Afficher le menu
Information and comments (0)

Info:
Unfortunately no additional information has been added for this RP.

[RP Ouvert] La Desperatio*

Odenaiss
      - Quand l'obsession mène à la temptation du Sans Nom-


[ Breizh, juin 1460 - Sa Capitale - Aux Trente - A l'heure ou jour et nuit se confondent]

Un dernier effort et les mains vinrent violemment refermer les volets de cette chambre qu'elle ne daignait plus quitter. Une chambre, qui, au fil des jours était devenue son asile. Seule protection contre cette obsession compulsive qui s'imposait constamment à son esprit, sans qu'elle ne puisse plus s'en libérer, et qui l'avait poussé jusqu'à l'extrême, cette nuit dernière, la forçant à prendre la vie d'une assaillante venue courir le risque de s'y frotter.
Aujourd'hui plongée dans une paranoïa dévastatrice, tout n'était plus que faux jugement et méfiance. Prise dans le tourbillon vicieux de ses délires, la vie n'en était que plus insupportable. Pour elle... Tout comme elle pourrait l'être pour les autres.

Peinant à marcher, titubant, le corps et le sang imprégnés de ses abus d'alcool, elle était parvenue à prendre appui sur la table sur laquelle était étalé sa correspondance des jours passés. D'un bras venu balayer le plan de cette dernière, elle l'avait débarrassée d'un tas de vélins chiffonnés, ainsi que d'une bouteille vide de l'Hydromel qu'elle avait pu contenir et sur laquelle elle s'était âprement jetée. Projetée avec véhémence, le verre était venu se fracasser contre l'un des murs de la chambre, ses éclats s'éparpillant grossièrement sur le sol.
Et ce grand désordre n'avait pas échappé à son voisin de chambrée venu cogner contre les pans et au travers duquel sa voix s'élevait, invitant la Brune à se calmer.

- C'pas fini c'bordel ouais !? Combien d'temps on va encore avoir à t'supporter l'étrangère ! ?

" A toi d'me foutre la paix ! Y a donc pas moyen d'creuver tranquille ici ? "

Complètement enivrée, elle s'était laissé tomber sur la chaise où elle avait pris place tant de fois. Qu'on la laisse tranquille pour oeuvrer à sa perte. Mais avant ça, dans sa senestre, une flasque. A sa jumelle d'en ôter le bouchon, libérant l'effluve qui fleure bon le terroir Normand ; pénétrante odeur de pomme qui s'exale des greniers et des cours de fermes en attendant leur maturation. Goulot qui s'invite sur la chair purpurine et flot qui se déverse et glisse le long de sa gorge. Elle s'abreuve, une dernière fois, de ce doux poison, avant que l'étain ne soit délaissé au profit d'un style dont la pointe s'apprête à venir noircir de quelques volutes malhabiles le jaune du vélin.
L'écriture, n'est pas ce qu'elle est d'ordinaire. L'habituel tracé, raffiné, a laissé place au grossier, à l'illisible parfois, tant la main se fait hâtive et tremblante.

Un dernier mot, pour Lui qui n'est pas là. Lui qui l'aura soutenu.


Citation:
A toi,
Mon Autre,

Qui m'aura tant apporté.
Si je te donne l'impression que je suis forte, que je vais bien, là ne sont que de trompeuses apparences, car tu t'en doutes, il n'en est rien. J'ai bien essayé, du plus que je le puis, de me libérer de ce passé qui m'envahit, mais en vain. Le poids des chaînes est devenu trop lourd à porter. Il me faut m'en délester et je crois que la seule solution désormais n'est autre que de m'en aller. Il y a de cela trop longtemps que je m'affaire à creuser ma propre tombe et je n'ai pas pour souhait de t' entraîner en son fond avec moi.
T'épargner et la plus belle preuve d'amour que je puis encore te faire.

Pardonnes-moi ce manque de courage et cette lâcheté qui soudain sont venus m'habiter, mais je n'en puis plus.

Adieu mon Amor,

Odénaiss.



La pointe du style s'enfonce sur un dernier point qui suit l'Adieu. Les mots étaient posés, le vélin abandonné sur le plat de la table. Ce mot, elle ne l'enverra pas. Non. Ce mot, il le trouvera à son arrivée, car il sait où la trouver, l'endroit où elle a pris refuge lui ayant été confié lors de précédents échanges.
Elle espère qu'il comprendra le geste qu'elle s'apprête à accomplir. Hantée par ses obsessions, incapable de les chasser, elle vit une souffrance intérieure telle qu'elle se doit d'en finir. Détruire le mal par le mal est la seule solution.

En appui sur la table, les mains l'aident à se lever tandis que ses tourmalines viennent se figer sur le petit chevet. Posé sur son bord l'étui de cuir renfermant sa dague. Depuis cette nuit où elle avait eu à l'enfoncer dans les entrailles de l'assaillante, elle ne s'en était plus paré.
Frêles et tremblant, les doigts s'emparèrent de son arme de main pour la déloger de son étui. Doucement la lame glisse le long de son pouce laissant suinter quelques gouttes d'un sang qui refusent alors de s'écouler.
Debout, elle retourne l'arme contre elle. Ne pas attendre, de crainte d'hésiter et de ne plus pouvoir. Les deux mains liées, placées entre le pommeau et la garde de sa dague, elle se gonfle d'une profonde inspiration et d'un coup vif, insinue le froid de la lame tranchante dans ses chairs . Mâchoires qui se resserrent et étouffent un cri de douleur. Qu'il fait mal de vouloir mettre fin à sa vie. L'instinct la pousse à se défaire de l'intrus. Aussi vite qu'elle l'aura pénétré, la lame est retirée. Blessure béante, son corps pleure de son essence. La main abandonne l'arme qui tombe sur le sol. Moment de recul, ses pas la mène contre l'un des pans de la chambre, avant qu'elle ne s'écroule dans un vacarme assourdissant entraînant avec elle le petit mobilier qui orne la chambre. Chaud est le flot qui s'écoule. La main plaquée sur sa blessure, elle sent la vie qui s'enfuit... doucement... sûrement... ou pas...




