Afficher le menu
Information and comments (0)
<<   <   1, 2, 3   >>

[RP] L'Hostel d'Euphor à Montpellier

Ingeburge
Il prenait comme il lui avait déjà tout pris. Cela il le savait, cela il ne pouvait l'ignorer, elle le lui avait affirmé avec désespoir quand près de huit mois plus tôt, au sortir de la pénitence qui lui avait été infligée par le Pape Innocent VIII, elle était allée à lui et s'était confiée comme jamais encore elle ne s'était livrée à quelqu'un. Il y avait eu de l'incompréhension, beaucoup d'incompréhension – comme présentement – mais elle s'était exprimée, plus qu'elle ne l'aurait voulu et cru et, harcelée par lui, avait fini par tout déballer. Il savait, il ne pouvait l'ignorer, elle le lui avait lancé au visage...
    « Il a fallu que vous paraissiez, que vous soyez pour que je n'existe plus. Vous m'avez pris mon temps, mon appétit, mon sommeil. Vous m'avez pris mes pensées, mes rêves, mes cauchemars. Vous avez pris ma tranquillité, ma sérénité, mon bien-être. Vous m'avez pris tous ces derniers mois, vous me prenez mon présent et vous me prenez déjà mon avenir. Vous avez pris mon esprit, ma raison, ma force. Que me reste-il si ce n'est une vertu que finirez par saisir, de gré ou de force, quand vous êtes pris de vos coups de folie et que vous osez me regarder ainsi? Et quand il n'y aura plus rien, vous le prendrez quand même car même le néant ne pourra vous échapper. »

Et après cela, il l'avait congédiée, comme il s'était imaginé pouvoir agir de même en ce jour. Oui, il avait tout pris, et voilà qu'il voulait plus encore, ce fameux néant qu'elle avait évoqué. Et elle ne comprenait pas qu'il en voulût toujours plus car les phrases qu'il lui avait jetées à la tête quand il s'était approché d'elle lui revenaient comme autant de coups d'aiguillon sur son échine frissonnante.

Il s'était retourné quand elle avait fini, le visage contracté par la fureur. Elle en avait laissé glisser les mains de ses oreilles, comprenant bien que toute façon, elle entendrait ce qu'il aurait à déclarer et que cette fois, il ne s'excuserait pas. Un frémissement l'avait pris, douloureux et délicieux, comprenant qu'en le retrouvant, elle risquait d'être blessée comme elle avait souffert chaque fois qu'il avait tenté de s'imposer à elle. Mais au moins, c'était lui, entier, complet, celui qui avait su l'émouvoir, celui qui avait accompli des prodiges, des miracles dont il semblait totalement ignorant. Aurait-elle jamais pu se tenir seule avec un homme si ce n'avait été lui? Aurait-elle pu jamais parler s'il avait été autre? Aurait-elle jamais pu laisser se fissurer la gangue de glace qui enserrait son cœur s'il n'avait existé? Aurait-elle promis et honoré ses promesses s'il n'avait été? Cela, il ne le voyait pas, il ne se rendait pas compte qu'elle n'était complète que parce qu'il était et qu'elle l'avait attendu toute sa vie durant sans même en avoir conscience. Lui révéler? Elle ne le pouvait pas car il y avait le poids de la faute, cette faute dont il avait été informé aussi. Elle avait rompu ses vœux de prêtrise certes, mais elle ne pouvait pas, même si la rupture résultait non des sentiments troubles qu'elle avait à son endroit mais d'un cheminement personnel entrepris avant même qu'elle ne le rencontrât.

