … j'ai l'impression que je peux le comprendre. C'est d'autant plus frustrant … Cette mémoire comme effacée par un coup de gomme va me rendre folle.


Theolenn ferme les yeux et plisse le front en le frottant avec rudesse comme pour punir cette tête de lui faire défaut dans un moment auquel elle tient. La défection de sa cervelle de moineau autant que l'effet résiduel de l'expérience transcendantale lui font un mal de chien…

*Tu es frivole…* Quoi? D'où vient cette pensée totalement hors propos?

- Morelius, dis-moi la vérité est-ce que tu me trouves …
Il ne saura jamais ce qui l'a perturbée. Comme assommée par une entité invisible, l'inquiète s'endort dans une chaleur autrichienne et s'enfonce dans des rêves laineux.
Pourtant, dans l'un d'eux, il sera question d'un parallèle épineux entre le hérisson et la rose. Peut-être même d'un miroir qui n'arrête pas d'être poussiéreux…

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Morelius
- Je te trouve ?

Morelius l'observa s'endormir et ne tarda pas à gamberger.

Ça ne l’avançait guère, mais ça le travaillait.

La nuit, il lui arrivait de rêver d’elle. Souvent, il était avec elle sans l’être, avec la logique stupide des songes. Quand il se retrouvait en sa compagnie, il reprenait espoir : à son contact, il se disait qu'il allait peut-être trouver des solutions. Bien sûr, suivant la pente frustrante des rêves, ce qui était à sa portée finissait toujours par lui échapper.

Il faut dire que la Theolenn, elle n'avait rien d'une noble. Morelius commençait à soupçonner une imposture : non, elle n'était pas à l'image de ceux qu'il avait déjà fréquenté, qui avaient été ses employeurs souvent, ses victimes parfois. La plupart des nobles avec qui il avait eut affaires lui faisaient penser à certaines filles qu'il avait ramassées sur le pavé . Dans la rue, fardées et décorées d’affiquets, elles paraissaient foutrement appétissantes. Mais une fois effeuillées, on découvrait leurs seins flasques, leurs vergetures et leurs gros genoux, et on regrettait de ne pas les avoir culbutées tout habillées. Un noble, ça vous parle avec art, ça tapine dans les cours et les cercles, ça brille de loin ; mais une fois désapé, l'aristocrate dans son humanité toute nue est tristement ordinaire. Diablement décevant, au final.

Or, précisément, ce fut l'absence de déception qui lui mit la puce à l'oreille concernant sa nouvelle compagne. Elle n'avait certainement pas autant de casseroles à polir que lui, mais avait aussi des revanches à prendre. À commencer par une revanche sur la vie. Une revanche sur toutes les petitesses de l’existence : les brouilles familiales, les amours déçues, les ambitions inabouties, la veulerie ou la prétention, les horizons trop tôt refermés, les amitiés étiolées, les confiances trahies… Une revanche sur soi, sur les humiliations ruminées, les échecs mal digérés, la farandole honteuse des reculades et des dérobades, l’abdication face à la facilité.

Bref, on aime toujours pour de mauvaises raisons.
Et on est aimé de la même manière…

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Theolenn
Theolenn rêvait… de quoi, de qui, je vais faire une exception et ne rien en dire.
Certains rêves sont obscurs, d'autres, par contre, sont bien trop évidents pour que leur signification nous échappât et nous empêche d'en souffrir. Tout ce que je peux révéler c'est que celui qui s'était emparé de son esprit ne devait rien avoir de très plaisant au vu des débats qui semblaient faire rage sous ses paupières agitées.
La nuit était en son milieu quand Theolenn se réveilla. Instinctivement sa main chercha celle de Morelius et ce ne fut qu'une fois dans la sienne qu'elle poussa un soupir qui s'apparentait à du soulagement.