* Le désespoir
Theos
[Fécamp]


Alors que les rayons du soleil achèvent leur course sur les murs d’une étroite venelle, les pas de Theos viennent crever la tranquillité de l’endroit. Fort d’une sincère ataraxie et d’une arrogance maîtrisée, son superbe se dévoile lorsque les premières ombres apparaissent et violent l’intimité des ruelles. Son pas prétentieux déchire le silence et abîme la morosité de Fécamp. Car au fond de son regard brille un mystère déconcertant qui attise la curiosité, le trouble de chacun. Sur ses épaules règne une cape, étoffe fidèle de ses voyages, qui dissimule sa haute et solide stature, trop svelte et trop élégante pour ne pas attirer le regard de certaines donzelles. Il sait qu’il est séduisant, il en use, il en abuse, ne négligeant jamais ses intérêts et ses ambitions. Homme violent, insolent et cynique, il n’oublie pas de se parer d’un semblant de courtoisie et de bienveillance pour captiver ses diverses rencontres. Mais ses tourments le rattrapent, le bousculent souvent, quand son masque retombe et que ses faiblesses éclatent au regard de ses proches. Personne ne pourrait prétendre mieux le connaître qu’Odénaiss.

Il s’en va rejoindre les bras de sa maîtresse, -la nuit-. Il s’enfonce dans son étreinte, caresse d’une main le souffle du vent qui glisse entre ses doigts sans qu’il puisse sans saisir. Et déjà son indomptable tignasse se soulève, danse et se balance fébrilement sous la tempête naissante. La pluie guette et menace de s’abattre sur toute la Normandie. Rien n’est plus exaltant qu’une douche improvisée en bord de mer. L’océan se profile lorsqu’il arrive au port, un bruit écrasant naît du fracas des vagues contre les rochers. Et de leur va-et-vient permanent, ne perdure qu’une simple écume brillante. Il s’arrête un instant, embrassant le lieu d’un regard fasciné. Un soupire trahissant son bien-être glisse entre ses lèvres et se disperse, transporté par le vent. Un seul regret se fracasse au creux de son esprit : être séparé de sa moitié qu’il devine bouleversée, en proie à une névrose insidieuse.

Il est loin d’imaginer que son corps gît sur le sol d’une chambre bretonne, que la mort pourrait l’envelopper et l’emporter loin de lui et de leurs espérances. Il ne se doute pas que la main assassine de son Autre a de nouveau tremblé, avant de planter une lame meurtrière au creux de ses viscères. Non, il ignore le désespoir qui a pu l’animer et la conduire à un tel acte, le mal qui l’a traversée, et tout le sang qui quitte et se libère à présent de son corps. Fidèle Aristotélicien, il condamne plus que tout le suicide.

Inconscient, il se remet en marche, vers un ailleurs vaporeux, vers son bordel où s’envolent éclats de rire, éclats de voix, et où sensualité et passion riment avec déraison. Il en pousse les portes, avec fierté et allégresse. L’ivresse des plaisirs l’emporte loin de la réalité. Car même si sa relation avec Odénaiss lui impose une fidélité sans compromis et qu’il parvient à repousser les avances de femmes pourtant sulfureuses, il se laisse bercer par l’ambiance frivole qui fait transpirer les murs de la bâtisse. Sa main se pose au bas d’un dos féminin, son regard rit en croisant celui d’une connaissance, son sourire arrache les tracas et les doutes de chacun. Mais jamais sa bouche ne trahit ou ses sentiments ne s’égarent.

C’est finalement à l’aube qu’il retrouve son bureau et que quelques phrases fatiguées se couchent sur un parchemin. Il ignore malheureusement que sa compagne ne pourra pas en prendre connaissance.


Citation:
Odénaiss,

Que les heures, les jours qui nous séparent viennent crever dans l’oubli et déserter nos esprits ! Car bientôt je franchirai les remparts de Fécamp pour vous rejoindre et pour vous dérober tout ce temps qui m’a éloigné de vous et qui n’en finit pas d’éprouver ma patience. Plus que quelques affaires à régler et des connaissances à saluer.

J’espère que votre contrariété de ces derniers temps s’est dissipée et que vous avez appris à relativiser. Comprenez-bien que je me rends compte de la menace qui plane au-dessus de votre tête, mais que je ne veux pas que vous tombiez dans la vulnérabilité et la paranoïa. Ne vous laissez pas aller, cessez donc de psychoter. Vous savez à quel point je méprise les femmes faibles.

Ma plume se brise à l’heure où les cloches de l’Eglise saluent l’aube. Les chemins m’attendent.

D’Arenthon.
A.rn
Arn est du Berry et d'une catin. Arn a perdu deux doigts l'année précédente, mais ne s'en vante pas et s'est depuis accommodée des petits moignons. Arn n'est pas vilaine mais Arn est nigaude : un jour, ça lui retombera dessus, elle le sait. Mais que peut-elle bien y faire, en attendant ? Hormis prier et collectionner les amants ? Alors, en attendant, elle passe le temps. Pauvre petite Arn aux cheveux blonds et secs, à la peau laiteuse et souillée, aux rêves frivoles mais déjà envolés. A sa famille et à ses amis, elle ne préfère pas y penser. Arn est comme ça, elle ne pense pas, elle agit. Ce n'est qu'ensuite qu'elle regrette. Ce n'est qu'après qu'elle morfle. Les sarcasmes elle les attend, les coups elle les espère ; douce berceuse d'une vie fauchée. La fuite pour unique exutoire, la Bretagne pour seul refuge.

Le voyage fut long et hasardeux : plus d'une fois la putain crut ses dernières heures arrivées. Chaque fois, elle se remettait en route sans y penser ; à quoi bon se remémorer inlassablement le passé ? Plusieurs fois aussi elle fit route accompagnée, une fois par une affable trouble d'acteurs, une seconde fois par un vieillard solitaire. Elle ne garda contact avec aucun d'eux, bien qu'elle les trouva tous fort sympathiques. Ce fut long et périlleux mais elle en vit l'arrivée : c'était, après tout, ce qui comptait.