Oui, elle demeurait frappée par ce qu'il avait jeté mesurant une nouvelle fois combien ils étaient éloignés l'un de l'autre. Alors qu'il raffermissait sa prise autour de sa taille, elle analysait ce qu'il avait lancé. De quel droit lui interdisait-elle de s'excuser? Du droit de la femme qu'il courtisait et dont il avait perturbé la tranquillité. Du droit aussi d'une femme qui n'en faisait qu'à sa tête et qui n'avait courbé la tête, l'échine que devant le Pape et le Saint-Empereur Long John Silver. Nul autre homme sur terre ne pourrait et ne saurait la faire ployer. De quel droit évoquait-elle cet amour dont il l'étouffait? Du droit d'une femme qui n'en voulait pas, ne l'avait pas provoqué et était désormais contrainte de vivre avec. Et de quel droit mettait-elle ses sentiments en doute? Les faits parlaient pour elle, ne refusait-il pas par exemple de réagir à la lassitude qu'elle évoquée elle qui répugnait à montrer ses faiblesses? Il savait à quel point les murs de la Curia Regis tremblaient dès que le roi de France et son roi d'armes se trouvaient en présence, il le savait et il ne pouvait que se douter de l'épuisement qui en découlait car se battre sans cesse contre celui auquel elle était liée par son serment de Grand Officier, son serment de pair, son serment de vassale ne pouvait qu'être porteur de fatigue.

Quant au reste, c'était en partie pour cela qu'elle avait reculé quand il avait entamé sa progression vers elle, irradiant d'une rage qu'elle n'avait même pas soupçonnée et c'était en partie pour cela que bloquée par son siège, elle tâchait de se dégager maintenant qu'elle ne pouvait aller plus loin. Il était proche, dangereusement proche et enfin, enfin, il la tenait contre son torse, il lui offrait l'espace de ses bras, il lui offrait cette étreinte qu'il lui avait refusée au jour où elle lui avait tout révélé. Mais que de colère, que de frustration et que de reproches. Cet enlacement n'avait rien d'apaisé et de serein, il était désespéré et violent comme tout ce qu'il disait encore et qu'elle recevait au visage comme s'il l'avait frappée de ses paumes. C'est pourquoi alors qu'il resserrait son emprise, elle ne réagissait pas favorablement, se contentant au contraire de remuer doucement, tâchant de ses poings menus de le repousser. Il venait de la blesser plus qu'il ne l'avait fait auparavant. Il l'admonestait sans discernement, sans prendre garde à ce qu'elle professait, il s'attachait à des points de détail pour ne pas avoir à appréhender ce qui seul importait.

Et puis, il y avait donc la faute. Elle le lui avait dit, il représentait l'ultime épreuve, celle envoyée par le Très-Haut pour sonder sa foi et sa vertu. Certes, elle n'était plus qu'une fidèle comme les autres mais elle avait décidé de s'interdire les droits dont jouissaient ceux qui étaient liés à Lui par le baptême. De toute façon, à quoi bon? Ses rêves naïfs d'amour avaient été brisés par les aspirations mêmes de ses parents, elle s'était mariée sans aimer et son époux avait achevé de faire voler en éclats ses chimères sans compter qu'elle avait tué la femme en elle depuis bien trop longtemps pour que celle-ci pût être ressuscitée et l'avait ensuite ensevelie en prenant le voile. Rien n'avait changé et il n'avait jamais voulu l'entendre. Et bien sûr, son orgueil en plus des coups portés et de la faute expliquait pourquoi elle continuait de tenter de se dégager. Croyait-il vraiment que c'était ainsi qu'il pourrait l'amadouer? En la vexant? En la moquant? En la rabaissant? Ou en tendant ses lèvres vers les siennes? Voilà maintenant qu'il usait d'un artifice qu'il n'avait jamais sollicité, se faisant encore plus contraignant. En outre, ses mots n'étaient plus que caresses après avoir été flèches empoisonnées et elle se laissait subjuguer, comme elle avait été déjà charmée. C'était en ces moments, elle n'en avait que trop conscience, qu'elle lui donnait ce qui restait à prendre et dont il se serait de toute façon saisi. La passion, les sacrifices, voilà de quoi il parlait désormais et elle se demandait si c'était cette extrémité dans leurs sentiments qui expliquait ce nouvel affrontement.

