Actarius
Le nez, légèrement titillé par un halo lumineux, se retroussa légèrement, prêtant à cette moue encore endormie un ridicule certain. De ceux que l'on préférait garder secret, de ceux qui se confinaient à merveille dans une petite pièce. Le visage, racorni par les ans, retrouva rapidement de sa sérénité. Les yeux brillaient déjà de ce bleu argenté, qui se mariait à merveille avec sa chevelure de cendre, et fixaient les vitres épaisses de la fenêtre à meneaux. Au-delà de celles-ci se dessinait un ciel sans nuage, éclairé d'un astre aussi taquin que matinal et découpé par la toiture légèrement avancée de la bâtisse voisine. De la ruelle attenante grimpaient les échos d'une agitation naissante. La fourmillante Montpellier s'éveillait et avec elle l'Argentala, ainsi qu'on la surnommait, de l'hostel d'Euphor.
Rendue à l'activité par le retour inespéré du propriétaire, la vieille "maîtresse" de maison ne fut guère longue à ouvrir le vantail de la fenêtre et à humer cet air si particulier aux villes côtières qu'elle aimait tant. Un air encore pur d'une nuit désormais passée, frais et marin qui se remplirait bientôt des fragrances pas toujours agréables d'une cité en pleine ébullition. Au-dehors, les étals renaissaient à la vie petit à petit et se chargeaient de marchandises en tout genre. Les premiers cris d'agacement du grognon tisserand résonnaient avec une virulence que le temps ne semblait pouvoir adoucir. Et la marmaille de la bavarde lavandière se répandait déjà en coups tordus trahis par des glapissements aussi aigus que sonores. Ah ! Qu'elle aimait cela la servante sans âge. C'était son petit rituel, c'était son petit instant durant lequel elle se félicitait d'être encore sur pied et prête à affronter une nouvelle journée de labeur.
Celle-ci, comme les autres, commença par un tour dans les cuisines. Elle vérifiait les réserves, pensait le repas du jour et envoyait un commis au marché ou au port après une énième querelle. Car tout qualifié qu'il fut le maître queux l'exaspérait au plus haut point avec ses idées saugrenues. Mais qu'était-il passé par la tête du Vicomte pour faire venir un Gévaudanais au sud. Après cette première inspection, elle se dirigeait vers les chambres et autres pièces à vivre du propriétaire, veillant à ce que l'ordre y régnât, n'hésitant pas à dispenser quelques remontrances au passage.
S'en suivait la visite dans l'aile principale, là où se déployait la grande salle. L'espace n'y était pas si important, il demeurait sans commune mesure avec les grandes salles de châteaux ou même celle de l'hôtel de Clisson. Néanmoins, elle ne manquait de ce charme si fréquent dans l'architecture sud-languedocienne où la finesse du gothique ne pouvait se départir totalement de l'influence imposante de l'antique. Ainsi, retrouvait-on des colonnes plus grossières qui s'échappaient jusqu'aux plafonds pour se perdre en ogive peu marquée encore. Quelques coffres, des dressoirs à baldaquins ou des étagères, des bancs et quelques sièges constituaient l'essentiel du mobilier. L'apparat se résumait à quatre tapisseries soigneusement disposées sur la paroi découpée par une modeste cheminée. Le coeur de la pièce était naturellement dégagé pour les repas, lorsqu'on devait emmener tréteaux et lourdes planches pour dresser la table. La grande pièce ouvrait sur une antichambre et deux couloirs. La première se développait à l'angle et se prolongeait sur l'aile droite, là où se trouvait l'entrée principale. Le deuxième tendait vers l'aile gauche là où se situaient cuisine et dépendances et à l'étage, le logis de la valetaille. Le troisième offrait accès à l'escalier qui menait à un salon surplombant en partie la pièce principale et aux cabinets, chambres et autres pièces à vivre de la famille vicomtale et de leurs éventuels hôtes qui s'étendaient sur la dernière aile de ce petit château.
Ce premier tour terminé, elle sortait dans la petite cour intérieure où l'ombre régnait en maîtresse. Il y avait là la place pour accueillir deux carrosses au plus et ce n'était certainement pas la petite écurie de fortune, aménagée à proximité de la grande porte de cet hostel aux allures de forteresse carrée et fermée qui y changeait grand-chose. Elle ordonnait alors d'ouvrir les imposants pans et s'en allaient rencontrer elle-même quelques fournisseurs privilégiés. L'Argentala revenait systématiquement en milieu de matinée et s'affairait alors d'une manière ou d'une autre après avoir envoyé un page s'enquérir au Château de Montpellier des projets du Pair de France.
Ce jour-là, il n'était pas prévu qu'il rentrât avant le soir. Mais dans l'après-midi deux surprises vinrent troubler le calme d'une maisonnée en sieste. Un messager, mandé par le Mendois, vint prévenir celle qu'il convenait de considérer comme une intendante, qu'un hôte d'importance était attendu en soirée et qu'un repas fastueux était espéré pour cette occasion. Un soupir s'échappa des lèvres de la vieille matrone qui s'apprêtait à donner ses premières consignes lorsque son regard perdu dans la cour l'espace d'un instant s'arrêta sur un garde du château, accompagné d'une jeune demoiselle. Ce fut là non pas un soupir, mais un grommellement que lâcha la Montpelliéraine. D'un pas étonnamment leste pour son âge avancé, elle rejoignit la cour.