Les tripots se succédèrent et rythmèrent ainsi la vie faussement flegmatique de la jeune fille. Seulement, si elle avait su, peut-être ne se serait-elle pas arrêtée dans la gargote où elle passa cette nuit-là. Mais la façade était attrayante et la bâtisse réconfortante, et, comment deviner ? Quelques verres lui furent offerts et elle trouva consolation éphémère au creux des bras d'un étranger. Celui-ci fut aimable jusqu’à ce que ça se bouscule à côté. Il lui ordonna d'aller voir avant de se rendormir. Arn ne le trouva guère courageux, mais n'en dit mot et s'exécuta. Elle craignait que ce ne soit une bagarre entre un couple d'un soir, ou, pis encore, entre deux féroces hommes. Pourtant elle n'entendait aucun cri et cela l'étonnait. Sa main reposait sur la poignée mais elle hésitait à la tourner ; ça ne semblait plus bouger de l'autre côté, alors, à quoi bon déranger ? De quel droit se permettait-elle de se mêler de ce qui ne la regardait pas ? Elle allait regagner sa chambre quand, poussée par son anxiété, elle ouvrit la porte en grand.

    Eh ! Ne meurs pas !
Un ordre comme un autre, finalement, qui claqua dans la pièce souillon.
    Serrez ma main, serrez la fort. Je suis là, n'ayez crainte. Vous allez vous en sortir.
Mais l'enfant ne comprenait pas : elle ignorait alors qu'on pouvait décider de sa propre mort. Elle se jeta auprès du corps et le serra contre elle, se mêlant ainsi au sang de l'enfant. Sa main chercha celle de la blessée et un regard à accrocher ; tremblante, elle cherchait la vie. N'ayant guère eu le temps d'être stupéfaite, Arn arracha un pan de sa robe et le pressa contre la blessure. Peut-être trop fort, mais elle n'avait qu'une idée en tête : que le sang cesse.
_________________
Odenaiss
      "I have a rendez vous with Death*"
      Alan Seeger


Corps qui gît, figure crispée, le teint devient blême. Sur la blessure, la main frémit alors que les forces qui la nourrisse encore s'amoindrissent au fur et à mesure que le temps s'égraine. Doucement, le corps va s'endormant, continuant de cracher de cette essence indispensable à sa vie. Il crache la mort comme un volcan sa brûlure. Le sang est magma, le souffle soufre et le ventre cratère**. Et là, sous la douleur qui lui saisit les entrailles, résonne un cri mêlant effroi et douleur.

Libératrice amie, la mort s'affaire à vouloir l'emporter. Elle la voit qui se profile dans un brouillard épais qu'elle ne peut trancher. Lourdes se font les paupières qui, une fois closes, laissent vue sur une vie passée. Elle déchiffre sa vie en spectatrice qui contemple d'en haut l'arène qu'elle quitte. Oppressants sont les fantômes qui s'en viennent la hanter. Elle se soumet aux souvenirs... ceux d'une vie... SA vie, si vide, si remplie. Elle revoit sa Provence, son enfance, sa misère. Abzal, infâme tortionnaire par la faute de qui le Sans Nom s'est invité en sa vie, en ce jour où elle flirte avec l'agonie. A lui d'avoir insinué le doute de la miséricorde divine, la conviction de ne pouvoir être sauvée, de lui faire croire que le Tout-Puissant l'avait plantée et de l'avoir poussée à commettre le péché mortel.
Et la mort est là qui tend son voile, lui ouvre les bras. Elle se veut de la prendre en son sein, faisant promesse d'une souffrance qui s'achèvera enfin. Aspirée, son corps s'éteint, tandis que la mort commence à ceindre son âme. Mais si l'âme se laisse happer, l'esprit combat s'efforçant de la tenir raccrocher à cette vie qui ne s'est pas encore complètement délogée.


Apparaît alors ceux qui, un jour, ont fait sa vie. Et ceux qui, auront comptés plus que n'importe qui : Guillaume, fidèle ami d'une vie passée, d'une vie présente... et Theos, devenu seule source à sa vie, l'amour, le vrai, celui que l'on souhaite voir grandir pour l'éternité.

Larme cuisante qui s'échappe de ses cils torturés et qui se meurt sur ses tempes. Mais qu'a t-elle fait ?

Mourir était ce qu'elle voulait. Mais elle n'est désormais plus sûre de rien.
A la faucheuse, elle tente alors d'échapper. Et d'un coup, elle s'en défait. Au loin, elle entend la vie qui la rappelle à elle...



"... Ne meurs pas !"


Elle court tentant de reprendre son souffle.

    Respirer ! Je veux respirer ! Vivre encore !


Et cette main qu'elle voit se dessiner au loin...


"Serrez ma main, serrez la fort. Je suis là..."


Elle est là ! A bout de bras ! A la main qui se tend de chercher à l'attraper, voulant à tout prix saisir l'aide qu'elle s'en vient lui porter. Les doigts la frôle, la main dans un effort surhumain se serre. Derrière, la mort qui harcèle, l'intimant de se retourner, ordonnant de faire marche arrière. Mais la Brune s'y refuse, de crainte de la regarder. De peur de se laisser de nouveau tenter. Et cette voix qui s'insinue comme une promesse...


"... n'ayez crainte. Vous allez vous en sortir."


...et qui se fait si douce.

Les paupières s'entrouvrent, mais les tourmalines épuisées ont du mal à distinguer la silhouette qui se dessine dans le noir qui envahit la pièce. Les lèvres se descellent et la voix cherchent à s'échapper. Son inaudible qui fuit en un souffle...



-"Th... "


...avant qu'un cri ne soit arraché aux poumons oppressés :


-"Theos !"


A cet instant, il est loin. Trop loin de pouvoir venir à ses côtés. Ses pensées filent, à la recherche de son âme soeur.

    Pourquoi n'es-tu pas là près de moi ? N'avais-tu pas seulement promis d'être mon ombre... et de me protéger ? Aujourd'hui tu n'es pas là et regarde ce qu'il en est...



* J'ai rendez vous avec la mort
** Grâce - Delphine Berthollon
Theos
[Frontière – Entre Fougères et Avranches]

Non ! Non ! Et non !

Le poing de d’Arenthon s’abat sur la table avec fureur tandis que son regard s’assombrit et devient assassin. Sa voix puissante est imperturbable et son assurance flirte avec l’indécence. Tous ces mots qui transpirent l’irritation et l’emportement viennent se fracasser dans l’esprit d’un jeune douanier impressionné par tant d’audace et, c’est avec couardise qu’il se retient d’émettre la moindre objection, craignant qu’une rixe dont il ne pourrait vraisemblablement pas sortir vainqueur éclate. Et il écoute, pantois, les déclarations du Ténébreux.

