Judas
Arrivée par erreur...
Bien adressée, malheur!
Ecrite de vive main
Rose scellée du matin
J'aurais dû cette lettre
Ne pas l'ouvrir peut être...*
Pont de la Cardabella.
Judas se tient debout, dans le langoureux et timide tangage de la Loire, les mains cuirassées jointes et les coudes reposés sur un tas de cordages aux noeuds savants qui semblent hésiter entre le plancher du pont et le vertige par dessus. Le ballotin de cordes dures semble jaillir du navire comme une gerbe grise qui laisserait ses extrémités caresser le fil fluvial, retenu comme les hanches d'une danseuse par la grâce d'une ligne de voile . La journée meurt, le bateau qui les mènera lui et son amante jusqu'en Anjou laisse derrière lui le léger sillon d'une avancée lente et bercée par la platitude de l'eau. L'homme regarde les rives douces aux rares badauds qui rentrent en leur chaumières, c'est une fin de printemps de bon augure, malgré le pli contrarié ou soucieux qui a fait son chemin sur le front du Frayner.
Anaon est là, quelque part sous la coque de noix, malade de sentir ses pas avancer sur l'insaisissable. Le mal de l'eau appelle-t-on cela, et ce n'est pas ce qui vient troubler le voyage des amants vers les contrées barbares, ni ce qui dessine a Judas une ombre dans l'oeil. Un croc à la rétine. Un élan de faiblesse, une crainte. Car Judas craint, comme tout homme, et sa faiblesse a des seins et des yeux durs, une peau marquée et des gestes doux, quand elle le veut.
Dans sa cabine, sous leur paillasse, dort une missive reçu le jour où l'embarquée a pris le large. Une de celle qu'il ne fait pas bon lire, ni raconter, une qui gâche une journée ou un voyage, qui donne la nausée ou la colère, qui insurge et qui enrage. Une qui leurre, qui vous fait croire qu'elle est futile; qui pourtant ne l'est pas. Et Judas n'est qu'un homme qui n'aime pas ce genre d'enjeu, tout ce qui en découle est tout ce qu'il ne veut. La faiblesse s'est faite papier, vélin a demi crayonné, mot aisément couchés qu'il va falloir partager. Car les garder ne servirait à rien, a trop cacher on perd beaucoup, d'oubli ou de désarroi il faut apprendre à ordonner... Ordonner. Ordonner comme on classe sagement sa vie car c'est l'usage. Ordonner comme on exige et fait ployer sous le chantage. Chantage de femme. Parole volée d'un serment bien prononcé. Il ne faut pas mésestimer la lâcheté d'un homme.
Ha! Si j'étais un homme... J'épargnerais ta peine.
L'homme qui d'ailleurs n'est plus sur le plancher humide ou s'éparpillent les lichens légers, et qui s'est défait de la poupe d'un pas d'animal allant à la mort. Il a ôté ses gants comme avant une partie de carte difficile et a ravalé toutes ses excuses sans queues ni tête, se concentrant sur la stricte vérité: Il allait se marier. Ho, il le savait depuis longtemps. Il était au courant des desseins de sa suzeraine à son égard depuis l'octroi de Courceriers... D'où le temps passé loin de Petit Bolchen, où il était presque une vieille pierre facile à aller chercher. D'où ses prétextes pour courir le duché, l'armée, puis en sortir en silence, pour aller dieu sait où. En Bretagne par exemple. Mais les coursiers de la Mainoise n'avaient pas laissé l'oiseau s'envoler sans le tracer avec méthode. Et lorsque icelui s'était voulu poisson, prêt à sauter dans la première vague en partance venue... Ils l'avaient ferré.
Repousser, repousser... Il repoussa la porte de l'Anaon, à défaut de pouvoir repousser encore l'échéance de son aveu. Le corps étendu qui s'offrit à sa vue le figea sur place, ses mots semblèrent s'envoler, et ses résolutions aussi.
Non, il ne faut pas mésestimer la lâcheté d'un homme.
Ni la colère d'une femme qui dort sur ses braises...
[ I follow you deep sea baby
I follow you, dark doom honey
I follow you
He a message, I'm the runner. **]
* La lettre, revisitée de Ronan Luce
** Je te suis en haute mer bébé
Je te suis, destin noir chéri
Je te suis
Il est un message, je suis le coureur.
_________________
Nous sommes les folles plumes des inspirations sans règles... Entrez dans la danse.
