Luisa.von.frayner
La tristesse...
Était-ce la première fois que Luisa éprouvait de la tristesse ? Certainement, oui. Oh, elle en avait connues, des colères, des déceptions, lorsqu'elle n'avait pas reçu la robe qu'elle avait tant désiré, ou lorsqu'on lui avait refusé le cheval dont elle avait tant rêvé. Elle avait aussi été triste d'apprendre que sa marraine et Ersinn n'étaient plus amoureux, triste pour Violette qui ne pourrait pas entrer au Collège Saint-Louis, pour Elendra dont la mère s'était récemment envolée, triste de ne plus avoir aucun signe de vie de la part de Siptah, triste de penser qu'elle n'allait pas revoir tous ceux qu'elle considérait comme ses amis en Lorraine comme en Franche-Comté pour aller rejoindre ses parents loin dans le Sud. Mais aucune de ces tristesses, finalement, ne la touchait autant que celle dont elle était aujourd'hui victime. Jamais, elle ne s'était sentie perdre une partie d'elle-même.
Elle qui avait pourtant l'habitude d'être tant aimée, tant soutenue, éprouvait pour la première fois un sentiment d'abandon qui s'accroissait à mesure qu'elle sentait l'amour de sa marraine pour elle disparaître. Qu'était-elle, sans cet amour ? Que deviendrait-elle sans avoir le modèle, l'idéal que représentait Héloise Marie pour elle ? En un jour, elle avait rendu toute sa splendeur, ses rires et son humour pour ne garder de ses habitudes que les froncements de sourcils et plissements de nez.
Aujourd'hui, elle n'était plus le centre de l'attention de la femme qu'elle admirait le plus après sa mère. Aujourd'hui, elle était devenue seule.
Si encore il n'eut pas fallu ajouter la colère qu'elle avait commencé d'éprouver pour l'ami qui était à l'origine de son malheur ! Quand comprendrait-elle l'amour ? Le lui permettrait-on, un jour, ou s'abstiendrait-on à lui en expliquer qu'une infime partie en surface ?
Envahie par un mélange indigeste de tristesse, de colère et de honte, elle avait opté pour ne montrer que sa colère. La tristesse viendrait quand on gratterait un peu sous la colère, une fois qu'on l'aurait remarquée, et du reste, elle la gardait en elle. La honte, elle préférait ne pas la voir et faire mine de l'oublier. Et puis, à sept ans, a-t-on vraiment conscience de la honte qu'on peut avoir ? Honte d'en vouloir à ses amis, honte de cet égoïsme dont elle faisait preuve. Non, décidément, elle n'était pas en mesure de mettre un mot sur ce sentiment, ni même de le remarquer.
Menée par sa colère, donc, elle s'était enfuie du couple blessant pour retrouver Hayange et sa chambre où elle avait ouvert, brusquement entre deux cris de rage, son Rosifiage où, après y avoir déversé à plusieurs reprises ses joies et ses caprices, elle donna une place à la tristesse.
Une fois sa tristesse déversée, la colère put reprendre le dessus, et c'est le pauvre livre qui en subit la première conséquence en volant à l'autre bout de la pièce.
Gros, gros, gros froncement de sourcils qui présage de mauvaises rides prématurées.
Non, mais vraiment, quoi, faut pas déconner avec la souffrance et la tristesse...Et ça, Luisa en avait maintenant bien conscience. Il n'y avait qu'un moyen pour qu'Héloise, à son tour, s'en rendre compte ! Ouaaais, l'idée du siècle qui fait briller les yeux ! De rage, de malice, de vengeance, ce que vous voulez mais en tout cas, ça fait briller les yeux. Il fallait lui faire peur, l'inquiéter, lui faire remarquer l'existence de sa filleule ! Une fois que la marraine se rendrait compte de l'absence prématurée de sa filleule, elle commencerait certainement à paniquer et à culpabiliser, et ça, même si c'était pas bon du tout, Luisa le voulait.
Elle embarqua donc quelques poignées d'écus qu'elle casa dans une bourse, dans les deux cents, ça devrait suffire pour pouvoir se nourrir jusqu'à la langue d'Oc, ou en tout cas jusqu'à Dole ! Le reste, son frère le lui amènerait dans quatre jours, une fois qu'elle serait rendue à la capitale comtoise, il ne servait à rien de s'encombrer, surtout si elle était seule pour le trajet - quelle idée. Elle prépara tout de même encore un paquet contenant ses tous nouveaux vêtements, et prévoyant de faire le chemin à cheval, s'empressa d'aller enfiler sa nouvelle tenue de cavalière. Petite hésitation en se rappelant qu'il s'agissait d'un cadeau d'Ersinn, et que finalement, elle lui en voulait autant qu'à Héloise...Mais tout compte fait, ce serait encore mieux si on la retrouverait morte dans les habits offerts par Ersinn ! Tous deux doubleraient de culpabilité !