Vous avez de l’urine de poney dans les veines ? Vous ne voulez pas me laisser franchir la frontière sous prétexte que je viens d’une terre hostile et que la Bretagne entretient de mauvaises relations avec son voisin ?! Savez-vous que vous conversez avec un homme qui a passé de sombres heures, des instants détestables dans les prisons normandes ? Si vous pouviez sentir toute la colère qui m’anime quand je songe à la médiocrité de ces lâches, à leur esprit faible, à leur absence de discernement… Alors ne venez pas me dire que je suis peut-être l’un des leurs et que je suis une menace pour votre Duché ! Mais répondez que diable ! Dois-je vois en votre silence une marque d’insolence ?

Je… Enfin…

Mais taisez-vous donc et laissez-moi finir ! Allez prévenir votre prétendu chef que si je traverse la frontière c’est pour un voyage d’agrément, sans mauvaise intention. Courrez lui dire que je dispose d’un bon nombre de connaissances qui pourront vous assurer que j’avance sans cultiver d’odieux desseins. Si vous ne le faites pas…

Une menace ?


Theos s’approche et attrape sans hésitation l’individu par le col. Un léger sourire s’accroche à son visage tandis que ses lèvres murmurent quelques paroles intimidantes.

Bien pire… La promesse d’un avenir morne et lugubre… Tu as un bien joli visage, tes traits sont fins… Que dirait ta mère si elle le voyait blessé, décharné et fourmillant de cicatrices ? Qu’il serait déplaisant pour ton épouse et tes braillards de vivre séparés de toi… Remarque, ta donzelle pourrait aller se perdre dans les bras d’un autre et se faire aimer par tous les voyous de la ville pour quelque pièces, pour essayer d’acheter des vêtements à tes gosses… En un mot, ta vie sera un horrible cauchemar jusqu’à ce que je retrouve enfin ma compagne. Ai-je été clair ?

Le douanier déglutit lentement et dit d’une voix tremblotante :

Oui oui…

Theos passe sèchement sa main sur l’uniforme de l’individu pour le défroisser et s’écarte de lui, l’invitant à aller voir son chef.

[Sur un chemin breton]

Les heures défilent au rythme de la course du cheval de Theos. La nuit tombe et s’abat brusquement sur la campagne. Epuisé par ce voyage éprouvant, d’Arenthon trouve refuge dans une taverne sale et vétuste. Quelques lignes sont alors adressées à une Hydrique.

Citation:
Mahaud,

Mon amie,

L’heure est venue pour Odénaiss et moi de prendre congés de l’Hydre et de nous éloigner des ambitions et des aspirations des Cavaliers. Aussi trépidant et tumultueux que fut le voyage récemment mené, il est temps pour nous d’aller nous perdre dans un ailleurs.

Je te remercie pour la confiance accordée et pour les instants privilégies que nous avons pu partager avec toi. Ne doute pas de la sympathie et du respect que je te voue. J’espère que le hasard viendra de nouveau nous réunir, à la croisée des chemins.

Avec toute mon affection.

D'Arenthon
Arzur.
      { Dans cette même taverne, à Rennes }


    Dans la grande pièce du bas, assis à la plus belle table, un jeune homme brun était appliqué à rédiger une lettre. La qualité du vélin et de la plume, la beauté du flacon d'encre, ne cachaient pas sa qualité. Alors que par habitude, en voyage, il se faisait discret, il était ici chez lui, à Rennes. Ville de sa naissance, ville de sa majesté son père le Grand-Duc, ville à laquelle il était dévoué. Il aimait bien passer du temps dans les tavernes. Rencontrer de nouvelles personnes, découvrir de nouveaux caractères, parler de voyages avec les inconnus de passage.

    Les lettres tracées d'une écriture sûre sur le vélin glissèrent pendant un long moment, tandis qu'autour du jeune homme, l'on mangeait, buvait, marchait, riait, criait parfois, draguait aussi... La pointe de la plume s'arrêta finalement sur un point, et glissa vers une signature.

    Dans les hauteurs de l'auberge, des cris, de l'agitation. Le jeune homme releva la tête, tout en essuyant la plume sur les bords de l'encrier. Un cri féminin, un appel, une voix angoissée. Arzur fronça les sourcils. La taverne n'était pourtant pas spécialement réputée pour être un lieu dangereux. D'un geste rapide, il reboucha l'encrier, rangea sa plume, et roula le vélin qu'il glissa dans sa besace avec tout le reste. Tout en se levant, il regarda vers le haut de l'escalier, méfiant et poussé par un pressentiment d'urgence. Sa main attrappa la lanière de sa besace, qu'il ne voulait pas laisser là, et il se dirigea vers l'escalier en oubliant sa cape, tombée derrière sa chaise.

    Il monta rapidement, aperçut par une porte ouverte une forme allongée et une jeune fille penchée sur celle-ci : il se précipita, laissant tomber la besace sur le pas de la porte, et posa un genou à terre auprès de la femme qui gisait là.


    - Que s'est-il passé ??

    La question s'adressait autant à la blessée qu'à l'autre jeune fille. D'une main rapide, il souleva le tissu pour voir la blessure. Il vit le poignard sur le sol. Fronça les sourcils.


    - Apportez-moi mon sac.


    Cette fois, cela s'adressait à la jeune fille agenouillée face à lui.

_________________
A.rn
C'est la vie contre la mort. Les deux, assurément, te réclament tout autant. On pourrait dire que c'est à toi de choisir, petite proie, mais rien n'est moins sûr. As-tu seulement ton mot à dire ? Ne t’étais-tu pas déjà prononcée ? Tu te contentes d'ailleurs de gémir. Mais n'est-ce pas là un appel au secours ? Un appel à la vie ? Allez, crie encore et encore. Que tes démons, apeurés, rebroussent chemin. Et si tu t’es décidée à ne pas sombrer, serre donc la main estropiée qui se présente sous ton nez. Serre, serre, et espère. Arn fera le reste.
    Je ne suis pas Theos mais je vais vous soigner.
Arn est un peu sotte mais pas méchante, et elle se promet, cette nuit durant, de choyer l’assommée. Après tout, c’est un peu comme jouer à la poupée.
    N’ayez plus aucune crainte.
Douces sont les caresses et les promesses : elle se doit de la rassurer si ce n’est de l’apaiser. Mais quels soins apporter à la blessure ? Que faire si ce n’est d’appuyer ? Et même si Arn peut langer les plaies, assurément elle ne peut soigner une âme peinée. Elle voudrait la questionner, savoir qui en voulait à sa vie. Mais la petite poupée est bien trop faible, c'est à peine si ses paupières se sont ouvertes, alors comment espérer l’interroger ? Placide nourrice d’un main ensanglantée caresse les cheveux ombragés. Au diable les interpellations, si tu survis, j’aurai tout mon temps pour t’écouter. Un autre pan de la robe vient éponger le front tremblant : un pour le sang, un pour la peur.

