[Quelque temps plus tard. Scène de vie domestique : préparer un festin, ça ne s'improvise pas.]
Effervescence. Dans quelques jours, la Vicomté des Cars se peuple d'invités. Les fiançailles d'Ilia Jagellon et Marie-Amelya seront célébrées, et il sera procédé à leur anoblissement au cours de la cérémonie. Il y aura sans doute Héraut, noblesse, clergé, et moult invités. Et le domaine bouillonne.
Elriiiiiiiiiiiic !
Le hurlement suraigu claque depuis la cuisine et se répand dans la demeure. La Vicomtesse n'est pas là, elle est partie pour Limoges, et la cuisinière en profite pour se lâcher. Bientôt, elle aura pléthore d'invités, et c'est sa hantise. Le premier août, elle sert un repas de fiançailles, ce qui constitue une grande première pour elle. Là, elle a une angoisse. Elle a commencé à faire venir des denrées qui se conservent bien. De l'épeautre, d'abord : elle fera une soupe d'épeautre pour le potage. C'est bon, ça nourrit, et ça entame tranquillement un repas derrière une bonne salade et quelques fruits. Pour l'ouvre-bouche, elle recevrait les denrées dans quelques jours, juste avant le banquet. Il fallait qu'elles soient encore fraîches... Mais pour le potage, elle engrange déjà. L'épeautre, donc, et les saucisses fumées à mettre dedans. Et puis les carottes, qui peuvent bien se racornir un peu sans perdre trop de leur saveur. Et pour les plus petites faims, ce serait un potage d'herbes. Plusieurs pots de chaque, de toute façon, couvriraient la table. Mais les salades, épinards et autres feuilles d'oseille n'arriveraient que le dernier jour de juillet. De la fraicheur, de la fraicheur !
Alors qu'elle avait presque oublié qu'elle avait appelé Elric, se repassant le déroulé du repas sous le crâne, celui-ci fit irruption dans le domaine de Gersinde pour lancer :
Bordel, il te manque quoi encore ?
Et les explications se succèdent, se chevauchent, s'entrelacent et se perdent finalement. Un grommellement de l'intendant y répond et les clôt : Gersinde a compris le message. On ne panique pas, on fait son boulot et en avant la manoeuvre. Naméo. Une fois la cuisinière tranquillisée, Elric passe donner la commande de bouche nécessaire (car il y en avait bien une, tout de même, derrière le début d'hystérie de la cuisinière) à l'un des gamins des Cars, qui attendait en quête d'une mission dans la cour de la demeure, puis replonge dans les entrailles du bâtiment.
Direction la salle de réception. La table, montée en U, s'agence déjà. Sauf que...
Bougre d'âne ! J't'ai dit qu'il fallait des angles bien droits ! Tu crois qu'tu fais quoi, là ? En U, bordel ! Pas en... En... J'sais même pas en quoi, d'ailleurs, ça r'semble à rien, ça ! Tu m'redresses tout ça et tu t'magnes ! J'veux la table arrangée dans l'heure, qu'on puisse la dresser.
Illustration typique de son humeur bourrue d'intendant un poil revêche quand il s'agit d'organisation, un doigt rageur accompagne les mots d'Elric, un poing se brandit, les imprécations fusent. Il a commencé en douceur sa carrière d'intendant, il garde des manières affables sinon amicales avec le reste de la valetaille de Viam et des Cars en dehors des grandes occasions, mais quand il s'agit de quelque chose d'exceptionnel (ce qui n'a eu lieu qu'une fois auparavant, avec le mariage d'une Comtesse mainoise en la chapelle Saint-Georges-de-Lydda du domaine), il devient un véritable cerbère et un emmerdeur de premier choix. Tout doit être tiré au cordeau, impeccable, parfait. Sur un preste demi-tour, le voilà qui repart à la recherche d'une jeune blonde quand...
Aliiiiiiiiiiiiiiiiiice !
Nouveau hurlement de Gersinde, qui s'est trouvé une nouvelle victime. Pour le moment, Elric laisse la jeune intendante de Viam, appelée en renfort pour l'occasion, même si c'était elle qu'il voulait voir pour l'instant, se débrouiller avec la cuisinière, trop content que celle-ci l'ait momentanément oublié. Courage... Courage. Plus que quelques jours et le banquet se tiendrait, les fiançailles seraient faites, les anoblissements aussi, et chacun dormirait en paix. Anoblissements... Boudiou ! Sur un nouveau demi-tour, Elric fonça vers la salle de réception, celle où aurait lieu le banquet, pour lancer un martial :
Si vous oubliez qu'il faut qu'le bout du U soit bien large, j'vous étripe !