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[RP fermé] A la vie à la mort! Nous v'là dans de beaux draps

Axelle
Quand on est allongée sur le sol froid d’une grotte. Quand on a pour seule compagnie un être tout droit sorti des enfers. Quand on a mal, si mal que la moindre respiration est un supplice. Quand la peur n’ait plus qu’un lointain souvenir tant elle parait douce comparée à la terreur qui nous habite. Quand on sait si vulnérable, à la merci de la folie. Que faire ?

S’enfoncer. S’enfoncer toujours plus loin en soi même, dans les méandres de son esprit torturé.

C’est ce que faisait la Bestiole, elle s’enfonçait pour tenter de s’échapper, pour faire disparaître la douleur de son corps meurtri. Oh non, elle ne planait pas sur un petit nuage rose, cela l’aurait achevé en un claquement de doigts, et le sol de pierre restait trop dur.

Trop dur le sol, comme celui de l’Embruncevous. Et sous ses doigts, la pierre devenait graisseuse, alors que dans sa bouche, doucement, le goût du jambonneau remplaçait celui du sang.

Mais il fallait s’enfoncer encore. S’enfoncer encore pour trouver le seul qui puisse l’apaiser. Et doucement la douleur de son flanc se mua en un poids, mais un poids qu’elle désirait, qu’elle appelait de toutes ses forces. Ce poids, sa présence.

Elle n’osait ouvrir les yeux, de peur que le poids ne s’échappe, et elle l'appela, sans fin.


Fel, Fel… C’est toi ? J’t’ai d’jà dit, tu es trop lourd. T’m’écrases. Viens. S’il te plait.
_________________
Felryn
« To fathom Hell or soar angelic,
Just take a pinch of psychedelic.
»*




[…] Et dans ses songes presque éradiqués, à mi chemin entre vie et mort, Felryn marchait seul, en pécheur, dans un royaume inconnu et dénué de frontières.

Felryn avait quinze ans. Depuis combien de temps marchait-il dans l'intemporel? Des mois. Des années peut-être. Dans un décor fait de brume et d'arbres noueux, il marchait lourdement. Et chaque pas qu'il faisait, écrasant la litière, n'émettait aucun son. Ni craquements de branches, ni feuillages bruissants. L'endroit était dénué de saison et de chaleur. Et si Felryn ressentait le froid l'envahir, ce n'était nullement la cause du climat, par ailleurs inexistant. Toute cette froidure provenait de lui-même. Sa poitrine, percée à maints endroits, expectorait des souffles poumonneux gelés.

Parfois, poignardant la nuit, une vive lueur perçait à travers la brume. Elle allait et venait, lui tournant parfois autour, déroutante. Elle le guettait, mais n'appelait pas. Toute tentative de se repérer était vaine. L'endroit, pourtant, lui rappelait quelque chose. Mais chaque fois qu'il croyait se repérer, le psychédélisme des lieux le renvoyait en un autre endroit, dans cette même forêt. Et tandis qu'il se perdait indéfiniment, du sang coulait de son crâne nu et des entailles de son corps. Des braies pour unique vêtement, il se vidait comme une clepsydre. Et la terre le buvait instantanément, comme désireuse d'effacer ses traces et de consoler ses plaies, entité amie.

Il terminait de gravir un promontoire rocheux lorsque, face à lui, l'étrange lueur se dissipa, et avec elle, l'écoulement interminable du sang. Il semblait que son corps évoluait de lui-même, se cousait, s'épongeait, comme animé par une volonté extérieure. Felryn n'en pensa rien. Il se sentait mélancolique au possible, et ce seul sentiment emplissait son esprit. Son seul désir, quant à lui, se résumait à marcher droit devant. Mais lorsqu'il reporta son regard là où, plus tôt, mourait la lumière brasillante, il découvrit une parois rocheuse gravée d'un étrange signe. Une croix entourée d'un cercle. Et cela lui parlait, l'attirait. La mélancolie fit place à l'inquiétude. Et lorsqu'il reprit sa marche, il courait.

Felryn avait trente ans. Au moment où il traversa la parois, il se retrouva dans un lieu qui lui était familier. L'Embruncévous. Les odeurs s'éveillèrent enfin, mêlant à ses narines un mélange d'antiseptique et de jambonneau. Il regarda posément la Bestiole, étendue à même le plancher, dans une flaque graisseuse où s'étaient débattus les corps et la nourriture, selon les règles d'un jeu aux allures carnassières et pudiquement charnelles. Les yeux clos, elle patientait, la tête posée au sol, auréolée d'une chevelure folle. Et entre les mèches indomptées, il crut voir, tout comme lui, quelques ruisseaux sanguins se perdre lentement entre les lattes du plancher.


Je vous connais, dit-il simplement.

Doucement, il s'alla coucher contre elle. Ne pas l'écraser sous sa masse, surtout. Elle n'aimait pas cela. Pas ces temps-ci. Puis il immisca des doigts chagrins entre ses filets de cheveux, allant toucher la blessure de la jeune femme, et reposa sa tête tout près de la sienne. C'est ce moment que choisit son propre crâne pour s'inciser lentement. Les débris d'os triés et les humeurs qui s'en extrayaient allèrent se mêler au sol poisseux. Et comme pour répondre aux suppliques du monde temporel qui lui étaient adressées, il souffla à l'oreille de la Bestiole.


Je vous dois une cervoise.

Dans le silence de la taverne à demi modélisée dans leurs esprit aliénés, leurs corps meurtris restèrent un moment pantois, goûtant leur repos commun. Mais brusquement, Felryn releva la tête pour darder sur la Bestiole un regard de crapule. Soudain rajeuni, il avait à nouveau quinze ans, et se trouvait animé par une vigueur de jeune ourson prêt à bondir.

On joue?


*"Pour sonder l'enfer ou monter au royaume des anges, prenez juste une pincée de psychédélique" (traduction approximative)
Humphry Fortescue Osmond , psychiatre anglais.