Bourse en poche, elle se précipita alors aux écuries où avait été préparé le seul et unique cheval qui résidait encore à Hayange : Cobalt. Cadeau de Noa, le cheval était nain et albinos. Soit, il était un peu plus petit qu'à la normale et ses poils étaient blancs, presque rose clair - à moins que ce soit sa peau que l'on voit à travers les poils - à certains endroits comme la tête. Ses yeux étaient d'un bleu clair qui lui donnaient un effet très étrange. Une perle rare !, avait dit Noa. Et Luisa était bien décidée à le croire et à le traiter en tant que tel.
Elle ne savait pas monter plus que ça, que elle avait reçu les bases par habitude de s'accrocher à son frère aîné lors des balades de celui-ci. Et puis ces derniers jours, elle s'était bien couverte dhématomes pour se perfectionner dans cet art, alors elle la maîtrise qu'elle en avait pouvait déjà être qualifiée d'acceptable.
Et on vérifie que la bourse est toujours en place dans la poche, et on se hisse sur le cheval - plus facile, sur un nain -, on ne prend même pas la peine de dire merci et au revoir ou à Dieu à Robert et à Simone -impertinente jeunesse ! - et on part à l'aventure, on prend le chemin de l'insouciance et de l'insolence...
Bientôt, Hayange ne devient qu'un château de sable en pierre dont on n'aperçoit plus que les fenêtres illuminées, puis un petit, petit, petit point, et la Lorraine s'éloigne au rythme des sabots, alors que bientôt, la jeune von Frayner, brillante de colère sur son cheval nain, apercevra les premières lumières de Luxeuil...Ou pas.
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Était-ce la première fois que Luisa éprouvait de la tristesse ? Certainement, oui. Oh, elle en avait connues, des colères, des déceptions, lorsqu'elle n'avait pas reçu la robe qu'elle avait tant désiré, ou lorsqu'on lui avait refusé le cheval dont elle avait tant rêvé. Elle avait aussi été triste d'apprendre que sa marraine et Ersinn n'étaient plus amoureux, triste pour Violette qui ne pourrait pas entrer au Collège Saint-Louis, pour Elendra dont la mère s'était récemment envolée, triste de ne plus avoir aucun signe de vie de la part de Siptah, triste de penser qu'elle n'allait pas revoir tous ceux qu'elle considérait comme ses amis en Lorraine comme en Franche-Comté pour aller rejoindre ses parents loin dans le Sud. Mais aucune de ces tristesses, finalement, ne la touchait autant que celle dont elle était aujourd'hui victime. Jamais, elle ne s'était sentie perdre une partie d'elle-même.
Elle qui avait pourtant l'habitude d'être tant aimée, tant soutenue, éprouvait pour la première fois un sentiment d'abandon qui s'accroissait à mesure qu'elle sentait l'amour de sa marraine pour elle disparaître. Qu'était-elle, sans cet amour ? Que deviendrait-elle sans avoir le modèle, l'idéal que représentait Héloise Marie pour elle ? En un jour, elle avait rendu toute sa splendeur, ses rires et son humour pour ne garder de ses habitudes que les froncements de sourcils et plissements de nez.
Aujourd'hui, elle n'était plus le centre de l'attention de la femme qu'elle admirait le plus après sa mère. Aujourd'hui, elle était devenue seule.
Si encore il n'eut pas fallu ajouter la colère qu'elle avait commencé d'éprouver pour l'ami qui était à l'origine de son malheur ! Quand comprendrait-elle l'amour ? Le lui permettrait-on, un jour, ou s'abstiendrait-on à lui en expliquer qu'une infime partie en surface ?
Envahie par un mélange indigeste de tristesse, de colère et de honte, elle avait opté pour ne montrer que sa colère. La tristesse viendrait quand on gratterait un peu sous la colère, une fois qu'on l'aurait remarquée, et du reste, elle la gardait en elle. La honte, elle préférait ne pas la voir et faire mine de l'oublier. Et puis, à sept ans, a-t-on vraiment conscience de la honte qu'on peut avoir ? Honte d'en vouloir à ses amis, honte de cet égoïsme dont elle faisait preuve. Non, décidément, elle n'était pas en mesure de mettre un mot sur ce sentiment, ni même de le remarquer.
Menée par sa colère, donc, elle s'était enfuie du couple blessant pour retrouver Hayange et sa chambre où elle avait ouvert, brusquement entre deux cris de rage, son Rosifiage où, après y avoir déversé à plusieurs reprises ses joies et ses caprices, elle donna une place à la tristesse.
