Ingeburge
[Vendredi, Auxerre**]
Dès potron-minet, ses paupières s'étaient relevées, offrant au plafond d'étoffe précieuse le vide de ses prunelles pâles. Ceux-ci avaient erré du dais aux courtines coupées dans le même tissu et qui entouraient hermétiquement la large couche sur laquelle elle était allongée, bien au chaud sous un amoncellement de couvertures sommées d'une moelleuse courtepointe. C'était chaque jour le même rituel, où qu'elle se trouvât, elle ouvrait invariablement les yeux avec le lever du soleil, profitait de ces quelques secondes entre assoupissement et prise de conscience puis finissait par se glisser hors de son lit. Et comme chaque jour, elle s'était agenouillée, les coudes appuyés sur le matelas rembourré de plumes afin de rendre grâce puis était allée ouvrir la porte de sa chambre, pour que ses servantes pussent s'occuper de sa toilette. Une légère collation accompagnée d'une tisane faite de avaient suivi l'habillage et le coiffage. Puisqu'il s'agissait d'avaler une bonne et grosse centaine de lieues en quelques jours, le dressage s'était fait pratique : chainse safran lacée sur les flancs, cottardie de taffetas noir au col rond et aux manches collantes, hautes chausses, suières de cuir souple, chevelure partagée en deux tresses serrées, voile de mollequin court retenu par un simple bandeau d'orfèvrerie. Son repas matutinal achevé, elle était passée dans son oratoire privé, afin de s'abîmer dans un nouveau temps de dévotion, son départ de l'église n'avait pas changé ses habitudes de prière, il les avait même renforcées. Puis, elle était descendue dans l'Aula Magna, afin de rencontrer ceux des officiers de son hôtel qui resteraient à Auxerre, afin de régler les dernières affaires et de transmettre les ultimes consignes.
Maintenant, l'office de tierce passé d'une bonne heure***, elle se tenait dans la cour du château, son lourd et épais manteau de voyage sur les épaules, ses gants de peau à la main. Elle avait pris place sous l'arbre de justice, un orme qui étendait sa majestueuse ramée et de là, avantageusement placée, elle observait l'avancée des préparatifs tout en jetant de temps à autre un coup dil vers la base de la Tour Gaillarde. De lourdes malles, des coffres pleins, des tapisseries roulées, des meubles drapés dans des chutes de tissu, des sacs de cuir, des paniers, des corbeilles, des barriques, un baquet avaient été descendus et étaient maintenant chargés par les valets sur des chariots. Le coche armorié dans lequel la dame des lieux prendrait place avait été lui aussi avancé et deux chambrières s'occupaient d'en organiser l'intérieur pour le confort de leur maîtresse. Il y avait tant de voitures que l'intérieur du mur qui ceinturait le château n'y suffisait pas. Ainsi, le portail de bois qui fermait le rempart était largement ouvert afin de mettre au-dehors le trop-plein de véhicules et les Morvandiaux du châtelet de garde se montraient vigilants, afin que nul intrus ne pénétrât dans l'enceinte du castel. Ils se trouvaient là aussi pour contrôler les entrants signalés par la duchesse d'Auxerre, ceux qui l'accompagneraient dans son périple la menant au sud du Royaume de France, plusieurs personnes étaient ainsi attendues. Le brouhaha était extraordinaire, fait de piaffements de chevaux, d'invectives de la valetaille, du grincement des chariots s'alourdissant de minute en minute, des rires des servantes, des récriminations des Morvandiaux repoussant les curieux mais aussi, très assourdi, le cliquetis des chaînes entravant les quelques pensionnaires des geôles de la duchesse. Ingeburge, malgré cette fureur et cette euphorie propres aux départs, n'était nullement troublée, elle arborait son habituel air impavide, supervisant tout sans avoir l'air d'y toucher; voyager était routinier, répétitif, elle avait débuté bien jeune et elle était désormais rompue à l'exercice. Plus d'approximation, plus d'improvisation, chacun à sa place et chacun à sa tâche. Néanmoins, les domestiques venaient parfois à elle, afin de lui poser des questions ou vérifier un ordre et elle répondait tranquillement, sans se presser ni s'agacer.
Doucement mais industrieusement, l'heure du départ approchait.