_________________
Bidule_embrun
[Au creux de nos mères il fait bon murir(*) ... ou pas ....]

*Ah mais ça va pas ça, pas du tout ça,

J'ai mal, j'ai chaud, j'ai froid aussi, je suis serrée, si serrée... maman j'ai dû mal à ... à respirer ... j'étouffe , j'ai faim, je veux je veux... MAMAAAAAANNN!!!*

Ce qu'il se passe, elle n'en sait rien . Comment voulez-vous qu'un Bidule, sache ? Hein comment? Le tétard la seule chose qu'il ressent c'est l'angoisse , la peur , la détresse, la tristesse , la douleur de sa mère, et là c'est plus que violent comme connexion. Depuis quelques temps , elle a un peu plus de mal à bouger c'est qu'elle a grandi, car maintenant elle en est sûre, elle est une elle : la troisième jambe ne poussera plus, il est trop tard.Les doigts, les orteils sont là et même les oreilles, elle est encore très petite, mais elle est là entière à l'abris. A l'occasion, grâce aux deux jolis petits pavillons ourlés, il lui semble percevoir la voix de maman, aaah quelle belle voix, quel bonheur cette mélopée transplacentaire. Mais là on est loin d'une mélodie, la Bidule s'en est presque retournée dans sa bulle , quand la vibration d'un hurlement s'est répercuté sur les parois de sa grotte, elle a frémi, si tant est qu'une mini bestiole puisse frémir. Et puis plus rien jusqu'à cet instant où le flanc s'embrase, la bulle à vif comme touché par un tison, et cette piqûre qui se propage, se renvoie comme en écho. Une douleur plus aigue que toutes celles endurées jusque là. Le tétard gémit, se tourne et se retourne , se contracte , se fait dur comme un caillou, comme prêt à recevoir encore , à subir encore les foudres extérieures. Mais pour toute réponse, ce fut le néant, et une légère sensation d'apaisement, une chaleur...un poids...
Oh Oh il est revenu , il est là!!! Le grand tout chaud qui fait trembler les murs !


*Papa !!! papa!! c'est bien toi ???*

(*)Bonne idée Jean-jacques goldman
Axelle
[ Une baiser au ciel ]

L’orage éclate. Le tonnerre gronde, fort, trop fort, l’éclair lui vrille le coté. Le sol de la taverne devient mou, ses doigts tentent de s’agripper à la boue qui lentement s’immisce entre ses jambes, emprisonne ses bras. Ses yeux restent clos. Elle tente d’appeler, encore, mais l’eau saumâtre s’engouffre dans sa bouche, infecte. Elle veut recracher, se débattre, mais s’enlise davantage sous le poids de la pierre qui écrase son ventre. Comme un poisson échoué, elle cherche l’air, impuissante. Elle disparait lentement.

« Je vous connais »


L’eau se fait limpide, claire, et la lave avec douceur de ses maux. Axelle flotte, se laisse guider par l’onde sans plus chercher à se débattre. Une bulle douce et lisse vient se poser sur ses lèvres. Elle l’embrasse tendrement, puis en aspire l’air à pleine goulées, affamée et reconnaissante. Le sol de la taverne se rematérialise sous son dos instanement, dur et gras. La voix aimée murmure à son oreille. Elle ne comprend pas les mots. C’est sans importance, elle sourit doucement. Elle est bien, les yeux toujours fermés, elle s’en va, glissant sa main dans celle proche d’elle et murmure.


Tout ira bien


Le temps s’étire, s’accélère sa peau se fripe, devient cassante comme un vieux crouton. Ce n’est pas grave. Il est là. Elle est calme. Elle veut le caresser du regard, encore une fois, et enfin ouvre les yeux.

Le soleil l’aveugle, la chaleur moite l’écrase, le sable lui brule la plante des pieds alors que les salicornes chatouillent ses mollets découverts par le jupon rouge dont un pan est coincé dans la ceinture. Elle aime cela, et peut importe si le paysage se perd dans la brume après quelques mètres. Ici, la brise chaude évapore l’eau de ses cheveux d’une caresse fraiche et dans sa bouche, le gout du sel lui picote la langue.

Axelle à 13 ans. Elle relève la tête observe en coin le garçon devant elle. Au loin, les vagues respirent irrégulièrement. Elle lui sourit farouchement. Elle ne le connaît pas, elle connaît juste son regard. Cela lui suffit. Quelqu’un l’appelle, quelque part, loin, très loin, elle refuse de répondre. Elle veut rester là, sur cette lagune où le soleil mord sa peau.

Comme pour marquer le début du jeu, elle secoue son poignet, le bracelet aux breloques s’agite frénétiquement sans pourtant émettre le moindre son. Au regard de crapule, le sien se fait espiègle alors qu’un sourire de racaille s’étire finement.


T’veux jouer ? Attrape moi ‘lors s’tu peux ! S’t’y arrives, j’t’montrerai mon s’cret !


Plantée devant lui, prête à bondir, tout en elle est défit.
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Felryn
[Bestiole, y es-tu?]

Autour de lui, ce paysage étrange et odieusement chaud. C'était nouveau, pour lui qui ne connaissait que ses montagnes d'origines, desquelles il rechignait à descendre, de peur, sans doute, de ne jamais retrouver le chemin de la maison. Mais cette fois tout est différent. Les décors s'enchainent, tous plus incongrus les uns que les autres, comme autant de paysages évadés de leurs mémoires pour abriter leur inconscience.

Et face à lui, la mer. Le garçon en resta stupéfait. Jamais il n'avait vu plus vaste étendue d'eau, quand bien même l'horizon était bouché par cette vaste brume qui délimitait leur espace de jeu. Le plus grand espace aquatique qui lui ait jamais été donné de voir n'était que le lac de Serre-Ponçon, en aval d'Embrun. Mais leurs rives, si éloignées furent-elles, demeuraient visibles et réconfortante pour les baigneurs estivaux de son jeune âge.

C'était donc ça, la mer. Elle semblait animée par une force inconnue, laquelle déformait sa surface en puissants ressacs. Il en fut tétanisé. Était-il seulement possible d'y mettre un pied sans se noyer? Et cette odeur d'iode qui lui emplissait les narines était autrement plus puissante que celle du pin. Cela lui donna conscience de sa propre soif. Il se sentait desséché comme une peau tannée sous un ciel trop bleu. Il se serait damné pour une goutte d'eau. Et si cette étendue bleue ne l'avait pas tant effrayé, sans doute s'y serait-il jeté. Au lieu de cela, une sourde alarme le rappelait vers le monde temporel. Son bras s'éleva pour en aller agripper un autre. Pour toute supplique, ses lèvres arides remuèrent dans le vide. […]

Quand, enfin soulagé de son supplice, il put raisonner à nouveau convenablement, la fille s'était évaporée. Il se tourna tous azimuts pour tenter de l'apercevoir, mais la brume, déjà, semblait l'avoir engloutie. Disparu le jupon rouge, disparus la breloque folle et le sourire aiguisé. Il resta longuement interdit, scrutant le silence au travers du voile blanc, quand s'éleva une voix imperceptible.