    J’m’appelle Arn, et je suis du Berry.
A présent c’est à toi de m’écouter.

    Vous connaissez l’Berry ? Il fait bon d’y vivre assurément, et on y croise de bien drôles de gens. Ma foi surtout des cabochards ! Mais ils ne sont pas bien méchants. Là-bas la musique est calme et douce, et on y boit de l’eau-de-vie à base de poires. C’est fort mais c’est délicieux.
Et si l'enfant débite autant de banalités c'est dans le seul but de la garder éveillée. Mais voilà que se ramène un inconnu. Probablement est-il le second pion de la vie dans cet échiquier géant. Et pour gagner bataille, soutien est de mise ; Arn quitte la blessée pour recueillir la besace.

    Tenez. Sauvez la.
Les yeux de l'enfant ignare glissent alors sur un papier abandonné. Je l'affectionne déjà.

_________________
Arzur.
    D'une main frêle, la toute jeune demoiselle tendit à Arzur la besace de voyage. Il fouilla rapidement, en retira deux chemises blanches et un rouleau de cuir entourant des plumes d'oie pour l'écriture, puis, enfin, une bourse de soie. Sans perdre de temps, il l'ouvrit, laissant tomber dans la paume de sa main un minuscule rouleau de fil et un bouchon de liège dans lequel étaient plantées quelques aiguilles. En quelques secondes, l'une d'entre elles fut désinfectée à la flamme qui brûlait dans l'âtre, et Arzur y fit passer un fil.

    - Damoiselle, serrez-lui fort la main... La douleur risque de la faire paniquer, mais il faut absolument refermer au plus vite.


    Il était soldat, et avait depuis longtemps acquis la maîtrise et l'habitude de recoudre les plaies, comme l'ensemble de ses camarades. Certes, il n'avait point la précision d'un médecin confirmé, ni les connaissances médicales d'un herboriste, mais les blessures étaient bien assez fréquentes chez les soldats de ce siècle qu'il était fort habitué à manier l'aiguille.

    Ecartant doucement le tissu imbibé de sang, il essuya une partie du sang qui avait coulé en abondance. Rapidement, il passa l'aiguille dans la chair, allant et venant avec précision, n'hésitant pas un instant, de manière à abréger au mieux la douleur.

_________________
Odenaiss
[Don't let me die*, l'ange
Don't let me die, l'archange
Tu sais le temps qu'il faut pour apaiser
Nos peines
Don't let me die,
Et dis encore je t'aime]**

Spectatrice d'un monde qui s'affaire autour d'elle, elle voit la lutte qui s'impose et qui oppose la vie à la mort. Elle voit, celle qui lutte à ses côtés, cherchant désespèrement à la tenir en vie pendant qu'elle, continue de se sentir aspiré par ce destin qui pourrait connaître un aboutissement funeste et scandaleux.
Son visage, ses contours sont flous, sa voix se fait lointaine et seuls quelques mots lui parviennent encore. Elle se laisse bercée par les douces paroles prononcées. Est-ce la un Ange venu pour la rassurer ? Venu lui dire qu'il n'était pas encore trop tard et qu'elle se pouvait encore de se cramponner fèrmement à la vie ?
A cela, elle n'a pas de réponse, mais l'instinct de survît qui naît la force à s'y tenir liée, sa main emprisonnant la sienne. Par sa voix, par sa présence, elle lui insuffle une nouvelle vie en remplacement de celle qui s'échappe.



    Arn... Ange de la vie, "Mon" Ange Gardien. Si tu savais comme tu me fais du bien. Parle-moi encore. Reste auprès de moi... Mais ? Mais où vas-tu ? Ne pars pas ! Ne m'abandonnes pas. Contes-moi encore de tes histoires, que je ne m'endorme pas...


Les tourmalines qui peinent à rester ouvertes cherche l'Angélique sans plus la trouver. Doucement la tête se tourne, mais non de trop, car la crainte est là de voir la mort lui faire face de nouveau. Elle la sent qui se trouve non loin. Derrière elle, l'âtre qui s'éveille et qui lui murmure de la rejoindre. Mais la voix de l'Ange quant a elle s'est faite bien plus belle et dans sa tête il n'y a bien qu'elle qui sache résonner.
Et si la main frêle l'a quitté pour un temps avec l'espoir de la retrouver, c'est un autre contact qui s'en vient la brûler lorsque l'étoffe qui la couvre se soulève et s'arrache à la blessure. A d'autres contours de se dessiner et d'essayer de la sauver.
Rien n'est pareil, ni les traits, ni la voix. La douceur n'est pas là.



    Mais où donc es-tu passé toi ? Arn... Mon Ange ? Reviens... Aide-moi...


La senestre qui se tient au bout d'un bras gisant dans une marre de sang qui s'étend et souille le sol de la chambre, cherche à la retrouver du bout des doigts. Si elle le pouvait, elle l'appelerait hurlant son nom à s'en rompre les cordes vocales, mais rien ne sort mise à part un gémissement plaintif commun à toute douleur qui assaille. Puis un cri avant que les mâchoires ne viennent se resserer de nouveau tandis que l'aiguille s'insinue et pique à vif les chairs meurtries. Le corps se crispe sous la douleur permanente et qui s'apprête à la faire sombrer dans la folie. Les piqûres s'enchainent... Les visions qu'elle a de la scène qui se joue près d'elle s'évaporent encore laissant place à épais brouillard.

Elle sombre dans l'inconscience où seule une petite voix se fait entendre...



    Ange parle-moi...



