Rosalinde
- Résister à la douleur.
Citation:
Anne, ma sur, mon unique amie,
A très vite,
Ta Rosa.
PS : Brûle cette lettre !
Anne, ma sur, mon unique amie,
- Comment te portes-tu, cher ange ? Et ton fils, va-t-il bien ? As-tu reçu la bourse que je t'ai fait parvenir le mois dernier ?
Pardonne-moi, je t'assaille de questions. Ma bonne éducation s'évapore quand je suis avec toi, tu le sais bien. Tu es bien la seule avec qui je puis être naturelle, être moi, Rose, la fille de Léonie, et non simplement l'Oeil de Petit Bolchen...
T'ai-je dit ? Depuis que je suis en Bourgogne, je suis entrée au service de Judas von Frayner. Un bien singulier personnage. Pas très beau, en vérité, et la relation qu'il peut entretenir avec les femmes, ses femmes, te distrairait sans doute beaucoup. Je crois que j'ai à apprendre à l'observer diligenter son petit monde. Sais-tu, il a trois esclaves à sa solde, dont deux sont complètement dépendantes de lui... La soumission incarnée. Tu sais, c'est comme si... Comme si elles tombaient irrémédiablement et éperdument... Non, je ne peux pas dire amoureuses, à ce stade, ce n'est plus de l'amour. Sans lui, elles ne vivraient pas, et ne vivent que pour lui. Si bien que tout le reste leur échappe. Et puis, il y a la petite Eléonore, trop jeune encore je crois pour attirer la convoitise du Maître. En plus de cela, je lui ai connu deux maîtresses récurrentes, mais l'une est partie, il est en route pour la Bretagne avec la seconde. Sans compter toutes les catins et femelles d'un soir... Même moi ! Bon, cela ne t'étonnera guère, et à vrai dire je pourrais même entendre ton joli rire, lorsque tes yeux se poseront sur cette phrase. Mais, pour ma défense, j'étais ivre ! Il en a bien profité ! Mais je n'aurai pas du, depuis, il ne m'offre plus rien, c'est ennuyeux... Je n'ai plus rien à me mettre.
C'est que, vois-tu, j'avais bien dépensé ma dernière solde pour m'acheter une robe, et Judas m'en avait également offert une, mais cette nuit nous sommes tombés dans une embuscade alors que nous tentions de rallier Cosne depuis Nevers, je ne sais d'ailleurs pourquoi, et je suis tellement en colère que je compte bien aller demander audience au Palais des Ducs de Bourgogne, afin d'obtenir une explication. Je suis dans un état... Mon dieu, une vraie épave, heureusement mon poignet gauche a été épargné, je peux toujours t'écrire ! Mais mon visage ressemble à un champ de bataille... J'avais déjà un sourcil abîmé, suite à une bagarre épique avec un fou furieux que je ne connaissais ni d'Eve ni d'Adam, et qui m'a coûté ma robe à nouettes bleue (celle offerte par Judas), mais en plus de cela à présent nous pouvons y ajouter une lèvre fendue, un oeil au beurre noire, et une pommette toute tuméfiée... Et cela rien que pour le visage. Pour le reste, j'ai à déplorer un poignet cassé, une cheville tordue si fort que je ne peux plus la poser contre terre, et des bleus partout. Peut-être même dans des endroits dont je ne soupçonnais même pas l'existence, bien que... Je crois que mon corps a déjà été exploré sous tous ses aspects, et si ce n'est par moi... Sans doute par mon dernier amant en date.
Il s'appelle Finn. Irlandais. Et moine. Tu me connais, j'ai un faible pour les hommes d'église. Enfin, plutôt facile à séduire pour un clerc, s'il en est réellement un... D'après ce que j'ai pu entendre ça ou là, il n'a pas partagé que ma couche, récemment. Mais il est doué ! Je te le présenterai, lors de mon baptême, car il sera mon parrain. Pas touche, n'est-ce pas ? Je te l'aurais bien prêté, à vrai dire, mais tu sais... J'ai peur qu'il te préfère définitivement à moi ! Il faudra que tu fasses attention à ne pas trop jouer les Lady Clarisse, apparemment Anglois et Irlandais sont rivaux depuis la nuit des temps... Quoique, une bagarre mettrait sans doute de l'animation à la cérémonie ! En parlant de cela, tu vas rire encore quand tu me verras arriver, j'ai promis à Finn que pour mon baptême je ne porterai que la chainse qu'il m'a offert. L'indécence qui va faire hurler Judas ! Seigneur, j'ai hâte d'y être !
Mais voilà qu'hélas j'en arrive au bas de mon vélin...
Ma chère Anne, je t'embrasse comme je t'aime.
A très vite,
Ta Rosa.
PS : Brûle cette lettre !