« Papa !!! papa!! c'est bien toi ??? »

Son regard accrocha une bulle lumineuse flottant au loin. Était-ce elle? Aimanté par la minuscule apparition, il marcha lentement dans sa direction, ayant le net sentiment qu'elle le mènerait vers la fille et son secret tant convoité. Mais s'en approcher était vain. La minuscule voix restait à égale distance, qu'il parcourût dix mètres ou une lieue. Cependant, il en était certain, elle lui indiquait la bonne direction. Aussi se mit-il à courir. Les décors se succédèrent à nouveau, le faisant fendre l'espace de la forêt de tantôt, puis celui d'un champ de bataille. Mais ni les lances, ni les corps, ni les flèches qui lui passaient sous le nez ne parvenaient à le frapper. Il leur passait au travers, indifféremment. Ses pieds à nus martelaient successivement, à chaque pas, le sable chaud de cette plage, la litière feuillue de cette forêt, le sol bourbeux de cette plaine sanglante. Et à chaque tronc d'arbre, à chaque silhouette qui lui passait devant, le changeaient tour à tour en homme ou en garçon.

Le voile fin du jupon rouge apparut au loin, volant et fantomatique, voltigeant au rythme des talons qui détallaient à vive allure. Il força le pas, mais la célérité n'avait jamais été son fort, plus habitué à tomber sur les cibles plus proches pour engager des castagnes de rue entêtées. Il crut la perdre de nouveau, et finit par s'arrêter tout à fait, perdu au milieu de nulle part. La bulle aussi avait disparu. Implorant et hargneux, il semonça la brume.


-T'es où? Montre-toi, c'plus drôle!
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Axelle
[ Trouve-moi, je te trouverai ]

Elle avait voulu courir, mais à peine fit-elle deux enjambées que l’air la fuyait alors que ses pieds s’enlisaient dans le sable lourd. Elle voulait être rapide et était réduite à une lenteur exaspérante qui sans cesse la faisait revenir au même endroit. Invariablement. Lui courait, elle percevait le claquement des ses talons tournant autour d’elle. Elle l’appelait à tue-tête mais aucun son ne franchissait ses lèvres, comme si tout était figé dans la brume cotonneuse. De dépit elle s’était assise, là en tailleur, attendant. Attendant quoi ? Elle ne le savait pas elle même. Elle passait une éternité à faire couler la brume d’une de ses mains à l’autre, observant les volutes lourdes qui glissaient mollement, pour rouler les unes sur les autres, s’entortillant langoureusement tel deux amants qui se séparent pour se refondre l’un dans l’autre, sans fin, inséparables.

Soudain, il était là devant elle, lui tournant le dos, la brume glissant sur ses épaules. Elle la suivant du regard, jalouse d’elle sans comprendre pourquoi.

Il râlait, elle restait silencieuse, envoutée par la lente danse. Puis le regard s’aiguisa, et un rire aussi fragile qu’un voile de cristal s’échappa de sa gorge.


J’suis là, derrière toi ! T’as perdu ! Retourne-toi. Pourquoi t’es ici toi aussi ? C’mment t’appelles ?


Dans sa main, le coton se faisait velours. Une pêche jaune l’aguichait au creux de sa paume. Brulante d’envie, elle mordit dedans, mais au lieu du nectar sucré, c’est le gout du métal, émétique qui la suffoqua.

Elle jeta vivement le fruit. En tombant, silencieux, il agita les volutes agacées d’être séparées. Celles-ci s’élevèrent, mais au lieu de retomber lascivement, elles s’élevèrent encore et encore, durcissant en s’enlaçant, formant un tronc noueux, puis s’étirèrent en branches fendant le gris telles la foudre sans cesse en mouvement cherchant à s’évader. Soudain, au bout de chaque ramure, éclatèrent des multitudes des fleurs roses comme autant de petites explosions. La silhouette d’une vielle femme se découpa lentement. Elle souriait et rajeunissait pour redevenir enfant puis disparut dans un souffle.


Approche-toi encore Axelle.

Le souffle grandit et les pétales de fleurs s’envolèrent, virevoltant par myriades blanchissant avant de se poser au sol, cristallisant la brume. Doucement un froid sournois et piquant tétanisa la gamine alors qu’elle regardait subjuguée le rouge de sa robe gouter doucement sur la neige sur laquelle elle restait assise.

Le visage de môme espiègle se releva vers le garçon, mais ses yeux était trop noirs, trop profonds pour être encore enfantins.


J’ai froid. Je veux jouer à autre chose. J’ai froid.

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Bidule_embrun
[allo maman ? ici bébé !(*) comment ça il n'y a pas d'abonné au numéro que vous avez demandé?]

*J'ai faim, je me sens seule , si seule... La bulle bout autour de moi ... Maman a chaud et moi je me consume. Je me sens lourde, si lourde comme happée par le sol , si seulement je pouvais glisser, m'extirper, m'extraire. J'ai mal. Je n'en peux plus d'être recroquevillée, je veux m'étendre m'étirer comme avant... Maman doit dormir, elle ne me répond pas. Maman répond toujours d'habitude. On dirait que je n'ai plus de maman... Mais que suis-je sans mère ? Rien d'autre qu'un Bidule coincé dans une impasse. Sans maman je ne suis plus rien...

Le grand tout chaud est là je le sens , cela m'apaise. Un peu. Plus envie de me laisser glisser , c'est pas si mal ici en fait . Si seulement il ne faisait pas si chaud... Je me revois petit tétard virevoltant , nageant librement... Cette liberté me manque , quand pourrais-je à nouveau m'ébattre ? Nul ne le sait .
Oh tiens il fait moins chaud à présent, c'est agréable ... Je me sens mieux. Si seulement je pouvais .... me...ah voilà je me suis retournée ! Tiens ça fait longtemps que j'avais pas eu la tête en bas... pardon pour les coups de pieds au stomac maman.... pardon...*

(*) tiré du film éponyme .
Felryn
« Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé. »*


Doux euphémisme. Rien, autour de lui, que cette brume infranchissable. Elle virevoltait indifféremment, lui renvoyant l'horreur de la solitude dans laquelle il était plongé depuis tant d'années. En son for, il était resté ce jeune garçon habité par le remord le plus profond qui soit. Il tomba à genoux, comme il l'avait fait ce jour funeste auprès de la dépouille de sa soeur.

-J'ai couru. J'te jure que j'ai couru. J't'ai cherchée des heures et des heures. J'savais pas où t'étais partie. J'avais juste le sentiment qu'il fallait que j'te rattrape, avant que tu n'disparaisses à jamais. J'voulais juste t'ramener à la maison. T'étais pas folle, tu sais. T'étais pas folle. J'te croyais, moi. J'aurais dû te l'dire plus tôt. J'aurais dû t'aider.