Addissiatz, lança-t-elle fraîchement au couple inattendu. L'escorteur habitué à ce genre de réaction - qui offrait de la chaleur, hormis peut-être leur famille, aux gardes du château ? - approcha et transmis le message du Vicomte avant de disparaître aussitôt, abandonnant La Coquelicot aux bons soins de l'Argentala. Celle-ci n'appréciait pas particulièrement les changements dans sa routine. Sans doute, ceci expliqua-t-il le regard de rapace avec lequel elle détailla franchement la rouquine. Elle brisa soudainement le silence. Domenga ! Benvenugts, se hasarda-t-elle sans grande conviction.
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Rendue à l'activité par le retour inespéré du propriétaire, la vieille "maîtresse" de maison ne fut guère longue à ouvrir le vantail de la fenêtre et à humer cet air si particulier aux villes côtières qu'elle aimait tant. Un air encore pur d'une nuit désormais passée, frais et marin qui se remplirait bientôt des fragrances pas toujours agréables d'une cité en pleine ébullition. Au-dehors, les étals renaissaient à la vie petit à petit et se chargeaient de marchandises en tout genre. Les premiers cris d'agacement du grognon tisserand résonnaient avec une virulence que le temps ne semblait pouvoir adoucir. Et la marmaille de la bavarde lavandière se répandait déjà en coups tordus trahis par des glapissements aussi aigus que sonores. Ah ! Qu'elle aimait cela la servante sans âge. C'était son petit rituel, c'était son petit instant durant lequel elle se félicitait d'être encore sur pied et prête à affronter une nouvelle journée de labeur.
Celle-ci, comme les autres, commença par un tour dans les cuisines. Elle vérifiait les réserves, pensait le repas du jour et envoyait un commis au marché ou au port après une énième querelle. Car tout qualifié qu'il fut le maître queux l'exaspérait au plus haut point avec ses idées saugrenues. Mais qu'était-il passé par la tête du Vicomte pour faire venir un Gévaudanais au sud. Après cette première inspection, elle se dirigeait vers les chambres et autres pièces à vivre du propriétaire, veillant à ce que l'ordre y régnât, n'hésitant pas à dispenser quelques remontrances au passage.
S'en suivait la visite dans l'aile principale, là où se déployait la grande salle. L'espace n'y était pas si important, il demeurait sans commune mesure avec les grandes salles de châteaux ou même celle de l'hôtel de Clisson. Néanmoins, elle ne manquait de ce charme si fréquent dans l'architecture sud-languedocienne où la finesse du gothique ne pouvait se départir totalement de l'influence imposante de l'antique. Ainsi, retrouvait-on des colonnes plus grossières qui s'échappaient jusqu'aux plafonds pour se perdre en ogive peu marquée encore. Quelques coffres, des dressoirs à baldaquins ou des étagères, des bancs et quelques sièges constituaient l'essentiel du mobilier. L'apparat se résumait à quatre tapisseries soigneusement disposées sur la paroi découpée par une modeste cheminée. Le coeur de la pièce était naturellement dégagé pour les repas, lorsqu'on devait emmener tréteaux et lourdes planches pour dresser la table. La grande pièce ouvrait sur une antichambre et deux couloirs. La première se développait à l'angle et se prolongeait sur l'aile droite, là où se trouvait l'entrée principale. Le deuxième tendait vers l'aile gauche là où se situaient cuisine et dépendances et à l'étage, le logis de la valetaille. Le troisième offrait accès à l'escalier qui menait à un salon surplombant en partie la pièce principale et aux cabinets, chambres et autres pièces à vivre de la famille vicomtale et de leurs éventuels hôtes qui s'étendaient sur la dernière aile de ce petit château.
Ce premier tour terminé, elle sortait dans la petite cour intérieure où l'ombre régnait en maîtresse. Il y avait là la place pour accueillir deux carrosses au plus et ce n'était certainement pas la petite écurie de fortune, aménagée à proximité de la grande porte de cet hostel aux allures de forteresse carrée et fermée qui y changeait grand-chose. Elle ordonnait alors d'ouvrir les imposants pans et s'en allaient rencontrer elle-même quelques fournisseurs privilégiés. L'Argentala revenait systématiquement en milieu de matinée et s'affairait alors d'une manière ou d'une autre après avoir envoyé un page s'enquérir au Château de Montpellier des projets du Pair de France.
Ce jour-là, il n'était pas prévu qu'il rentrât avant le soir. Mais dans l'après-midi deux surprises vinrent troubler le calme d'une maisonnée en sieste. Un messager, mandé par le Mendois, vint prévenir celle qu'il convenait de considérer comme une intendante, qu'un hôte d'importance était attendu en soirée et qu'un repas fastueux était espéré pour cette occasion. Un soupir s'échappa des lèvres de la vieille matrone qui s'apprêtait à donner ses premières consignes lorsque son regard perdu dans la cour l'espace d'un instant s'arrêta sur un garde du château, accompagné d'une jeune demoiselle. Ce fut là non pas un soupir, mais un grommellement que lâcha la Montpelliéraine. D'un pas étonnamment leste pour son âge avancé, elle rejoignit la cour.
Addissiatz, lança-t-elle fraîchement au couple inattendu. L'escorteur habitué à ce genre de réaction - qui offrait de la chaleur, hormis peut-être leur famille, aux gardes du château ? - approcha et transmis le message du Vicomte avant de disparaître aussitôt, abandonnant La Coquelicot aux bons soins de l'Argentala. Celle-ci n'appréciait pas particulièrement les changements dans sa routine. Sans doute, ceci expliqua-t-il le regard de rapace avec lequel elle détailla franchement la rouquine. Elle brisa soudainement le silence. Domenga ! Benvenugts, se hasarda-t-elle sans grande conviction.
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