La douleur dominait toujours mais la fascination sourdait, insidieuse. Tout à la fois fragilisée et hélas attirée, elle porta ses mains au visage d'Actarius et effleura du bout des doigts ses joues brunes et burinées. Ils étaient proches, si proches, elle n'aurait qu'à avancer le menton, légèrement. Mais elle ne le pouvait pas, il y avait la blessure, la faute, l'orgueil. Ses doigts finirent par s'égarer sur la nuque de son tourmenteur pour remonter à la base de son crâne, là où les premiers cheveux étaient palpables. C'était doux, chaud et tentant. Jamais encore elle ne s'était risquée à se montrer si audacieuse, il n'y avait jamais eu rien de plus que quelques étreintes chastes et vite brisées, des caresses sur le visage et de sa part à lui, un baiser sur le front. Toute leur passion avait été contenue dans ces gestes simples et d'apparence anodins mais des semaines après elle en rosissait encore comme elle rougissait maintenant qu'elle sentait le souffle de son ennemi sur ses lèvres incarnates. Un léger mouvement et... Mais elle ne pouvait pas, la blessure, la faute, l'orgueil et... la négation. Si elle était restée mutique, elle parla enfin et affligée, elle laissa échapper :

— Tout ceci est proprement insensé. Vous me reprochez mon caractère, mes principes, mes valeurs; vous blâmez ce qui m'a construite; vous m'accusez de tout ce qui ne va pas entre nous que soient mes doutes ou mes réactions. Alors, que voulez-vous de moi? Qu'attendez-vous de moi? Vous me niez totalement, alors dites-moi, définissez-moi. Mais comment pouvez-vous me vouloir si vous désirez une femme que je ne suis pas et que je ne serai pas?
Un soupir s'envola et elle dit encore :
— Je suis moi, sans fard, sans faux-semblant. Vous ne vous excusez pas d'être tel que vous êtes et que je retrouve enfin, pourquoi alors ne puis-je être celle que je suis? Vous rendez-vous compte de l'inanité de vos prétentions? Ou préférez-vous que je joue le rôle que vous espérez me voir endosser? Je ne suis pas différente de celle que vous avez rencontrée quand vous étiez toujours marié, quand il n'y avait donc aucune raison que vous me regardiez, quand je n'existais tout simplement pas pour vous. Pourquoi ne pas admettre que malgré tout, je suis là? Jamais rien ne sera-t-il donc suffisant à vos yeux?

A nouveau, elle se refusait à lui, restant là, les mains perdues dans ses cheveux, ses lèvres se dérobant encore. Mais au moins, elle ne le repoussait plus. Il pouvait bien s'emparer de ce qu'il voulait, il ne s'en était de toute façon jamais privé.
_________________
MP reçus : si pas de réponse lundi soir, c'est que perdus...
Actarius
    « L'amour n'a rien de sensé. »


Elle cherchait une logique, une intention, une volonté là où il n'existait que le battement éperdu d'un coeur. Un rythme qu'elle ne pouvait ignorer tant il emplissait tout entier l'être qui la tenait fermement dans ses bras. Et pas plus qu'il ne voyait, ne comprenait ce qui les éloignait tant, elle ne percevait que la seule réponse tenait à ce tempo, à cette étreinte partagée. Dissemblables, ils avaient tracé leur voie, chacun de leur côté et pourtant toujours à proximité l'un de l'autre. Il l'avait remercié pour sa présence, il ne se souvenait pas même qu'elle eût un jour utilisé autrement ce mot avec lui par courtoisie. Il s'était montré généreux, attentionné, respectueux, elle s'était révélée froide, impitoyable, implacable. Ils avaient été cela, bien sûr, mais tellement plus encore et parfois en totale contradiction avec les traits les plus représentatifs de leur personnalité respective. La raison n'avait rien à y voir, la logique non plus, ils se cherchaient tous deux et se perdaient plus souvent qu'ils ne trouvaient. Mais... ils partageaient un doux rêve, celui de vivre sur leur terre paisiblement, celui d'être ensemble envers et contre tout.