Comme éperdu, il enfouit la tête dans ses mains. Des tremblements lui parcoururent le corps, insensibles aux caresses de la brume qui, pourtant, se voulait apaisante. Muet, il semblait sangloter. Mais lorsqu'il releva la tête, son visage n'exprimait plus qu'une sourde fureur, et son poing de se lever contre l'air oppresseur.

-Tout ça, c'est d'ta faute! Pauvre idiote! T'aurais dû m'écouter! T'aurais dû rester sag'ment enfermée, mais t'étais trop...trop...

Voilà qu'il serrait les dents à s'en faire craquer l'émail. Puis, lentement, son poing retomba le long de son corps, impuissant. Sur son faciès se succédaient d'incessantes grimaces de peine et de colère, comme autant de vagues plus poignantes les unes que les autres.

-Si la mort est un royaume aussi vaste que la vie, j't'y retrouverai un jour. On fera comme avant. Comme si rien n's'était passé. Et j'espère qu'tu m'auras pardonné. D'avoir été si lent. J'ai tout fait comme tu m'as dit, tu sais. Est-c'que t'es fière de moi? Est-c'que tu m'regardes, parfois? Et cette fille. M'en veux pas, j'crois que j'l'aime au moins autant qu'toi. J'voulais pas. Mais ça faisait si longtemps. Si longtemps. Est-c'que j'dois rentrer à la maison, maint'nant? Est-c'que j'dois refaire confiance, encore? Dis-moi. Tu sais, toi?

Comme un fou, les yeux écarquillés, il scrutait les vapeurs blanches, espérant voir apparaître le visage emprunt de douceur qu'il avait toujours gardé au fond de lui, attendant qu'elle lui sourie enfin, de ce sourire qui avait toujours su calmer ses ardeurs; attendant, enfin, le moindre signe qui l'aurait poussé à revenir sur ses pas. Mais rien ne se passa. Il demeurait seul, entouré d'incertitudes, perdu, loin de chez lui, doutant de pouvoir un jour retrouver le chemin qui le ramènerait chez lui. Y replanter ses racines et n'en plus repartir, jamais.

J’ai froid. Je veux jouer à autre chose. J’ai froid.

Il fit volte-face. La fille était là, et ses oripeaux coulaient goutte à goutte pour tacher de vermeille la neige à ses pieds. Elle était là, comme une fille qui, par trop habituée à un soleil plus clément, s'enlisait dans la neige. Et lui, garçon des montagnes, garçon qu'avait éprouvé des années d'hiver, brûlait littéralement. Il avança en rampant vers elle, et planta dans ses yeux un regard furieux que rien n'était parvenu à calmer. Et lorsqu'il lui agrippa le bras, sa main était en feu.

-T'as froid, hein? Alors brûle, brûle! Hurla-t-il. Regarde c'que tu m'as fait!

Il resserra l'emprise de ses doigts autour du bras trop fin de la jeune fille. Était-ce pour lui faire du mal, ou pour la retenir? Lui-même n'aurait su le dire. Si le feu la réchauffait, il n'avait rien de douloureux, pourtant. Gourmand, purificateur, il ne consuma que les griefs, désireux de cicatriser le mal dont ils étaient tous deux infectés. Il lécha avidement la souillure de sa robe, mais jamais n'attaqua l'épiderme. Felryn ne voulait pas faire mal. Pas pour de vrai. Si fort l'avait-il pensé, il en était incapable. Lorsque la flamme fut repue, elle disparut s'évanouit simplement. Et le garçon, toujours à genoux, baissa la tête. De l'eau vint lui noyer les pieds, et s'étendit au delà de la brume, comme la somme des larmes qu'il n'arrivait pas à verser.

Ses doigts avaient cessé d'empoigner la jeune fille. Penaud, repentant, il tendit aveuglément les bras sans oser la regarder.


-Viens. On joue à c'que tu veux.

Attendant qu'elle lui revienne ou qu'elle lui échappe, il demeura agenouillé dans les eaux troubles. Sa silhouette s'élargit et mûrit entre les jeux de brume. Et à en juger par la discrète éminence que trahissaient ses braies, la perspective de jouer à nouveau le ravissait d'avance.

*Alphonse de Lamartine
_________________
Axelle
[Jouons, donc.]

Les brumes épaissies brouillent sa vue. Elle plisse les yeux, fouillant les volutes, refusant qu’elles lui arrachent le garçon. Une voix l’appelle, elle trésaille, hésite, tendant son cou pour l’apercevoir encore. Pourtant son bras s’étend, tâtonnant l’inconnu froid et dur. Une main familière et protectrice s’offre. Elle la saisit, la serre et se hisse doucement.

"Alors brûle, brûle!"

Mais celle du gamin, soudain l’enserre aussi puissamment qu’une pince chauffée à blanc par la sentence. La voix qui n’a plus rien de joueuse mais écrasante de reproches mérités. Et là, comme suspendu dans un néant difforme, son corps s’embrase. Dans un écho lointain elle hurle à son tour. Son corps se cambre dans une danse brutale et tourmentée. Elle se débat, se plie, rue, lutte contre les flammes. Ces flammes qu’elle a pourtant tant aimé voir ondoyer, avec lesquelles elle accordait légèrement ses pas. Traitre feu qui l’entrave à présent, qui lèche avidement sa robe tombant en lambeau, dévoilant farouchement le corps de femme, sans pourtant le blesser.

Aussi soudainement que le feu l’a embrasé, il l’abandonne. Etrangement elle se sent libérée et légère. Aussi légère que la bulle qui s’éloigne au dessus de sa tête.

Elle chute et retombe dans la brume. Accroupie, la tête baissée, son souffle haletant fredonne lentement.


Petit es… car… got
Porte sur… son… dos
Sa… maisonnet… te

Aussitôt qu’il… pleut
Il est tout heu…reux
Il… sort sa tê…te.*


Longtemps elle reste immobile, enlisée dans les brumes qui n’ondulent plus. Elles se liquéfient, grises et trop lourdes de tristesse pour que la moindre onde ne les trouble. Elle se penche et lape l’eau, étanchant sa soif de repentir, geste au combien inutile.

"Viens. On joue à c'que tu veux."

Lentement, son regard se relève pour le voir. Il est là. Felryn est là, agenouillé, tête penchée et bras tendus. Il semble si triste. Pourquoi s’infligent-ils cela ? Elle ne le sait pas. Personne jamais ne le saura. Au fond de ses prunelles, le feu encore rougeoyant s’éteint sous l’assaut d’une vague salée. Son cœur se tord, se brise, et pourtant bondit comme jamais dans sa poitrine.