Une fois sa tristesse déversée, la colère put reprendre le dessus, et c'est le pauvre livre qui en subit la première conséquence en volant à l'autre bout de la pièce.
- Z'LES DÉTESTE !! Ils sont...Ils sont...ÉGOÏSTES et...et...et DÉGOÛTANTS, et PUÉRILS, mmmMORTECOUILLE-COUILLE-COUILLE !
Zamais z'aurais dû dire ça, dans ma prière, que ze voulais qu'ils sont ramoureux !!
Puis non, Héloise est une menteuse, une MENTEUSE ! Elle s'en fisse, hein, que moi ze l'ai attendue plein de zours pour qu'on puisse partir ! Elle est viendue QUE pour Ersinn ! Et maintenant, elle s'en fisse de moi ! ELLE S'EN FISSE !!
Et ce sera bien fait, si z'me fais tuer à cause d'elle ! Au moins, z'espère qu'elle se sentira COUPABLE !
Gros, gros, gros froncement de sourcils qui présage de mauvaises rides prématurées.
Non, mais vraiment, quoi, faut pas déconner avec la souffrance et la tristesse...Et ça, Luisa en avait maintenant bien conscience. Il n'y avait qu'un moyen pour qu'Héloise, à son tour, s'en rendre compte ! Ouaaais, l'idée du siècle qui fait briller les yeux ! De rage, de malice, de vengeance, ce que vous voulez mais en tout cas, ça fait briller les yeux. Il fallait lui faire peur, l'inquiéter, lui faire remarquer l'existence de sa filleule ! Une fois que la marraine se rendrait compte de l'absence prématurée de sa filleule, elle commencerait certainement à paniquer et à culpabiliser, et ça, même si c'était pas bon du tout, Luisa le voulait.
- RO-BEEEEERT ! Il FAUT QUE VOUS N'ALLIEZ PRÉPARER COBAAAALT ! TOUT TOUT TOUT DE SUITE !
Elle embarqua donc quelques poignées d'écus qu'elle casa dans une bourse, dans les deux cents, ça devrait suffire pour pouvoir se nourrir jusqu'à la langue d'Oc, ou en tout cas jusqu'à Dole ! Le reste, son frère le lui amènerait dans quatre jours, une fois qu'elle serait rendue à la capitale comtoise, il ne servait à rien de s'encombrer, surtout si elle était seule pour le trajet - quelle idée. Elle prépara tout de même encore un paquet contenant ses tous nouveaux vêtements, et prévoyant de faire le chemin à cheval, s'empressa d'aller enfiler sa nouvelle tenue de cavalière. Petite hésitation en se rappelant qu'il s'agissait d'un cadeau d'Ersinn, et que finalement, elle lui en voulait autant qu'à Héloise...Mais tout compte fait, ce serait encore mieux si on la retrouverait morte dans les habits offerts par Ersinn ! Tous deux doubleraient de culpabilité !
Bourse en poche, elle se précipita alors aux écuries où avait été préparé le seul et unique cheval qui résidait encore à Hayange : Cobalt. Cadeau de Noa, le cheval était nain et albinos. Soit, il était un peu plus petit qu'à la normale et ses poils étaient blancs, presque rose clair - à moins que ce soit sa peau que l'on voit à travers les poils - à certains endroits comme la tête. Ses yeux étaient d'un bleu clair qui lui donnaient un effet très étrange. Une perle rare !, avait dit Noa. Et Luisa était bien décidée à le croire et à le traiter en tant que tel.
Elle ne savait pas monter plus que ça, que elle avait reçu les bases par habitude de s'accrocher à son frère aîné lors des balades de celui-ci. Et puis ces derniers jours, elle s'était bien couverte dhématomes pour se perfectionner dans cet art, alors elle la maîtrise qu'elle en avait pouvait déjà être qualifiée d'acceptable.
Et on vérifie que la bourse est toujours en place dans la poche, et on se hisse sur le cheval - plus facile, sur un nain -, on ne prend même pas la peine de dire merci et au revoir ou à Dieu à Robert et à Simone -impertinente jeunesse ! - et on part à l'aventure, on prend le chemin de l'insouciance et de l'insolence...
Bientôt, Hayange ne devient qu'un château de sable en pierre dont on n'aperçoit plus que les fenêtres illuminées, puis un petit, petit, petit point, et la Lorraine s'éloigne au rythme des sabots, alors que bientôt, la jeune von Frayner, brillante de colère sur son cheval nain, apercevra les premières lumières de Luxeuil...Ou pas.
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