Ses mains semblèrent abandonner l'étreinte. La sénestre, caressante, glissa dans le dos qu'elle parcourut avec tendresse jusqu'à l'épouser définitivement tandis que la dextre s'envola doucement jusqu'à la joue albastrine qu'elle inonda de sa chaleur. Non, il ne la lâcherait pas, pas cette fois. Peu importait les mots, peu importait les conflits, peu importait le Languedoc, le Royaume, les autres, seul comptait cet instant d'éternité qu'il ne briserait pas, qu'il prolongerait encore et encore jusqu'à ce qu'elle vit dans son regard qu'elle aussi lui avait tout pris et que pourtant il donnerait encore, jusqu'à ce qu'elle entendit leurs coeurs synchrones, jusqu'à ce qu'elle sentit que ce feu qui brûlait en eux n'avait rien d'infernal, jusqu'à ce qu'elle goûta sur ses lèvres la félicité à venir, jusqu'à ce qu'elle la toucha du bout des doigts. Non, il ne la lâcherait plus. Elle ne pouvait le vouloir, ses gestes affirmaient le contraire.


    « L'amour vous définit. »


Irrémédiablement plongé dans ces opales, il ne pensait plus vraiment. Quarante années n'avaient pas suffi à lui dévoiler celui qu'il était vraiment, capable du pire, comme du meilleur. Mais dans la transparence azurée de ces iris, il se reconnaissait. Il n’était rien de plus, rien de moins que ce reflet, il n’était même plus que cela. Dans cette source aussi intarissable que mystérieuse, la vérité s’imposait à lui. Il ne s’appartenait plus, ne se définissait que par cet éclat étoilé qui, couplé à ce souffle supernel, à cet ignescent contact, embrasait chacun de ses sens. Phénix, il se consumait sans fin dans cette symbiose où seuls subsistaient en intrus les mots adornées de doutes et d’interrogations. L’évidence pourtant, celle qui les unissait bien plus qu’elle ne l’aurait souhaité sans doute, frappait avec une violence peu commune dans cette poitrine sur le point d’imploser.

Le corps vibrant, il la maintenait contre lui, se laissait pénétrer de ses soupirs, lui insufflant en retour sa foi inébranlable en ce « nous » qui prenait une forme nouvelle, s’épanouissait dans ce tourbillon où vésanie se mêlait à véracité. Adouci par le désespoir que lui renvoyait le lointain écho de ses paroles, l’Euphor sourit même légèrement avec une affection sans borne. La colère, la rage s’étaient évaporées. Elles avaient giclées - peut-être le fallait-il ? - en un torrent impétueux et grossi par la fonte de cet « autre » lui, tout de contenance, trop contenu à mi-chemin entre le mensonge inconscient et la volonté de lui plaire, de répondre à l’idéal qu’il se figurait devoir être pour qu’elle l’aimât mieux. Quelle sottise… quel gâchis. Non, il n’était pas cela. Il était cette évidence, cette transverbération divine, cette vastitude. Cela et l’infinité d’impossibles dont il se serait affranchi sans peine tant il se découvrait puissant.