Elle s’approche, se glisse dans son ombre. Elle voudrait le rafraichir de son souffle, mais il est trop ardant. Etancher la soif à de ses lèvres, mais craint d’être trop fiévreuse. Redessiner son dos de la pulpe de ses doigts, mais frémit de le bruler. Lui offrir son corps comme refuge, en a-t-elle le droit ?

Pourtant, rebelle, son souffle enflammé s’invite sur le visage aimé.
Traitreusement, il suit l’arête du nez, se piège sur la courbure des lèvres, imposant aux yeux de la jeune femme de se fermer alors que sa bouche tremblante cherche en vain l’air qui pourra calmer le bouillonnement de ses veines. Le souffle, maintenant trop profond pour rester silencieux, poursuit son fiévreux voyage sur la cassure de la mâchoire, le bombé de la pommette, pour se perdre affolé dans les méandres de l’oreille avant de s’échouer au creux de l’arcade. Espérant se noyer dans le gris du regard, le noir s’ouvre à nouveaux, voilé et louvoyant.

J’suis là. R’garde, j’suis là. Viens, toi. J’veux bien jouer à tout, tant qu’tu pars pas loin.

[* Petit escargot, comptine enfantine.]
_________________
Felryn
[De la débâcle de Mars à l'apologie de Vénus.]

Le premier à mourir fut le type perché sur la herse. Lorsqu'on s'était mis à entendre les centaines de pas approcher à une distance déplaisante des portes condamnées, il avait, par réflexe, aventuré un œil pour en apprécier le nombre. C'était pourtant bien connu, que les sciences algébriques et celles des armes faisaient mauvais ménage. De l'autre côté, un des assaillants qui avait eu la bonne idée de garder son arc en main n'attendait manifestement que ça. L'œil trop curieux du garde, et ce que son crâne pouvait contenir de cervelle encore potable, en subirent les conséquences. On ne l'entendit même pas gémir lorsque, basculant par dessus le mur, il vint s'écraser à leurs pieds de l'autre côté de la porte scellée. Accolé à celle-ci en compagnie d'autres condamnés qui se tenaient là en renfort désespéré, Felryn s'était demandé, une brève seconde, si le malheureux avait eu la chance d'expirer avant d'atteindre l'asphalte vertigineuse et chauffée à blanc par une longue journée soleilleuse. Peu après, les corps de la fine équipée vibrèrent sous les assauts d'un bélier. Comme si cela avaient pu changer quelque chose à l'inéluctable futur qui se dessinait, ils appuyèrent chaque fois plus puissamment leurs épaules contre le chambranle, les bottes cherchant un encrage stable au sol. Mais Aristote semblait avoir décidé, ce soir là, qu'aucune épaule au monde, si hardie fut-elle, ne viendrait contrer le destin. Celui-ci fut scellé quelques dizaines de minutes plus tard.

Rejeté comme une épave parmi les carcasses entassées, le montagnard avait cru voir, au travers du rideau sanguin qui obstruait sa vision, un officier curieux examiner les corps couchés. Tout comme il aurait inspecté la mise de son bataillon, il vérifiait, poing sur l'aine, que chaque soldat ennemi ait été correctement amoché avant d'être envoyé à terre. À l'air satisfait qu'il s'était donné, il avait dû s'en trouver comblé. Le sarcasme était venu alimenter les pensées de Felryn jusque dans son dernier râle, inaudible pourtant:
« Tu veux nos portraits, ducon? » Le curieux tableau que ç'aurait été. Un genre de trophée de guerre, suspendu sur une large cheminée, comme d'autres se réservaient des trophées de chasse -empaillés, ceux-là-. Et déjà survenaient, comme nés du néant, les corbeaux. En les entendant croasser, en devinant leurs coups d'œil obliques, perchés sur des manches brisés en attendant leur heure, Felryn se demanda ce que ces piafs de malheur pouvaient bien se dire entre eux.

J’suis là. R’garde, j’suis là. Viens, toi. J’veux bien jouer à tout, tant qu’tu pars pas loin.

Le souffle chaud de la jeune femme balaya toutes ces visions d'un autre monde. L'horizon s'éclaircit et la touffeur du lieu tira à nouveau le rideau de brume qui les voilait tous deux. Il était toujours là, agenouillé dans les eaux calmes et salées. La sérénité qu'elle lui administrait d'un simple souffle le fit ployer le front jusqu'à reposer sur son épaule. On y était bien. La proximité ardente de sa bouche avait ranimé ce qu'il y avait de bon en lui. De bon pour elle. Et comme pour mieux prendre conscience de sa proximité, il avait déployé toute la largeur de ses mains sur la taille désormais dépouillée d'Axelle. Les paumes grenues dispensaient sur elle des frôlements mordants et coulants, corrosifs et cléments, déployées là comme en reconnaissance d'un terrain certes déjà exploré, mais duquel elles ne s'étaient jamais détachées. Et ces mains s'y seraient volontiers enracinées; l'une dont les braises se ranimaient au contact de la Bestiole, l'autre froide comme neige. Aussi froide, du moins, que l'était son propre souffle, rejeté en vagues frileuses au devant de la poitrine toute proche, qui respirait sous sa tête ainsi nichée. S'il avait ouvert les yeux, le front appuyé contre cette épaule accueillante, sans doute aurait-il pu voir l'auréole rose d'un sein se profiler plus distinctement, se hérisser en à-pic, cabrée par l'indignation ou l'exaltation. Et sans doute aurait-il eu envie d'aller en consoler la pointe pour mieux l'agacer encore. Mais il n'en fit rien. Trop hanté par l'idée que tout ceci ne soit que le fruit de son imagination dépressive, il préférait encore demeurer aveugle et, -paradoxe s'il en est- nourrir ses propres fantasmes lui-même.

Pourtant la crainte était là, cruelle acolyte. Il craignait qu'elle fuie à nouveau. Craignait de ne pas savoir apprivoiser correctement la Bestiole, de ne pas parvenir à anticiper ses attentes une fois de trop. Aussi, comme un secours inespéré, comme le lumineux d'une idée bousculant les ténèbres de son imagination trop peu souvent sollicitée, une perspective étrange se fit une place dans l'espace étriqué de son esprit. À mesure qu'elle enflait, cette perspective prenait la forme d'une conception nouvelle. Felryn, en homme du cru seulement habitué aux choses les plus simples qui soient et -malheur à lui- capable de s'en contenter parfaitement, n'était pas traversé tous les quatre matins par l'idée d'explorer l'inconnu. Bien lui en eût pris, pourtant.

