Thraune
L'on dit que la rédemption peut être accordée aux méritants, grâce à leurs bonnes actions, leur bonté et bien évidemment grâce à quelques écus donnés sous cape. Certains passent ainsi leur vie dans le vice, puis, sentant le vent tourner... se répandent en bonnes grâces. C'était ainsi que Thraune comptait vivre. Profiter d'une longue vie libre et bien remplie... sans que quoique ce soit ne vienne troubler sa conscience. D'ailleurs, en avait il une? Probablement, mais à un degré moindres que le commun des mortels. Il pouvait être généreux un matin et d'une cruauté sans limites le soir venu. Il y avait bien évidemment une cause à ces changements fréquents de personnalité. Le jeune brigand était devenu marchombre... mais le marchombre s'éloignait peu à peu de l'harmonie de la voie qu'il avait choisit. Le chaos l'attirait irrémédiablement. Pervertissant le peu d'humanité qu'il lui restait.
[Des années plus tôt]
Le temps s'était comme arrêté autour de lui. Les derniers chants entonnés par les oiseaux s'étaient tu alors qu'il pénétrait dans son tombeau. Le tombeau de Korrigann. Fougueuse blonde au regard acier. Acrobate de génie et habile lanceuse de dagues qu'elle cachait en divers endroits de sa personne.
Mais elle était morte.
Il la revoyait quelques années plus tôt, alors qu'elle cherchait à regrouper des hommes aux talents particuliers pour fonder sa propre compagnie. Il la revoyait jongler avec ses lames pendant qu'elle lui proposait de la rejoindre. Il observait alors une déesse... et son ballet incessant, languide qui l'avait tant intrigué. Une danse mortelle. Par une déesse de la mort
Mais elle était morte.
Quelques semaines plus tard, la mort d'une pirate, son amante, tuée par Korri pour une raison qui lui échappait. Le gris s'était vrillé dans le gris, pour chercher une réponse qu'il n'obtint jamais, et qu'il ne voulait pas obtenir. Il l'aimait à sa manière. D'un amour indéfinissable, que la mort elle même n'avait pu emporter, n'avait pu consumer.
Mais elle était morte.
Des mois passèrent, des années même. Et jamais la déesse n'avait quitté ses pensées. Ils s'étaient retrouvés, pour quelque temps. Renouant les liens qui n'avaient jamais été rompus. Retrouvant son intégrité. Elle n'était ni son amante, ni sa soeur, ni son amie. A ces yeux cet amour était le plus poétique qui soit. C 'est à dire celui que l'on ne peut expliquer... que l'on ne veut expliquer. Jamais il n'avait ressenti le besoin d'unir son corps au sien, ni celui de poser genou à terre pour lui demander sa main. Telle n'était pas la voie qu'il avait choisit. La voie du marchombre. La liberté.
Mais elle était morte.
Et pour la dernière fois, il se tint devant elle. Auprès de son tombeau, de nombreux présents avaient été posés. Mais le marchombre souhaitait lui rendre un ultime hommage. Il avait attendu que les lieux soient déserts pour revenir avant que son corps ne lui soit pour toujours inaccessible. Son impassibilité coutumière disparut lorsqu'il la contempla à nouveau.
Elle était si belle... si parfaite. Il pouvait encore sentir l'aura de sauvagerie qui se dégageait d'elle. Revoir la danse mortelle qui animait ses lames lorsqu'elle les maniait. La perfection de son corps lorsqu'il s'animait. Alliant une souplesse quasi féline à quelque chose d'indescriptible et d'unique qu'elle seule possédait. Mais une déesse est toujours unique.
Le marchombre ne put se résoudre à l'abandonner ainsi. Une part de lui était morte avec elle. Ce qu'il projetait de faire n'était que pure folie, mais à situation désespérée, actes désespérés... Et le jeune marchombre l'était indéniablement. Aucune émotion sur son visage. Car on est pas ému quand on est mort. Juste de la détermination froide et brutale qui l'animait pour mener à bien le projet insensé qui l'habitait depuis peu.
Disposant autour de lui 12 bougies, il les alluma, plaçant en son centre une coupe vide. Une lame quitta son fourreau dans un chuitement, éclairant brièvement le sombre tombeau d'un éclat argenté. Ce fut rapide. Le sang coula dans la coupe. Thraune arracha un pan de sa cape pour panser la plaie. Se vider de son sang ne lui était d'aucune utilité après tout. Le guerrier porta le goulot de l'outre à vin qu'il avait apporté à ses lèvres et en vida une bonne partie avant de répandre le reste de son contenu dans la coupe à moitié pleine de son sang. La langueur le gagna peu à peu. Le sang qu'il avait perdu et le vin qu'il avait ingurgité y était pour beaucoup... C'est dans un état second qu'il entreprit de commencer le rituel. Vendre son âme au Diable.
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