Kernos
De mon village capital
Où l'air chaud peut être glacial
Où des millions de gens se connaissent si mal
Je t'envoie comme un papillon à une étoile
Quelques mots d'amour
Je t'envoie mes images
Je t'envoie mon décor
Je t'envoie mes sourires des jours où je me sens plus fort
Je t'envoie mes voyages
Quelques mots d'amour, Michel Berger.
[Sur les routes du Lyonnais-Dauphiné.]
"Ma Chère Lune, ... Ma Lune, ... Terwagne,..."
A droite, le Rhône. A gauche, l'ombre lointaine des monts. Au milieu, lui et ses hésitations épistolaires.
Un vent chaud soufflait ce jour là, l'enveloppant de la poussière des chemins de traverse qu'il empruntait pour gagner Valence.
"Ma Douce Terwagne, ... Mon amour, ... "
Sa monture éternua. Kernos secoua la tête... Non, cela ne lui convenait pas du tout.
Le plus dur dans une lettre, c'est de commencer, de trouver l'accroche, la racine sur laquelle s'appuyer pour que les mots jaillissent comme source vive. C'était toujours cela qui lui posait difficulté.Trouver les bons mots, les mots justes qui n'exprimaient pas seulement ce qu'il voulait dire, mais seraient le manifeste de ses sentiments, leur essence-même.
Il ne voulait pas tracer des lettres figées qui emprisonneraient sur le vélin ses émotions, ses peurs et ses espérances, les rendraient banales, vides à lire. Des mots que les yeux voient, mais pas le coeur. Or, lui voulait aller au-delà, dans un langage qui aurait du geste, une présence physique, une sorte de pureté et d'essentiel qui transcenderaient les écrits pour toucher l'âme de celle qui le lirait.
Il voulait une lettre vivante. Pas seulement un reflet, un instantané statufié. Quelque chose qu'elle pourrait sentir, toucher comme s'il s'agissait de lui-même. Il ne voulait pas écrire une lettre, il voulait s'écrire, lui.
S'il avait été poète ou troubadour, sans doute cela aurait été plus simple. Mais il n'était qu'un vieil homme d'armes, un peu diplomate, un peu politicien, un cavalier solitaire errant sur les chemins de terre bordant le Rhône, aussi gris que l'était sa monture. Il soupira.
Comment dire je t'aime avec des mots?
Comment exprimer la déchirure de l'absence et de l'éloignement?
Comment traduire ce débordant besoin de l'autre, de sa simple présence charnelle?
Cette destructrice envie d'être au complet à nouveau?
Il fit faire un écart à son palefroi et gagna les rives du fleuve. Ses bottes s'enfoncèrent légèrement dans la terre humide tandis qu'il guidait Grayswandir de quelques pas dans les eaux turbulentes. Le cheval commença à s'abreuver et le cavalier ôta son gambison poussiéreux puis sa chemise avant d'aller s'immerger un peu plus profondément.
Il se laissa remonter, flottant légèrement à la surface, les yeux perdus dans les nuages, comme lorsqu'il était enfant. Le ciel était plus bleu et l'eau moins fraîche que celle de la Seine. Il était bien et resta quelques instants ainsi, à dériver lentement dans ses pensées où se mêlaient souvenirs et présents. Qu'il aurait été doux de s'abandonner ainsi au fil de l'eau, de se laisser entraîner par les caprices du courant, loin de ses tourments, loin de cette terre qui s'étendait autour de lui et ne lui apportait qu'un surcroît d'amertume... Loin, loin de lui-même.
Ô Drac, vient donc m'emporter dans ton palais abyssal!
Un éclat de rire lui secoua les poumons. Comme si le démon du fleuve avait besoin de lui... il n'était point lavandière. Quelques mouvement de brasse et il alla s'ébrouer sur la terre ferme. Il avait mieux à faire que d'en appeler à la fin. Encore une journée de chevauchée et il pourrait enfin s'atteler à cette lettre qui lui tenait tant à coeur.
Grayswandir le rejoignit après un léger sifflement. Kernos lui flatta l'encolure et se remit en selle après avoir renoué son baudrier et enfilé ses frusques humides.
Cavalier et monture s'éloignèrent du rivage, centaure ruisselant regagnant les chemins de poussières. Kernos accorda un dernier regard au fleuve scintillant, puis reprit ses réflexions.
"Ma Lune,
Silence et absence sont devenus trop aiguisés pour que je puisse en supporter d'avantage la morsure..."