Animé par une nouvelle ardeur, voilà qu'il redressa la tête pour atteindre l'oreille de la Bestiole. Dans le mouvement qu'il fit pour s'appliquer à ne pas rompre le contact avec elle, son menton ripa tout contre le cou et la joue de la Bestiole, leur prodiguant le genre de caresse piquante qu'aiment dispenser les matous en gage de leur affection pataude lorsqu'ils enfoncent, bien innocemment, leurs griffes languissantes dans leur périmètre de chasse. L'homme en fut désolé -un peu, peut-être- mais ne se priva pas de venir lui pincer le lobe d'une oreille entre deux rangées de dents affamées. Même ses doigts trahirent son enthousiasme; eux qui, pourtant relégués sagement au creux d'un rein, s'allèrent planter voracement dans l'arrondi d'un fessier qui avait le malheur de se trouver non loin. Feignant le mécontentement, ainsi grogna-t-il:


-Si tu refuses de m'dévoiler ton secret, j'irai l'chercher sans ton aide.

Puis il abandonna l'oreille, non sans y planquer un baiser taquin, s'excusant par avance de sa muflerie. Et aussi soudainement que le feu s'était emparé de lui plus tôt, Felryn agrippa les chevilles de la Bestiole et d'une épaule pesante la força à chavirer dans l'eau. Laquelle -complice- gagna en profondeur pour alléger la chute. Ce qu'il pouvait contenir de sagesse, à cet instant-ci, s'était évaporé. Ne restait qu'une fougue incontrôlable. Gauche, joueuse, et incontrôlable. D'une traction, il acheva de désarçonner la fouine en l'attirant vers lui. Un baiser lui échappa encore, qui alla se planter sur le nombril d'Axelle. Ils étaient encore nombreux, à vouloir se déverser sur elle. Il les sentait qui risquaient de lui échapper d'un instant à l'autre. Mais il les musela. Elle était là, Axelle. À sa merci. Et il trouvait idiot de précipiter les choses. C'aurait été gâcher les bonnes choses, et il en était économe.

Il darda sur elle un regard en quête de ses prunelles sombres immenses, curieux d'y lire du mécontentement, de l'étonnement ou de l'agrément. Le premier l'aurait amusé, le second et le troisième aussi. Puis l'envie le démangea d'aller goûter à ses lèvres. Cela faisait si longtemps, après tout. Mais il leur préféra leurs congénères, intimement embusquées plus bas, à l'orée de l'origine du monde, du saint des saints, aurait-il dit. C'était quelque chose comme une invraisemblance. Un temple de douceur et de souffrance à la fois. Un vide abyssal dont on pouvait douter qu'il puisse ressentir la moindre chose. Mais un néant duquel, parfois, pouvait se construire des morceaux de vie. Là se succédaient mort et vie, joies et sangs. Une chose curieuse, en somme. Incompréhensible. Et vulnérable, et infaillible. Les hommes, souvent, le côtoient ou le rudoient sans en percer les mystères; soit qu'ils manquent de pointure -croient-ils?-, soit qu'ils sont trop idiots. Cela dépasse l'entendement pour qui n'en possède pas. Et Felryn ne faisait pas exception à ces hommes-là.

Mais il tenait ce temple-là pour sien -du moins lorsque la Bestiole le voulait bien-, et ne s'en approchait jamais qu'en temps de paix. Prudemment, l'Ours dispensa un souffle léger sur les chairs ourlées, pour les provoquer, piquer la patience de la Bestiole. Ainsi joua-t-il un moment, agaçant, avant de délivrer le flot d'embrassements qui languissaient depuis un moment pour les éparpiller à chaque recoin secret qu'il lui plaisait de trouver, effleurait sans effeuiller, et pointait, ça et là, une langue aventureuse comme on laperait une plaie. Parfois, il grognait farouchement contre une cuisse encombrante. Ainsi lié à la bestiole, d'humeur généreuse, Felryn fit abstraction les spectres qui l'entouraient. Il oublia jusqu'à la bulle qui l'avait mené ici avant de s'envoler définitivement. Elle avait cessé d'avoir de l'importance, cette bulle. Une question subite lui vint pourtant de nulle part, lorsqu'il gronda, le visage tourné vers Axelle:


-T'as mal?
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Axelle
« Ô temps ! Suspends ton vol »*

Combien de temps était il resté là, niché au creux de son épaule ? Son souffle la glaçant et l’irradiant dans le jeu complexe que seuls connaissent ceux qui jouent avec le désir. Le temps n’avait pas sa place ici. Il s’étirait, se répétait suivant les envies et la fièvre. L’éternité n’aurait pas été assez longue pour la lasser de ce souffle qui se jouait d’elle. Elle vibrait, tremblait, emplie de ce sentiment étrange que seule apporte l’attente. Emplie du désir ardant d’assouvir les frissons de son corps, tout en refusant farouchement de briser l’instant pour reculer l’échéance et la rendre plus délectable encore. Cet instant unique ou tout est possible. Cet instant où l’imagination creuse sournoisement son sillon, loin, si loin qu’aucun échappatoire n’est possible. La seule pensée que l’instant s’évanouisse dans les brumes la faisant trembler encore davantage. Elle guettait le retour du souffle, et chaque frôlement des larges mains revenant la rassuraient, effaçant la peur répétitive qu’ils s’éloignent sans retour. Mais ils revenaient, encore et encore.

Elle restait immobile, ne laissant que son souffle brulant s’enrouler sur la nuque penchée pour se blottir contre le dos, se mêlant aux brumes. Elle aurait tout donné pour être l’une de ces volutes, frôler les flancs virils, s’enrouler autour d’une épaule pour y prélasser une caresse, remonter jusqu’au cou et le gouter d’une langue envieuse et lente, et là, se ressourcer à la chaleur de sa bouche entre ouverte pour venir mordre les lèvres enviées qui s’amusaient de son impatience avec une délicieuse cruauté.

Mais elle n’avait pas le droit. Du moins, le croyait-elle. Et c’était bien ainsi. Sa frustration gonflant sa soif comme un onctueux châtiment.

Puis l’ordre établi tacitement bascula, tout aussi vite qu’elle bascula elle-même sous la puissance de l’Ours qu’elle découvrait affamé. Avant de se tarir, l’eau salée la submergea un instant, inondant sa bouche, voilant ses yeux, s’insinuant dans le creux de son ventre libéré des rondeurs de la bulle, pour se faufiler, enfin, traitreusement, entre ses cuisses. Embrumée et stupéfaite, elle voulu se redresser, orgueilleuse, mais une traction contraria son projet à peine entamé et un baiser déloyal sur son nombril acheva de la clouer au sol.