    « Rien ne me suffira. »


Il ne pouvait se contenter de ce vertige, de ce premier pas dans l’Eden. Il voulait s’y établir désormais et y couler des jours heureux avec elle. Était-ce là trop que d’aspirer à rendre réel un songe à peine effleuré, pourtant si merveilleux ? Grisé sans doute par ces doigts célestes égarés dans l’écorce de sa chevelure, il succomba totalement. Son front se posa délicatement sur le sien, sa main droite, elle, abandonna son visage, glissa en une indolente caresse dans le faible espace qui séparait encore leurs corps jusqu’à la taille qu’elle contourna pour épouser le bas du dos et refermer l’étreinte. Non, il ne la lâcherait pas. L’éphémère n’entrait plus en ligne de compte, il l’aurait tenue ainsi une vie durant, il s’en sentait la force, le courage et l’envie. Il l’aurait tenue ainsi une éternité malgré le désir infiniment prégnant de l’embrasser prolongeant le délice de ce partage non consommé, de cette attente exacerbée, de ses sens insoumis, car rien en sa vie ne lui paraissait plus précieux, essentiel que cette fleur aux pétales nuiteux et qu’il espérait ne jamais faner. Rendu à son impulsivité, il restait tout de même homme de valeurs, imbéciles peut-être pour beaucoup, mais inaliénables face à elle. Il le fallait pour elle, pour lui, pour eux, pour ce rêve commun.

Alors, un murmure, récif timide brisant presque malgré lui l’écume de cette vague de tendresse, s’échappa de ses lèvres. Aussi ténu fût-il, ce filet de voix aux inflexions d’oc témoignait d’une assurance peu coutumière dans cette relation tempétueuse, marquée par des naufrages d’incertitudes et de mécompréhensions. Plus qu’un souhait, il se déversa avec la solennité d’une volonté définitive, affirmée encore par le scintillement particulier des pupilles, par la chaleur protectrice émanant de ses bras déployés autour d’elle.


Je ne veux plus vous quitter.


    « Je ne vous lâcherai plus. »

_________________
Ingeburge.



      « Elle voulait oublier... tout oublier. Ça n'avait déjà plus de réalité. C'était déjà effacé, évanoui, emporté avec la vie d'avant, les émotions d'avant. Elle était une autre femme, un être neuf, inconnu, sans défense, encore informe – prête pour un nouveau départ. Un être très neuf, et très effrayé... »
      Je ne suis pas coupable, Agatha Christie

Evidemment, il ne répondit à rien. Elle l'avait su avant même qu'elle ne s'exprimât qu'il ne dirait rien, n'apaiserait pas ses interrogations, se contentant avec cette facilité déconcertante d'évacuer les questions et les doutes sans même avoir besoin de déclarer quoi que ce soit. Pourtant, elle avait formulé ses demandes, naturellement, car elle avait désespérément besoin de savoir, de comprendre. Dès le début en fait, elle n'avait eu de cesse de l'interroger. Et y avait-il jamais fait retour? La plupart du temps, non et quand il daignait s'expliquer, ce n'était que pour énoncer que c'était évident. Elle et lui, c'était évident, c'était ainsi et il ne servait de rien de lutter contre. Qu'elle aurait voulu posséder la même confiance que lui, ne serait-ce que quelque secondes, ne plus être prise dans le tourbillon de l'incertitude! C'était peut-être pour cela qu'il ne la lâchait pas maintenant qu'il la tenait et posait sa main chaude sur sa joue nivéenne, comme pour lui insuffler un peu de sécurité. Pour endormir sa vigilance aussi, certainement. Mais ne comprenait-il pas qu'en agissant ainsi, il lui faisait du mal? A quoi bon être si fermement tenue si c'était pour que dans quelques minutes, ou dans quelques heures, il la délaissât, l'abandonnant à une solitude troublée par des questions lancinantes et létales? Car lentement et sûrement, tout cela la tuait et si le vicomte du Tournel semblait voir avec précision des choses qui à elle lui demeuraient lointaines voire inconsistantes, il était sur d'autres points totalement aveugle, paraissant ignorer qu'elle en souffrait et que cette souffrance la rongeait.