Bien adressée, malheur!
Ecrite de vive main
Rose scellée du matin
J'aurais dû cette lettre
Ne pas l'ouvrir peut être...*
Pont de la Cardabella.
Judas se tient debout, dans le langoureux et timide tangage de la Loire, les mains cuirassées jointes et les coudes reposés sur un tas de cordages aux noeuds savants qui semblent hésiter entre le plancher du pont et le vertige par dessus. Le ballotin de cordes dures semble jaillir du navire comme une gerbe grise qui laisserait ses extrémités caresser le fil fluvial, retenu comme les hanches d'une danseuse par la grâce d'une ligne de voile . La journée meurt, le bateau qui les mènera lui et son amante jusqu'en Anjou laisse derrière lui le léger sillon d'une avancée lente et bercée par la platitude de l'eau. L'homme regarde les rives douces aux rares badauds qui rentrent en leur chaumières, c'est une fin de printemps de bon augure, malgré le pli contrarié ou soucieux qui a fait son chemin sur le front du Frayner.
Anaon est là, quelque part sous la coque de noix, malade de sentir ses pas avancer sur l'insaisissable. Le mal de l'eau appelle-t-on cela, et ce n'est pas ce qui vient troubler le voyage des amants vers les contrées barbares, ni ce qui dessine a Judas une ombre dans l'oeil. Un croc à la rétine. Un élan de faiblesse, une crainte. Car Judas craint, comme tout homme, et sa faiblesse a des seins et des yeux durs, une peau marquée et des gestes doux, quand elle le veut.
Dans sa cabine, sous leur paillasse, dort une missive reçu le jour où l'embarquée a pris le large. Une de celle qu'il ne fait pas bon lire, ni raconter, une qui gâche une journée ou un voyage, qui donne la nausée ou la colère, qui insurge et qui enrage. Une qui leurre, qui vous fait croire qu'elle est futile; qui pourtant ne l'est pas. Et Judas n'est qu'un homme qui n'aime pas ce genre d'enjeu, tout ce qui en découle est tout ce qu'il ne veut. La faiblesse s'est faite papier, vélin a demi crayonné, mot aisément couchés qu'il va falloir partager. Car les garder ne servirait à rien, a trop cacher on perd beaucoup, d'oubli ou de désarroi il faut apprendre à ordonner... Ordonner. Ordonner comme on classe sagement sa vie car c'est l'usage. Ordonner comme on exige et fait ployer sous le chantage. Chantage de femme. Parole volée d'un serment bien prononcé. Il ne faut pas mésestimer la lâcheté d'un homme.
Ha! Si j'étais un homme... J'épargnerais ta peine.
L'homme qui d'ailleurs n'est plus sur le plancher humide ou s'éparpillent les lichens légers, et qui s'est défait de la poupe d'un pas d'animal allant à la mort. Il a ôté ses gants comme avant une partie de carte difficile et a ravalé toutes ses excuses sans queues ni tête, se concentrant sur la stricte vérité: Il allait se marier. Ho, il le savait depuis longtemps. Il était au courant des desseins de sa suzeraine à son égard depuis l'octroi de Courceriers... D'où le temps passé loin de Petit Bolchen, où il était presque une vieille pierre facile à aller chercher. D'où ses prétextes pour courir le duché, l'armée, puis en sortir en silence, pour aller dieu sait où. En Bretagne par exemple. Mais les coursiers de la Mainoise n'avaient pas laissé l'oiseau s'envoler sans le tracer avec méthode. Et lorsque icelui s'était voulu poisson, prêt à sauter dans la première vague en partance venue... Ils l'avaient ferré.
Repousser, repousser... Il repoussa la porte de l'Anaon, à défaut de pouvoir repousser encore l'échéance de son aveu. Le corps étendu qui s'offrit à sa vue le figea sur place, ses mots semblèrent s'envoler, et ses résolutions aussi.
Non, il ne faut pas mésestimer la lâcheté d'un homme.
Ni la colère d'une femme qui dort sur ses braises...
[ I follow you deep sea baby
I follow you, dark doom honey
I follow you
He a message, I'm the runner. **]
* La lettre, revisitée de Ronan Luce
** Je te suis en haute mer bébé
Je te suis, destin noir chéri
Je te suis
Il est un message, je suis le coureur.
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Nous sommes les folles plumes des inspirations sans règles... Entrez dans la danse.