Un rayon de soleil par la fenêtre, une douleur virulente, perçante à la poitrine, puis ses yeux, qui s'ouvrent lentement, qui s'ouvrent lourdement. Que s'est-il passé ? Un lieu inconnu, un homme endormi sur une chaise à côté du lit qui doit certainement être là pour le veiller, puis lui, torse nu, des bandages autour de la poitrine tachés d'une marque rougeâtre de sang coagulé... Que s'est-il passé ? Un souvenir rapide, le mot ''promis'' qui résonne dans sa tête, une sensation de picotement dans les cheveux et le cur lourd d'une inquiétude sans justification apparente... Mais que s'est-il passé ?!
Oui... oui ! Ça y est, ça lui reviens...
"Une missive, un rendez-vous... Mais avec qui ? ...Elle. Quand ? Impossible de se rappeler. Ou ? Au port. Et pourquoi ? ...Faire le point sur ses sentiments. Oui, ça y est, il se souvient: il veut lui parler de ses sentiments changeants, de sa prise de conscience quand à son amour pour elle, plus fraternel que passionnel, d'un protecteur plus que d'un amant. S'en suit une longue discussion pour la convaincre de la vérité, qu'il tiens à elle, lui dire qu'il prendra ses responsabilités vis-à-vis d'elle et de l'enfant, pour l'inviter à Rodez aussi longtemps que nécessaire afin de la soutenir, comme il s'est toujours attelé à le faire du mieux de ses capacités, dans cette épreuve nouvelle qu'il lui impose, et pour prendre soin de l'enfant. Puis... Puis une baignade dans l'eau du port ? Étrange, mais ça parait pourtant réel... Oui, il retire ses armes, Emeline s'éloigne du bord, puis il la suit, inquiet de ses intentions. La discussion continue dans l'eau, elle s'éloigne, il la suit, elle s'éloigne encore, il la suit... Puis ? Puis elle se rapproche du bord et sort de l'eau, lui en fait de même. Il récupère ses armes, et elle lui dit... ? Elle lui dit... ''N'oubliez jamais que les hommes jugent toujours plus que Dieu le feras''. Il ne comprend pas. Puis ''Nous avons rendez vous lui et moi''. Un rendez vous ? Avec Dieu ? Bon sang, ça y est !"
Il se redresse en sursaut, à peine réveillé pour sentir la peau de son ventre et de son dos s'écarter en deux directions opposées, tirant par la même sur les fils de ses points de sutures, et attrape l'homme à côté de lui par l'épaule pour le secouer:
Médicastre ?! Médicastre !!!
L'homme se réveille, pas plus calme que lui à l'instant, pour se voir harcelé d'une même question:
Depuis combien de temps je dors ? Depuis combien de temps !!! VITE !!!
Deux jours. Deux jours qu'il dors, alors que lui a rendez-vous au troisième, aujourd'hui. Emeline va se donner la mort aujourd'hui par sa faute ! Bon Dieu ! Il se lève dans un bond, faisant abstraction de la douleur pourtant encore insupportable à sa poitrine, et se dirige vers la porte, alors que l'homme essaie de le convaincre de rester. En vain. Il sort, pour se retrouver en plein cur de Toulouse qu'il reconnais. Son cheval... ? Son cheval !?! A coté de l'auberge ! Vite ! Il y va, pas vraiment en courant, plutôt dans un trot douloureux. A peine dix minutes pour y aller. Il le voit, s'en approche, et le monte aussitôt dans un cri de douleur alors que les fils dans son ventre semblent avoir craqués. La plaie ? Pas encore rouverte. Ouf, tant mieux ! Deux coups de talons dans les côtes de la bête, puis un galop entamé en direction des portes de la ville, et d'un couvent à la frontière du comté avec le Languedoc ! Cinq minutes, et les voilà franchies, non sans efforts alors que chaque bond que l'allure du cheval lui impose tire plus encore sur sa plaie. Tiendra ? Tiendra pas ? Ça mériterait un paris.
Il galope, torse nu, écrasé par le poids de la douleur et par la chaleur du soleil qui commencent à le faire suer. La bête ? Pas plus en forme que lui, elle halète, toujours plus fort à mesure que la fatigue se fait sentir. Et tant pis pour les mauvaises rencontres. Dans le pire des cas, il a toujours une lame secrète dans le pendentif nouvellement acquis qu'il porte au cou. Et en parlant de lame, se remémore pourquoi il est blessé...