Pour autant, elle tint sa langue, trop troublée par cette étreinte rapprochée et prolongée; c'était peut-être d'ailleurs peut-être à dessein qu'il la serrait de si près, pour qu'elle cessât de penser, pour qu'elle arrêtât de se laisser piéger par ses atermoiements, pour qu'elle se contentât de se laisser porter. S'abandonner ainsi était contre sa nature, elle ressentait le besoin puissant de tout contrôler, de tout maîtriser et lui au contraire faisait tout pour tâcher de faire sauter ses résistances et s'emparer d'elle était une stratégie comme une autre. Une bonne stratégie en vérité car elle l'avait silencieusement réclamée cette étreinte imposée, elle l'avait ardemment souhaitée à chacune de leurs rencontres, elle en avait besoin, avidement, car c'était concret, elle avait besoin de le sentir là où elle avait toujours repoussé le moindre contact avec les autres. Tous, excepté lui. Il devait l'avoir perçu et en usait. Cela importait peu. En ce moment, elle était consentante victime et elle pouvait bien pour quelques instants cesser de se poser des questions, de chercher à comprendre, d'analyser, de penser. Ce ne fut pas simple, les pourquoi n'admettant pas de s'écarter ainsi. Alors elle puisa un peu de force dans le regard soleilleux qui avait rapté le sien, elle observa bien sérieusement ces prunelles qui souriaient en harmonie avec le visage d'Actarius. La rage semblait avoir déserté son adversaire, ou plutôt, elle semblait avoir revêtu une autre forme, celle-là même qu'il lui avait imposée un soir au Louvre quand il avait finalement indiqué qu'il savait pourquoi ils ne s'entendaient plus et qu'il avait exigé un baiser. Cette lueur ardente et le souvenir concoururent à ce que ses joues s'empourprassent et matée pour un temps, elle ferma les yeux.

Très vite pourtant, elle les rouvrit quand il se mit à murmurer. Elle les avait serrés bien fort quand elle l'avait senti se rapprocher, la prise s'affermissant davantage autour d'elle. Et il y avait eu cette main qui s'était égarée de son visage à sa taille pour se poser, conquérante, sur ses lombes. Et maintenant, il chuchotait et sa voix, favonienne, coula comme du miel, douce, sucrée, succulente. Alors, elle ne put que rouvrir les yeux, mettant une tache claire sur sa peau rougissante. Les mots prononcés auraient pu ne pas compter, seule leur mélopée aurait pu suffire à la faire succomber. Mais ce que le Languedocien déclara l'éveilla quelque peu, l'écartant de cette langueur dans laquelle elle était prête à plonger. Il ne voulait plus la quitter. « Plus ». Au-delà de l'engagement, il reconnaissait enfin qu'il l'avait abandonnée, ce simple terme la confortait, la réconfortait, les reproches étaient peut-être exagérés mais ils étaient fondés, il l'admettait finalement. Etonnament, elle ne releva pas ce qui venait d'être avoué, elle y reviendrait sans nul doute plus tard. Pour le moment, c'était ce plus tard qu'il fallait construire et hochant doucement la tête, elle souffla, l'émotion et l'appréhension la faisant hésiter :

— La mer donc, puis la Bourgogne... D'accord... La mer, la Bourgogne... Et peut-être que... vous savez Dourdan, je n'y suis pas encore allée, nous pourrions peut-être effectuer un léger détour afin de nous y arrêter... Je... Auxerre, Donzy, Le Tournel, Florac... Ils sont pleins de nos histoires, de nos vies l'un sans l'autre.... Dourdan est vierge de nos souvenirs... Nous pourrions nous y rendre ensemble et il serait ainsi à nous, rien qu'à nous.

Son audace la fit taire mais pas davantage. L'invitation timidement lancée, elle entoura de ses bras le cou d'Actarius et se haussa sur la pointe des pieds. Puis, les paupières nictitantes, le minois érubescent, le corps fébricitant, elle déposa chastement mais fervemment un baiser sur la joue du vicomte.
_________________
See the RP information <<   <   1, 2, 3   >>
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)