Odenaiss
- - Quand l'obsession mène à la temptation du Sans Nom-
[ Breizh, juin 1460 - Sa Capitale - Aux Trente - A l'heure ou jour et nuit se confondent]
Un dernier effort et les mains vinrent violemment refermer les volets de cette chambre qu'elle ne daignait plus quitter. Une chambre, qui, au fil des jours était devenue son asile. Seule protection contre cette obsession compulsive qui s'imposait constamment à son esprit, sans qu'elle ne puisse plus s'en libérer, et qui l'avait poussé jusqu'à l'extrême, cette nuit dernière, la forçant à prendre la vie d'une assaillante venue courir le risque de s'y frotter.
Aujourd'hui plongée dans une paranoïa dévastatrice, tout n'était plus que faux jugement et méfiance. Prise dans le tourbillon vicieux de ses délires, la vie n'en était que plus insupportable. Pour elle... Tout comme elle pourrait l'être pour les autres.
Peinant à marcher, titubant, le corps et le sang imprégnés de ses abus d'alcool, elle était parvenue à prendre appui sur la table sur laquelle était étalé sa correspondance des jours passés. D'un bras venu balayer le plan de cette dernière, elle l'avait débarrassée d'un tas de vélins chiffonnés, ainsi que d'une bouteille vide de l'Hydromel qu'elle avait pu contenir et sur laquelle elle s'était âprement jetée. Projetée avec véhémence, le verre était venu se fracasser contre l'un des murs de la chambre, ses éclats s'éparpillant grossièrement sur le sol.
Et ce grand désordre n'avait pas échappé à son voisin de chambrée venu cogner contre les pans et au travers duquel sa voix s'élevait, invitant la Brune à se calmer.
- C'pas fini c'bordel ouais !? Combien d'temps on va encore avoir à t'supporter l'étrangère ! ?
" A toi d'me foutre la paix ! Y a donc pas moyen d'creuver tranquille ici ? "
Complètement enivrée, elle s'était laissé tomber sur la chaise où elle avait pris place tant de fois. Qu'on la laisse tranquille pour oeuvrer à sa perte. Mais avant ça, dans sa senestre, une flasque. A sa jumelle d'en ôter le bouchon, libérant l'effluve qui fleure bon le terroir Normand ; pénétrante odeur de pomme qui s'exale des greniers et des cours de fermes en attendant leur maturation. Goulot qui s'invite sur la chair purpurine et flot qui se déverse et glisse le long de sa gorge. Elle s'abreuve, une dernière fois, de ce doux poison, avant que l'étain ne soit délaissé au profit d'un style dont la pointe s'apprête à venir noircir de quelques volutes malhabiles le jaune du vélin.
L'écriture, n'est pas ce qu'elle est d'ordinaire. L'habituel tracé, raffiné, a laissé place au grossier, à l'illisible parfois, tant la main se fait hâtive et tremblante.
Un dernier mot, pour Lui qui n'est pas là. Lui qui l'aura soutenu.
Citation:
A toi,
Mon Autre,
Qui m'aura tant apporté.
Si je te donne l'impression que je suis forte, que je vais bien, là ne sont que de trompeuses apparences, car tu t'en doutes, il n'en est rien. J'ai bien essayé, du plus que je le puis, de me libérer de ce passé qui m'envahit, mais en vain. Le poids des chaînes est devenu trop lourd à porter. Il me faut m'en délester et je crois que la seule solution désormais n'est autre que de m'en aller. Il y a de cela trop longtemps que je m'affaire à creuser ma propre tombe et je n'ai pas pour souhait de t' entraîner en son fond avec moi.
T'épargner et la plus belle preuve d'amour que je puis encore te faire.
Pardonnes-moi ce manque de courage et cette lâcheté qui soudain sont venus m'habiter, mais je n'en puis plus.
Adieu mon Amor,
Odénaiss.
Mon Autre,
Qui m'aura tant apporté.
Si je te donne l'impression que je suis forte, que je vais bien, là ne sont que de trompeuses apparences, car tu t'en doutes, il n'en est rien. J'ai bien essayé, du plus que je le puis, de me libérer de ce passé qui m'envahit, mais en vain. Le poids des chaînes est devenu trop lourd à porter. Il me faut m'en délester et je crois que la seule solution désormais n'est autre que de m'en aller. Il y a de cela trop longtemps que je m'affaire à creuser ma propre tombe et je n'ai pas pour souhait de t' entraîner en son fond avec moi.
T'épargner et la plus belle preuve d'amour que je puis encore te faire.
Pardonnes-moi ce manque de courage et cette lâcheté qui soudain sont venus m'habiter, mais je n'en puis plus.
Adieu mon Amor,
Odénaiss.
La pointe du style s'enfonce sur un dernier point qui suit l'Adieu. Les mots étaient posés, le vélin abandonné sur le plat de la table. Ce mot, elle ne l'enverra pas. Non. Ce mot, il le trouvera à son arrivée, car il sait où la trouver, l'endroit où elle a pris refuge lui ayant été confié lors de précédents échanges.
Elle espère qu'il comprendra le geste qu'elle s'apprête à accomplir. Hantée par ses obsessions, incapable de les chasser, elle vit une souffrance intérieure telle qu'elle se doit d'en finir. Détruire le mal par le mal est la seule solution.
En appui sur la table, les mains l'aident à se lever tandis que ses tourmalines viennent se figer sur le petit chevet. Posé sur son bord l'étui de cuir renfermant sa dague. Depuis cette nuit où elle avait eu à l'enfoncer dans les entrailles de l'assaillante, elle ne s'en était plus paré.
Frêles et tremblant, les doigts s'emparèrent de son arme de main pour la déloger de son étui. Doucement la lame glisse le long de son pouce laissant suinter quelques gouttes d'un sang qui refusent alors de s'écouler.
Debout, elle retourne l'arme contre elle. Ne pas attendre, de crainte d'hésiter et de ne plus pouvoir. Les deux mains liées, placées entre le pommeau et la garde de sa dague, elle se gonfle d'une profonde inspiration et d'un coup vif, insinue le froid de la lame tranchante dans ses chairs . Mâchoires qui se resserrent et étouffent un cri de douleur. Qu'il fait mal de vouloir mettre fin à sa vie. L'instinct la pousse à se défaire de l'intrus. Aussi vite qu'elle l'aura pénétré, la lame est retirée. Blessure béante, son corps pleure de son essence. La main abandonne l'arme qui tombe sur le sol. Moment de recul, ses pas la mène contre l'un des pans de la chambre, avant qu'elle ne s'écroule dans un vacarme assourdissant entraînant avec elle le petit mobilier qui orne la chambre. Chaud est le flot qui s'écoule. La main plaquée sur sa blessure, elle sent la vie qui s'enfuit... doucement... sûrement... ou pas...
* Le désespoir