Mais Morelius ne dormait pas, il veillait.
Dans la lumière de cette nuit de pleine lune, il semblait triste et Theolenn ressentit instinctivement le besoin d'être auprès de lui, d'être là pour lui . C'était une ambition simple et compliquée à la fois. Il fallait ne pas le brusquer pour ne pas risquer qu'il se referme et dans le même temps essayer de comprendre ce qui semblait l'accabler au point de lui ôter le sommeil. Je vous rassure, elle ne songea pas une seule seconde à tout ça, elle agit. L'idée même qu'il put être malheureux lui était insupportable.


- Tu sais ce que j'aimerais…
Si on allait s'aérer un peu? Tu prendrais cette pipe dont j'aime l'odeur quand tu l'allumes et tu… tu me laisserais essayer… juste une fois, pour savoir.


Elle ne lui laissa pas le temps de réfléchir. Certaines situations demandent que l'un prenne les rênes sans délai afin de conduire l'autre vers un endroit plus sûr. Pour une fois, les rôles pouvaient s'inverser, juste un peu, s'il le permettait…

A l'opposé de l'étable, la maisonnette avait un toit qui comportait une avancée. C'est sous celle-ci, au sec, aux premières loges pour admirer le ciel étoilé, cadeau commun de l'orage et du vent dont la valse avait bercé toute la soirée, qu'elle l'invita à s'asseoir auprès d'elle avant de refermer sur eux la fameuse couverture. Ensemble, enveloppés dans un même cocon, tout ce qui lui avait manqué lors de son voyage initiatique précipité.

Il y avait une petite histoire toute simple que Theolenn connaissait depuis sa prime enfance et qu'elle aimait beaucoup. Chaque fois que l'adversité semblait vouloir la terrasser, elle se la racontait à elle-même pour essayer de retrouver une petite étincelle. Et justement, cette nuit-là, pour la première fois, elle eut l'occasion de la raconter à quelqu'un. Ce quelqu'un qu'elle avait l'impression de connaître depuis toujours et que pourtant elle découvrait chaque jour sous un autre angle. Ce quelqu'un qui veillait sur elle et à qui elle confiait son destin sans l'ombre d'une hésitation. Ce quelqu'un qu'elle aimait sans aucune raison…


- Il y avait dans un village un homme qui ne possédait qu'une pierre précieuse pour toute richesse. Elle était magnifique, parfaitement lisse, étincelante à couper le souffle. Il y tenait comme à la prunelle de ses yeux et veillait jalousement sur elle. Un jour cependant, par accident probablement, il la laissa tomber par terre et la pierre se marqua d'un éclat. Désespéré il consulta tous les joailliers du village, puis de la ville toute proche.
Ils polirent, frottèrent, grattèrent, mais rien n'y fit.
Un jour, un étranger de passage dans le village et qui n'avait rien d'un spécialiste eut vent de cette triste histoire et demanda à voir la pierre. Voyant l'imperfection dans le cristal, il prit ses outils et se mit à graver des pétales autour de l'éclat, y ajoutant même une tige et des feuilles.
Et la pierre retrouva toute sa beauté en plus d'être devenue unique au monde...

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Morelius
- Rien n'est vrai, tout est permis. Jolie histoire, Theolenn... personnellement, j'aurai gravé une épée plutôt qu'une fleur, mais la morale reste la même. Faire de ses blessures une force, n'est-ce pas ?

Bien serré contre ce corps qu'il désirait encore tant, au chaud sous la couverture, Morelius bourra sa pipe d'écume et en tira quelques bouffées dans l'obscurité opaque de cette nuit de juin. Il la tendit ensuite à Theolenn, avant de commencer lui aussi à raconter:

- Rien n'est vrai, tout est permis...

J'ai hérité ce crédo de mon ancêtre, Alterius, un assassin vénitien de grande renommée qui a toujours fait la fierté de mon sang. De père en fils nous n'avons depuis Alterius que des prénoms. Notre nom de famille n'a aucune importance. Il ne marquera pas l'Histoire dont les hommes se souviendront. De génération en génération, depuis ce qui semble être la nuit des temps, nous sommes des hommes – et des femmes – de l'ombre. Je n'ai jamais dérogé à ce principe, même s'il a changé, avec les différentes époques.