[* Dans le sens, « on calte », pas dans le sens cas social.^^
** ville IG la plus proche : Tonnerre, à une quarantaine de kilomètres
*** Tierce : neuf heures]
_________________
Dès potron-minet, ses paupières s'étaient relevées, offrant au plafond d'étoffe précieuse le vide de ses prunelles pâles. Ceux-ci avaient erré du dais aux courtines coupées dans le même tissu et qui entouraient hermétiquement la large couche sur laquelle elle était allongée, bien au chaud sous un amoncellement de couvertures sommées d'une moelleuse courtepointe. C'était chaque jour le même rituel, où qu'elle se trouvât, elle ouvrait invariablement les yeux avec le lever du soleil, profitait de ces quelques secondes entre assoupissement et prise de conscience puis finissait par se glisser hors de son lit. Et comme chaque jour, elle s'était agenouillée, les coudes appuyés sur le matelas rembourré de plumes afin de rendre grâce puis était allée ouvrir la porte de sa chambre, pour que ses servantes pussent s'occuper de sa toilette. Une légère collation accompagnée d'une tisane faite de avaient suivi l'habillage et le coiffage. Puisqu'il s'agissait d'avaler une bonne et grosse centaine de lieues en quelques jours, le dressage s'était fait pratique : chainse safran lacée sur les flancs, cottardie de taffetas noir au col rond et aux manches collantes, hautes chausses, suières de cuir souple, chevelure partagée en deux tresses serrées, voile de mollequin court retenu par un simple bandeau d'orfèvrerie. Son repas matutinal achevé, elle était passée dans son oratoire privé, afin de s'abîmer dans un nouveau temps de dévotion, son départ de l'église n'avait pas changé ses habitudes de prière, il les avait même renforcées. Puis, elle était descendue dans l'Aula Magna, afin de rencontrer ceux des officiers de son hôtel qui resteraient à Auxerre, afin de régler les dernières affaires et de transmettre les ultimes consignes.
Maintenant, l'office de tierce passé d'une bonne heure***, elle se tenait dans la cour du château, son lourd et épais manteau de voyage sur les épaules, ses gants de peau à la main. Elle avait pris place sous l'arbre de justice, un orme qui étendait sa majestueuse ramée et de là, avantageusement placée, elle observait l'avancée des préparatifs tout en jetant de temps à autre un coup dil vers la base de la Tour Gaillarde. De lourdes malles, des coffres pleins, des tapisseries roulées, des meubles drapés dans des chutes de tissu, des sacs de cuir, des paniers, des corbeilles, des barriques, un baquet avaient été descendus et étaient maintenant chargés par les valets sur des chariots. Le coche armorié dans lequel la dame des lieux prendrait place avait été lui aussi avancé et deux chambrières s'occupaient d'en organiser l'intérieur pour le confort de leur maîtresse. Il y avait tant de voitures que l'intérieur du mur qui ceinturait le château n'y suffisait pas. Ainsi, le portail de bois qui fermait le rempart était largement ouvert afin de mettre au-dehors le trop-plein de véhicules et les Morvandiaux du châtelet de garde se montraient vigilants, afin que nul intrus ne pénétrât dans l'enceinte du castel. Ils se trouvaient là aussi pour contrôler les entrants signalés par la duchesse d'Auxerre, ceux qui l'accompagneraient dans son périple la menant au sud du Royaume de France, plusieurs personnes étaient ainsi attendues. Le brouhaha était extraordinaire, fait de piaffements de chevaux, d'invectives de la valetaille, du grincement des chariots s'alourdissant de minute en minute, des rires des servantes, des récriminations des Morvandiaux repoussant les curieux mais aussi, très assourdi, le cliquetis des chaînes entravant les quelques pensionnaires des geôles de la duchesse. Ingeburge, malgré cette fureur et cette euphorie propres aux départs, n'était nullement troublée, elle arborait son habituel air impavide, supervisant tout sans avoir l'air d'y toucher; voyager était routinier, répétitif, elle avait débuté bien jeune et elle était désormais rompue à l'exercice. Plus d'approximation, plus d'improvisation, chacun à sa place et chacun à sa tâche. Néanmoins, les domestiques venaient parfois à elle, afin de lui poser des questions ou vérifier un ordre et elle répondait tranquillement, sans se presser ni s'agacer.
Doucement mais industrieusement, l'heure du départ approchait.
[* Dans le sens, « on calte », pas dans le sens cas social.^^
** ville IG la plus proche : Tonnerre, à une quarantaine de kilomètres
*** Tierce : neuf heures]
_________________