Puis le souffle revint. S’il avait été taquin sur son sein, il s’avérait à présent affolant. Et entre ses lèvres scellées de colère contre elle-même d’être à la merci de l’Ours elle siffla.


Cruel !

Cruel, oui, il l’aurait été si le souffle ne s’était muer en une douceur envoutante, l’enveloppant d’une chaleur bienveillante, cicatrisante, dans laquelle elle ne put que se laisser bercer, faisant mine de se défendre en légers ondoiements. Pourtant choyé, son corps cherchait par instants à s’échapper, ses cuisses se resserrant, un peu, comme s’il craignait de ne pouvoir supporter l’ivresse qui l’enchaînait doucement. Pourtant tous les pores de sa peau appelaient l’Ours. Tous, sauf sa bouche, qui mettait un point d’honneur à ne pas trahir la pudeur de ces instants éthérés. Elle laissait volontiers aux autres la facilité des cris et autres ribambelles d’artifices, n’ayant pour but que de flatter un mâle, ou lui donner l’illusion de satisfaction attendue pour qu’il cesse son harponnage. Elle n’avait pas besoin de cela, les pattes se faisaient velours, et sa respiration profonde si explicite. Les onyx se fermèrent effaçant la lueur de peur qui s’était invitée sous la fougue cependant exaltante. Et là, sous le baiser, elle lui offrit, une seconde, une éternité, ce qu’elle avait de plus précieux, de plus intime, de plus protégé: sa vulnérabilité.


-T'as mal?


Longtemps les mots flottèrent avant qu’ils ne prennent sens dans les méandres de son esprit chaviré. Comment répondre à cette question, le désir, l’envie, peuvent être si douloureux, surtout lorsqu’une voix traitresse s’insinue et murmure

Ce n’est qu’un leurre, tu le sais bien, il n’est pas là, et toi, tu es allongée sur un lit de souffrances.


Elle secoua la tête. Rien. Rien ne détruirait la toile d’araignée où leurs esprits s’étaient pris au piège. Elle ne laisserait pas faire.

Profitant de son inattention, elle se glissa sous lui, vipère, et pour toute réponse, enlaça ses doigts à ceux de l’Ours. Les lèvres enfin libérées de leur prison de culpabilité vinrent se poser sur les siennes, sa langue se frayant un passage. Sa main libre dévala le torse pour s’échouer à la chaleur espérée du ventre reconnu. Sous sa paume fébrile, les dernières traces de tissus s’évaporèrent quand elle l’enserra, le dardant du regard, vengeresse. Si elle lui offrait sa vulnérabilité, elle ne serait jamais soumise, pas même au milieu des brumes, là, sur cet espace minuscule entouré d’un gouffre sans fond où ils étaient échoués. Un sourire fin s’esquissa, et à l’orée des lèvres encore pleines de son propre goût elle murmura.


T’veux encore jouer avec moi ?

*[Extrait du Lac d’Alphonse de Lamartine]
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Bidule_embrun
La petite bulle s'était envolée, à présent rien d'autre ne demeurait que l'immobilité d'un carcan de chanvre. Les pensées s'évaporaient dans l'air, et tout semblait si loin. Un père absent , une mère ayant perdu connaissance, un poussin abandonné à son triste sort entre les griffes d'un lion. La vie peut-être si cruelle...
Un jour on est si bien le lendemain, tout n'est que douleur. La morsure du froid comme la piqûre du soleil. La faim qui tenaille. La soif qui dessèche. Le ventre qui se tend, qui gonfle et s'emplit d'air. N'attendant qu'une seule délivrance...


PrrrrrrrFuiiiiiittt

* Aaaahhh ça va beaucoup mieux là ! Par contre je crois que je digère mal le lait de chèvre... POUAH ! Bon avec ça si maman ne se réveille pas... je sais pas ce qui la réveillera...*
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Felryn
[C'est toi chat!]

Aliéné, égaré, seul, son esprit malade cherche refuge dans ce rêve, si c'en est un. Il est encore loin du réveil, à cet instant, loin d'imaginer que la réalité est autrement plus cruelle. Seul lui importe de donner plaisir à la Bestiole offerte à lui. Il n'attend rien en retour même si, quelque part, au fond de lui, cramponné sur un filin de réalité, c'est sans doute un certain sentiment de culpabilité qui le pousse à tant d'égards pour la créature qui git entre ses pattes -ou entre les pattes de laquelle il siège en roi conquérant, la langue plus déliée et diplomate qu'à l'accoutumée-. C'est que sa sève le grise un peu. Elle en est avare, quand lui meurt de soif. Et lorsque les profondeurs secrètes de la Bestiole se gorgent d'eaux amoureuses, il s'y abreuve sans privation. C'est bien là le seul aveu qu'elle lui concède. Celui du corps. Car sa voix reste scellée quoiqu'il fasse. Avec le temps, il s'y est accoutumé. Avec le temps, il a fini par s'estimer médiocre au déduit². Car, au delà du sentiment de satisfaction qu'apporte la moindre complainte féminine, c'est un feulement sauvage qui accompagne le voyageur inconnu sur le meilleur chemin à suivre. Aussi, Felryn était-il aveugle, sur le sentier obscure qui menait au plaisir de la Fouine. Par son mutisme, elle le frappait de cécité. Mais quand on aime -ah! quand on aime- les tentatives ne se comptent plus. Peut mieux faire? Alors fera.

Mais déjà, profitant qu'il n'ait plus la tête à l'ouvrage -huhu-, la hardie Bestiole profite de l'inattention de l'Ours pour se défiler, et sous lui se faufiler. Son corps serpente et se glisse. C'est une liane, souple et ondoyante et alarmante qui s'insinue sous lui. La Bestiole lui volerait-elle le beau rôle? Il voudrait grogner, l'ours pris au dépourvu. Il voudrait se scandaliser de n'être pas bien obéi. Mais elle est plaisante, cette Bestiole. Et aucune colère, jamais, ne perdure contre elle. Et les doigts de se mêler aux siens. C'est là un geste qu'il reconnaît. Réconfortant -sans doute- pour elle, annonciateur pour lui. Mais avant même qu'il n'en prenne conscience, la bouche félonne immerge la sienne, et les langues s'engloutissent l'une l'autre, peu soucieuses, dans leur danse, de l'air qui pourrait leur manquer. Voleurs et donneurs, ils partagent. Elle, insolente, lui délivre son goût d'inconnu et lui, vicié, lui transmet son propre goût de petite fille mal soignée duquel le voilà maculé. Il y puise sa joie comme sa détresse, abouché au beau milieu, là, d'un nulle part issu de leurs détresses distinctes. Elle l'infecte. Et cela lui rappelle la senteur qu'exhale sa peau tannée par un soleil qui n'est pas le sien; senteur qui s'est faite une part de lui-même, et la sensation que lui procure un sein quand il le cueille dans sa main. Et, comme instinctivement, voilà que l'un d'eux emplit sa poigne de glace. Au creux de sa paume, il sent la douceur et l'aspérité de la voûte rose bandée.