J'ai eu mon premier contrat à seize ans – l'égorgement d'une prostituée de luxe ayant des informations compromettantes sur le client – dans cette magnifique ville de Prague. Ai-je été déçu ? Je ne sais pas. Je n'étais pas à proprement parler là pour admirer le paysage. Cependant, en observant la plus haute tour de cette ville, je me suis souvenu, furtivement – tout aussi furtivement que je m'en allais – de cette légende devenue mythe dans notre milieu : le Saut de la Foi. Une sorte de rituel initiatique qu'accomplissaient autrefois ceux de ma lignée avant de commencer dans le métier.

S'élançant dans le vide, du haut d'un sommet, les bras en croix, savourant la chute et s'écrasant dans un tas de foin se trouvant en contrebas, il a toujours été considéré, du moins depuis ma naissance, comme quelque chose de totalement impossible. Il faudrait être fou pour se jeter dans le vide sans avoir la moindre assurance, la moindre attache. Fou, ou suicidaire.

À Prague, j'ai été irrésistiblement attiré par cette tour, je me suis demandé ce que ça ferait de se jeter de tout là-haut, ce qu'on devait ressentir en s'écrasant dans le foin. En quoi doit-on croire si fort, pour réussir à accomplir ce miracle ? Est-ce parce que Dieu et la religion se sont écartés de notre monde qu'il n'est plus possible ? Comment faire pour ressusciter cette légende ? En suis-je moi-même capable ?

Mille et une questions se bousculaient dans mon esprit. Le métier a tellement changé depuis Alterius… « Rien n'est vrai, tout est permis ». Ce credo n'est plus que ça, un relent du passé, le fondement d'une façon de voir le monde qui, si elle se tient encore à ce principe qui a forgé et façonné mon existence, a perdu son sens profond dans les changements incompréhensibles que subit le monde de nos jours. A l'époque la peur me tenait en tenaille. Je n'ai pas sauté.

J'ai fureté depuis en tout sens pour obtenir les réponses à mes questions. Je suis passé de bibliothèque en monastère, pour tenter d'apaiser mon cœur qui s'emballait quand je m'imaginais à la place d'un de mes ancêtres, me voyant si nettement me jeter du haut de cette tour gothique qui m'obsédait, pour tomber dans le foin, y reprendre mes esprits quelques instants ou m'y dissimuler pour laisser passer des gardes. Il me semblait même sentir l'odeur de la paille sèche et m'en délecter comme on se délecterait de l'odeur suave d'une maîtresse sensuelle... mais je n'ai jamais compris. Jusqu'à toi, dame de Montmélian.

Depuis ce soir là dans le baquet d'eau sale, à Castelnaudary, chaque nouvelle rencontre intime avec toi est comme... un Saut de la Foi.

Rien n'est vrai, tout est permis... ouais... rend-moi la pipe, veux-tu ?

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Theolenn
Theolenn flottait dans une nuit sans âge. Un messager du Temps lui aurait soufflé à l'oreille qu'ils vivaient le premier jour du monde, au moment où tout s'est dessiné dans l'esprit du créateur, elle n'aurait pas douté un seul instant de la véracité de l'information.

"Rien n'est vrai, tout est permis"…
Mais si tout est permis, le fait d'être vrai peut l'être aussi…
Était-ce la fumée qu'elle gardait trop longtemps et qui lui embrouillait les sens ou la magie qui s'opérait à chacune de leurs connexions, qu'elles soient physiques ou d'ordre spirituel? Theolenn entrevoyait avec délectation toutes les possibilités que ses mots impliquaient.

Quant il en vint à la conclusion
"Jusqu'à toi, dame de Montmélian.", Theolenn craqua. Elle s'attendait tellement peu à cette déclaration que, prise au dépourvu, l'émotion la gagna toute entière. Cette vague puissante qu'il venait de faire naître dans son cœur de femme la submergea au point qu'elle en perdit en partie le souffle. Son visage s'enfouit entre le cou et l'épaule de Morelius pour masquer les larmes qui ne manquèrent pas de venir compléter le panel de cette détresse très particulière. Pouvait-on être si heureux et si désemparé en même temps?