"Un rendez vous avec Dieu, un suicide oui ! C'est ce qu'elle veut faire, ce qu'elle va faire, dans trois jours d'après ce qu'elle lui dit. Il veux la convaincre de ne pas le faire, lui prouver qu'aucune situation n'est sans espoir à qui se donne la chance de vivre pour la voir s'améliorer. Mais les mots sont inutiles. Alors il la prend dans ses bras, contre son gré au vu de la résistance qu'elle lui oppose, et serre son étreinte, suffisamment pour lempêcher de partir. Il lui parle, elle semble décidée. Non, résolue plutôt. Il lui demande de ne pas faire ça, elle, l'invite à la rejoindre dans trois jours, si il en a envie. Il veux lui faire promettre de ne pas se donner la mort, elle ne le fait pas, lui dit juste qu'elle l'attendra. Il insiste, lui demande de jurer qu'elle ne fera rien avant son arrivée, elle s'y refuse. Cinq minutes ainsi, puis dix, puis... Plus encore. En vain. Elle veut mourir, et compte le faire, peu importe ses mots, peu importe ses larmes qui coulent maintenant sur son visage alors qu'il prend conscience du mal qu'il a fait. Puis il réalise... Si elle doit mourir par sa faute, lui n'a plus le droit de vivre. Il la relâche, l'éloigne même de lui en la poussant légèrement, puis dégaine son épée. Une menace ? Non, la preuve de sa détermination, a atteindre son but, ou a payer pour ses pêchés. Elle s'éloigne, dos à lui. La pointe sur le torse, le genou à terre, et juste quelques mots de son côté: ''Nous vivons tous les deux, ou nous mourons tous les deux''. Elle se retourne, un bref échange s'en suit. Elle ne le crois pas, lui ne veut pas y croire. Elle se retourne, puis marche et..."
La route, encore de la route ! Ou est-ce ? Un regard à gauche, un autre à droite, et ainsi de suite pour trouver ce foutu couvent ! Bien 40 minutes qu'il voyage entre galop, pour y arriver, et marche, pour récupérer. Sale bête ! Aucune endurance ! Ou juste poussée à bout... Toujours rien à l'horizon. Juste sa respiration forte qui se mêle à celle du cheval, et sa plaie qui continue de se rouvrir a mesure que chaque fil lâche sous la pression. Foutu plaie ! Puis à nouveau, il pense aux évènements d'il y a deux jours. Enfin... Il n'y a plus grand chose à penser...
"Une douleur mortelle au ventre, ses yeux posés sur son épée qui lui traverse maintenant le torse, puis sur le sol, une main par terre aussi, juste à côté d'une marre de sang. Puis la douleur qui s'intensifie alors qu'il s'écroule sur le côté. Autour de lui des cris, Emeline certainement, puis le vent qui lui caresse la peau. Puis la douleur, encore la douleur qui la lui transperce alors qu'il sent l'épée lui être retirée ! Et des larmes qui coulent sur ses joues, les siennes, et pas seulement. Et une caresse dans les cheveux, puis une autre, et encore une autre. Il voit son visage, la reconnaît encore, lève difficilement la main, tremblante, pour s'emparer d'un pendentif qu'il a au cou, fait par le petit bout de femme sous ses yeux, alors qu'il veut prononcer son nom. "Em..." Puis plus rien. Des échos dans sa tête, de l'agitation autour de lui, ou peut-être simplement un rêve... ? Non... Une caresse dans les cheveux, suivit d'une autre et d'encore une ! Et la douleur au ventre, et des voix qu'il entend, dont une qu'il reconnaît... Et un mot: ''Promis''. Puis une phrase qui dit qu'il est sorti d'affaire. Mais pourquoi ? Et qui ? Impossible à dire. Il ouvre les yeux dans son inconscience, il ne la reconnaît pas mais elle est là, Emeline..."
Et voilà qu'il comprend tout. Elle l'a veillé, caressant sans cesse ses cheveux et répétant frénétiquement sa promesse de ne pas se tuer... Jusqu'à le savoir hors de danger du moins. D'ou la sensation de picotement au front et les inquiétudes de son cur au réveil. Quelle misère ! Et quel con ! Et... Bon Dieu, le couvent au loin ! Il était temps ! Courage Océan, plus que quelques centaines de mètres, courage mon corps, tu n'as pas encore gagné le repos éternel ! Heu... Oui, le couvent est là mais... Il serait pas un peu sur une falaise ce couvent ? Hé m**** ! Mais ça y est, ils arrivent ! Il tire violemment sur les rênes et descend de la bête, trop vite malheureusement. Il tombe sur le sol comme une feuille morte en automne. Enfin non, plus vite, et plus douloureusement. ''Crac'' ? Comment ça ''crac'' ? Pas le moment de se casser le poignet bon Dieu, y a déjà ton ventre qui sourit de travers ! Tiendra pas finalement. Et le dos ? Rien à signaler, les points de suture y sont encore. Ça fera ça de moins à celui qui devra le soigner. Un médecin, ou Dieu peut-être ? On va pas au paradis solaire avec les boyaux à l'air après tout si ? Enfin, ce sera plutôt l'enfer pour lui après tout, et pour le coup, les plaies ouvertes devraient faire plaisir au Sans-Nom qui y verra sûrement une source de décorations nouvelles pour son cou... Glurps ! On pense pas à ça, et on se reprend ! Il se relève, un bras sur sa plaie, l'autre pendant dans le vide, pas le temps de s'en occuper après tout. Et le cheval ? Pas attaché mais tant pis, il est trop fatigué pour partir. Les lourdes portes raisonnent alors qu'il donne coup sur coup pour qu'on vienne lui ouvrir. Et vite si possible ! Pas la force de crier pour accélérer les choses malheureusement. Mais les voilà qui s'ouvrent, quelle joie ! Enfin, on se comprend. Une tête de dépité qui le regarde les tripes à l'air, le corps suant, le poignet... Heu... L'est un peu pendant ce poignet non ? Bref ! Quelques mots pour s'expliquer et qu'on le laisse entrer. Sinon, il ira pas la force ! Enfin... On se comprend...