* Ne me laisse pas mourir
** Ange parle-moi - Mylène Farmer
Arzur.
    La blessée s'était évanouie. Le sang coulait toujours, souillant l'aiguille, souillant le sol, souillant les mains du prince, qui pourtant n'en avait cure. Le corps de la femme se détendit. L'aiguille métallique termina son ouvrage, proprement, terminant son ballet par un noeud précis.

    Arzur regarda le visage de la femme : détendu par l'inconscience, mais pâle, presque livide. Il ramena son intention au ventre. Il se soulevait lentement, par intermittence. Les battements du coeur faisaient légèrement trembler la poitrine dénudée. Satisfait de ce bref examen, Arzur récupéra l'une des chemises qu'il avait sorties de sa besace et en essuya délicatement le ventre blessé. Le sang était épais, rouge. Le tissu fut bientôt imbibé. Le corps blessé, lui, se trouva relativement nettoyé.

    La suture était nette : les lames des poignards occassionnaient des coupures aux bords vifs et réguliers, faciles à recoudre. Mais toutefois la blessure était profonde. La blessée devrait se battre... lui, il ne pouvait que stopper l'hémorragie, pas guérir les chairs.

    Sa main se posa sur le côté du visage de la blessée, cherchant une réaction...

_________________
A.rn
La curieuse s'est saisit de la lettre alors qu’avec arrogance elle trônait sur la table. L'encre n'est pas encore tout à fait sèche, l'écriture est brouillon et les mots se bousculent, mais Arn comprend. Elle comprend que sa blessée en aime un, peut-être même est-elle mariée. Elle comprend aussi que son passé assurément était trop lourd à porter. Elle comprend que sa mort elle l'a souhaitée si fort qu'elle l'a provoquée. Alors qui est Theos, s'il n'est son tortionnaire ? Est-il le destinataire ? L'ami ? L'amant ? La vie ?

La blessée lui échappe et elle découvre le décor d'une mise à mort. C’est la pénombre et la chaleur d'une chambre étouffante, quelques bouteilles et verres délaissés, fussent-ils savourés, des souvenirs posés sur le papier, ancrés ou oubliés, quelle différence maintenant ? Et quel meilleur endroit pour la mort qui livre combat ? Arn réalise qu'Odénaiss, car ainsi semble-t-elle s'appeler, a porté elle et elle seule le poignard à sa chair. Mais Arn a promis, et une promesse est une promesse ; à cette nuit éprouvante, douce écervelée, tu survivras, c’est écrit. Sois forte, je t’épaulerai.

Avec véhémence l’enfant ouvre les fenêtres et les volets que sa protégée puisse respirer, ferme la porte qu’ils ne soient pas dérangés et dépose l’arme sur la table qu’elle ne puisse plus tuer. Assurément l’autre n’en saura rien si courrier n’est pas envoyé, alors petite Arn, responsable pour une fois, glisse quelques mots sur le papier, lui indiquant vaguement l’état des lieux et le nom du tripot, avant de le livrer au tenancier prié de s’empresser. Arn préfère ne pas l’affoler, dissimule le sang sur ses mains et sur son corps et ne lui révèle pas l’affaire, au pleutre non plus d’ailleurs, assurément sa nuit se terminera dans d’autres bras.
    Je suis là.
C’est pour Odénaiss, pas pour Azur ; pour lui, un sourire suffit. Elle espère que cette lettre était bel et bien destiné à ce Theos et qu’il saura protéger celle qu’il aurait délaissée. Peut-être a-t-elle agi trop vite, poussée par l’angoisse, mais Arn a le sentiment d’avoir bien fait. Elle se sent utile, ça lui change, ça lui sied.
    Theos c’est c’lui qu’vous aimez ? J’ai envoyé la lettre que vous aviez écrite, je lui ai demandé de venir au plus vite. Cela vous f’rait-il plaisir ?
Nous l’attendrons ensemble, des jours durant s’il le faut. L’enfant n’espère aucune réponse ni excuse. Qui est-elle seulement pour adresser des sermons ? La putain se pose aux côtés de la faible, sa main vient sauver la sienne, et, tout près de son oreille, elle lui conte mille et une merveilles où se mêlent passion et déraison, victoires et espoir. Pas de doute, l'amie ne se meurt pas, elle dort.

_________________
Odenaiss
Elle a sombré.
Combien de temps ? Une heure ? Une minute ? Même pas... Tout juste quelques secondes à profiter d'une accalmie bienfaisante.

Un contact... Celui d'une main qui épouse sa joue. Elle la sent qui se pose, s'attarde, cherchant par le geste à la tirer des méandres de l'inconscient dans lesquels elle se trouve plongée.
Un son... Celui d'une voix qui s'insinue dans ses esgourdes. Un prénom prononcé, celui de l'être aimé qui lui fait reprendre connaissance.
Doucement, les paupières appesanties clignent et s'entrouvrent, libérant la Brune de sa torpeur. Entre apathie et pesanteur, son corps déploie les quelques forces dont il s’est ravivé, à moins que ça ne soit seulement les dernières dont elle puisse encore user.



-"Theos... Vous... Vous l'avez prévenu ?! "


Douloureux réveil qui balaye avec lui la douce accalmie. Un instant, sa vie en suspend dans l’entre deux monde, elle aura oublié l’angoisse venue l'envahir, la colère, qui, poussée à l’excès, aura engendré la folie et la douleur. Un apaisement de courte durée où sérénité cède de nouveau sa place à l'agitation.


Affolée, elle repense à ces mots qu'elle aura couché juste avant de tomber. Des mots qu'elle voudrait qu'il ne lise jamais. Mais il semblerait qu'il soit trop tard. Que l'Ange ait trouvé bon de les lui transmettre.



-" Cette lettre... Vous n'auriez pas dû..."


Elle veut se relever, quitter ce sol sur lequel elle est étendue et qui apporte tant d'inconfort à son corps meurtri. Tout près, la couche dont les draps défaits traînent de moitié à terre. D'une main tremblante, la literie est froissée, tâchée du sang qui lui souille les paumes.
Elle s'y agrippe, tandis que sa senestre vient baigner dans son essence. Rien n'est là pour retenir sa main qui glisse et laisse apparaître une trainée dans la mare de sang qui, déjà, a commencé à coaguler. Pas même la main de l'Ange dont elle s'est défaite.
L'effort produit, la perte d'équilibre, sont là de raviver la douleur dans ses entrailles mutilées. Une seconde fois, elle a l'impression de s'assener un coup. La sensation est telle qu'elle croit son sein se déchirer de nouveau. Violente souffrance...
Sous le coup de celle ci, elle ne consent qu'à se laisser retomber, ses épaules et son dos épousant avec fracas le sol de la chambre.