Elle lui rendit la pipe comme on rend un bâton de parole dans certaine peuplades, à la différence que celle-ci symbolisait l'écoute. Pourtant elle ne parla pas tout de suite, il fallu attendre que le flot lacrymal se soit quelque peu apaisé pour que sa voix ne la trahisse pas trop.


- Morelius… je n'aurai jamais les mots pour te dire …
Elle réfléchit à comment ne pas se trahir tout en évitant de lui mentir.

- Moi… je n'ai commis qu'un seul et unique crime. Celui de tuer ma mère, en naissant. Bien sûr, personne ne me l'a jamais reproché directement …

Elle avala sa salive avant de continuer sur un ton plus neutre:
- J'ai toujours été curieuse, tu le sais… lui souriant comme s'il pouvait la voir. J'étais une enfant très libre. Élevée dans un monde d'hommes et naturellement d'un caractère assez… entier. La nourrice qui s'occupait de moi a rendu son tablier que j'étais haute comme trois pommes. Je furetais où l'envie me guidait, je me cachais, j'épiais par jeu, j'écoutais à leur insu les conversations des grands et parfois je voyais des choses qui n'étaient pas de mon âge, de mon entendement… comme mon père qui pleurait pendant des heures, sans bruit, seul, assis devant le portrait d'une très jeune femme.

Mon père m'adorait. Il m'adore toujours, je suppose, mais je ne comprenais pas pourquoi il était attaché à ce point à cette inconnue dont il ne me parlait jamais. Cette mère dont j'ignorais tout jusqu'au sens même du mot.
Peu à peu, ayant pris connaissance des conditions de ma naissance, un sentiment sournois parce qu'inconscient est venu me ronger. Je me rends compte, maintenant, que toute ma vie je me suis excusée d'une manière ou d'une autre d'exister. Entre rébellion et culpabilité, il n'était pas facile de trouver une place, un sens à ma vie. Je n'ai jamais eu l'impression d'appartenir à une terre ni à un clan et j'ignore ce que "famille" peut signifier. Alors j'ai étudié. J'ai rempli ma tête d'un tas de connaissances inutiles dans l'espoir de combler ce vide, en vain. Plus tard j'ai voyagé, toujours sans savoir ce que je cherchais. J'ai trouvé quelquefois des réponses à des questions que je ne me posais même pas… mais jamais le remède à ce mal-être indistinct qui, où que j'aille, me poursuivait. Jamais un endroit non plus où à défaut de racines, je pourrais m'intégrer. Jusqu'à Chambéry…
J'ai fait là-bas une rencontre aussi étonnante que fugace mais qui m'a ouvert la voie vers une notion essentielle: le lâchez prise. Tout a changé. Tu sais… c'est en grande partie grâce à cet homme que j'ai pu te rencontrer. Comme si sa courte vie n'avait servi qu'à mettre mes pas dans les tiens.


Theolenn, comme toujours quand une certaine timidité la rattrapait, se mit à jouer avec les doigts de Morelius. A les croiser avec les siens, à en caresser très doucement chaque phalange, chaque articulation. On trouve comme on peut la force d'un aveu…

- Moi je n'ai su que le lendemain… le lendemain du bain… à cause du baiser de velours.
J'ai su ce matin-là ce que mon père avait perdu le jour de ma naissance…

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Morelius
Ah Theolenn... douce et sensible Theolenn... crois-en quelqu'un qui a beaucoup fréquenté la Mort, et qui souvent lui a même facilité le travail. On ne doit rien aux morts, mais tout aux vivants.

Ces chers disparus... De par sa profession, Morelius avait un rapport assez particulier avec la Mort. Ce n'est pas elle qu'il craignait, mais seulement le fait de ne pas vivre assez longtemps pour profiter pleinement de sa vie. En tout cas, il avait assez à faire avec les vivants pour ne pas s'encombrer de ceux qui n'étaient plus.