La Bestiole, inoffensive d'abord, arpente son torse avant de trainasser aux abords de son ventre, puis de longer la fine ligne duveteuse qui relie le nombril de l'Ours à l'inébranlable -ou presque- phallus qui s'érige à son contact. La disparition de ses oripeaux n'interpelle pas Felryn. Seule importe maintenant la main où le voilà séquestré, dans laquelle pulsent les battements turgescents, et le regard qui le capte. S'il veut toujours jouer?

-Seulement si l'jeu s'termine pas trop mal.

Il revient se désaltérer à sa bouche et, comme pour capturer un avant goût du jeu qu'ils se réservent, sa main de feu rebrousse doucement chemin vers la chaleur moite de la vulnérabilité de la Bestiole pour, en incorrigible effrontée, y insérer un plein doigt. Hargneux par jeu, il tente à nouveau de la clouer sagement au sol, abondant de caresses et d'embrassements. Il n'interrompt le baiser qu'en présentant, au bord des lèvres de la Bestiole, le doigt imprégné d'elle et qui, déjà, regrette d'avoir quitté son abri de velours. Mais alors qu'il imagine réaliser son fantasme, prêt à lui manger une oreille en l'écrasant sous son poids, un son détonnant pétarade à ses oreilles. L'Ours dresse le museau, curieux et fâché d'être ainsi interrompu. L'instinct paternel s'éveille en lui pour remettre les choses en ordre et, mimant sa divine colère, il déverse un grondement autoritaire contre la bulle importune. Qu'elle s'avise encore de le déranger et l'Ours ira vendre la peau du poussin sans même l'avoir plumé. Foi de Fel'.
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Axelle
[ Je te tiens, tu me tiens ]

Il palpite, là sous sa main. Elle pourrait se déclarer victorieuse, mais non. La vengeance est feinte. Tout en elle vibre à la moindre caresse, au moindre baiser, à la moindre attention. Elle s’en cache comme elle peut, de peur que le jeu ne soit plus assez attrayant, de peur qu’il se lasse, pourtant, elle se sait vaincue d’avance dès qu’il l’approche. Elle refuse de se livrer pour mieux le garder, égoïste qu’elle est de vouloir tout de lui, de le pousser dans ses retranchements pour mieux s’abreuver de lui. Sournoiserie de cacher l’envoutement pour lui appartenir toujours davantage. Car, même s’il ne le sait pas, malgré ses fuites et ses louvoiements, malgré ses provocations, malgré ses félonies elle est sienne, sans équivoque dans sa cervelle trop apeurée et butée pour l’admettre. Et ce, depuis le moment où il a posé son regard d’acier sur ses frusques.

Mais la voilà qui baisse les armes la Bestiole. Là, perdue dans la vérité de son esprit, la dissimilation est proscrite.

Elle voudrait le rassurer sur la fin du jeu, mais à peine ouvre-t-elle la bouche que les lèvres enviées s’en saisissent, anéantissant toute volonté de s’en détacher. Elle se délecte de son gout, s’abreuve à sa salive, se nourrit de la douceur de sa langue. Pourtant quand la main brulante s’insinue, quand le doigt curieux l’envahit, ses lèvres sursautent et libèrent soupir trop longtemps contenu. L’Ours joue. Bien, si bien, qu’elle ne se débat plus. Sagement elle obéit, sagement le laisse la dominer. Sagement, jusqu’à ce que le doigt aventureux, ne se présente à ses lèvres, la narguant, lui prouvant qu’il sait, qu’il connaît ses secrets, qu’il gagne à tous coups.

La langue rose de la Bestiole s’aventure, curieuse et timide sur les lèvres qui la bordent. Elle goute, étonnée du gout légèrement salé, tâtant, puis s’enhardit sur la pulpe du doigt aguicheur, le léchant, s’enroulant à lui comme une liane à un tronc, alors que sa main, toujours geôlière, mime la bouche allant et venant à présent avide sur chaque phalange. La bouche se fait soudain envieuse de la main. Elle va pour la chasser sans ménagement, quand l’Ours grogne et qu’une odeur malvenue pique les narines de la Bestiole.

L’odeur de l’ailleurs, cet ailleurs honni où elle refuse de se réveiller. Au lieu de s’en approcher, elle ne fuit qu’un peu plus profondément, comme un pied de nez à la bulle indiscrète. Et pour parachever l’affront, ses seins se gonflent et dardent, gorgés et insolents. Et d’une simple pensée – privilège de l’inconscient - la vilaine odeur fuit sous celle piquante et particulière de la sciure de bois, de la sève résineuse, forte et vivifiante. Cette odeur, son odeur de charpentier.

Peur de le perdre à nouveau dans les brumes quand la réalité s’invite? Exaltation des sens ? Qu’importe à ce moment. L’heure n’est plus à réfléchir. La Bestiole n’est plus qu’un brasier de désir. Plus sauvage, plus incisive, la voici panthère. Possessives, ses mains embrassent la peau nue du dos s’y accrochent, s’y noient, remontent à la nuque puissante, tentant de la faire ployer pour retrouver les lèvres distraites. La cuisse brune s’enroule souple et volontaire au bassin viril et le scelle au sien. Elle le sent. Elle gémit d’envie comme un petit animal affamé. D’un simple mouvement, elle pourrait mettre fin à l’attente. Elle ne le fait pas pourtant. Non pas encore. Bien qu’elle s’y frotte. Tant pis si elle s’y pique. Sa faim, elle l’aiguise encore dans le cou de l’Ours, vorace. Le bruler tant qu’il la brule, le mordre tant qu’il la mord, œil pour œil, dent pour dent. Pourtant la revanche n’a rien de violent ou de mesquin. Non, la vengeance n’est que suave, langoureuse, amoureuse. Elle n’impose rien, elle se veut juste tentation.

Enfin, les lèvres abandonnent le cou, se perdent un moment sur les épaules, pour remonter au lobe de l’oreille et souffler


Si l'jeu s'termine pas trop mal ? Mais, t’en es le maître.

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