D'une voix brisée par la colère, la douleur et la tristesse, un cri s'échappe et vient s'abattre contre les murs qui s'élèvent autour d'eux. Les larmes cristallines et amères, jusqu'alors contenues, ruissèlent sur ses joues blafardes. Elle pleure, même si elle sait que cela n'y changera rien. Rien de ce qu'il pourra penser lorsqu'il découvrira les mots que renferme le pli, car elle sait les valeurs qui sont siennes et qu'il est des faiblesses qu'il condamne plus que d'autres. Davantage si elles se devaient d'être commises par celle qui s'annonçait comme sa "Future".
Mais le mal est fait. Elle n'a désormais que d'espoir qu'il lui pardonne, car la répudier, serait à coup sûr de la tuer... une nouvelle fois et pour de bon.
Theos
[Rennes - Trois jours plus tard]

L’ombre se glisse dans les venelles encore obscures d’une ville en éveil, accompagnant les émois des premiers vendeurs de breloques, des bonimenteurs et des marchands de victuailles. Bientôt du bruit et des cris éclateront à travers les dédales des ruelles les plus populaires de Rennes, tandis qu’une masse humaine se déversera dans son ventre. Theos avance sans réellement savoir où se trouve sa compagne. Il ne s’inquiète pas de ne pas avoir reçu de ses nouvelles, les missives ne parvenant que rarement aux voyageurs du fait de leurs fréquents déplacements, préférant d’avantages les sédentaires. Une seule contrariété le taraude : il ne sait où Odénaiss réside, où elle se cache depuis que son passé est venu la bouleverser.

Une pensée visite alors sa conscience. Leur mariage, la cérémonie, un désastre. Il regrette de ne pas avoir pu s’unir à son Autre devant l’autel Aristotélicien. Non pas pour faire preuve d’une ostentation dégradante et exhiber sa vie affective, et encore moins par mollesse d’esprit, mais simplement pour pouvoir reconnaître la légitimité de leur relation devant l’Eglise. Car malgré un penchant incontestable pour les femmes et d’atroces imperfections, il s’efforce de suivre le chemin de Christos avec le plus de rigueur et de déférence possible. Intégriste, il aime Dieu comme un père, comme le garant de la morale qu’il n’a pas et qu’il doit acquérir, il défend les idées qui découlent de ce culte avec une franche conviction et une sincère adoration. Fervent croyant, il s’acharne à combattre les païens et s’exerce à l’art de la propagande. La religion, c’est ce qui l’élève, ce qui l’empêche de s’abîmer dans les méandres de la bassesse et de la vulgarité.

Aussi, il rejette le suicide.

Il pense connaître Odénaiss, son caractère, ses humeurs. Pourtant, il se trompe sur elle, car il est persuadé qu’elle est incapable de s’anéantir et de tomber sous le coup de sa propre volonté. Jamais il n’a pensé qu’elle pourrait se retrouver allongée, agonisante au creux d’une chambre qui transpire le désespoir. Jamais elle ne se réduira à telle dégradation, menaçant la pérennité même de leur avenir, de leur couple. C’est du moins ce qu’il croit. Enfoncer une lame dans son corps féminin, c’est comme lui arracher la vie à lui et détruire ce qui lui reste d’humain. Et si l’idée d’être veuf un jour ne l’a jamais effleuré, c’est à cause de la vie et de la jeunesse insolente que dégage la future d’Arenthon. Non, il est pour lui impensable d’imaginer son Autre au creux d’un linceul, rongée par une froide pâleur et par une détestable mort.

Il pose pied à terre, serrant d’une main ferme les rênes de sa monture. Il pénètre dans une première taverne, à la recherche de la Ténébreuse. Puis dans une deuxième, et une troisième. Sa quête est vaine et ne le mène pas aux retrouvailles tant attendues. Fatigué, il remarque au coin d’une place un mendiant avachi par terre et qui a l’œil sur tout, qui voit défiler le quotidien des habitants, qui les découvre, les surveille, les épie à leur insu. Il s’accroupit face à lui, dissimulant le dégoût qu’il lui inspire et lui décrit alors la taille, les courbes, les traits marquants d’Odénaiss. Il ne néglige rien et crache toutes les indications susceptibles d’aider l’indigent à savoir qui il ambitionne de rejoindre. En échange de quelques écus, il accepte de lui donner les renseignements attendus. D’Arenthon fulmine et maudit les gueux, mais s’exécute et lui donne la somme demandée, sans même négocier, l’épuisement et l’envie de retrouver sa Pimbêche le tiraillant.

Il avance jusqu’au tripot indiqué par le misérable et en franchit les portes, emporté par une appréhension brutale et inexpliquée, comme si son intuition s’éveillait et se mettrait en transe. Il s’accoude au comptoir, découvrant d’un œil suspicieux l’endroit et ses visiteurs. N’apercevant pas Odénaiss, objet de ses tracas, il se tourne et s’adresse au tenancier d’une voix posée :


Bonjour, je me nomme Theos d’Arenthon. Je recherche une jeune femme, une certaine Odénaiss. Il paraît qu’elle réside ici.

Ah ! C’est vous Theos ?! On m'a justement confié une lettre dont vous êtes destinataire il y a quelques jours. Mais comme nous ignorions où vous étiez, nous n'avons pas pu vous la transmettre. Laissez-moi aller la chercher, j’en ai pour un instant.


Enfin, au bout d’une longue attente, il revient avec le précieux document et le confie à Theos qui le déplie et s’empresse de le lire...

[Trois mille pieds sous terre]

Son sang devient fiévreux et indiscipliné. Il brûle sous son épiderme et se disperse à travers ses veines dans une course fébrile alors que son palpitant se met à battre à une cadence folle. Son visage se referme et son souffle s’arrête. Il meurt l’ombre d’une seconde. Les mots d’Odénaiss le transpercent avec la même violence que la lame est venue déchirée sa peau féminine. Il se sent vaciller, refusant de comprendre ce qui est écrit, relisant la lettre à plusieurs reprises. Perdu, il s’enfonce dans le sol, la terre se met à trembler, le sol se dérobe sous ses pieds. Pas un mot ne sort de sa bouche, il ne sait plus parler. Il reste immobile de longues secondes. Puis la réalité le rappelle et sa raison se réveille.