On peut certes continuer d'aimer un mort, ma tendre amie, mais c'est un triste cadavre qu'on aime en vérité. Regarde-moi donc d'un peu plus près, moi je suis vivant. Réveille-toi ma bien-aimée, et laisse partir en paix cette chair muette qui hante ta mémoire vers le néant de la terre. N’espère plus entendre encore des mots d'amour maternels sortir de ces lèvres figées : elles sont mortes elles aussi. Et pour toujours.

Il se sera encore un peu plus contre elle, histoire de lui faire ressentir la vie qui courait sous sa peau, dans ses veines.

Retourne-toi en au monde des vivants et abandonne ces rêves qui ne sont plus que des cadavres encombrants. Vis donc et laisse mourir les autres tant que brille pour nous le soleil. Les morts sont de bien piètres compagnons, crois-moi.

Vis à présent, vis. Le silence de tes morts est plus éloquent que les cris des vivants. Ne comprends-tu pas que ces cadavres n'ont plus rien à te dire ? Ils n'ont rien d'autre à te chanter que ce silence, en guise d'adieu. Ils n'ont plus de souffle pour te dire autre chose, plus de vie pour animer leurs lèvres, plus d'oreille pour entendre tes sanglots, plus de cœur pour t'aimer.


Avait-il été un peu trop rude ? Allait-il passer pour un monstre dénué de sentiments ? Il ne se posa même pas la question. Et ce fut ainsi, dans la pénombre humide de la nuit qui sentait la vieille pierre et la moisissure, avec un nœud d'angoisse et de morbidité lové au fond du cœur, qu'il finit par se forger une détermination nouvelle. Il retrouvait sa lucidité acerbe, son sens des affaires, sa carapace d'égoïsme. Il retrouvait son audace calculée, sa moralité biaisée, sa ténacité rageuse. Il retrouvait Morelius le Blanc.

Ton amour est infini, ton cœur inconsolable, ton chagrin incommensurable, certes. Mais la mort de ces gens dont tu me parles est définitive, leur cœur à jamais éteint, et leur peine inexistante... Ils ne sont plus. Et cette vérité est infiniment plus durable que des larmes éphémères.

Après tout qu'est-ce que le souvenir d'un disparu, sinon un frêle soupir sur l'eau de nos consciences ?

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Theolenn
Theolenn regarda Morelius avec un étonnement croissant. Pourquoi diable lui parlait-il de la mort? Son cœur inconsolable et son chagrin incommensurable? Avait-il de funestes projets? Là, pour le coup, elle prit vraiment peur.
Elle rembobina ses dires comme un film qu'on regarderait à l'envers et à force de le vouloir, finit par comprendre la méprise que ses propos avaient pu engendrer.


- Morelius, je ne pleure plus aucun mort, et aucune morte ne m'a jamais hantée.
Ce que j'ai essayé de décoder toute ma vie, c'est la force de l'amour que mon père éprouvait pour ma mère, même morte. Ma mère est une inconnue pour moi. Ce n'est qu'un concept abstrait. Je n'éprouve rien pour elle. Je … ne peux pas concevoir de manque pour quelque chose dont j'ignore la substance. Qu'est-ce que l'amour maternel? Je n'en sais rien et ça me perturbe autant que de savoir ce qu'est … je ne sais pas moi… la date d'anniversaire du cinquième comte du Poitou dont j'ignore jusqu'au nom?… ou si la chouette qui hulule au loin a bien digéré le dernier grillon qu'elle s'est avalé?


Elle prit une courte inspiration…

- Ce que j'ai enfin pleinement compris le jour où … enfin LE jour… c'est le manque que mon père avait dû endurer en perdant la seule femme qu'il avait vraiment aimé. Parce que j'ai ressenti … pour toi… ce sentiment si…

Theolenn baissa la tête. Ce n'était peut-être pas le bon moment après tout. Elle n'avait pas su lui faire comprendre ce qu'il représentait pour elle. La délivrance inespérée qu'il lui avait offerte le lendemain de leur première fusion. L'effacement total de cette culpabilité qu'elle avait ressentie toute sa vie pour avoir ôté, par le fait de sa naissance, la personne la plus précieuse dans la vie de son père. L'ouverture de la cage où elle s'était d'elle-même enfermée pendant tant d'années…

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