Emeline... ! Une jeune femme, quinze printemps... *suffoque* Brune, les yeux azures, maigre et pas très grande... Elle veut se tuer aujourd'hui ! Vite !
Une tête dépité ? Le mot est faible. Un morceau de viande ambulant qui vous dit que quelqu'un que vous avez accueillit il y a peu est venu vous voir pour se suicider alors qu'il tiens lui-même à peine debout... Vous réagiriez comment vous ? Il y a de quoi être surpris oui. Mais la femme devant lui semble avoir vécu de ces expériences qui vous endurcissent, et elle se remet vite de sa surprise et comprend la situation... A sa manière. Il entre, sans y avoir été invité, tant pis, il n'est plus à ça près. Elle, entame une course dans la grande cour derrière les portes et signale la présence d'un blessé grave à l'une de ses surs non loin, qui ne tarde pas a en rameuter d'autres pour s'occuper de ses plaies. Et en voilà trois devant lui, dont une un peu bourrue qui lui propose son épaule, lui disant de la suivre à l'infirmerie. Mais ce n'est pas le moment. Il les repousse, difficilement, plus vraiment de force ou de membres valides pour le faire correctement après tout...
Je... Je vous en prie... La falaise... Ou est la falaise !?!
Non non, ne rêve pas, tu ne passera pas. Mets toi à leur place après tout, elle ne savent pas ce qui se trame, juste que tu n'as pas l'air en forme... C'est de la gentillesse ! Heu... Gen ?
Écartez vous bon Dieu !!!
Jurer dans un lieu pareil ? Aie aie aie... Mais comment je vais rattraper ça moi... Bon, tant pis, comme dirait l'autre, ''allez la suite !''
Alors que les femmes sécartent de lui dans un moment de surprise en entendant son cri de colère, ou de désespoir, il s'engage dans le bâtiment, sans vraiment savoir ou aller. Il avance, s'enfonce plus avant dans le couvent, droit devant, pensant que, logiquement, bah la falaise est dans cette direction... Un long couloir à droite, un autre plus étroit à gauche, puis une porte ouverte contre laquelle il va poser son épaule et.... Splash ! Oh non, pas ''splash'' quand même ? Ben si... Petite marre de sang qui s'échappe de sa bouche pour terminer à ses pieds alors que son corps atteint ses limites et que sa vue se brouille. Pourtant la sortie est là, et en face... En face, Emeline, au bord de la falaise et... Et c'est qui ça, juste derrière elle ? Il plisse les yeux pour concentrer sa vue et reconnaître Gabrielle, l'amie de couvent d'Emeline. Comme quoi, le lieu doit leur rappeler quelques souvenirs... Mais pourquoi est-ce qu'elle est là surtout, lui qui les croyait disputées, ou plutôt loin d'être des amies après les évènements de Montpellier et... Eh m****, qu'est ce qu'elle fait Emeline à se pencher comme ça ?! Il se redresse, veut crier son nom pour la retenir mais rien ne sort, alors fait un pas en avant, puis un autre, et encore un jusqu'à atteindre un gros chêne en face de lui, probablement centenaire vu la taille de son tronc, et bien à une dizaine de mètres derrières les femmes, sur lequel il s'appuie un instant avant de s'écrouler au sol dans un soupir de soulagement, adossé contre celui-ci pendant que la scène se déroule dans son dos et que Gabrielle a déjà tiré en arrière et plaqué sur le sol Emeline. Comme quoi, elle pourrait bien être pardonnée elle aussi... Ou détestée, à voir, mais après tout il vaut toujours mieux l'être d'un vivant que de gagner le pardon d'un mort...
Le cur battant la chamade, le corps transpirant eau et sang, les yeux mis clos et a bout de force, reprend difficilement son souffle alors que sa main encore valide glisse à la plaie de son torse pour tâcher d'en contenir le sang. Espérant sa présence encore inconnue des femmes et à l'affût de ce qui se dit autour de lui, il sait qu'il n'y en aura pas pour longtemps avant que sa présence ne soit révélée, par le tapage qu'il a fait à l'entrée, ou simplement les traînées de sang qu'il a laissé un peu partout sur son chemin, et ainsi que les habitants des lieux ne tarderons pas à se regrouper. Alors, dans une douleur silencieuse, patiemment, il attend la suite des évènement, espérant qu'il n'aura pas à se relever pour intervenir à son tour et que le petit bout de femme sera mit à l'abri avant que ses yeux ne se referment complètement. Advienne que pourra après tout, lui peut bien mourir mais pas Emeline...