Il court à travers l’établissement, percutant plusieurs inconnus sur son passage. La tempête d’injures qu’ils vomissent ne le perturbe même pas, il n’a plus conscience des choses. Il arrive essoufflé devant la porte de la chambre de sa compagne, conformément aux indications spécifiées par Arn. Et il l’ouvre avec fracas, et il se sent crever devant l’effroyable spectacle qui s’offre à lui.
A.rn

Blessée fuit les caresses et les promesses, blessée fuit la tendresse. Mais pourquoi s’en aller ? Pourquoi me quitter ? N’étais-tu pas bien au creux de mes bras ? Blessée fuit le réconfort innocent d’une enfant, la protection illusoire d’un espoir. Regarde-moi, je suis rouge de ton sang. Ton ventre a tâché le mien. C’est ta vie qui luit sur mes mains. Pardonne-moi, pardonne-moi.

Arn pleure aussi. Petites perles de rancune tracent leurs sillons. Petites perles de rancœur tracent leurs sillages. C’est l’incompréhension. C’est la déception. Et défaite est faite. Défaite est amère. Arn regrette d’avoir failli, Arn regrette de s’être trompée. Mais il fallait agir ! Il fallait rebondir. Ne pas te laisser mourir. Pardonne-la, pardonne-la, car l’homme est faible par nature.

Ne m’en veux pas, ne m’en veux pas. Je m’en veux déjà bien assez.

    Odenaiss ! Oh ma douce Odenaiss.
L'enfant se glisse sous l'épaule meurtrie et tente de la relever. Elle voudrait l’aider une dernière fois. Lui montrer qu’elle est là. Lui dire qu’elle ne voulait pas. Qu’elle ne savait pas. Qu'elle s'en veut. L'enfant lance un regard alerte au prince sans nom, ça n’est pas un appel au secours, ce sont des excuses. Vous vouliez la sauver, j’ai failli la tuer.

    Battez-vous Odenaiss, battez-vous !
Troisième pion entrera bientôt en jeu. Il s'agit maintenant de déterminer son camp. Garde espoir Odenais, garde espoir.

_________________
Odenaiss
[ Rennes - Trois jours plus tard - Toujours "Au Trente" - Cloitrée dans sa chambre]

On aurait pu dire que le pire était à présent derrière elle. Aurait pu... parce personne sur l'instant, n'aurait pu imaginer qu'il puisse y avoir pire situation que celle qu'elle venait de vivre... Sa vie ayant frôlé la mort de deux doigts. Aussi mince que cette faible unité de longueur aurait dû être ses chances de s'en relever, et pourtant, elle avait survécu à la folie d'un geste... Son geste, acte empli d'un profond désespoir.

Derrière elle, un état mêlant crises et pertes de connaissance, le tout sur fond de fièvre délirante. A plusieurs reprises, on aurait pu la croire morte, mais elle avait tenu bon, son corps refusant d’expulser le dernier souffle de vie qui semblait encore loger en lui. Au fil des heures, la fièvre s’était épuisée, emportant avec elle la possibilité d’une infection liée à la cicatrisation des chairs. Peu à peu elle recouvrait de sa santé, les bons soins d'une Arn dévouée lui étant prodigués. Qu'y avait-il eu de plus appréciable, de plus réconfortant que la chaleur d'une main, que la fraîcheur d'un linge imbibé d'eau clair sur son front brulant ? Qu'une main nourricière essayant de lui faire avaler un peu d'eau, un semblant de nourriture ?

Arn... Ange venu de nulle part. Archange, protectrice aux doux contours, au regard qui absorbe, à la voix qui apaise. Elle a tout fait pour l'aider. A la force de son regard venu se perdre dans le sien, de ses mains enserrant les siennes, essayant, dans toutes ses attentions, de prendre un peu de sa douleur et de l'endurer avec elle.
Doucement, les tourmalines s'étaient ouvertes sur elle, et la Brune lui avait offert toute sa confiance, s'en remettant totalement à elle... Douce enfant.

Et après trois jours d'une rude assistance, le corps ankylosé de n'avoir que trop peu bougé, l'envie était pour Odénaiss de quitter sa couche.
S'asseoir un peu. Essayer de se lever et de marcher.
L'aide avait été proposée, refusée, puis acceptée finalement, la Brune n'ayant d'autre choix face à sa trop grande faiblesse. Doucement, les deux pieds nus étaient venus épousé le sol de la chambre provoquant chez la Brune quelques frissons. Les yeux embués découvraient là l'horreur qu'ils avaient jusqu'alors occulté. Par terre, se devinait encore les marques de sangs, comme si elle l'eurent imprégné. Ca et là ses vêtements tâché de son essence qui avait séchée avec le temps. Et dans la pièce, cette odeur de métal que provoque le contact du sang et de la peau.
Triste décor venue ternir l'image d'une femme que tous pensait hors d'atteinte.

Le bras venu se reposer sur les épaules d'une Arn fragile mais pourtant si forte, elle avait fini par se lever, sa main venant irrésistiblement se plaquer à l'endroit où se trouvait le pansement qui tenait caché sa blessure et les mâchoires se resserrant sur un gémissement plaintif. Un regard porté dans les yeux de l'Ange et le soutien moral avait été trouvé lui aussi. Un soutien dont elle allait avoir besoin... Besoin pour ce qui serait de faire accepter à son Autre la scène qu'il s'en venait découvrir. Car tel était le cas. Ses pas l'avaient mené jusque là.
Sur lui, la porte s'était ouverte. Lui dont les yeux venaient trahir l'effroi et l'incompréhension.
Elle s'ose alors à une main tendue pour l'accueillir ne sachant s'il saura la prendre ou au contraire s'il sera là de décliner l'invitation à s'avancer.


-"Theos... Mon Amor... Je peux tout t'expliquer..."


Elle sait le tableau difficile et triste à contempler, mais puisse-t-il venir y trouver sa place et lui redonner un peu de douceur au côté d'Arn.
Deux mains tendues pour l'aider à se relever vaudraient toujours mieux qu'une...
See the RP information
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)