_________________
Où l'air chaud peut être glacial
Où des millions de gens se connaissent si mal
Je t'envoie comme un papillon à une étoile
Quelques mots d'amour
Je t'envoie mes images
Je t'envoie mon décor
Je t'envoie mes sourires des jours où je me sens plus fort
Je t'envoie mes voyages
Quelques mots d'amour, Michel Berger.
[Sur les routes du Lyonnais-Dauphiné.]
"Ma Chère Lune, ... Ma Lune, ... Terwagne,..."
A droite, le Rhône. A gauche, l'ombre lointaine des monts. Au milieu, lui et ses hésitations épistolaires.
Un vent chaud soufflait ce jour là, l'enveloppant de la poussière des chemins de traverse qu'il empruntait pour gagner Valence.
"Ma Douce Terwagne, ... Mon amour, ... "
Sa monture éternua. Kernos secoua la tête... Non, cela ne lui convenait pas du tout.
Le plus dur dans une lettre, c'est de commencer, de trouver l'accroche, la racine sur laquelle s'appuyer pour que les mots jaillissent comme source vive. C'était toujours cela qui lui posait difficulté.Trouver les bons mots, les mots justes qui n'exprimaient pas seulement ce qu'il voulait dire, mais seraient le manifeste de ses sentiments, leur essence-même.
Il ne voulait pas tracer des lettres figées qui emprisonneraient sur le vélin ses émotions, ses peurs et ses espérances, les rendraient banales, vides à lire. Des mots que les yeux voient, mais pas le coeur. Or, lui voulait aller au-delà, dans un langage qui aurait du geste, une présence physique, une sorte de pureté et d'essentiel qui transcenderaient les écrits pour toucher l'âme de celle qui le lirait.
Il voulait une lettre vivante. Pas seulement un reflet, un instantané statufié. Quelque chose qu'elle pourrait sentir, toucher comme s'il s'agissait de lui-même. Il ne voulait pas écrire une lettre, il voulait s'écrire, lui.
S'il avait été poète ou troubadour, sans doute cela aurait été plus simple. Mais il n'était qu'un vieil homme d'armes, un peu diplomate, un peu politicien, un cavalier solitaire errant sur les chemins de terre bordant le Rhône, aussi gris que l'était sa monture. Il soupira.
Comment dire je t'aime avec des mots?
Comment exprimer la déchirure de l'absence et de l'éloignement?
Comment traduire ce débordant besoin de l'autre, de sa simple présence charnelle?
Cette destructrice envie d'être au complet à nouveau?
Il fit faire un écart à son palefroi et gagna les rives du fleuve. Ses bottes s'enfoncèrent légèrement dans la terre humide tandis qu'il guidait Grayswandir de quelques pas dans les eaux turbulentes. Le cheval commença à s'abreuver et le cavalier ôta son gambison poussiéreux puis sa chemise avant d'aller s'immerger un peu plus profondément.
Il se laissa remonter, flottant légèrement à la surface, les yeux perdus dans les nuages, comme lorsqu'il était enfant. Le ciel était plus bleu et l'eau moins fraîche que celle de la Seine. Il était bien et resta quelques instants ainsi, à dériver lentement dans ses pensées où se mêlaient souvenirs et présents. Qu'il aurait été doux de s'abandonner ainsi au fil de l'eau, de se laisser entraîner par les caprices du courant, loin de ses tourments, loin de cette terre qui s'étendait autour de lui et ne lui apportait qu'un surcroît d'amertume... Loin, loin de lui-même.
Ô Drac, vient donc m'emporter dans ton palais abyssal!
Un éclat de rire lui secoua les poumons. Comme si le démon du fleuve avait besoin de lui... il n'était point lavandière. Quelques mouvement de brasse et il alla s'ébrouer sur la terre ferme. Il avait mieux à faire que d'en appeler à la fin. Encore une journée de chevauchée et il pourrait enfin s'atteler à cette lettre qui lui tenait tant à coeur.
Grayswandir le rejoignit après un léger sifflement. Kernos lui flatta l'encolure et se remit en selle après avoir renoué son baudrier et enfilé ses frusques humides.
Cavalier et monture s'éloignèrent du rivage, centaure ruisselant regagnant les chemins de poussières. Kernos accorda un dernier regard au fleuve scintillant, puis reprit ses réflexions.
"Ma Lune,
Silence et absence sont devenus trop aiguisés pour que je puisse en supporter d'avantage la morsure..."
_________________