Mon amour, ma vie, mon ivresse,
Que dire de ton dernier pli, si ce n'est qu'il m'a fait passer d'un sourire heureux à sa réception, à un froncement de sourcils inquiet à sa lecture ? Je suis fou d'inquiétude, mon ange ; que notre nous qui grandit en toi puisse, ou mon absence, comme tu le dis, puisse te rendre malade. Je ne veux pas être de ces poisons qui détruisent, ou encore ces drogues là qui savent se rendre nécessaires, impérieuses à leurs consommateurs, tout en les rongeant de l'intérieur. Je t'aime tant...
Je t'aime tant et j'ai l'impression de marcher sans but, depuis ton départ. Je suis retourné à Saint Claude, me suis occupé de nos deux filles, ai revu ma cousine, et mon frère, ai tenté de travailler un peu, sur quelque parfum... Et rien, rien n'enlève ton visage de mon esprit, rien n'ôte ton parfum de ma tête, et je ne peux rien voir, rien sentir que toi, mon aimée, mon tout.
Je brûle de te revoir, et de te serrer entre mes bras aimants ; comment ai-je pu te laisser partir, dis ? Quel fou suis-je, de n'avoir pas senti à quel point ce serait douloureux ? Je rumine, je tourne, je peste comme un lion en cage ; c'est toi qui m'apaises et ta main dans la mienne qui me guide. Nous serons heureux, je le jure. Je ne laisserai rien s'ériger entre nous, je le promets. Toi, moi, elles, l'enfançon à venir, ensemble, et nous verrons à être heureux, quoi qu'il en coûte. Nous irons où nous voudrons, et a priori, cela semble être la Lorraine, pour l'heure.
Je suis soulagé, moi aussi, de ma démission. Elle m'a apporté plus de foudres de mon parti, de ceux qui se réclamaient mes « amis » que de ceux qui ont passé leur vie politique à me haïr. Plusieurs ont déclaré qu'ils s'attèleraient dorénavant à vivre selon l'adage « tout sauf Lui » ; savent-ils à quel point mon tout, c'est toi ? Savent-ils comme je me moque de la gloire, des honneurs, des titres, sauf ceux respectivement de t'avoir conquise, de parader à ton bras, d'être ton époux ? Eux sont obnubilés par des choses si peu importantes qu'au lieu de les détester, je les prends en pitié. Et je vis, maintenant, et je vivrai, avec toi et par toi. Que ferons-nous, je ne sais ; ce que je veux, c'est toi.
J'aimerais redevenir ce Petit Poucet rêveur, qui égrenait dans sa couse des rimes*, pas cet abject animal politique que j'étais devenu. Tu m'as fait ouvrir les yeux ; c'est vrai, je suis trop sensible pour travailler dans la politique. Et si sur le coup, ce que tu as dit a heurté mon ego imbécile, je dirais qu'être ainsi, c'est tant mieux, car c'est moi. J'aimais la politique, mais bien moins que toi.
Tu n'es pas damnée, mon amour. Le Très-Haut l'a dit et répété, le sens de la vie est l'amour. Tu vis selon ses lois, tu aimes et tu agis en conséquence. Ta marraine comprendra, avec le temps. Comme ces gens qui ne parviennent pas à concevoir que je quitte mes fonctions, qui me traitent de lâche, de traitre et de faible. Il faut davantage de force pour partir que pour rester, pour quitter le confort de la sécurité, que de se lancer à corps perdu dans une nouvelle vie. Et personne d'autre ne t'attend en souriant que moi, et moi seul. Enfin, nos filles aussi, et même ma cousine, mais le Sans Nom, lui, sait que tu es vertueuse d'amour ; crois-moi, il a bien trop à faire avec tous les mauvais, pour s'atteler à nous, qui ne faisons rien de plus que nous aimer.
Rassure-toi, mon ange, bientôt, nous serons réunis ; je n'attends qu'un mot de toi pour bondir te retrouver.
De tout mon coeur tien,
B.
* Allusion à Arthur Rimbaud, Ma Bohême.